Richard Neuville
Le 1er mars 2010, quand Jean-Louis Borloo, Ministre de l’Ecologie et de l’Energie, délivre, dans la plus grande discrétion, les permis exclusifs d’exploration et d’extraction des gaz de schiste à des compagnies extractives, le gouvernement Sarkozy / Fillon ne s’attend certainement pas à la fronde citoyenne qui va résulter de cette décision quelques mois plus tard. Celui-ci, d’ordinaire si prompt à communiquer, c’est contenté de la publication obligatoire au Journal officiel et l’information n’est divulguée à l’époque dans la presse que par quelques brèves rédigées par des journalistes spécialisés, comme dans Le Monde, sous la plume d’Hervé Kempf. Il faut attendre début décembre 2010 pour qu’elle soit révélée sur le site OVNI et à une plus grande échelle suite à des conférences de presse à l’initiative des écologistes. Entre-temps, en octobre 2010, certains élus des sites concernés ont été informés et ont reçu la visite des représentants des multinationales mais n’ont pas vraiment jugé utile d’alerter les citoyen-ne-s.
L’Ardèche : Fer de lance de la mobilisation citoyenne
La mobilisation citoyenne s’amorce lors de la réunion publique qui se tient le 21 décembre à Saint-Jean de Bruel, commune concernée par le permis de Nant (Aveyron). Quatre cents personnes y participent et la présence de José Bové à cette réunion contribue à la médiatisation. En Ardèche, ce n’est véritablement que début janvier que des associations environnementales et des écologistes (EELV notamment) alertent la presse locale mais rapidement elles affutent leurs argumentaires et programment des premières réunions publiques pour informer et sensibiliser la population.
Le 12 janvier 2011, sous l’impulsion d’organisations politiques (Les Alternatifs et le Parti de gauche notamment), d’associations (FRAPNA, Vigi-nature, etc.) et de syndicats (Confédération paysanne, MODEF et Solidaires), le collectif 07 « Stop au gaz de schiste » est créé pour élargir le cadre d’intervention. Il regroupe aujourd’hui près de 120 structures (organisations diverses et collectifs locaux).
Le succès exceptionnel des premières réunions publiques en Ardèche méridionale (1000 à personnes à Villeneuve de Berg, 800 à Saint-Sernin et des centaines dans d’autres villages) va entraîner une mobilisation exponentielle. Parallèlement, un collectif d’élu-e-s se constitue et une soixantaine d’arrêtés municipaux sont pris. Le 15 février, le Conseil général de l’Ardèche adopte une motion à l’unanimité.
En quelques semaines, la mobilisation croît si rapidement que le collectif unitaire décide de convoquer en toute hâte une manifestation à Villeneuve de Berg pour le 26 février 2011. Celle-ci acquiert d’emblée une résonnance nationale car il s’agit de la première manifestation en France contre le gaz de schiste. Elle va atteindre un niveau de contestation inégalée en Ardèche méridionale. Ce jour-là, c’est tout un peuple qui se lève contre l’arbitraire technocratique, qui se traduit par l’opacité dans la délivrance des permis et l’absence d’informations des populations ; c’est tout un peuple qui entre en résistance active. Entre 15 000 et 20 000 personnes se rassemblent et des délégations de plusieurs collectifs départementaux y participent.
Le même jour, la coordination nationale des collectifs locaux est créée à Saint-Marcel-les-Valence. Au printemps, des manifestations sont de nouveau organisées et rassemblent 4 000 personnes à Donzère (Drôme) le 16 avril et autant à Villeneuve de Berg le 7 mai. Parallèlement, un système de veille et d’alerte est mis en place et nul doute aujourd’hui n’est permis sur la capacité de mobilisation en un temps très bref sur le territoire de l’Ardèche méridionale. Après le vote de la loi, le collectif reste plus que jamais mobilisé car les permis ne sont pas abrogés. D’ores et déjà, nous savons que plusieurs villages ardéchois et gardois sont également concernés par l’exploitation des huiles de schiste.
Une loi qui n’abroge pas les permis
Début avril 2011, du fait de la mobilisation sur de nombreux territoires, trois propositions de loi sont déposées par les groupes parlementaires. Le gouvernement retient celle déposée par Christian Jacob de l’UMP, qui est débattue en mai à l’Assemblée nationale. Après des allers et retours avec le Sénat et l’adoption d’amendements contradictoires par les Chambres, la loi est finalement adoptée par le Parlement le 1er juillet mais elle n’abroge pas les permis attribués aux industriels et se limite à interdire l’utilisation de la technique de la fracturation hydraulique. La majorité parlementaire et le gouvernement tentent de gagner du temps et ne renoncent pas à l’exploitation le gaz et les huiles de schiste à l’avenir. Or, les risques de pollution des nappes phréatiques et environnementaux liées à l’exploitation et à l’exploration demeurent. Malgré les engagements du Grenelle de l’environnement, le principe de précaution ne s’applique pas et surtout le gouvernement a refusé la révision du code minier. En effet, les autorisations de forage devraient pour le moins être conditionnées à l’approbation des collectivités locales, à des enquêtes publiques et à la possibilité de saisine des citoyen-ne-s. Or, en l’état, elles demeurent de la compétence exclusive de l’Etat et ne prévoient d’instances de concertation citoyenne.
L’urgence d’engager une transition énergétique
La mobilisation contre l’exploration et l’exploitation des huiles et du gaz de schiste suscite des débats sur la politique énergétique et notamment sur l’exploitation des ressources fossiles. La récente université d’été des Alternatifs organisée à Nantes, consacrée à l’écologie, a permis de mener le débat sur la transition énergétique avec des partenaires politiques et associatifs. Au cours de ces journées d’étude, nous avons également participé à la mobilisation et aux débats organisés lors du rassemblement contre le projet très controversé de l’aéroport de Notre-Dame des Landes les 9 et 10 juillet, [....].
Le débat sur la transition énergétique se poursuivra également cet été dans les Cévennes à Lézan (Gard) du 25 au 28 août, à l’occasion des rencontres initiées par les collectifs contre le gaz de schiste. [....]
Nous ne pouvons que nous féliciter de l’émergence de nombreux lieux de débats car les crises énergétique et climatique demandent des réponses urgentes et impliquent une mobilisation populaire croissante pour une remise en cause radicale de la logique productiviste et capitaliste.
Richard Neuville
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