M. Colloghan

mercredi 8 février 2012

Gaz de schiste : Une lutte citoyenne exemplaire en Ardèche méridionale

Par Richard Neuville


Fin décembre 2010, quand des écologistes révèlent dans la presse locale que les services du ministère de l’Ecologie et de l’Energie ont octroyé neuf mois plus tôt, dans la plus grande discrétion, des permis exclusifs d’exploration et d’extraction des gaz de schiste à des compagnies extractives sur le territoire national, l’émoi est à son comble en Ardèche méridionale. Des contreforts des Cévennes au Bas-Vivarais, la mobilisation va atteindre un niveau de contestation inégalé tout au long de l’année 2011 et le territoire ardéchois devenir le fer de lance de ce combat en France, jusqu’à acquérir une résonnance internationale du Québec en Pologne. Quels ont été les facteurs déclencheurs de cette mobilisation ? Les préoccupations et les intérêts étaient sans aucun doute divers mais indubitablement les modalités d’organisation pour mener cette lutte de résistance ont été déterminantes. Nous relaterons ici les aspects autogestionnaires relatifs au fonctionnement du collectif, qui a su – à bien des égards - mutualiser et fédérer démocratiquement les différents acteurs citoyens, associatifs, syndicaux et politiques, sans qu’à aucun moment ne s’instaure une quelconque hiérarchie.


Une mobilisation exceptionnelle sans faille

Tout débute vraiment le 12 janvier 2011, quand sous l’impulsion de citoyen-ne-s et d’organisations associatives, syndicales et politiques se constitue le collectif 07 « Stop au gaz de schiste ». Les différents acteurs définissent rapidement une charte d’objectifs et de règles de fonctionnement. Fort d’expériences unitaires précédentes (Bien commun, TCE, services publics, OGM), la priorité est donnée à l’information de la population pour construire la mobilisation. Il s’agit de mutualiser les compétences scientifiques, juridiques, environnementales et politiques disponibles localement et d’utiliser des supports vidéo, tels que le film « Gazland » et de réaliser des diaporamas.

Le succès exceptionnel des premières réunions publiques d’information (1000 à personnes à Villeneuve de Berg, 800 à Saint-Sernin et des centaines dans d’autres villages), correctement relayées par la presse locale, va entraîner une mobilisation exponentielle. En quelques semaines, une cinquantaine de collectifs locaux se crée dans les villages ou les chefs-lieux de cantons. Les demandes d’intervention sont si nombreuses qu’il faut en toute hâte former des intervenant-e-s. Parallèlement, un collectif d’élu-e-s se constitue et une cinquantaine d’arrêtés municipaux sont pris très rapidement. Le 15 février, le Conseil général de l’Ardèche adopte une motion à l’unanimité.

Mi-février, la pression est si forte que le collectif décide de convoquer une manifestation à Villeneuve de Berg pour le 26 février 2011. Celle-ci acquiert d’emblée une résonnance nationale car il s’agit de la première manifestation en France contre l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste. Elle va atteindre un niveau de contestation inégalée en Ardèche méridionale. Ce jour-là, c’est tout un peuple qui se lève contre l’arbitraire technocratique, qui se traduit par l’opacité dans la délivrance des permis et l’absence d’informations et de consultation des populations ; dans ce pays d’héritage huguenot, c’est tout un peuple qui entre en résistance active. Près de 20 000 personnes se rassemblent, des délégations de plusieurs collectifs locaux, départementaux et étrangers y participent.

Le jour même, la coordination nationale des collectifs locaux est créée à Saint-Marcel-les-Valence. Au printemps, d’autres manifestations rassemblent 4 000 personnes comme le 16 avril à Donzère (Drôme), ville dirigée par Eric Besson, ministre de l’Industrie et ardent relai du puissant Corps des Mines, et le 7 mai à Villeneuve de Berg en soutien au maire de la commune attaqué au tribunal administratif par la compagnie états-unienne, Schuepbach Energy. Le plaignant finira par retirer sa plainte.


Cette mobilisation exceptionnelle ne peut être ignorée par le gouvernement et les groupes politiques. Début avril 2011, trois propositions de loi sont déposées par les groupes parlementaires. Adoptée le 1er juillet et publiée le 13 juillet, la loi déposée par le groupe UMP n’abroge pas les permis attribués aux industriels et se limite simplement à interdire le recours à la technique de la « fracturation hydraulique ». Loin de se décourager, le collectif poursuit la mobilisation au cours de l’été. Il participe également à la Convergence citoyenne pour une transition énergétique à Lézan (Gard) fin août, qui est la première initiative d’envergure sur cette thématique en France .

Le 3 octobre 2011, Madame Kosciusko-Morizet, ministre de l’Environnement, annonce l’abrogation de trois permis sur soixante-quatre. Le lendemain, Nicolas Sarkozy, en visite à Alès, confirme l’abrogation des permis de Montélimar, Nant et Villeneuve de Berg. Ceux-ci corroborent géographiquement avec les plus forts taux de mobilisation sur le territoire national.

Pour autant, le collectif 07 « Stop au gaz de schiste » reste plus que jamais mobilisé et ne baisse pas la garde car tous les permis du secteur ne sont pas abrogés, comme ceux du Bassin et de la Plaine d’Alès, qui concernent plusieurs villages ardéchois et gardois. Le 23 octobre 2011, 6 500 personnes se rassemblent à Barjac, aux confins de l’Ardèche et du Gard, lors d’une manifestation « gardéchoise » qui entend rappeler que les capacités de mobilisation restent intactes et l’exigence du retrait des permis sur le territoire national, toujours d’actualité.

Enfin, le 20 décembre 2011, à l’occasion de la venue du président de la République, Nicolas Sarkozy, aux Vans sur le thème de la santé en milieu rural, plusieurs centaines de personnes se rassemblent à Vallon-Pont d’Arc pour lui rappeler que l’exploitation des gaz et huiles de schiste compromettrait gravement la santé de la population et pour s’opposer à la désertification médicale.

Parallèlement à ces différentes manifestations, de multiples actions de sensibilisation et d’information ont été menées tout au long de l’année et, tout particulièrement, pendant la saison touristique avec notamment des opérations « mort subite » et des chaînes humaines aux Vans, des distributions de tracts en quatre langues sur les différents sites avec la chorale anti gaz de schiste. Cette communication visait les touristes de l'Europe entière, voire mondiale et s’exprimait sur un mode non violent.


Un cadre unitaire au service du combat

Le collectif 07 se compose de 120 structures (associations, syndicats, partis politiques, des élus et une cinquantaine de collectifs locaux) . Il a adopté un fonctionnement pluraliste horizontal portant un message unitaire et non partisan. Le principe de la démocratie active guide son fonctionnement. L’assemblée générale, hebdomadaire dans le feu de l’action puis mensuelle, est l’unique instance de décisions. Les réunions durent de nombreuses heures. Chaque organisation y participe sur la base de deux délégué-e-s ou représentant-e-s. L’écoute et l’expression du plus grand nombre prévalent, la recherche du consensus est privilégiée, le recours au vote est donc limité.


D’un commun accord, le porte parole n’appartient à aucune organisation politique, le principe de la rotation est envisagé même s’il n’est pas encore effectif. Le collectif s’est doté d’une dizaine de commissions (Actions, Communication, Finance, Fonctionnement, Juridique, Permanence, Pyramide, Réunions, Scientifique, Vigilance-information-alerte) qui alimente sa réflexion et ses travaux. Un groupe de « référents » fait office d’exécutif, de fait c’est la cheville ouvrière de l’organisation, tout en étant largement épaulé par les multiples contributions bénévoles et, depuis septembre dernier, par l’embauche d’un coordinateur technique.

Le collectif ardéchois participe activement à la coordination nationale des collectifs, qui dans leur grande majorité, ont choisi une composition exclusivement « citoyenne » ou censée l’être... Cette coordination nationale est confrontée à des difficultés importantes de fonctionnement et à des luttes intestines qui ont incontestablement eu des répercussions sur la mobilisation en France. D’un point de vue structurel, l’option adoptée en Ardèche a été un vecteur favorable pour que le département devienne le fer de lance de ce combat eu niveau national.

Un système de veille et d’alerte a été mis en place, il est susceptible de mobiliser deux mille volontaires en quelques heures pour s’opposer à l’arrivée des engins et à l’installation d’équipements de forage sur le territoire. Une formation de « bloqueurs » a été organisée au printemps en partenariat avec Greenpeace et celle-ci se décline auprès des membres désignés par les différentes composantes pour intervenir en première ligne de façon non-violente. Parallèlement, les citoyen-ne-s sont initié-e-s à l’observation de leur territoire. Les engins de l’entreprise suisse MouvOIL, qui devaient arriver dans le sud du département à l’automne après les vendanges, n’ont toujours pas été repérés.

Au cours de l’année 2011, une centaine de réunions publiques s’est tenue. Elles ont été animées exclusivement par des intervenant-e-s locaux. Les « spécialistes » (géologues, juristes, spéléologues, militants environnementaux, etc.) ont transmis leurs connaissances à d’autres et construit des outils de communication permettant une vulgarisation des enjeux énergétiques, environnementaux, juridiques, sanitaires, etc. dans une dynamique d’éducation populaire. Si les débats étaient initialement axés sur les risques environnementaux et sanitaires de l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de schiste, le déni démocratique et les modalités de lutte, ceux-ci ont progressivement évolué sur l’exploitation des ressources fossiles et la transition énergétique. La mobilisation a accéléré la prise de conscience sur les crises énergétique et climatique dans la population, y compris sur la nécessité d’agir -pour certain-e-s- pour une remise en cause radicale de la logique productiviste et capitaliste.

En terme de communication, le collectif a largement utilisé les moyens électroniques (site internet, listes de diffusion, réseaux sociaux, etc.), vidéos en réalisant de nombreux supports, diaporamas très pédagogiques, fresques, affiches, tracts, autocollants, etc. Des productions indépendantes et alternatives ont également alimenté la résistance. Plusieurs municipalités ont accepté d’apposer des panneaux ou banderoles à l’entrée des villages, certaines ornant même le fronton des mairies. Il a eu l’accès aux médias classiques (presse, radios associatives et autres). Il a créé une lettre d’info, la GAZette, qui est tirée à vingt mille exemplaires pour un bassin de vie d’un peu plus de cent vingt mille habitant-e-s.

Cette lutte concentre un grand répertoire d’actions, des formes classiques telles que les mobilisations de masse et les supports graphiques aux formes nouvelles telles que l’utilisation des vidéos et autres. Elle reflète la diversité du mouvement et des acteurs impliqués. La structuration adoptée permet d’exploiter au mieux la complémentarité et la mutualisation des compétences, la créativité individuelle et collective, créant ainsi une synergie au service de la cause. C’est une véritable richesse.

Si la présence des militant-e-s et des organisations politiques en tant que telles a suscité quelques appréhensions plus ou moins exprimées, leurs apports et leur expérience ont par la suite été reconnus dès lors qu’il n’y avait pas de velléités de récupération. Pour certaines, elles ont joué un rôle effectif dans la mobilisation et le fonctionnement.

Le front « civico-écolo-politico-social », défendu par quelques-un-e-s au tout début de la lutte, a démontré le bien fondé de cette structuration qui a permis une mobilisation sans faille jusqu’à présent. L’articulation avec les élu-e-s s’est avéré un atout décisif dans le combat. Au-delà des aspects énergétiques et des conséquences environnementales et sanitaires de l’exploitation du gaz et des huiles de schiste, c’est probablement le déni de démocratie, le risque d’altération des paysages cévenols et vivarois, auxquels les habitant-e-s sont viscéralement attaché-e-s et la sauvegarde de l’économie locale très axée sur le tourisme qui auront été les facteurs déclencheurs et les plus fédérateurs. En effet, la préservation de l’attrait des territoires impactés engage largement la responsabilité des collectivités territoriales et des maires.

La lutte continue !


Richard Neuville *

Photos : Olivier Sebart


Article rédigé initialement pour le site de l'Association pour l'autogestion le 17 janvier 2012.


Pour en savoir plus
Site « Stop au gaz de schiste 07»
Les vidéos et photos des mobilisations d'Olivier Sebart

D’autres articles de l’auteur sur le sujet sur ce blog:
Article juillet 2011 (Premiers bilans de la lutte)
Article mai 2011
Article mars 2011 (après la mobilisation de Villeneuve de Berg)

* Syndicaliste, militant altermondialiste et membre du Conseil de l’Association pour l’autogestion.

2 commentaires:

  1. Une vraie gang de bandits les gazières et le gouvernement, il ne faut pas laissé faire cela, notre santé en dépend et celle de nos enfants.

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  2. Bel article résumant très bien la situation.
    Merci Richard.

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