M. Colloghan

vendredi 15 septembre 2017

Diversité de l’économie des travailleurs à Buenos Aires (3/3)

Par Benoît Borrits et Richard Neuville, le 4 septembre 2017
De nos envoyés spéciaux en Argentine : 27 et 29 août 2017.

En avant-première de la rencontre, le comité local d’organisation de la 6e rencontre internationale de l’économie des travailleur-ses a programmé une semaine d’activités (visites d’entreprises récupérées, débats, etc.) entre le 23 et le 29 août pour mieux appréhender la situation argentine.



Le dimanche 27 août, nous avions rendez-vous dans le quartier San Telmo pour rencontrer des membres de la coopérative El Adoquin, affiliée à la Confédération des travailleurs de l’économie populaire (CTEP), qui vendent leur production artisanale sur le célèbre marché dominical. Le droit de vendre dans l’espace public leur étant contesté, ils ont dû s’organiser pour résister aux tentatives d’expulsion. La CTEP est une organisation puissante qui fédère de nombreuses coopératives, dont beaucoup sont issues du mouvement des piqueteros. Elle demande sa reconnaissance comme organisation syndicale.

Le midi, nous nous sommes retrouvés à une cinquantaine d’internationaux et d’argentin-es pour prendre un repas copieux au restaurant récupéré Alé Alé. Occupé à partir de 2012, il appartenait à la même chaîne que le Batagia et a été récupéré en 2013. Il regroupe une quarantaine d’associé-es aujourd’hui.

Le mardi 29 août, nous avons visité la Tienda Consol, une coopérative de consommation qui commercialise les produits des entreprises récupérées et des coopératives de travail. À l’origine de cette initiative, un groupe politiquement motivé par le soutien à ce type d’entreprise. Ils ont constaté que, souvent, les entreprises récupérées avaient ouvert des magasins pour commercialiser les produits de leurs homologues. Il s’agit donc d’élargir ce réseau à des groupes de consommateurs. À ce jour, 25 groupes de consommateurs solidaires se sont formés qui achètent régulièrement ces produits et parmi ces 25, quatre ont déjà ouvert un supermarché.

Nous visitons donc aujourd’hui le magasin de la Villa Crespo qui ouvrira ses portes le 1er septembre. Ces magasins proposent, outre les produits des coopératives, les produits d’entreprises capitalistes que propose aussi la grande distribution – Coca-Cola par exemple, qui a évidemment été un sujet de débat au sein de la coopérative – et ce, dans une proportion d’environ 60-40 %. Cette combinaison a été un facteur clé de leur succès en terme de fréquentation. Dans ce mix-fournisseurs, ils suivent deux lignes directrices : premièrement, les produits de l’économie sociale doivent toujours avoir un meilleur prix que les produits de l’économie capitaliste et deuxièmement, ces derniers produits doivent avoir un prix légèrement inférieur à ceux proposés par la grande distribution. Cette dernière ligne est généralement tenable du fait de l’absence d’intermédiaires mais impossible à maintenir lorsque la grande distribution pratique le dumping sur certains produits. Par ailleurs les promoteurs de Tienda Consol insistent sur la vocation éducative des produits en provenance des coopératives.
Le développement de ces magasins se réalise en trois étapes qui prennent généralement plus de deux ans. La première consiste à former un groupe de consommateurs solidaires. La seconde permet de réaliser un magasin informel qui fonctionne un peu comme nos AMAP. La troisième est l’ouverture d’un supermarché. Cette ouverture suppose la réunion d’un capital significatif qui a été apporté par les consommateurs du groupe qui seront ensuite rejoints par les nouveaux clients, ainsi que par des structures publiques ou de l’économie sociale, en excluant toute possibilité d’investissement de la part d’entreprises privées.

Tienda Consol incite les acheteurs à devenir membres de la coopérative en leur proposant des prix moindres. S’il faut reconnaître que cette démarche a permis d’élargir le sociétariat et de renforcer le capital de la coopérative, il n’en reste pas moins vrai que lors des Assemblées générales locales, seuls 10 % des membres participent, ce qui est assez courant dans une coopérative de ce type. La question de la participation des salariés à l’entreprise a été posée – le nouveau magasin qui ouvrira ses portes le 1er septembre emploiera 4 salariés dès le départ – et Tienda Consol regrette que la loi coopérative argentine ne permette pas les coopératives multi-collèges – à l’instar des coopératives sociales italiennes ou des Scic françaises – dans lesquelles usagers et travailleurs peuvent avoir un poids équivalent. Tienda Consol est un membre actif de la fédération des coopératives de consommation, dont la plus ancienne, aujourd’hui très active, est la Cooperativa Obrera (Coopérative ouvrière).

Nous nous sommes ensuite rendus à l’hôpital Jose T. Borda où opère une coopérative de travailleurs : La Huella. Elle se définit aussi comme entreprise sociale dans la mesure où elle a pour objectif une nouvelle approche de la psychiatrie en milieu hospitalier. À partir de 2006, une partie du personnel médical a souhaité modifier son approche de la maladie mentale en s’inspirant du travail des coopératives sociales italiennes sur le sujet : tout patient a le droit de travailler et de contribuer positivement à la société. Un atelier de recyclage et d’ébénisterie a alors été ouvert en 2008 au sein de l’hôpital. À partir de palettes ou de meubles anciens à l’abandon, les travailleurs les réhabilitent – en recapitonnant les chaises et les fauteuils par exemple – ou en créent de nouveaux.

Cette structure est une coopérative de travail dans laquelle les sociétaires sont les patients devenus travailleurs. Comme pour Tienda Consol, ses initiateurs auraient préféré une coopérative multi-collèges qui n’existe pas à ce jour, même si ceux-ci ne cachent pas que dans les faits, c’est comme cela que ça fonctionne du fait de l’intervention des personnels médicaux. L’équilibre économique de la coopérative est assuré par la conjonction de plusieurs apports. D’une part, la collectivité fournit gratuitement et régulièrement des meubles au rebut ou des palettes. Le salaire des personnels médicaux est payé par l’institution hospitalière. Enfin, du fait de leur handicap, l’État couvre une partie du salaire des travailleurs, leur activité permettant de générer un complément significatif. Cette entreprise participe régulièrement à des rencontres avec des entreprises récupérées et d’autres coopératives de travail permettant à ses membres de s’identifier à leur classe sociale.
Cette visite a clôturé ce cycle de visites avant l’ouverture de la rencontre de l’Économie des travailleurs qui s’est déroulée le lendemain soir à l’Hôtel Bauen.

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