M. Colloghan

lundi 21 décembre 2020

Catalogne – Aperçu historique

Par Richard Neuville *

Cet article a été rédigé en avril 2016 à la demande des éditions Syllepse en vue de la publication d'un ouvrage collectif sur la question nationale en Catalogne, en Corse et en Écosse mais celui-ci n'a pas vu le jour. Un an plus tard, l'actualité catalane était sous le feu des projecteurs.

 

Selon la légende, l’origine de la Catalogne remontrait à la fin du IXe siècle avec la nomination du comte de Barcelone, Guifré el Pilós, en 878. Sous son règne, l’entité historique et culturelle de la Catalogne aurait commencé à se dessiner. La plupart des historiens retiennent plutôt la date de 9882 quand les comtés catalans s’émancipèrent de la suzeraineté des rois francs et se seraient déclarées indépendants. La signature du traité de Corbeil (1258) entre Jaume 1er et Saint-Louis entérinera officiellement l’indépendance de la Catalogne.

Préhistoire et Antiquité

Le peuplement des Pays catalans remonterait à un million d’années avant notre ère. Des restes d’activités humaines des différentes périodes du paléolithique et du néolithique démontrent un peuplement continu. Au cours du second âge du fer, les Ibères atteignirent un degré de civilisation assez élevé. Des tribus autonomes peuplèrent progressivement une grande partie de la Catalogne et, à partir du VIe siècle av. J.C., développèrent des échanges commerciaux avec le nord de l’Afrique et le sud de l’Italie et des relations avec la Gaule.

Au VIIe siècle av. J.C, les Phéniciens établirent une colonie à Ibiza, qui leur permettait de contrôler les Iles Baléares et d’accéder aux côtes de Valence et de la Catalogne. Ils exercèrent une certaine influence dans la zone de l’Ebre. Vers 575 av. J.C., les Phocéens en provenance de Marseille débarquent sur les côtes de la Catalogne actuelle et fondent des comptoirs à Emporion (Empúries) puis à Rhodes (Roses). Ils propagèrent leurs conceptions sociales, politiques et culturelles ainsi que leur vision de l’organisation sociétale à travers le territoire.

En 218 av. J.C., lors de la seconde guerre punique, l’affrontement entre les Romains et les Carthaginois provoqua le débarquement de l’armée romaine à Empúries dans le but de couper Hannibal de ses bases hispaniques. L’année précédente, le général Carthaginois avait franchi le col du Perthus avec ses célèbres éléphants et marchait sur Rome. Une fois la guerre terminée, les Romains s’installèrent dans la péninsule ibérique, ils choisirent Tarraco (Tarragone) comme capitale de la péninsule ibérique. Ils créèrent une structure territoriale (la province), des infrastructures et imposèrent un système fiscal. Les différentes insurrections indigènes furent fortement réprimées. La colonisation posa les bases de la société hispano-romaine. La culture latine laissera une empreinte incommensurable dans tous les domaines de la vie quotidienne : le sens de la propriété privée, la langue, l’urbanisme, le droit, etc. Empuriae et Tarraco étaient alors les villes majeures, Barcino (Barcelone) n’était alors qu’une petite place fortifiée, peuplée de militaires. Les habitants de ces villes, considérées comme des extensions de la capitale impériale jouissaient de la citoyenneté romaine. Le contrôle de l’Empire ne fut possible qu’avec le développement d'un réseau de communication terrestre, la Via Augusta, entre Salses et Valence. La majeure partie de la population vivait à la campagne. L’agriculture était la principale activité économique, les Romains développèrent la culture de la vigne et de l’olivier, l’exploitation forestière, la mine et les secteurs artisanaux. Administrativement, l’essentiel des Pays catalans était rattaché à la province tarragonaise hormis le Roussillon qui appartenait à la Province de la Gaule narbonnaise. La domination romaine dura six siècles et l’héritage fut d’une grande importance pour le pays : de nombreux édifices témoignent de cette civilisation, le droit romain resta la base du droit local pendant deux millénaires et le catalan trouva son origine dans la langue latine.

Une influence arabe limitée

Entre le IIIe et IVe siècle, l’empire romain entra en crise et le christianisme se substitua aux cultes traditionnels. Durant le Ve siècle, des peuples « germaniques » s’installèrent dans l’Empire romain d’occident, qui chuta définitivement en 476. Les Wisigoths envahirent le sud de la Gaule et une partie de l’Hispanie. En 531, ils s’établirent à Barcelone qui occupera un rôle régional croissant tandis que Tarragone périclitera. En 711, le royaume fut détruit lors du débarquement arabo-berbère dans la péninsule, une nouvelle société s’établit, Al-Àndalus, qui se convertit en une grande puissance culturelle et économique. Une société « multiethnique » et de tolérance s’instaura dans laquelle les chrétiens et les juifs étaient respectés et les langues néo-latines préservées. Mais l’influence arabe ne fut pas aussi forte dans les Pays catalans que dans le reste de la péninsule car la présence musulmane ne dura que cinquante ans en Roussillon et guère plus de quatre-vingts à Barcelone. Et, si les Arabes demeurèrent quatre siècles en Nouvelle Catalogne (Taifas de Tortosa et de Lleida), c’est la Vieille Catalogne (région nord-orientale) qui constitua la matrice culturelle du pays. En Catalogne, l’influence arabe s’exerça plus sous la forme d’échanges que d’une domination. L’invasion « musulmane » provoqua néanmoins le mouvement de reconquête qui préfigura la nation catalane3.


Naissance de la Catalogne

A la fin du VIIIe siècle, à la tête de la dynastie carolingienne, Charlemagne poursuivit sa phase de conquêtes avec la Marche hispanique pour protéger son empire des potentielles menaces « islamiques ». Après avoir pris le Roussillon, ses représentants parvinrent à Gérone, que ses habitants livrèrent sans mener combat. A l’issue d’un siège prolongé, Barcelone fut livrée aux Francs le 3 avril 801. La Vieille Catalogne fut divisée en six comtés héréditaires et indépendants rattachés à l’Empire carolingien et notamment la Septimanie.

A la fin du IXe siècle, Guifré el Pilós (840-897), nommé comte de Barcelone en 878 lors du Concile de Troyes, apparaît comme le père fondateur de la Catalogne, qui commença à se constituer en tant qu’entité historique et culturelle. Il établit les bases politiques du futur royaume souverain de Catalogne et contribua au développement de la langue, le catalan. L’origine du drapeau lui fut attribuée. L’art roman catalan rend compte de cette singularité dans des œuvres remarquables.

En 985, la ville de Barcelone fut mise à sac par les troupes d’Al Mansour, nouveau calife autoritaire de Cordoue. Alors que le royaume de France fut sollicité pour apporter sa protection, il ne donna pas suite à la requête. En réaction, les comtés catalans rejetèrent la suzeraineté des rois francs, ils ne payèrent plus de taxes et se seraient déclarées indépendants en 988.

Le XIe siècle se caractérisa par l’instauration d’une société féodale avec l’appropriation des biens publics par une noblesse issue de l’administration carolingienne qui profita de la faiblesse de l’autorité des comtes. Le nouveau système de domination imposé aux paysans provoqua de nombreuses révoltes. Ramon Berenguer 1er de Barcelone, auquel les comtes de Cerdagne, d’Empúries, de Besalú, d’Urgell et du Roussillon prêtèrent allégeance, rétablit l’autorité comtale à partir de 1070 en négociant un nouvel ordre social avec la noblesse. Il établit également le premier code féodal d’Europe en proclamant les Usatges, régissant le droit et les coutumes du féodalisme catalan (1068). Après une intense campagne d’évangélisation, l’Église s’affirma comme un pouvoir puissant garant du maintien de la légalité et de l’ordre. Elle construisit de nombreuses églises et monastères en développant l’art roman et instaura la paroisse comme unité géographique de base. Elle créa également l’Assemblea de Pau i Treva (l’Assemblée de la Trêve de Dieu), formée par le clergé et les paysans, son but était de contrôler la violence féodale. Elle préfigura les corts catalanes.

Au cours du siècle suivant, l’identité catalane se forgea. Les habitant-e-s se reconnurent comme catalans et l’usage du catalan comme langue écrite se développa. La société féodale fut dynamisée par l’intensification du commerce, la construction de nouvelles villes et l’ouverture des grandes routes maritimes. Barcelone devint le centre urbain le plus peuplé et le centre politique, économique et social de la Catalogne.


L’union de la Catalogne et de l’Aragon

En 1137, Le mariage de Ramòn Berenger IV, Comte de Barcelone, avec la princesse héritière Pétronille d’Aragon, donna naissance à la Couronne d’Aragon. Elle développera un mode d'administration original, très décentralisé en rapport avec les différences politiques, économiques et linguistiques des deux parties de la Couronne, le Royaume d'Aragon et le Principat de Catalunya. Cette union renforça la puissance militaire. Avec la reconquête des terres musulmanes de la Catalunya Nova : prises de Tortosa (1148) et de Lleida (1149), la frontière avec les Maures fut repoussée jusqu’à l’Ebre, territoire correspondant à la Catalogne stricte.

De nouveaux ordres religieux (les Cisterciens et les Chartreux) et religieux-militaires (les Templiers et les Hospitaliers) contribuèrent à structurer les territoires colonisés. La politique expansive de la Maison de Barcelone s’orienta également vers les terres occitanes, avec lesquelles il existait des liens politiques et culturels forts (les troubadours qui s’exprimaient en langue d’Oc, proche du catalan, se produisaient de la Provence à Barcelone et Toulouse). Les unions matrimoniales permirent un temps de réunir les Comtés de Provence, du Languedoc et de la Catalogne sous le signe de la tolérance. La croisade, convoquée par le pape Innocent III et conduite par Simon de Montfort pour lutter contre « l’hérésie cathare » en 1208, brisa cette unité. La défaite de Muret (1213) mit fin à l’expansion catalane vers le nord. Après cet échec, le traité de Corbeil, signé entre Jaume I, (Jacques 1er) et Saint Louis en 1258, scella le renoncement des ambitions occitanes au-delà des Corbières, hormis la ville de Montpellier (qui sera vendue au Roi de France en 1349), en échange de l’abandon définitif de la suzeraineté du roi de France sur le comté de Barcelone. Le Roussillon et le nord de la Cerdagne furent alors inclus dans la Catalogne historique.

Au début du XIIIe siècle, la couronne d’Aragon orienta sa politique d’expansion territoriale et maritime vers la Méditerranée. La conquête de Majorque (1229) par Jacques 1er initia une phase qui ne s’achèvera qu’au XVe siècle. Elle sera suivie par celles de Minorque et d’Ibiza (1231), de Valence (1238), et du Regne de Valence (1245), de Murcie (1266), cette dernière fut finalement dévolue au roi de Castille. Jacques 1er créa les royaumes de Majorque (comprenant les Baléares, le Roussillon, la Cerdagne et Montpellier) et de Valence qui se dotèrent d’institutions particulières comme el fur de Vàlencia, largement inspirées de celles de la Catalogne.

Par la suite, l’expansion se développa dans le Bassin méditerranéen avec l’annexion de la Sicile (1282), ce qui provoqua un long conflit militaire avec la France et la Papauté, par les conquêtes d’Athènes (1303), de Néopatrie (1311), de la Sardaigne (1324), puis du Royaume de Naples (1443). La Couronne d'Aragon attint alors son apogée et devint un empire militaire et commercial puissant, gouverné depuis Barcelone comme une confédération, les différents territoires conservèrent leurs propres lois. Cette domination en Méditerranée occidentale permit un développement important du commerce et l'établissement de nombreux comptoirs en Afrique du Nord, en Orient et jusqu'en Mer du Nord. Un code régissant les pratiques commerciales, le llibre del Consolat de Mar, fut instauré et s’imposa dans l'ensemble de la Méditerranée.

Parallèlement, les villes à l’image de Barcelone, Perpignan, Lérida et Tortosa se développèrent en modifiant profondément leur structure sociale et urbanistique. Dans chaque ville, d’importantes communautés juives étaient regroupées dans des ghettos, dont les activités étaient souvent axées sur le commerce.

La population paysanne représentait 80 % de la société catalane et sa condition était distincte d’une terre à l’autre : en Nouvelle Catalogne, les paysans bénéficiaient de franchises héritées de la colonisation musulmane ; tandis qu’en Vieille Catalogne, le système de la remença, condition de servage perdurait. L’art et la culture dans la Catalogne médiévale se développèrent avec de nombreuses réalisations religieuses et la construction d’édifices gothiques civils et militaires remarquables. Au quatorzième siècle, la décadence du pays s’amorça, touché par une série de famines et d’épidémies décimant la moitié de la population.


Une tradition parlementaire

La Couronne d’Aragon était une organisation politique complexe, elle était constituée comme une confédération d’états indépendants : le Principat de Catalogne avec les Comtés du Roussillon et de Cerdagne, et les Royaumes d’Aragon et de Valence. Elle se dota d’institutions uniques en Europe qui préfiguraient les monarchies constitutionnelles. Ainsi les actes de Cour devaient être ratifiés par le Parlement, les Corts Catalanes, organe législatif avec des pouvoirs fiscaux composé des trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers état, fut créé en 1283. Il arrivait également que les Corts des trois États : Valence, Catalogne et Aragon se réunissent ensemble à Monzón en Aragon mais également à Perpignan pour débattre de questions communes. En 1359, une nouvelle institution vit le jour, la Diputació del General, qui deviendra plus tard la Generalitat, elle était chargée de mettre en œuvre les décisions, de contrôler l’application des lois, les Constitutions, et de recouvrer les impôts. Il existait également des institutions municipales, comme le Consell de cent à Barcelone, élus désignés par les corporations et les bourgs, qui désignait notamment les consuls représentant les intérêts des marchands catalans dans la Méditerranée. Valence possédait ses Corts, sa Généralité et sa monnaie. En 1413, le premier code de droit commun catalan, Usatges, constitucions i altres drets de Catalunya, fut rédigé. Ces institutions fonctionneront jusqu’à l’occupation des Bourbons (1714).


L’union de l’Aragon et de la Castille 

Tout au long du XVe siècle, la Catalogne vécut une période de convulsions politiques et sociales, de marasme économique et de récession démographique. La Catalogne amorça son déclin à la disparition du roi Martin Ier d'Aragon, le Vieux, dernier souverain de la maison de Barcelone, mort sans héritier en 1410. La dynastie castillane des Trastamare s'imposa avec le soutien du Pape, de l'Aragon et de la Castille. En 1462, une rébellion se produisit contre Jean II d'Aragon. À cette occasion, le Roussillon et la Cerdagne furent donnés en gage au roi de France Louis XI qui les occupa militairement.

Pendant trois siècles, les catalans se rebellèrent à de nombreuses reprises pour défendre leurs droits face à un pouvoir castillan de plus en plus expansionniste et cherchèrent à échapper à l'effort militaire de l'empire espagnol. L’oppression féodale provoqua des révoltes paysannes, des payeses de remensa, la Guerre civile (1462-1472) et la II Guerre des serfs (1484-1485) en furent les expressions les plus violentes, elles marquèrent le déclin du royaume médiéval. La Sentence de Guadalupe rendue en 1486 abolit les mauvais usages et permit aux paysans de passer d’un état de servage à une forme de métayage.

En 1469, le mariage de Ferdinand II d’Aragon et d’Isabelle de Castille permit de rassembler les deux principales couronnes d’Espagne, chacune conservant cependant ses institutions et son patrimoine. En 1494, le conseil suprême d’Aragon plaça la Catalogne sous contrôle castillan. A la fin de la Reconquête et la découverte de l’Amérique, Barcelone se trouva écartée du commerce avec le Nouveau Monde au profit de Séville et de Cadix. L’ouverture de nouvelles routes océaniques transféra le commerce mondial vers l’Atlantique. La Méditerranée et la Catalogne se retrouvèrent dans une position géostratégique marginalisée.


Première république catalane,

la guerre des faucheurs et le traité des Pyrénées

En 1516, Charles Ier d’Autriche, petit fils de Ferdinand et d’Isabelle, futur empereur Charles Quint, réunit les couronnes de Castille et d’Aragon. Cantonnée à un rôle périphérique, coupée du commerce avec les Amériques, minée par les guerres, le banditisme, la piraterie, les crises et une démographie en forte baisse due aux épidémies, la Catalogne parvint néanmoins à résister. Son attachement à ses institutions compensa la décadence économique et culturelle. Les Catalans demeurèrent l’un des peuples les plus libres d’Europe aux XVIe et XVIIe siècles.

Après le Concile de Trente (1543-1563), la Contre-réforme impulsée par Philippe II renforça la répression, elle s’abattit implacablement contre les juifs convertis, les Morisques et les Huguenots occitans fuyant les persécutions. Le fanatisme religieux hispanique restreignit implacablement les libertés avec une application stricte des prérogatives de l’Inquisition. En 1610, 120 000 Morisques (un tiers de la population valencienne) furent contraints de quitter Valence. Après l’expulsion des juifs un siècle plus tôt, cette mesure aggrava encore plus la situation économique des Pays catalans. Le sentiment catalan perdit de sa force et l’usage de la langue régressa.

Pendant la Guerre de Trente Ans, les tensions entre les monarchies espagnoles et françaises furent exacerbées. De par sa position géographique, la Catalogne devint une terre d’affrontement entre les belligérants. En 1640, le roi espagnol Philippe IV contraignit les paysans catalans à s’enrôler dans son armée qui combattait les forces de Louis XIII. Mécontents du traitement reçu, les paysans décidèrent de se rebeller contre le monarque. Ils envahirent Barcelone, ce fut le début de la guerre dels Segadors (des Moissonneurs). Els Segadors (Le chant des Faucheurs) deviendra plus tard l'hymne officiel catalan. La Generalitat, dirigée par Pau Claris, encadra la révolte et établit une éphémère république catalane, la rupture avec la monarchie espagnole fut consommée. Louis XIII, proclamé comte de Barcelone, s’engagea à apporter une aide militaire et à respecter les institutions. En 1650, les français abandonnèrent Barcelone mais conservèrent le Roussillon et une partie de la Cerdagne, dont l’incorporation définitive à la France fut scellée avec le Traité des Pyrénées en 1659. Louis XIV ne tarda pas à abolir les institutions de la Catalogne du Nord et à imposer sa politique d’assimilation, ce qui ne manquera pas de provoquer des révoltes paysannes contre les impôts et de nouveaux conflits entre l’Espagne et la France.


La Guerre de Succession et le 11 septembre

A la mort de Charles II Habsbourg, sans descendance, les puissances européennes rivalisèrent pour imposer leur candidat à la tête de l’Espagne. La Castille opta pour Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV (Bourbons), tandis que la couronne d’Aragon, qui redoutait l’implantation d’un système de gouvernement ouvertement centralisateur, appuyait l’archiduc Charles d’Autriche (Habsbourg). Les alliés de l’Autriche, après le Traité d’Utrecht de 1713, retirèrent leurs troupes de la plupart des fronts, laissant les Catalans seuls dans leur combat. Après 14 mois de bombardements et de siège, Barcelone capitula face aux troupes des Bourbons. La guerre de Succession d'Espagne s'acheva le 11 septembre 1714 par la prise de Barcelone par les troupes franco-espagnoles. Cette défaite fut à l'origine de la fête nationale en Catalogne, la Diada Nacional de Catalunya. Philippe V abolit les lois et les institutions catalanes et celles des territoires de l’ancienne Couronne d’Aragon. Le pays devint régi par les lois absolutistes de Castille. Ce fut le début de l’unité territoriale et politique espagnole. La langue catalane fut interdite pour les actes officiels et judiciaires et dans l’enseignement.

Au cours du XVIIIe siècle, malgré le régime absolutiste, la Catalogne connut un redressement économique spectaculaire. La spécialisation agraire sur les terres du littoral avec la culture de la vigne, le développement des industries traditionnelles (laine, papier) et l’industrie du coton permirent la consolidation d’une économie d’exportation. La bourgeoisie catalane prit la tête du redressement économique, elle créa la Junta particular de Commerç à Barcelone en 1758. La démographie du Principat augmenta de manière spectaculaire et permit l’expansion des terres cultivées. Avec la levée de l’interdiction de commercialisation avec les Amériques en 1768, la Catalogne renoua avec sa tradition maritime et reconstitua une flotte marchande. Les bénéfices du commerce colonial permirent le développement d’une nouvelle industrie textile et ouvrirent la voie à l’industrialisation du XIXe siècle. Pour autant, le prolétariat naissant ne profita pas de cette nouvelle prospérité.


La Révolution française et les guerres napoléoniennes

La Révolution française fut diversement accueillie en Catalogne. Elle fut d’abord perçue à travers l’arrivée des émigrés, principalement des ecclésiastiques dans un pays où l’Inquisition continuait à imposer sa censure. En mars 1793, quand la Convention déclara la guerre à l’Espagne, les volontaires affluèrent pour combattre. En peu de temps, ils occupèrent le Vallespir, le Confluent et la Cerdagne avec la complicité de nombreux catalans du Nord. Les troupes françaises contrattaquèrent, reconquirent les territoires et envahirent la Cerdagne, le Val d’Aran et une partie de l’Empourdan. Le conflit, dénommé Guerra Gran, prit fin avec l’accord de la Paix de Bâle en juillet 1795.

Lors des guerres napoléoniennes, les armées françaises et espagnoles se combattirent pendant plusieurs années. En 1808, l’irruption des troupes françaises en Catalogne provoqua l’effondrement de la monarchie des Bourbons. La réaction catalane sera l’insurrection, la paysannerie de l’intérieur prit les armes pour combattre les troupes impériales mais se révolta également contre la bourgeoisie catalane. La politique des Français évolua sans cesse au cours de cette guerre d’indépendance. En 1810, ils autorisèrent la Catalogne à constituer un gouvernement autonome de la Couronne espagnole et l’usage du catalan comme langue officielle. Puis en 1812, avec le soutien de secteurs de la bourgeoisie manufacturière, Napoléon annexa la Catalogne à l’Empire et la divisa en quatre départements. En 1814, suite à la défaite napoléonienne, la Catalogne réintégra le royaume d’Espagne. La Guerra del Francès (1808-1814) préfigura le scenario des guerres carlistes (1833-1840, 1846-1849, 1872-1876) avec, d’un coté, la Catalogne de l’intérieur, profondément catholique, conservatrice et préindustrielle et, de l’autre, le littoral urbain et industriel plus libéral.


La révolution industrielle

Le XIX fut un siècle de révoltes, de révolutions et de réformes au cours duquel s’exprimèrent les contradictions d’une société en profonde mutation. Les changements sociaux et démographiques marquèrent la différence avec le reste du pays. Dès le milieu du XIXe siècle, la Catalogne engagea une transformation vers une société capitaliste et industrielle. L’apparition d’une nouvelle bourgeoisie et le développement de l’industrie contribuèrent à la formation continue d’une classe ouvrière. Le prolétariat devint rapidement le groupe social le plus important. Dès 1865, 30% de la population active exerçait dans l’industrie (le taux atteindra 50% en 1930). Les femmes représentaient 40% de la population ouvrière de Barcelone.

La population catalane passa de neuf cents mille habitants à deux millions ; Barcelone avec cinq cents mille habitants dépasse Madrid. A l’avant-garde des régions espagnoles, la Catalogne développa un pôle industriel important mais elle resta dépendante du fer basque et du charbon anglais. Faute de capitaux (contrôlés par la bourgeoisie financière de Madrid, elle-même associée au capital anglais et français), elle ne put développer une métallurgie lourde significative. En revanche, l’industrie textile du coton, complètement mécanisée, devint florissante et la Catalogne, l’« atelier de l’Espagne ». Entre 1848 et 1900, un réseau ferroviaire dense fut également développé.

A partir de 1835, le prolétariat et des secteurs de l’artisanat et de la petite bourgeoisie s’engagèrent dans le républicanisme et évoluèrent vers l’anticléricalisme. Les révoltes urbaines spontanées révélèrent l’inquiétude sociale et exprimèrent des revendications de participation démocratique. Les premières sociétés ouvrières se créèrent en 1840. Les classes populaires se soulevèrent contre la politique de libre-échangisme du gouvernement. En juillet 1855, la première grève générale fut organisée à Barcelone et en Catalogne pour obtenir la reconnaissance légale des associations ouvrières et la limitation de la journée de travail, elle fit massivement suivie et dura dix jours. Les doctrines socialistes utopiques se propagèrent dans la classe ouvrière. Le mouvement ouvrier catalan organisé adhéra à l’Internationale en 1869. En 1870, lors du premier congrès espagnol, 75% des délégués furent catalans et les positions de Bakounine l’emportèrent largement sur celles de Marx. Les théories anarchistes et un prolétariat très combatif font de Barcelone « la ville des barricades » (selon l’expression de Friedrich Engels), cela en fit une singularité en Europe. En Catalogne, le système politico-syndical des travailleurs et les gauches catalanes ne s’organisèrent pas autour du socialisme ou de partis ouvriers mais politiquement à partir du républicanisme nationaliste et syndicalement à partir de l’anarchosyndicalisme. Les athénées4 ouvriers jouèrent un rôle fondamental dans la formation de la classe ouvrière.

Contrastant avec l’effervescence des classes populaires, la bourgeoisie participa peu à la gestion de l’État espagnol et se limita à revendiquer des clauses protectionnistes face à la concurrence anglaise et européenne croissante. Durant tout le XIX, elle se trouva incapable de s’organiser politiquement pour défendre ses intérêts.

En 1868, la Révolution de Septembre éclata et Isabelle II fut renversée. L’échec de l’instauration d’une nouvelle dynastie royale, la nouvelle guerre carliste et la radicalisation des affrontements sociaux ouvrirent la voie à la Première République. Elle fut proclamée le 11 février 1873 par le Congrès et le Sénat et présidée par deux catalans Figueres puis Fransesc Pi i Margall. Elle se voulait résolument sociale et fédérale, elle adopta la première législation du travail en Espagne et la nouvelle constitution institua le suffrage universel masculin5. En Catalogne, des fédéraux et des ouvriers tentèrent de proclamer un État catalan. Mais onze mois plus tard, la République fut renversée par les militaires et la monarchie restaurée avec le retour des Bourbons. Avec la Restauration, à laquelle la bourgeoisie catalane se rallia sans trop d’états d’âme, ce fut le retour des caciques, une alternance des deux partis « conservateur » et « libéral » et l’immobilisme pendant quarante ans. En 1898, l’Espagne perdit ses dernières colonies : Cuba, Puerto Rico et les Philippines et s’enfonça dans une crise politique profonde.


La Renaissance, le Modernisme et le catalanisme

Au cours du XIX, un réveil politique et culturel du catalanisme se produisit (Renaissance, modernisme, bases de Manresa), il associa la modernité et la réappropriation nationale. Le premier mouvement fut connu sous le nom de Renaixença (renaissance) et émergea dès 1833. Il promut la langue, l’art et l’architecture catalans. Les intellectuels, les écrivains et autres artistes commencèrent à revendiquer leur appartenance à la culture catalane et à publier en catalan. Ce mouvement toucha également le Pays valencien et les Iles Baléares. L’industrialisation fut un facteur déterminant dans le développement de la dynamique nationaliste catalane et la Renaissance littéraire et culturelle traversa les diverses réalités sociales. En 1873, quand les ouvriers de Barcelone manifestèrent pour réclamer la journée de dix heures, ils le firent pour la première fois en catalan.

Á partir de 1890, un autre courant artistique d’expression catalane émergea, le Modernisme. Il développa un nouveau langage esthétique dans tous les secteurs de l’art. Il représenta une variante originale de l’Art Nouveau, symbolisé par l’œuvre d’Antoni Gaudi. Le Noucentisme et le Rationalisme architectural lui succédèrent dans les années 20 et 30.

Le premier congrès catalaniste fut organisé en 1880, il se prolongea avec la création du Centre Català. En 1891, l’Union catalaniste fédéra diverses organisations et adopta, l’année suivante à Manresa, un programme politique de référence, connu comme les Bases de Manresa. Au début du XXème siècle, le catalanisme modéré proposa un projet de modernisation de l’État dont la forme la plus achevée fut la Mancomunitat de Catalunya (1914-1925). Elle préconisait un timide transfert de compétences étatiques à la Catalogne et servait à affirmer une unité administrative et juridique. Mais ce furent bien les classes populaires qui maintinrent vivant le « fait différentiel », et ce fut grâce à leurs initiatives (foisonnement associatif, rénovation pédagogique, clubs culturels) que s’articulèrent étroitement luttes sociales et revendication nationale.


Le début du XXe sous le signe de la conflictualité

Le début du XXe siècle se traduisit par un accroissement démographique important, l’immigration des Espagnols du Sud alimenta l’industrie catalane. Le textile, la métallurgie et l’hydroélectricité se développèrent. La bourgeoisie prit conscience de son rôle dans le développement de la Catalogne, elle s’organisa en créant la Société économique des amis du pays, un syndicat patronal, et un parti pour représenter ses intérêts, la Lliga Regionalista, en 1901.

De son coté, la classe ouvrière revendiqua de meilleures conditions de travail mais la grève générale de 1902 se solda par un échec. La conflictualité sociale et politique était intense. En juillet 1909, en réponse à la mobilisation de réservistes ouvriers pour la guerre du Maroc, une grève générale fut déclenchée, des couvents et des églises furent incendiés dans toute la Catalogne. La répression sanglante, conduite par l’armée et connue sous le nom de « Semaine tragique », entraîna la mort d’une centaine d’ouvriers et plus de deux mille arrestations. Francisco Ferrer, pédagogue anarchiste fondateur de l’École Moderne, fut fusillé malgré une campagne de protestation dans toute l’Europe. En 1910, le syndicat Solidarité ouvrière créa la Confédération nationale du travail (CNT). Rapidement, elle acquit une hégémonie absolue dans la classe ouvrière. En 1919, la CNT déclencha une grève générale qui permit l’obtention de la journée de travail de 8 heures. Mais le patronat catalan réagit avec une violence extrême par un lock-out massif, le licenciement de 140 000 travailleurs et l’assassinat de centaines de dirigeants ouvriers, parmi lesquels Salvador Seguí, dirigeant de la CNT.

A la campagne, l’agriculture était en crise et les paysans en butte avec les propriétaires créèrent leur syndicat, l’Unió des Rabassaires, en 1922 qui jouera un rôle important derrière son leader Lluis Companys.

 

La proclamation de la République catalane

Alors qu’une partie importante de la bourgeoisie catalane et la Ligue régionaliste, soutint Primo de Rivera au prétexte qu’il promettait l’autonomie catalane, celui-ci ne respecta pas ses engagements et la Mancomunitat fut même abolie en 1925. Parallèlement, la dictature (1923-1930) réprima implacablement le syndicalisme, le catalanisme de gauche et les expressions culturelles catalanes. Une résistance armée s’organisa autour d’Estat Català avec à sa tête, Francesc Macià, mais elle échoua. La radicalisation des secteurs libertaires aboutit à la création de la Fédération anarchiste ibérique (FAI) en 1927. Mais la répression fut telle que de nombreux dirigeants libertaires (B. Durutti, F. Acasco) et nationalistes (F. Macià) durent s’exiler en France où ils furent assignés à résidence.

Les élections municipales du 12 avril 1931 donnèrent la victoire à une coalition nationaliste de gauche : Esquerra Republicana de Catalunya (Gauche républicaine de Catalogne) et Unió Socialista de Catalunya (USC). Deux jours plus tard, Francesc Macià (ERC) proclama la « République catalane », partie intégrante d’une Fédération ibérique. Cette initiative fut très mal reçue par le gouvernement républicain à Madrid, qui proposa à la place la création d’un pouvoir autonome avec comme « organe représentatif », l’institution historique, la Generalitat (Généralité). En Catalogne, les élections aux assemblées constituantes espagnoles du 28 juin 1931 donnèrent de nouveau la victoire à l’ERC, qui concentrait les suffrages des classes populaires et cela au détriment de la Lliga, parti du catalanisme conservateur. Le statut d’autonomie « Statut de Núria » fut approuvé par référendum le 2 août 1931. Il reconnaissait le statut de langue officielle au castillan et au catalan et permit de mener une action gouvernementale notamment dans le domaine de l’éducation.

En novembre 1933, la Lliga devança ERC lors des élections générales remportées par la Confédération des droites (CEDA). Le 6 octobre 1934, alors que la grève s’étendit dans tout le pays, Lluís Companys, successeur de Macià à la présidence de la Generalitat, proclama L’État catalan de la République espagnole, ce qui entraîna l’emprisonnement du gouvernement autonome et la suspension du statut. Lors des élections de février 1936, l’ERC obtint les deux tiers des sièges et un gouvernement du Front populaire s’installa à Madrid.


Coup d’État de Franco et la guerre civile

Le soulèvement des secteurs les plus intransigeants de l’armée et de la droite espagnoles mirent fin au rêve autonomiste et républicain de gauche. Le 17 juillet 1936, le coup d’État initié par l’armée d’Afrique au Maroc espagnol, provoqua une guerre civile qui allait durer trois ans et en finir avec la République espagnole. En Catalogne, les fascistes furent mis en échec par l’insurrection populaire qui déboucha sur une révolution sociale inédite, au cours de laquelle les contradictions sociales furent à leur comble. La Generalitat conserva le pouvoir institutionnel, composée des différentes forces de gauche avec à sa tête Lluís Companys, les entreprises furent collectivisées et une partie de la bourgeoisie partit en exil en France et en Italie tandis que d’anciens dirigeants de la Lliga collaborèrent ouvertement avec Franco. Alors que les troupes rebelles reçurent le soutien militaire des nazis et des fascistes italiens, la France et la Grande-Bretagne optèrent pour la « non intervention ». Les Brigades internationales et l’URSS de Staline furent officiellement les seules à soutenir la République mais des milliers de militants internationalistes s’engagèrent également dès le début du conflit. En mai 1937, la domination croissante des staliniens provoqua les Fets de maig (les Faits de mai), qui furent suivis d’une répression terrible à l’encontre d’une partie du camp populaire et particulièrement contre le POUM6 avec l’arrestation des principaux dirigeants et l’assassinat d’Andreu Nin.

En mars 1938, les troupes franquistes pénétrèrent en territoire catalan avant d’engager la Bataille de l’Èbre (Juillet-Novembre 1938) qui sera décisive. Après leur victoire, les troupes franquistes occupèrent Barcelone (26 janvier 1939) puis l’ensemble de la Catalogne. La chute du front catalan précipita la fin de la guerre (1er avril 1939). La population catalane fut terriblement touchée par les bombardements et plus de 50 000 personnes furent tués. La déroute républicaine fut comparable à la défaite de 1714.

 

La longue nuit noire

Après la victoire fasciste, plus de 500 000 personnes dont 200 000 des Països catalans franchirent la frontière française en janvier-février 1939, 150 000 d’entre elles furent internées dans les camps de concentration sur les plages du Roussillon. Les représailles franquistes furent massives, près de 150 000 catalans restés au pays furent internés dans des camps de concentration ou emprisonnés et 4 000 furent fusillés pour raisons politiques. Lluís Companys, Président de la Catalogne, réfugié à La Baule fut livré par la Gestapo aux autorités espagnoles et fusillé le 15 octobre 1940 au château de Montjuich. Le général Franco imposa une dictature de 36 ans en Espagne. Il abolit les partis politiques et les droits démocratiques ainsi que la liberté d’expression et la liberté d’association. En Catalogne, le régime fut spécialement dur, il supprima entre autres le statut d’autonomie et la Generalitat. La langue catalane et les symboles catalans furent interdits dans la vie publique du pays ainsi que dans les écoles.

A partir de 1944, les résistances extérieure et intérieure s’organisèrent, des guérilleros tentèrent d’occuper le Val d’Aran à partir de la France, des guérillas urbaines et de nombreux maquis se constituèrent entre 1945 et 1947. En Catalogne, les derniers maquis disparurent en 1951 même si la résistance libertaire perdura jusqu’en 1963. Le 1er mars 1951, la grève des tramways à Barcelone, organisée en protestation de l’augmentation des tarifs, fut massive et eu une forte répercussion dans l’ensemble du pays. En 1964, les premières commissions ouvrières catalanes furent créées dans une église de Barcelone. Avec la croissance économique, la conflictualité sociale s’amplifia. Au début des années 70, les premières grèves se développèrent, à l’image de l’occupation des usines SEAT dans le Baix Llobregat. La résistance culturelle s’affirma de plus en plus avec la publication de la Gran Enciclopèdia Catalana et la chanson L’Estaca de Lluís Llach devint l’hymne de ralliement d’une partie de la jeunesse catalane. Parallèlement, les organisations politiques se restructuraient dans la clandestinité. La réaffirmation de l’unité des Pays catalans s’exprimait également avec force. Pendant la dictature de Franco, la Generalitat continuait à fonctionner en exil en France. Ce fut essentiellement l’exil catalan qui maintiendra la culture vivante. Au début des années 1970, la revendication de la démocratie et de l’autonomie s’affirma de plus en plus mais Franco restait opposé à toute évolution. Les activistes politiques continuaient d’être condamnés à mort comme en 1974, le militant du MIL7 Salvador Puig Antich. La dictature se termina officiellement à la mort de Franco en 1975.


La Transition démocratique

Au cours des dernières années de la dictature, l’opposition politique et culturelle ne cessa de se renforcer avec pour mots d’ordre : « Liberté, Amnistie et statut d’autonomie ». Le Fait national devint le patrimoine collectif de toute l’opposition. La mort de Franco signifia à la fois le retour de la monarchie (2e Restauration des Bourbons) et de l’autonomie pour la Catalogne. Le rétablissement provisoire de la Generalitat, avec le retour d’exil de Josep Tarradellas en octobre 1977, l’approbation de la Constitution en 1978 et le Statut d’autonomie en 1979 furent les éléments du processus de transition, qui allaient culminer avec l’élection du second Parlement de la Catalogne contemporaine le 20 mars 1980.

Les premières élections au Parlement catalan donnèrent la victoire à Convergencia i Unió (CiU), coalition nationaliste de centre droit qui, utilisant un discours interclassiste, réussit à faire coïncider les « intérêts de la Catalogne » et ceux de son propre programme. Pendant vingt-trois ans (six mandats), M. Jordi Pujol, à la tête de la Généralité, dirigea les destinées de la Catalogne. Son bilan fut particulièrement notable au niveau de la politique linguistique. Toutefois, il ne remettra jamais en question le statut de 1979 et le modèle de domination.

Les résultats des élections de novembre 2003 en Catalogne et de mars 2004 dans l’État espagnol ré-ouvrirent l’opportunité d’une réorganisation de l’État avec, d’un coté, un gouvernement pro-catalaniste de gauche et, de l’autre, les socialistes. La conjoncture sembla propice pour avancer vers une conception plus fédérale de l’État espagnol, prenant en compte l’aspiration à une autonomie accrue de la Catalogne. Tel fut l’objectif du nouveau statut approuvé par le Parlement catalan en septembre 2005 et promulgué en juillet 2006. Mais plusieurs articles furent annulés par le Tribunal constitutionnel le 28 juin 2010 et notamment toute référence à une « nation catalane » et le caractère préférentiel du catalan sur le castillan. Cette décision fut le détonateur du processus de mobilisations indépendantistes de masse. Elle avait été précédée par l’organisation d’un référendum – sans valeur juridique – sur la souveraineté de la Catalogne organisé par diverses associations indépendantistes dans 166 municipalités le 13 décembre 2009.

Richard Neuville

 

Pour plus de développement sur la période 1980-2017, consulter les articles suivants publiés sur le site :

* « Catalogne : L'ère du « pujolisme » (1980-2003) »

https://alterautogestion.blogspot.com/2018/02/catalogne-lere-du-pujolisme-1980-2003-3.html

* « Catalogne : Les gouvernements « tripartites » et le nouveau statut d’autonomie (2003-2010) » https://alterautogestion.blogspot.com/2018/02/catalogne-les-gouvernements-tripartites.html

* « Catalogne : Le « procés » (2010-2017) » https://alterautogestion.blogspot.com/2018/02/catalogne-le-proces-2010-2017-5.html

Sources :

Morera, Jean-Claude, Histoire de la Catalogne, Paris, Ed. L’Harmattan, 1992.

Trépier, Cyril, Géopolitique de l’indépendantisme en Catalogne, L’Harmattan, Paris, 2015.

Hernàndez, F. Xavier, Història de Catalunya, Barcelona, Rafael Dalmau Editor, Col-lecció Nissaga, num.20, 2006.

Nadal i Farreras, Joaquim et Wolff, Philippe (sous la direction de), Història de Catalunya, Oikos-tau, Barcelone, 1983.

Vilar, Pilar (Dir.), Història de Catalunya, 10 tomes, Barcelone, Edicions 62, 1987-1990.

Solé i Sabaté, Josep M., La repressió franquista a Catalunya 1938-1953, deuxième éd., Edicions 62, Barcelone, 2003.

Segura I Mas, Antoni, « Entre autonomie et nation », Le Monde diplomatique, Supplément Janvier 2006. Consultable sur : https://www.monde-diplomatique.fr/2006/01/SEGURA_I_MAS/13133

Notes :

1 Pour faciliter la lecture, nous utiliserons alternativement des termes actuels ou historiques.

2 Pour cet aperçu historique, nous nous sommes appuyés principalement sur les travaux de Jean-Claude Morera, Histoire de la Catalogne, Paris, Ed. L’Harmattan, 1992, p.29 et de F.Xavier Hernàndez, Història de Catalunya, Barcelona, Rafael Dalmau Editor, Col-lecció Nissaga, num.20, 2006, p.28.

3 Le mot « nation » vient du latin natio, qui dérive du verbe nasci « naître ». La notion de nation ne recouvre pas toujours le même sens dans le temps et selon les lieux.

4 Au cours de la première moitié du XXe siècle, les athénées libertaires tiennent un rôle essentiel dans l’émergence d’un puissant courant d’opposition autonome et antiautoritaire en Espagne. Conçus comme des lieux de culture et d’éducation, ils se développent dans l’ensemble du pays pendant la Seconde République et pallient la carence d’infrastructures éducatives officielles pour la classe ouvrière. Voir Richard Neuville « Les athénées libertaires en Espagne » in Collectif Lucien Collonges, Autogestion hier, aujourd’hui, demain, Syllepse, 2010, p. - & Autogestion, l’encyclopédie internationale, Syllepse, 2015, p. -

5 Les femmes obtiendront le droit de vote en 1931 sous le Seconde République (1931-1939).

6 Le POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) fut créé à Barcelone en septembre 1935. Il naquit de la fusion du Bloc ouvrier et paysan dirigé par Joaquín Maurín et de la Gauche communiste dirigée par Andreu Nin. Entre juillet et décembre 1936, ses effectifs du POUM passèrent de 6 000 à 30 000 adhérents, principalement en Catalogne et dans le Pays valencien. En accord avec la CNT, il défendit la révolution engagée en Catalogne contre les staliniens. Après les Faits de mai, il fut interdit et ses membres fortement réprimés. Après la Seconde guerre mondiale, il maintiendra une activité en France jusqu’en 1980. Lire notamment Wilebaldo Solano, Le POUM, Révolution dans la guerre d'Espagne, Syllepse, Paris, 2002 et Victor Alba, Histoire du POUM, Paris, Champ Libre, 1975.

7 Le MIL (Mouvement ibérique de libération) était une organisation d’action directe engagée contre la dictature franquiste et implantée à Barcelone. D’inspirations anarchiste et ultra-gauche, elle fut active entre mars 1971 et août 1973. Elle se caractérisait notamment par l’attaque de banques pour financer du matériel d’imprimerie et d’édition ainsi que pour soutenir des grèves ouvrières. Elle évitait la violence contre les individus.

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