Cet article vise
essentiellement à relater la répression en cours et à rappeler la genèse du
processus d’autodétermination en Catalogne depuis juillet 2010.
Le 9 juin dernier, Carles
Puigdemont, chef du gouvernement catalan, annonçait la convocation d’un
référendum d’autodétermination pour le 1er octobre 2017. La question
posée était formulée ainsi : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État
indépendant sous la forme d’une république ? ». Le 6 septembre, le Parlament
adoptait la « loi du référendum d’autodétermination de la Catalogne »
pour préciser les modalités du scrutin. Mais dès le lendemain, la Cour
constitutionnelle espagnole suspendait la consultation en considérant qu’elle
était illégale au regard de la Constitution de 1978. Ce fut le point de départ
d’une escalade entre l’État central et la Generalitat pour empêcher la
tenue du référendum.
L’escalade de la répression
Après la Diada (le 11
septembre : jour de la fête nationale de la Catalogne) qui a réunie plus
d’un million de personnes dans les rues de Barcelone, les interventions du
pouvoir central vont s’enchaîner. Le 13 septembre, le parquet de Catalogne
ordonne la saisie du matériel de vote (urnes et bulletins de vote) et engage
des procédures judiciaires à l’encontre de 750 maires (sur 948) favorables à
l’organisation du scrutin.
Le 20 septembre, dans le cadre
de l’opération Anubis, la garde civile effectue une quarantaine de
perquisitions dans les bâtiments du gouvernement catalan et arrête 14 hauts responsables
(dont le secrétaire général de l’économie et des finances de la région), ils ne
seront libérés que trois jours plus tard. Elle saisit également 10 millions de
bulletins de vote dans des imprimeries et perquisitionne les locaux de la Candidatura
unitat popular (CUP)[i].
Pour le président catalan, Carles Puigdemont : “L’État espagnol a
suspendu de facto le gouvernement autonome de la Catalogne et a instauré, de
facto, un état d’urgence ». Pour dénoncer la « violation de
l’état de droit », près de 10 000 personnes descendent dans les rues de
Barcelone en entonnant l’hymne national, Els segadors, et la chanson
anti-franquiste de Lluis Llach, l’Estaca. Cette mobilisation avait été
précédée par une manifestation massive à Bilbao suite à l’interdiction d’un
meeting d’Ana Gabriel, députée de la CUP, à Vitoria le 16 septembre et les
meetings de solidarité à Madrid et Gijón le 17 septembre.
Le 22 septembre, le
gouvernement Rajoy envoie 5 000 policiers en Catalogne, hébergés dans des
navires qui accostent dans les ports de Barcelone et de Tarragone, il remet en
cause l’autonomie de la police catalane, els Mossos, en la plaçant sous
l’autorité directe du colonel de la garde civil, Pérez de los Cobos, et ferment
les sites internet officiels relatifs à l’organisation du référendum.
Depuis, le gouvernement
catalan a réaffirmé à plusieurs reprises sa volonté de maintenir la
consultation et les mobilisations se sont amplifiées, des rassemblements à
l’appel d’Ómnium cultural ont eu lieu dans plus de 500 villages et
villes de Catalogne dimanche 24 septembre. L’Assemblée nationale de Catalogne
(ANC) a pris en charge la répartition des bulletins de vote dans l’ensemble de
la région.
Ce lundi, 25 septembre, le
Tribunal des comptes a condamné Artur Mas, ancien président de la Generalitat,
et trois ex-conseillers à une amende de 5,25 millions d’euros pour utilisation
d’argent public à l’occasion de l’organisation de la consultation du 9 novembre
2014 (simple coïncidence de calendrier…). Tandis que le procureur général de
l’État a annoncé que l’incarcération de Carles Puigdemont pour
« malversation de fonds publics » était envisagée. De nombreux maires
ont été convoqués par les procureurs.
Alors que la répression
s’intensifie, la Plateforme Universitats per la República a appelé à la
grève et à l’occupation des universités pour jeudi et vendredi. Les syndicats CGTe et IAC ont
déposé un préavis de grève générale à partir du 3 octobre, relayé par la CUP.
Dans les prochains jours, la
pression du pouvoir central se renforcera mais elle ne fera qu’amplifier la
détermination du peuple catalan. A une semaine du scrutin, rien n’indique qu’il
pourra se tenir, tout au moins le pouvoir central aura tout fait pour
l’empêcher. Mais, c’est sans compter sur la détermination du peuple catalan et
de ses organisations souverainistes de base et de masse : Assemblée
nationale de Catalogne, Ómnium cultural, Association des communes pour
l'indépendance (AMI) et Procés Constituent a Catalunya. Il se déroulera
dans des conditions bien particulières et l’État pourra pavoiser sur le
caractère irrégulier de cette consultation. Le gouvernement de Rajoy dispose du
soutien du Parti populaire, de Ciudadanos et de l’assentiment du PSOE.
Nul doute que la fracture avec le peuple catalan se sera accrue. Il n’est pas
inutile de revenir sur la genèse de cette situation.
Genèse d’un divorce
Après les élections catalanes
du 16 novembre 2003, sous l’impulsion du président de la Généralité, Pasqual
Maragall, le gouvernement tripartite composé par le Partit dels socialistes
catalans (PSC-PSOE), Iniciativa per Catalunya-Verds / Esquerra unida i
Alternativa (IC-V/EUiA) et Esquerra Republicana de Catalunya (ERC)
décida d’engager des discussions en vue de réformer le texte de 1979 et
d’élargir les domaines de compétences de la Généralité afin de « garantir à la
Communauté la possibilité d’exercer son gouvernement autonome dans des secteurs
complets et cohérents de l’action publique, sans que l’État interfère
constamment » . La Généralité de Catalogne disposait de compétences dans des
secteurs très étendus mais celles-ci étaient généralement fragmentées et pour
beaucoup d’entre elles de peu d’intensité.
Un accord fut conclu avec la
nouvelle opposition, Convergència i Unió (CiU), pour définir la
Catalogne comme une nation, pour renforcer la coexistence des deux langues
officielles et créer une circonscription catalane pour les élections au
Parlement européen. Le statut fut d’abord adopté par le Parlement de Catalogne
le 3 novembre 2005 par 89% des voix (PSC, d'ERC et de IC-V/EUiA, CiU). Mais, il
fut renégocié et amendé par les présidents du gouvernement de l’État espagnol,
Zapatero, et de la Generalitat avant son adoption par les Cortes
espagnols le 30 mars 2006. Le nouveau statut de 2006 fut définitivement adopté
le 18 juin 2006 par référendum avec une participation minoritaire de 48,85% et
73,24% des voix. Il entra en vigueur le 9 août 2006.
Son préambule affirme que le
Parlement définit la Catalogne comme une « nation », alors que la Constitution
espagnole la reconnaît comme une réalité nationale. Le préambule n'a pas de
valeur juridique, donc le statut reste celui d’une communauté autonome, tel que
défini en 1979. Malgré son approbation par les parlements catalan et espagnol
puis par référendum, ce statut fut juridiquement contesté par les Communautés
autonomes environnantes de l'Aragon, des Îles Baléares et par la Communauté
valencienne, mais surtout par le Partido Popular. Les objections
portèrent sur divers aspects tels que le patrimoine culturel et le principe de
« solidarité entre les régions ». Le 20 juin 2010, le Tribunal constitutionnel
récusa les nouveaux statuts en les estimant non conformes à la constitution sur
plusieurs points, telles que les références à une « nation
catalane », de justice autonome et le caractère préférentiel du catalan
sur le castillan. Il annula 14 articles sur 223 et en réinterpréta 27 autres.
Cette
décision fut le détonateur du processus de mobilisations indépendantistes de
masse et le 10 juillet 2010, plus d’un million de catalans descendirent dans
les rues de Barcelone pour s’élever contre cette décision. Elle avait été précédée
par l’organisation d’un référendum – sans valeur juridique – sur la
souveraineté de la Catalogne organisé par diverses associations
indépendantistes dans 166 municipalités le 13 décembre 2009.
Dès lors, les mobilisations
citoyennes, principalement à l’initiative de l’ANC, de l’Ómnium cultural
et de l’AMI, et à partir de 2013 de Procés Constituent a Catalunya vont
se succéder la campagne : « Marche vers l’indépendance » (Catalunya, nou
estat d'Europa) entre juin et septembre 2012, qui rassembla 2 millions de
personnes, la pétition « pour un vote pour l’indépendance » en 2013 et la
consultation en 2014, la chaîne humaine de 400 kms entre la Jonquera (Nord) et
Alcanar (Sud) le 11 septembre 2013 (1,6 million de personnes) et la
manifestation en forme de V, la Via Catalana cap a la Independència, à
Barcelone ( 1,8 à 2 millions de personnes) en 2014. Ces organisations furent
également à l’origine de la consultation du 9 novembre 2014[ii]
et des mobilisations suivantes.
Parallèlement, au niveau
politique, le gouvernement d'Artur Mas créa en juin 2013 le
Pacte national pour le droit de décider (PNDD), regroupant des forces
politiques et sociales favorables au droit à l'autodétermination de la
Catalogne. Le PNDD contribua à préparer la consultation sur l'indépendance du 9
novembre 2014. Il se réunit pour la dernière fois
en mars 2015 pour débattre de la convocation des élections autonomiques «
plébiscitaires » du 27 septembre 2015, dont l'enjeu était la question de
l'indépendance.
Devant l’intransigeance du
pouvoir central, dirigé par Mariano Rajoy, aucune négociation n’était possible
et c’est ce qui a conduit le gouvernement catalan à décider unilatéralement
d’organiser cette consultation. Minoritaire à l’issue des élections régionales
du 27 septembre 2015 avec 39,59 % des voix et 62 sièges, la coalition Junts
pel Si (Ensemble pour le Oui), regroupant la Convergence démocratique de
Catalogne devenue depuis Parti démocrate de Catalogne (PDeCat), la Gauche républicaine
(ERC) et des indépendants (notamment de l’ANC), fut contrainte de signer un
pacte avec la CUP, qui avait obtenue 8,21 % des voix et 10 sièges, à l’issue
d’une négociation d’un peu plus de trois mois. Début janvier 2016, une courte
majorité de la CUP, organisation anticapitaliste et indépendantiste, décida de
soutenir le gouvernement sans participation à l’exécutif et d’apporter une
majorité au sein du Parlament (72 sièges sur 135). Tout au long de
l’année 2016, la CUP -en rejetant notamment le budget 2016- et les
organisations de la société civile, seront les acteurs qui feront pression sur
le gouvernement régional pour l’organisation de ce référendum et une
modification de la feuille de route de l’exécutif.
En octobre 2016,
le Parlement de Catalogne adopta deux résolutions sur le référendum sur
l'indépendance. La première, votée par Junts pel Sí et la CUP, avec
l'abstention de la gauche radicale de Catalunya Sí que es Pot (CSQP),
prévoyait la tenue d'un référendum contraignant, sans l'accord de l'État
espagnol, au plus tard en septembre 2017. La seconde, adoptée à l'initiative de
CSQP avec l'approbation de Junts pel Sí et l'abstention de la CUP, évoquait un
référendum avec des garanties juridiques et reconnu par la communauté
internationale. La résolution sur le référendum unilatéral fut contestée par le
gouvernement espagnol et annulée par le Tribunal constitutionnel en février
2017.
En décembre 2016, le Pacte
national pour le référendum (PNR) fut créé en vue de l'organisation d'un
référendum sur l'indépendance de la Catalogne. Il rassemble notamment le
gouvernement, les forces politiques indépendantistes, la coalition Junts pel
Sí et la CUP, et celles de la gauche radicale (Podem tandis que Catalunya
en Comú et le groupe parlementaire CSQP refusèrent de s’y inscrire)[iii],
des acteurs locaux et représentants de la société civile qui sont favorables à
l'autodétermination.
En février 2017, le PNR adopta
un Manifeste exprimant ses revendications et organisa une campagne de soutien
qui recueillit la signature de 500 000 personnes et de 4000 organisations.
Devant le refus réitéré du gouvernement espagnol d'ouvrir des négociations sur
la tenue du référendum, le gouvernement catalan décida de l'organiser sans son
accord.
Cette décision résulte bel et
bien d’une accumulation de forces depuis juillet 2010 dans le camp
indépendantiste et des pressions exercées par l’ANC, l’Ómnium cultural, Procés
Constituent a Catalunya et de la CUP sur le gouvernement régional ces
dernières années. Et, l’intransigeance de Madrid depuis le retour du Parti
populaire au pouvoir en 2011 a été manifeste et a annihilé toutes velléités de
négociation en vue d’une consultation pactée. Le PP, dont l’héritage franquiste
reste prégnant, a été soutenu en cela avec constance par Ciudadanos et
le PSOE. Dès lors, le processus unilatéral de consultation pour le droit à
l’autodétermination engagé semblait inévitable. En une décennie, le processus
d’autodétermination est passé d’un statut initial pacté en 2006 et
reconnaissant une autonomie accrue à la revendication d’une république
indépendante.
Richard Neuville
Le 25 septembre 2017
[i]
Richard Neuville, « Catalogne : Candidatura d'Unitat Popular (CUP), une organisation
« assembléiste » et indépendantiste » :
https://www.ensemble-fdg.org/content/catalogne-candidatura-dunitat-popular-cup-une-organisation-assembleiste-et-independantiste
[ii]
Lors de la consultation du 9 novembre 2014, 80, 76 % des votants se prononcèrent
en faveur de l’indépendance mais avec une participation minoritaire.
[iii]
Catalunya en Comú et le groupe parlementaire Catalunya Sí que es pot (Catalogne
oui c’est possible) regroupant Podem, Iniciativa per Catalunya, Esquerra Unida
i Alternativa sont divisés depuis le début entre trois positions. Pour sa part,
Podemos au niveau national est opposé à un référendum unilatéral, alors que la
représentation catalane, Podem, s’est positionnée en faveur du référendum.
Catalunya en Comú n’a pris position en faveur d’une participation au référendum
que le 15 septembre à l’issue d’une consultation interne recueillant 59,4 % des
voix. Esquerra unida y Alternativa ne l’a fait que le 16 septembre par décision
de son Conseil politique. Par contre, Anticapitalistas s’est positionné en
faveur dès le début et a multiplié les prises de position malgré les
divergences avec Podemos et ses principaux leaders.
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