Par Benoît Borrits et Richard Neuville, le 11 septembre 2017
La 6e rencontre internationale de l’Économie des
travailleur-ses s’est déroulée à Pigüé (Argentine) du 30 août au 2
septembre 2017. Elle faisait suite aux trois rencontres régionales qui
se sont déroulées en 2016 à Montevideo pour l’Amérique du Sud, à Mexico
pour l’Amérique du Nordet centrale et à Thessalonique pour la région
euro-méditerranéenne. C’était donc un grand retour au pays d’origine de
ce « mouvement » initié il y a dix ans par la Facultad abierta (Faculté
ouverte) de l’Université de Buenos Aires, l’occasion de faire le point
sur ses perspectives. Elle a été précédée par une semaine d’activités :
visites de coopératives (de production, de logements, de consommateurs,
de crédit), de Bachilleratos populares, d’un marché coopératif,
d’ateliers et de repas dans des restaurants récupérés par les
travailleurs-ses dont nous avons rendu compte sur ce site. Il convient de saluer la qualité de l’ensemble de l’organisation.
Environ 500 participant-e-s (coopérateurs-trices, militant-e-s de
l’autogestion, syndicalistes, travailleurs-ses, universitaires) se sont
retrouvé-e-s, venu-e-s de nombreux pays des différents continents. Outre
la présence de représentant-e-s de nombreuses entreprises récupérées
d’Argentine (à relever la présence de FASINPAT, ex Zanón, révélatrice de
velléités d’unification du mouvement), l’Amérique du Sud était
évidemment largement représentée par des délégations du Brésil, du
Chili, de Colombie, du Pérou, d’Uruguay et du Venezuela. L’Amérique du
Nord et centrale était présente au travers de délégués venus du Canada,
de Cuba, des Etats-Unis et du Mexique. L’Europe n’était pas en reste
avec la présence de délégations venues d’Allemagne, de Croatie, de
l’État espagnol, de France, d’Italie, de Grèce, du Royaume-Uni et de
Turquie. Outre ces grandes régions, des délégué-e-s d’Afrique du Sud, de
Chine, du Bangladesh et du Kurdistan étaient également présent-e-s.
La rencontre a débuté le 30 août au soir à l’Hôtel Bauen de Buenos
Aires, hôtel emblématique devenu un symbole de la résistance et de
création culturelle, qui a été relancé par ses travailleurs-ses dès 2003
et qui reste sous la menace d’une expulsion (voir communiquées de soutien sur ce site).
Un moment fort, un an et demi après l’arrivée au pouvoir du
gouvernement Macri, d’orientation néolibérale et qui se montre
ouvertement hostile aux reprises d’entreprises par les travailleurs-ses
sous forme de coopératives. Les participant-e-s ont été ensuite
transporté-e-s en bus de nuit pour rejoindre Pigüé, une petite ville de
20 000 habitants située dans la Pampa dans laquelle se trouve la
coopérative des textiles Pigüé qui a accueilli cette 6e rencontre
internationale.
Deux premières tables ont ouvert ces rencontres. La première portait
sur l’analyse politique et économique de la crise du capitalisme
mondial, la seconde sur l’autogestion en tant que pratique et projet.
Notre association est intervenue sur la question du périmètre de
l’économie des travailleurs dans une contribution que nous publierons
prochainement sur le site.
A partir du vendredi 1er septembre, la priorité a été donnée aux
ateliers et commissions de travail. Une grande place dans ces ateliers a
bien sûr été donnée à « l’autogestion en tant que pratique et projet »,
permettant ainsi aux différentes entreprises et expériences d’échanger
entre elles. D’autres sujets essentiels ont été abordés tels que celles
de « L’État et les politiques publiques à l’égard de L’économie des
travailleurs », « L’Économie des travailleurs dans une perspective de
genre », « Éducation populaire et production de savoirs dans l’Économie
des travailleurs », « L’articulation et la coordination entre syndicats
et travail autogestionnaire », etc.
Le rapport à l’État et à la politique institutionnelle a été un sujet
essentiel de ces rencontres. Si l’Économie des travailleurs-ses est vue
comme une économie directement prise en charge par les principaux
intéressés, il va de soi que les formes actuelles de celle-ci, notamment
la coopérative de travail, ont du mal à vivre dans un cadre néolibéral.
Les politiques ont une incidence directe sur la régularisation ou pas
des coopératives, sur leur financement par l’existence de fonds dédiés
ou de commandes publiques. De même, l’addition de coopératives ne
constituera jamais en soi l’Économie des travailleurs-ses. Dès lors,
comment envisager les coopérations entre unités de production dans un
cadre public qui ne soient pas des rapports de domination de l’État ?
Dans les prochaines années, on suivra les évolutions de la politique du
gouvernement Macri en Argentine à l’égard des coopératives, du
gouvernement cubain qui affirme que les coopératives peuvent constituer
une alternative au retour au capitalisme dans cette île ou encore du
processus de paix en Colombie dans lequel les anciens guérilleros des
FARC se réinsèrent dans la société au travers de l’économie populaire.
Un autre sujet abordé dans le cadre de cette rencontre concerne les
rapports entre syndicats et Économie des travailleurs. Il est à noter
que les quelques organisations syndicales présentes (Fédération
graphique de la CGT argentine, Union syndicale Solidaires, CGT
espagnole, Syndicat mexicain des électriciens, Plenario Autogestión du
PIT-CNT uruguayen) sont par nature favorables à la perspective
autogestionnaire. Si en France, ce sont souvent des sections CGT qui
sont à l’initiative de transformations d’entreprises en coopératives de
travail, il n’en est pas de même dans de nombreux pays, notamment
l’Argentine, où les coopérateurs sont des travailleurs-ses
indépendant-e-s et non des salarié-e-s. De ce fait, de nombreux
syndicats (hormis dans l’imprimerie et certains secteurs de la
métallurgie) considèrent hélas qu’ils n’ont pas vocation à regrouper ces
travailleurs-ses et donc à soutenir la formation de coopératives. La
coopérative de travail comme voie de la transformation sociale a encore
bien du chemin à faire… mais la relation entre les syndicats et les
coopératives diffèrent selon les pays, à l’image du Mexique ou de
l’Uruguay.
A noter la participation de la Rencontre à la mobilisation du 1er
septembre dans toute l’Argentine pour la réapparition de Santiago
Maldonado, jeune manifestant qui a disparu le 1er août à la suite d’une
intervention musclée lors d’une manifestation de la communauté mapuche –
Amérindiens vivant en Patagonie. Sinistre retour d’événements que l’on
croyait révolus…
Cette année, deux nouveaux axes de débat ont été intégrés :
« l’économie des travailleur-ses dans une perspective de genre(s) » et
« Éducation populaire et production de savoirs dans l’économie des
travailleur-ses », qui ont rencontrés un réel succès et une bonne
participation. Le rôle des femmes dans les luttes en Chine et dans le
confédéralisme démocratique au Kurdistan a été particulièrement
souligné, tout comme la richesse des différentes expériences d’éducation
populaire.
L’Assemblée de clôture de cette rencontre du 2 septembre a permis à
chacune et chacun de s’exprimer sur le bilan et les suites à envisager.
De nombreuses interventions ont exprimé le souhait que désormais ces
rencontres soient l’occasion de constituer progressivement un véritable
corpus politique international dépassant la simple rencontre tous les
deux ans. Ceci suppose bien entendu que des échanges permanents
s’établissent entre les participant-e-s entre deux rencontres. Cela pose
bien entendu la question de la formation d’un véritable comité
international et des comités régionaux qui animeraient diverses
commissions entre ces rencontres… Notre Association est intervenue dans
ce sens et s’inscrit totalement dans cette perspective.
Au cours d’une décennie de rencontres mondiales puis régionales à
partir de 2014, le réseau de l’Économie des travailleurs-ses s’est
étoffé et diversifié. De réseau universitaire à l’origine, il est
parvenu à agréger progressivement de nombreux acteurs de l’autogestion, à
commencer par les travailleurs-ses des entreprises récupérées. Si la
participation des organisations syndicales reste très modeste, la
volonté de les inclure est sans ambiguïté. La transition entre un réseau
international et la constitution d’un « mouvement autogestionnaire
mondial » susceptible d’avancer sur une réflexion stratégique face au
modèle de domination capitaliste a été plus qu’esquissée. A présent, il
convient de traduire en actes cette aspiration.
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