vendredi 26 décembre 2025

Madrid : Éloge de l'espace social EKO, éloge des centres sociaux

Par José Luis Carretero Miramar

En novembre dernier, le quartier de Carabanchel, à Madrid, a été le théâtre de mobilisations animées en défense d'un espace culturel et expérimental indispensable : l'ESLA (Espacio Social Liberado y Autogestionado, espace social libéré et autogéré) EKO. « La EKO », comme on appelle communément ce centre social de quartier, est le centre névralgique de diverses initiatives des mouvements sociaux, le lieu de rencontre de personnes très différentes, comme celles qui animent l'Athénée Libertaire de « Carabanchel-Latina », celles qui font fonctionner la banque alimentaire du quartier ou celles qui étudient les transformations métropolitaines à la recherche d'une intervention politique directe des majorités.

 

L'espace social EKO est un exemple clair de ce que représente le mouvement des centres sociaux dans une grande ville comme Madrid. Des lieux ouverts au quartier, des centres culturels et artistiques, des locaux disponibles pour les initiatives des mouvements sociaux et des infrastructures de base pour les processus d'organisation par la base des classes populaires.

L'histoire des centres sociaux squattés commence à Madrid à la fin des années 80. Après l'occupation des locaux du syndicat vertical par les militants de la CNT réclamant la restitution du patrimoine historique de l'organisation, un processus d'ouverture de centres sociaux autogérés par les mouvements sociaux de jeunesse est lancé, qui atteindra son apogée à la fin des années 90.

Le « mouvement autonome » madrilène a lancé la dynamique d'occupation des centres sociaux dans le quartier de Lavapiés et l'a étendue dans les années 90 à toute la capitale et aux localités adjacentes. Ce mouvement était constitué d'un réseau diversifié de collectifs de jeunes des quartiers et d'initiatives de contre-information qui, dans le sillage de la chute du mur de Berlin, promouvaient l'idée d'une assemblée auto-organisée des classes populaires.

Certains de ces centres sociaux sont devenus de véritables légendes urbaines, comme le Centre Social « Minuesa », première grande « occupation » de la capitale et lieu de référence pour la scène musicale et politique autonome de l'époque, ou le Centre Social Occupé et Autogéré (CSOA) « La Guindalera », dont l'expulsion a provoqué une mobilisation extrêmement énergique de la jeunesse qui s'est soldée par plus d'une centaine d'arrestations et la criminalisation médiatique des mouvements qui soutenaient cet espace.

À la fin des années 90, le « mouvement autonome » est entré en crise avec la dissolution de sa principale organisation fédératrice (la Coordination des collectifs de luttes autonomes), même si l'expansion des centres sociaux s'est poursuivie pendant un certain temps avec des initiatives aussi remarquables que le CSOA « El Laboratorio » (Le Laboratoire), dans ses différents lieux d'implantation. De cette époque, certains espaces ont survécu d'une manière ou d'une autre jusqu'à aujourd'hui, généralement grâce à des accords avec les administrations, comme le CSOA « La Casika de Móstoles » ou le Centre Social « Seco de Adelfas-Pacífico ».

À partir de là, les centres sociaux n'ont pas disparu, mais se sont déployés dans différents quartiers en s'adaptant de diverses manières à leur environnement : des lieux squattés ont continué à apparaître et à disparaître, tandis que d'autres secteurs politiques et sociaux se sont concentrés sur la location ou l'achat de locaux à partir desquels ils pouvaient mener leurs activités sans la menace persistante d'expulsion. Un exemple de la première option serait l'ESLA EKO, tandis que la seconde serait représentée par des espaces sociaux tels que la librairie « Traficantes de Sueños » (Trafiquants de Rêves).

Les mobilisations du 15-M (15 Mai 2011- Mouvement des Indignés) ont donné un nouvel élan aux centres sociaux existants et ont provoqué l'occupation ou l'ouverture de nouveaux espaces. Les centres sociaux ont été des nœuds importants dans le processus d'expansion du mouvement 15-M, des lieux où se réunissaient les assemblées de quartier, où étaient encouragées les expériences autogérées de la « nouvelle économie », expérimentale de l'époque, et où étaient organisées des activités éducatives et culturelles que le grand réveil populaire représenté par le « mouvement des places » a multiplié dans toute la ville. Le centre social « La Tabacalera » (tabatière) de Lavapiés, par exemple, a accueilli dans ses locaux bon nombre des activités culturelles les plus marquantes de ces années-là.

Le cycle politique ouvert par les mobilisations du 15-M a pris fin avec l'épuisement évident de la « voie institutionnelle » ouverte par certains de ses courants. Les centres sociaux, cependant, n'ont pas disparu et restent des espaces stratégiques essentiels pour les mouvements dans la métropole madrilène. De « la EKO » à l'Ateneo « La Maliciosa » (La Malicieuse), de « La Casika » à « La Enredadera », les différents secteurs sociaux qui cherchent à promouvoir un changement social dans la ville de Madrid canalisent leurs énergies à partir de centres squattés, achetés, loués ou cédés, mais qui se revendiquent toujours comme des espaces ouverts, participatifs et assemblés.

L'auteur de ces lignes, compte tenu de « son âge et de ses doctrines », comme le dit la chanson, a fréquenté bon nombre des centres sociaux qui ont ouvert leurs portes dans les quartiers madrilènes depuis la fin des années 80. À « la EKO », j'ai récemment présenté le livre sur l'autogestion pendant la guerre civile que j'ai écrit avec Luis Buendía, à l'invitation de l'Ateneo Libertario de Carabanchel-Latina1. J'ai été l'avocat de nombreuses personnes arrêtées lors de l'expulsion du CSOA « La Guindalera » (La Ceriseraie). J'ai assisté aux concerts, aux assemblées et aux conférences de « Minuesa » ou du Centre social « David Castilla ». J'ai débattu des stratégies d'expansion des « espaces libérés » avec les membres d'"El Laboratorio » ou du Centre social « Seco ». Je sais de quoi je parle quand je dis (et j'écris) que les centres sociaux, squattés ou non, sont les poumons et les centres névralgiques de la pratique de l'autogestion. Ils sont le berceau nourricier de la communauté humaine qui tente de tout changer pour construire une vie qui vaille la peine d'être vécue.

C'est pourquoi il faut soutenir l'EKO. Parce qu'il faut prendre soin de la vie.


(Traduction Deepl, révisée et annotée par Richard Neuville)

Article publié le 8 décembre 2025 sur le site Kaosenlared sous le titre « Elogio de la EKO, elogio de los centros sociales » : https://kaosenlared.net/elogio-de-la-eko-elogio-de-los-centros-sociales/

1Voir la recension de Richard Neuville de ce livre sur ce site : https://alterautogestion.blogspot.com/2025/07/lexperience-autogestionnaire-durant-la.html

 

 

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