Nous publions la suite des articles de Richard Neuville rédigés pour le dossier "Catalogne : La question nationale - Autodétermination et auto-organisation" d'Ensemble !
La période dite de la « transition
démocratique » déboucha sur un compromis qui permit l’adoption de la
réforme politique impulsée par Adolfo Suárez, président du gouvernement espagnol
(1976-1981). La reconnaissance du statut de « nationalité historique » pour la Catalogne et la
ratification d´un nouveau statut d´autonomie dès 1979 facilita le ralliement
des partis catalans au nouveau cadre démocratique. Pour autant, des divergences
apparurent rapidement entre les partis nationaux dominants et les partis
catalanistes et nationalistes. Perçue par les partis nationaux comme un socle
fondateur et immuable, la
Constitution de 1978 fut critiquée par les partis
nationalistes catalans pour ses ambigüités et ses limites et notamment le rejet
du droit à l’autodétermination. La
Catalogne, au même titre trois que les autres « nationalités
historiques » (Pays basque et Galice), n’obtint pas un statut de « nation » politique
et le catalan ne devint pas la langue
« officielle » mais seulement reconnue comme « co-officielle ».
La notion d’indépendantisme fut globalement absente du paysage politique
catalaniste et catalan pendant toute la transition démocratique.
Le 20 mars 1980,
les premières élections au Parlement de Catalogne donnèrent la victoire à Convergència i Unió (CiU, 27,7%) devant le Partit dels socialistes de Catalunya (PSC,
22,3%), Partit socialista unificat de Catalunya (PSUC, 18,7%) et les centristes de la Unión
de centro democrático (UCD, 10,5%). Parti historique,
la Esquerra republicana de Catalunya (ERC) n’obtint que la cinquième place (8,9%), mais apporta son
soutien à CiU au Parlament pour
constituer le premier gouvernement de Jordi Pujol[1],
alors que la gauche était théoriquement majoritaire avec 72 sièges (PSC, PSUC
et ERC). Par la suite, la coalition nationaliste de centre droit réussit, par
le biais d’un discours interclassiste, à faire coïncider les « intérêts de la Catalogne » et ceux de
son propre programme.
Les catalanistes conservateurs
de CiU dominèrent le paysage politique pendant vingt-trois années. Jordi Pujol
fut élu à six reprises président de la Generalitat, avec une majorité absolue en sièges pour
CiU en 1984, 1988 et 1992 et avec une majorité relative et l’appui du Partido
popular (qu’il soutenait réciproquement au niveau de l’État) en 1995 et 1999.
Sa stratégie consista à tenter d’accroître sans cesse le pouvoir de
l’autonomie, sans défendre un fédéralisme stricto sensu car, d’emblée, il surgit
une divergence d’appréciation sur la nature de l’État dans la Constitution
: État plurinational du point de vue catalaniste
et État-nation pluriel du point de vue espagnoliste.
Avec la loi
organique sur les finances des autonomies de 1980, le catalanisme politique
chercha à négocier directement de manière bilatérale avec l´État central afin
d´obtenir des évolutions asymétriques en faveur de la Catalogne, plutôt que de
promouvoir une fédéralisation de l´État des autonomies. Pour ce faire, CiU
soutint respectivement le gouvernement de Felipe González (PSOE) en 1993 et
celui de José María Aznar en 1996 (qui ne disposaient pas de majorité absolue
au Congrès).
Dès 1980, CiU
incarna une posture de garante du catalanisme « institutionnel » et s’appuya
sur la politique très populaire de « normalisation linguistique » impulsée par
Jordi Pujol. Le conservatisme culturel, la défense de l’identité catalane, un catholicisme
affirmé, un clientélisme localiste, une pulsion antiespagnole, voire
anti-immigrés, caractérisèrent certains des traits de la politique mise en
place au cours de la période. En mettant
l´accent sur la « reconstruction nationale » de la Catalogne mais également de l´Espagne en tant qu´État plurinational et
multilingue –indépendamment des appréciations que l’on peut porter – elle se traduisit par une incontestable réussite politique
et une position hégémonique du nationalisme autonomiste.
L´objectif affiché
du nationalisme catalan, selon CiU, était de développer la conscience nationale
et l´attractivité de la « nation » catalane à travers des politiques
inclusives, une modernisation et une innovation économique, une participation
citoyenne la plus large possible et une promotion internationale de la culture
et de la pensée politique catalanes. Mais Jordi Pujol ne cessa d’affirmer que les
revendications de la
Catalogne ne constituaient pas des demandes égoïstes, mais bel
et bien des avancées susceptibles de contribuer à la démocratisation de
l´ensemble de l´Espagne.
Au milieu des
années 1990, la volonté de contribuer à une réforme des structures de l´État
espagnol réapparut, notamment avec la Déclaration de Barcelone de 1998[2].
De manière générale, CiU était favorable à une « évolution vers une
structure confédérale de l´État espagnol qui conférerait une souveraineté à la Catalogne en matière
culturelle, linguistique et juridique, tout en consacrant son autonomie
financière et fiscale et sa possibilité de mener une diplomatie et une
politique extérieure autonome »[3].
Sous
sa présidence, Jordi Pujol ne remit jamais en
question le statut de 1979, qui avait révélé pourtant ses insuffisances, en ce
qui concerne le système de financement qui taxe davantage les régions les plus
riches, sans qu’elles bénéficient d’investissements publics compensatoires.
La politique de «
normalisation » linguistique soutenue dans les années 1980 et la diffusion du
nationalisme par le biais des institutions de la Generalitat, des
écoles et des médias, contribua au développement du sentiment indépendantiste
parmi de nouvelles couches sociales, et plus particulièrement chez les jeunes
catalanophones des villes moyennes de l’intérieur de la Catalogne.
Au cours de cette
période, le vote des Catalans oscilla entre l’octroi de majorités pour CiU aux
élections de l’autonomie régionale (entre 27,7% et 46,8%) et en faveur du PSC
aux élections générales (entre 34,1% et 45,8%), voire municipales. Ce dernier
progressa néanmoins aux élections régionales jusqu’à parvenir à constituer une
coalition de gauche avec l’ERC et Iniciativa per Catalunya/Els Verds (ICV) à
partir de 2003 et diriger la
Generalitat avec les gouvernements « tripartites ».
Parallèlement, le catalanisme de gauche, représenté par l’ERC[4],
sortit progressivement de l’isolement, auquel le pujolisme l’avait réduit
pendant deux décennies, en progressant fortement entre 1999 et 2003 (de 8,7% à
16,4%). Les classes moyennes catalanophones, surtout dans le secteur public, se
reconnaissant davantage dans cette organisation et constituant la composante ouvertement indépendantiste de la société catalane.
Cette évolution se traduisit par une plus grande fragmentation de l’offre
politique nationaliste, et par l’affaiblissement de la composante de la société
catalane aspirant uniquement à une autonomie accrue.
Sources
Fernández Garcia, Alicia et Petithomme, Mathieu, « Structuration et
trajectoires idéologiques des partis catalanistes et nationalistes catalans
depuis la Transition
», Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 13 | 2014, mis
en ligne le 28 décembre 2014, consulté le 19 décembre 2017. URL : http://journals.openedition.org/ccec/5336 ; DOI : 10.4000/ccec.5336.
Michoneau,
Stéphane, « L’Invention du « problème catalan », La Vie des Idées, 6 avril 2010.
https://www.ensemble-fdg.org/
[1] Jordi Pujol, né en 1930, est
un militant antifranquiste dès la fin des années 1950, il est condamné à sept
années de prison. Engagé dans les organisations catholiques de résistance, il
joue un rôle actif dans le renouveau du catalanisme culturel dans les années 1960,
puis politique dans les années 1970. Il est un des fondateurs de Convergència democràtica de Catalunya (CDC) en 1974 puis de la
coalition Convergència i Unió en 1978 (en alliance avec l’Unió democràtica de Catalunya). Il
remporte les élections autonomes à six reprises et reste président de la Generalitat de 1980 à
2003. En 2014, il est rattrapé, ainsi que sa famille, pour des scandales
fiscaux et des détournements de fonds publics liés à des commissions occultes.
[2]
La Déclaration
de Barcelone fut signée le 16 juillet 1998 par CiU, le Partido nacionalista
vasco (PNV) et le Bloque nacionalista galego (BNG). Elle
demandait notamment la reconnaissance plurinationale de l’Etat espagnol.
[3]
Fernández Garcia, Alicia et Petithomme, Mathieu, « Structuration et
trajectoires idéologiques des partis catalanistes et nationalistes catalans
depuis la transition », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En
ligne], 13 | 2014, mis en ligne le 28 décembre 2014, consulté le 19 décembre
2017. URL : http://journals.openedition.org/ccec/5336
; DOI : 10.4000/ccec.5336.
[4] Les 18 et 19 novembre
1989, lors de son 16e congrès à Lleida, l’ERC se prononça pour la première fois
clairement pour l’indépendance des Països
Catalans, qui engloberait l’ensemble des territoires de culture catalane
par la voie démocratique et pacifique.
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