La
parution d’une revue consacrée à l’autogestion en Argentine n’apparaît pas comme
totalement fortuite. Depuis une quinzaine d’années, ce pays s’illustre par une
floraison d’expériences autogestionnaires et notamment un processus important
de récupération d’entreprises par les travailleur-euse-s (près de 400 ERT en
activité fin 2016)[i].
Processus qui se caractérise également par l’engagement de nombreux
universitaires aux cotés des travailleur-se-s et plus particulièrement dans le
cadre du programme « Faculté ouverte ». La référence dans le titre à
une « autre économie » renvoie également au cycle de rencontres
internationales de l’« Économie des travailleur-se-s » initié en 2007.
Celui-ci fêtera son dixième anniversaire à l’occasion de la VIe rencontre internationale qui
se déroulera du 30 août au 2 septembre dans la province de Buenos Aires (au
sein de l’hôtel Bauen et l’usine Textiles Pigüé récupérés par les travailleur-se-s)
après la tenue de trois réunions régionales en Uruguay, en Grèce et au Mexique
à l’automne dernier[ii].
La
revue Autogestión para otra economía se fixe comme objectif de « générer un débat sur les problèmes et les
acquis de ce secteur dans l’économie en Argentine et dans le monde ». Le
défi lancé par ses initiateurs est d’éditer une « publication qui fournit les outils nécessaires pour la discussion des
problèmes et des potentialités de ce large spectre, que forment les entreprises
récupérées, les coopératives de travail, l’entreprenariat en autogestion de ce
vaste secteur de l’économie populaire et solidaire et, y compris, le reste du
mouvement coopératif, les syndicats, qui considèrent que ce secteur constitue
une part croissante de la classe ouvrière, tout comme ceux qui dans le monde
universitaire parient sur un développement de ces organisations ».
Le
comité éditorial de la revue, composé de coopérateurs, de journalistes et
d’universitaires, s’est fixé comme objectif de « donner la parole à tous les acteurs, de sorte qu’elle reflète les
opinions, les points de vue et les analyses de différents mouvements et
organisations plutôt qu’une publication institutionnelle ou organique classique ».
Il s’agit de permettre « l’analyse
du contexte politique et économique sans être une revue se limitant à la
conjoncture, qui n'échappe pas à l'analyse théorique sans pour autant être une
revue destinée au monde académique, une revue qui tente de refléter et
d’élargir les débats entre et pour les travailleurs, une revue qui vise un
large public sans pour autant ne pas assumer le défi de questionner la
complexité ».
Chaque
numéro traitera un axe de réflexion particulier. Le premier numéro, présenté
lors d’une conférence de presse le 19 janvier dernier dans les locaux de
l’hôtel Bauen à Buenos Aires (récupéré et géré par ses travailleur-se-s),
aborde la « conflictualité entre
l’autogestion et le marché », à travers l’expérience de différents
acteurs du coopérativisme, de l’économie populaire, des entreprises autogérées
confrontés au marché dans un contexte économique, social et politique
défavorable.
Outre
le choix d’un axe de débat principal pour chaque numéro, la revue essaiera de
rendre compte des expériences concrètes, des exemples internationaux et
historiques et de permettre l’expression de différentes organisations. Il y
aura également un entretien avec une personnalité issue des organisations ou du
champ intellectuel qui approfondira et argumentera le thème principal. Le pari
est de contribuer au débat et à la formation des travailleurs en autogestion et
de leurs organisations.
Dans
l’édito de ce premier numéro, Andrés Ruggeri[iii]
rappelle que « le travail autogéré
est une réalité de l’économie et de la société argentine et mondiale,
généralement ignorée par les économistes et les politiques qui perçoivent les
travailleurs en autogestion comme une illustration de l’échec des politiques
économiques, un problème social ou d’emploi à résoudre ou, du point de vue
néolibéral, comme une conséquence de leurs politiques qui doit être contenue
afin que le conflit social n'affecte pas la gouvernabilité. Le point de vue des
protagonistes, celui des travailleur-se-s qui gèrent des unités économiques en
autogestion apparaît rarement dans le débat public et encore moins avec un
traitement qui aborde leurs complexités et leurs problèmes spécifiques ».
La
revue se décline en différentes rubriques : analyse théorique, débat/controverse,
entretiens, expériences, international, histoire et photoreportage. Dans ce
numéro : un article d’Andrés Ruggeri, directeur de la revue, et une
interview de Pedro Páez Pérez, Surintendant du contrôle de pouvoir du marché de
l’Equateur, engagent la réflexion théorique sur l’axe principal portant
sur la conflictualité entre l’autogestion et le marché (un débat éminemment
important qui constitue le fil rouge de ce numéro) ; deux interviews de Mario
Barrios, référent de la
Unión Solidaria de Trabajadores et Secrétaire de l’action
sociale de la CTA
Autonome et de Esteban "Gringo" Castro, Secrétaire
général de la
Confédération de travailleurs de l’économie populaire (CTEP)
alimentent ce débat à partir
de leur réalité ; les coopératives Textiles Pigüé et La Litoraleña
(Distribution de produits alimentaires issus de l’économie solidaire) ayant
chacune plus d’une centaine de travailleur-se-s associé-e-s, relatent leurs
expériences : la première, confrontée à l’ouverture du marché interne
décidée par le nouveau gouvernement dans un secteur très concurrentiel ;
la deuxième, recherchant des débouchés alternatifs pour s’émanciper
progressivement des réseaux de distribution capitaliste classique ; la rubrique
internationale traite des réseaux de producteurs / consommateurs pour une
économie alternative expérimentés en Allemagne par Solidarische Landwirtschft et en Italie, à l’initiative des
travailleur-se-s de l’entreprise récupérée RiMaflow, par Fuori-Mercato (en dehors du marché) ; la rubrique
« histoire » aborde les
tensions de l’expérience yougoslave sous la plume d’Ariel Mogni ; enfin,
la revue est ponctuée par un photoreportage qui évoque entre autres les
mobilisations contre les hausses de prix de l’énergie qui ont particulièrement
affectées les entreprises récupérées[iv]. Les
initiateurs ont opté pour une majorité d’articles relativement concis et
accessibles pour les différents acteurs des processus en cours et à un large
public.
La
revue sera bimestrielle. Dans un premier temps, elle sera distribuée dans les
réseaux militants et différentes coopératives mais l’objectif est qu’elle
devienne disponible en kiosque. Il est possible de se la procurer par
abonnement : suscripciones@autogestionrevista.com.ar
Elle comporte des publicités, provenant exclusivement de structures
coopératives ou du secteur de l’économie sociale et populaire. Elle est
évidemment imprimée par une entreprise récupérée par ses travailleurs, la
coopérative Campichuelo, qui édita
pendant longtemps le Boletín Oficial
(Journal officiel de la
République argentine). La revue s’est doté d’un site web qui
propose des extraits d’articles dans les différentes rubriques : http://autogestionrevista.com.ar/
La
revue se distingue de ses homologues françaises des années 60-80 : Autogestion puis Autogestion et socialisme (1966-1979) et Autogestions (1982-1986) qui avaient une visée plus théorique et
que Claudie Weill définit plus comme un « observatoire des
mouvements d’émancipation »[v]. Si les
deux s’inscrivent dans une proximité avec la mouvance universitaire et dans un
pluralisme non partisan, l’articulation avec la praxis apparaît plus affirmée
pour Autogestión para otra economía. C’est
ce qu’Andrés Ruggeri a rappelé, lors de la conférence de presse du 19 janvier,
en précisant que la revue n’esquivera pas la réflexion théorique mais qu’elle se
veut un « espace de débat pour
construire une alternative à l’économie actuelle à partir de la réalité »,
en permettant l’expression des travailleurs, tout en s’appuyant sur des
analyses historiques et conjoncturelles. Il a insisté sur la vision pluraliste
de la revue qui doit refléter les différents points de vue des acteurs et des
organisations, tout comme sa vocation internationale. De même, Hugo Cabrera,
Président de la Fédération
des coopératives autogérées de Buenos Aires, a indiqué que parfois
l’autogestion est idéalisé mais qu’elle est confrontée à de nombreuses
difficultés, c’est pourquoi « la
revue doit devenir un outil pour générer ses débats, afin de mettre sur la
table toutes les questions qui se posent »[vi].
L’Association
Autogestion souhaite longue vie à cette revue et ne manquera pas d’y
collaborer comme c’est déjà le cas avec une contribution dans le prochain
numéro.
Richard
Neuville, miembro del Comité Asesor de la revista
Autogestión para otra economía
«El mercado son los padres”
Número 1: Diciembre de 2016
Una economía que en
la que quepamos todos 7
La autogestión en
tiempos globos amarillos 9
Entrevista a Pedro Páez
Pérez 13
“El L mercado jamás
indicara la suerte de ningún trabajador de la cooperativa Pigüé» 19
El mercado y la economía
de la autogestión 22
Al calor de las
masas 28
Alternativas al
mercado y mercados alternativos 34
Las tensiones de la
experiencia yugoslava 39
Algunas visiones
criticas del modelo yugoslavo 43
Contrapunto: Mario
Barrios / Esteban «Gringo» Castro 44
El tiempo de los
trabajadores 47
Site de la revue : http://autogestionrevista.com.ar/
[i]
Richard Neuville, « Un
processus continu de récupération d’entreprises en Argentine », Association Autogestion, 5 janvier
2017 : http://www.autogestion.asso.fr/?p=6604
[ii] Voir l’appel : Llamado a
participar del VI Encuentro Internacional "La economía de los/as
Trabajadores/as", Programa Facultad
Abierta : http://www.recuperadasdoc.com.ar/ L’Association
pour l’Autogestion participe au réseau international de l’Économie des
travailleur-se-s et reviendra dans les prochaines semaines sur cette rencontre.
[iii] Andrés Ruggeri est anthropologue
et coordinateur du programme Facultad Abierta, il est directeur de la revue.
[iv] Richard Neuville, « Les
entreprises récupérées menacées par la politique de Macri », Association Autogestion, 7 juillet
2016 : http://www.autogestion.asso.fr/?p=6184
[v] Voir Claudie Weill, « La
revue Autogestion comme observatoire des mouvements d'émancipation », In: L'Homme et la société, N. 132-133, 1999.
Figures de l'« auto-émancipation » sociale. pp. 29-36. Doi :
10.3406/homso.1999.3008 : http://www.persee.fr/docAsPDF/homso_0018-4306_1999_num_132_2_3008.pdf
[vi] « Se presentó la revista Autogestión para otra
economía”, CNCT, 31/01/2017 : http://www.cnct.org.ar/se-presento-la-revista-autogestion-para-otra-economia
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire