Nous
publions la suite des articles de Richard Neuville rédigés pour le
dossier "Catalogne : La question nationale - Autodétermination et
auto-organisation" d'Ensemble !
Après vingt-trois ans de
domination de la coalition nationaliste modérée (Convergència i Unió,
1978-2015) au sein de la Communauté autonome de Catalogne sous le leadership de
Jordi Pujol (1980-2003), la formation fut devancée par le Partit dels
socialistes de Catalunya (PSC-PSOE) lors des élections autonomes de
novembre 2003. Un gouvernement « tripartite » de gauche, composé par
le PSC, Iniciativa per Catalunya-Els Verds / Esquerra unida i
Alternativa (IC-V/EUiA) et Esquerra republicana de Catalunya (ERC) accéda
à la Generalitat avec comme président Pasqual Maragall (ancien maire de
Barcelone, 1982-1997). Les formations conclurent un accord de gouvernement,
le pacte de Tinell sur un fonctionnement plus démocratique et la révision
du statut d’autonomie de 1979. Dès 2004, le gouvernement impulsa une nouvelle Diada,
la mobilisation populaire remplaça la marche militaire.
Quelques mois plus tard, José
Luís Rodríguez Zapatero, accéda au pouvoir de l’État espagnol à l’issue des élections générales de
mars 2004 après avoir promis, durant sa campagne, de revoir les statuts
d’autonomie et d’apporter son soutien à l’initiative catalane.
En novembre 2004, sous l’impulsion
du gouvernement catalan, des discussions s’engagèrent avec les différents
partis siégeant au Parlament (y compris le Partido popular, PP)
pour réformer le statut en vue d’élargir les domaines de compétences de la
Généralité, afin de « garantir à la Communauté la possibilité d’exercer son
gouvernement autonome dans des secteurs complets et cohérents de l’action
publique, sans que l’État interfère constamment ». La Generalitat de
Catalogne disposait de compétences dans des secteurs très étendus, mais
celles-ci étaient généralement fragmentées et pour nombre d’entre elles dotées
de peu d’effet. Un accord fut conclu avec la nouvelle opposition, Convergència
i Unió (CiU), pour définir la Catalogne comme une « nation »,
pour renforcer la coexistence des deux langues officielles, sur la laïcité dans
l’enseignement, le mode de financement et la création d’une circonscription
catalane pour les élections au Parlement européen.
Le statut fut d’abord adopté
par le Parlament de Catalogne le 3 novembre 2005 par 89% des voix (PSC,
ERC et IC-V/EUiA, CiU), 120 député-e-s sur 135 (seul le PP s’y opposa).
Ensuite, le texte fut âprement renégocié et profondément révisé au niveau de
l’État, un préaccord fut finalement trouvé entre José Luís Zapatero et le chef
de l’opposition catalane, Artur Mas (CiU), mais les termes ne convenaient pas à
ERC. La Plateforme pour le droit à décider (Pacte
nacional pel dret a decidir, PNDD), créée en 2005 après le vote
du Parlament catalan, convoqua une manifestation le 18 février 2006. Le
nouveau statut fut finalement adopté par les Cortes espagnoles le 30 mars 2006
avec une large majorité, seuls ERC et Eusko Alkartasuna s’abstinrent, le
PP votant contre.
Le nouveau statut fut ensuite
soumis au vote au peuple catalan par référendum. Pendant la campagne, ERC
appela successivement au vote blanc avant de se rallier au non, ce qui entraîna
son exclusion du gouvernement catalan en mai 2006 et l’organisation de
nouvelles élections le 1er novembre 2006[1].
Le 18 juin 2006, le nouveau statut de 2006 fut définitivement adopté avec une
participation minoritaire de 48,85% (73,24% des voix pour, 26,72% contre). Il
entra en vigueur le 9 août 2006, mais fut en partie gelé dans son application.
En 2006 et 2007, plusieurs
réformes des statuts d’autonomie furent adoptées : Communauté de Valence,
îles Baléares, Andalousie, Aragon et Castille et Léon. Le statut de
l’Andalousie utilise les termes de « nation » et de « réalité
nationale » pour définir sa communauté alors qu’ils furent refusés à la
Catalogne.
Le préambule du nouveau statut
définissait la Catalogne comme une « nation », alors que la Constitution
espagnole la reconnaissait comme une « réalité nationale ». Le
préambule n'avait pas de valeur juridique, donc le statut restait celui d’une
communauté autonome, tel que défini en 1979. Malgré son approbation par les Parlements
catalan et espagnol puis par référendum, ce statut fut juridiquement contesté
par les communautés autonomes voisines de l'Aragon, des Baléares et par la
Communauté valencienne, mais surtout par le PP. Les critiques portaient sur
divers aspects tels que le patrimoine culturel et le principe de « solidarité
entre les régions ».
Malgré les problèmes
juridiques liés aux procédures engagées contre le nouveau statut, la Generalitat
de Catalogne entendait commencer sa mise en application. Elle négocia dans ce
but un accord sur le financement, afin de résoudre la question du déficit
chronique de la Catalogne. En juillet 2009, elle parvint à un accord avec le
gouvernement espagnol. Le transfert de compétences au profit de la Generalitat
était régulièrement ajourné. En 2009, seuls 9 domaines de compétence sur les 40
prévus par le statut d'autonomie avaient été transférés par l'État espagnol à
la Generalitat.
En réaction, la société civile
s’organisa et prit
différentes initiatives en lien avec les municipalités. En 2009, 169 consultations
populaires – sans valeur juridique – sur la souveraineté de la Catalogne furent
organisées.
Le 28 juin 2010, après quatre
années de tensions et de luttes d’influence entre le PP et le PSOE, le Tribunal
constitutionnel récusa les nouveaux statuts en les estimant non conformes à la
Constitution sur plusieurs points, telles que les références à une « nation
catalane », la justice autonome et le caractère préférentiel du catalan par
rapport au castillan. Il annula 14 articles sur 223 et en réinterpréta 27
autres. Cette décision fut le détonateur du processus de mobilisations
indépendantistes de masse. Le 10 juillet 2010, plus d’un million de Catalans
descendirent dans les rues de Barcelone pour s’élever contre cette décision
avec
le mot d’ordre « Som una nació. Nosaltres decidim"
(« Nous sommes une nation. Nous décidons ») à l'initiative d'Òmnium
Cultural et de nombreuses organisations sociales avec le soutien de la majorité
des partis catalans, à l’exception du PP.
Sources
Pujol Berché, Mercè, « Mouvements
de contestation en Catalogne : manifestations et consultation(s) sur
l’indépendance », in Fernández Garcia, Alicia & Petithomme,
Mathieu (Direction), Contester en Espagne – Crise démocratique et mouvements
sociaux, Demopolis, Paris, Janvier 2016, 135-157.
Cultiaux, Yolaine, « Le Nouveau Statut d'autonomie de la Catalogne : acte II de l'État des Autonomies », Critique internationale, 2007/4 (n° 37), p. 23-35. DOI : 10.3917/crii.037.0023. URL : https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2007-4-page-23.htm
[1]
Afin d’éviter le retour de CiU, le gouvernement tripartite (PSC, ERC, ICV-EUiA)
fut reconduit et présidé par José Montilla (en remplacement de Pasqual Maragall
dont les autres formations ne voulaient pas). Après l’adoption du nouveau
statut, lors des élections de novembre 2006, le PSC perdit 5 sièges, ERC 2 et
ICV-EUiA progressa avec 3 députés supplémentaires. La nouvelle majorité passa
de 74 sièges à 70.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire