De nos envoyés spéciaux en Argentine: 25 et 26 août 2017.
En avant-première de la rencontre, le comité local
d’organisation de la 6e rencontre internationale de l’économie des
travailleur-ses a programmé une semaine d’activités (visites
d’entreprises récupérées, débats, etc.) entre le 23 et le 29 août pour
mieux appréhender la situation argentine.
Le vendredi 25 août, nous avons participé à des ateliers qui se sont
tenus au Centre culturel de la coopération (CCC). Cet établissement,
inauguré en 2002, a été financé exclusivement par la banque Credicoop
(équivalent du Crédit coopératif en France), issue de la fusion de
plusieurs coopératives de crédit. Le CCC est un lieu central de la ville
de Buenos Aires, autant présent d’un point de vue coopératif que
culturel. Il héberge également des groupes de recherche et de nombreuses
activités.
Un
premier atelier s’est tenu sur le mouvement d’autogestion des
entreprises récupérées par les travailleur-ses en Argentine. Il a été
introduit par Andrés Ruggieri, coordonnateur des rencontres de
l’économie des travailleurs et Gabriel Fajn, sociologue rattaché au CCC.
Nous n’allons pas ici détailler les exposés et les échanges, notre site
ayant déjà publié plusieurs articles sur le sujet mais tenter d’en
présenter une synthèse. Ils ont rappelé que les premières expériences
(une quarantaine) ont eu lieu avant 2002 dans les secteurs de
l’imprimerie (cf. notre billet précédent sur la coopérative Campichuelo)
et la métallurgie, le plus souvent à l’initiative d’équipes syndicales
de gauche, ce qui a changé par la suite. Le mouvement n’est donc pas né
avec la crise de 2001. Ensuite, à partir de 2002, il y a eu la vague
massive (portant sur environ 120 entreprises) qui a été beaucoup plus
médiatisée. À cette époque, la répression de l’État n’était pas
forcément très forte du fait de son état de décomposition et de sa
faible légitimité. Les intervenants parlent de l’ère Kirchner comme
d’une période de tolérance et de moyen de régulation sociale. Le
processus de récupération s’est poursuivi jusqu’à atteindre 360
entreprises récupérées par les travailleurs (ERT) actuellement en
activité. L’élection de Macri à la présidence de la République argentine
en décembre 2015 marque un changement notable : il y a une réelle
volonté d’en finir avec ce « mouvement qui n’a pas lieu d’exister » (cf.
les attaques contre l’hôtel Bauen – lien). Le pouvoir tente de ralentir
les procédures juridiques, il bloque les expropriations et il renforce
la répression. Sans langue de bois, les intervenants ont exposé les
difficultés, les limites des récupérations et considèrent qu’il faut
voir le « mouvement tel qu’il est, sans l’idéaliser ». Au début du
processus, il y avait plusieurs mouvements d’ERT qui eux-mêmes connurent
des scissions. Aujourd’hui, la forme de structuration par secteurs
professionnels est privilégiée mais il existe de nouvelles tentatives
pour fédérer l’ensemble du mouvement afin de mieux résister aux attaques
du nouveau pouvoir. Alors que les récupérations se poursuivent, le
mouvement se situe à un tournant car les pratiques patronales ont évolué
et tentent d’empêcher les occupations d’entreprises de manière
préventive. Bien souvent, les travailleurs-ses apprennent leur
licenciement en arrivant un matin à l’usine, par la voix de milices
patronales et ne peuvent pas occuper.
Ensuite, il y a eu deux ateliers sur l’actualité en Colombie et au
Venezuela, chacun d’entre eux ayant été introduits par des camarades
présents pour la rencontre. En Colombie, à la suite de l’accord signé
entre les FARC et l’État en 2016, la donne a évolué. L’accord prévoit
notamment la légalisation d’occupation de terres (7 millions
d’hectares). Dans ce cadre, la Convergence alternative économique et
sociale pour la paix intervient pour développer un secteur de petites
coopératives agraires et agit pour développer des liens entre les
coopératives rurales et urbaines.Au Venezuela, José Miguel, animateur
d’une Comuna, a abordé la crise que le pays traverse et a insisté sur la
nécessité de diversifier la production en s’appuyant sur les structures
de base, telles que les comunas.
En fin de journée, nous nous sommes rendus au centre du Frente
popular Darío Santillán dans le quartier Constitución pour rencontrer
les enseignants et les élèves du Bachillerato popular. Il s’agit d’une
formation en cours du soir pour adultes qui n’ont pas suivi de cursus
secondaire et qui leur permet de valider le niveau de qualification du
secondaire. Ces cours ont été mis en place par différents mouvements
sociaux et des ERT, telles que les coopératives Chilavert, 19 de
diciembre, IMPA dans les quartiers populaires à partir de 2001. En 2008,
ils ont obtenu une labellisation par l’État et des aides pour financer
des postes d’enseignants. La pédagogie s’inspire des courants tels que
Paolo Freire avec une participation active des élèves dans
l’organisation. Aujourd’hui, il constitue désormais un important
mouvement d’éducation populaire et d’émancipation.
Le
samedi 26 août, nous nous sommes rendus dans la grande périphérie de
Buenos Aires, à Ezpeleta pour visiter une coopérative
d’auto-construction de logements. Celle-ci existe depuis 1984 et s’est
développée au cours du temps. Elle réunit à présent 350 familles et
autant de maisons individuelles sur une vingtaine d’hectares. Cette
expérience rencontre un certain succès puisque 500 familles sont en
liste d’attente. Nous avons découvert un quartier propre et très sûr en
termes de sécurité, contrastant avec les villas (bidonvilles) des
alentours. L’absence de politiques publiques pour le logement en
Argentine génère des difficultés importantes pour les couches populaires
qui sont confrontées au marché de l’immobilier privé. Outre la
coopérative de logements, une coopérative de travail a été créée pour la
construction des logements avec différents ateliers, de couture pour
les femmes, une boulangerie, une métallerie, etc. Dans le grand espace
commun, la coopérative distribue 200 repas chaque jour pour les plus
nécessiteux, y compris pour des personnes extérieures au quartier. On
trouve une bibliothèque
et de nombreuses activités artistiques et sportives. Pour Carlos, l’un
des pionniers de cette expérience, leur expérience n’est pas un modèle
reconductible partout mais il est fier du travail réalisé en trois
décennies avec ses associé-es.
La journée s’est achevée par un débat sur le Kurdistan au sein de la
coopérative La Cacerola (centre culturel autogéré) avec l’intervention
d’une camarade kurde représentant une organisation de femmes. Elle a
notamment présenté le concept de confédéralisme démocratique et la place
particulière des femmes dans l’organisation.
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