Patrick Silberstein
Quelques
considérations à propos du livre de Bernard Ravenel, Quand la gauche se
réinventait. Le PSU, histoire d’un parti visionnaire (1960-1989), Paris, La
Découverte, 2016.
1960-1989 :
trente années d’existence, c’est très peu pour un parti politique à l’aune de
l’inscription longue des partis traditionnels (« ouvriers » ou
bourgeois »), quelle que soit leur appellation (SFIO, PS…), dans
l’histoire. C’est aussi un temps long, le tiers d’un siècle, surtout quand
il s’agit d’un temps où tout semblait possible, un temps marqué par la lutte
pour l’indépendance de l’Algérie et la révolution algérienne, la révolution
coloniale, l’opposition à la guerre du Vietnam, Mai 68 et les années 70, Lip,
les luttes antinucléaires, les question écologiques et du cadre de vie, les
questions nationalitaires, le syndicalisme aux armées, le Printemps de Prague,
le Larzac, la lutte pour le droit à l’avortement et la contraception, les
paysans-travailleurs, l’émergence des « nouveaux mouvements sociaux
», la modernisation et l’automation des systèmes productifs 1, etc.
Trente années
au cours desquelles les conditions ont été, peu ou prou, réunies pour que se
dégage au sein du mouvement ouvrier réel un « parti »
se réclamant de la révolution socialiste, un parti en rupture avec la
social-démocratie et le communisme stalinien à la française. Nous disons bien
d’un « parti », pas d’un groupe. Un parti certes petit, mais ayant
une base de masse et un ancrage significatif 2 dans les entreprises et dans le mouvement
syndical. Un parti qui a joué un rôle important – malgré toutes ses limitations
et les critiques que l’on peut lui faire – au cours de ces trente années au
cours desquelles la domination bourgeoisie était ébranlée.
Il n’est pas
inutile de rappeler que le PSU est le produit de circonstances historiques
particulières : refus de la guerre coloniale, nouvelle compromission de la
social-démocratie française, modernisation du capitalisme français, crise du
stalinisme, explosion sur le front de la lutte des classes des nouvelles
contradictions du capitalisme et expression massive des « nouveaux
mouvements sociaux ». Il faut également rappeler que sa disparition en
1989 – après bien des vicissitudes dont nous ne discuterons pas ici – est liée
à ce qu’on pourrait appeler la seconde défaite de Mai 1968, la deuxième
élection de François Mitterand en 1988.
Le livre de
Bernard Ravenel rend justice au PSU – auquel l’auteur de ces lignes a
appartenu, bien que sur une courte période. Il n’est évidemment pas aisé pour
moi de faire la recension d’un livre traitant de cette histoire, laquelle est,
à quelques années près, parallèle à la mienne. Je me bornerai donc ici à
quelques considérations sur ce qui me paraît essentiel 3 dans l’histoire du PSU dont Bernard Ravenel
est l’auteur, à savoir les rapports étroits que le PSU a entretenu avec
l’autogestion, dont il a été la « forme parti » la plus importante.
Le PSU n’est évidemment pas né avec l’autogestion dans sa besace. C’est une
orientation stratégique qu’il a construite au fil des années en se dégageant de
sa matrice originelle sous les coups de boutoir des années 68, du printemps
tchécoslovaque et, bien entendu de la mutation en 1964 de la CFTC en une CFDT
de lutte des classes et autogestionnaire.
C’est ainsi que
le PSU et sa « mouvance culturelle » 4, en dépit de ce qui pouvait séparer les cultures
originelles des uns et des autres – en réalité grâce à ces différences –, ont
contribué à faire de l’autogestion socialiste une utopie concrète revendiquée
et pratiquée par des dizaines de milliers de militant(e)s à la recherche
pratique d’une orientation qui soit à la fois chemin et but et qui permette la
critique-pratique de l’ensemble des rapports sociaux capitalistes.
Bernard Ravenel
parle du PSU comme d’un « chaudron » 5, c’est-à-dire, d’un parti où les cultures
politiques nombreuses et diverses ont pu se mélanger, un peu, beaucoup,
passionnément, voire pas du tout, pour qu’émerge une nouvelle culture commune,
autogestionnaire et révolutionnaire. Un melting-pot, ça marche où ça marche
pas. Nul ne peut penser que la construction d’une telle culture commune puisse
se monter, sans confrontations à la fois idéologique et pratique, comme un
mécano. La marche des événements politiques et sociaux n’est évidemment pas
étrangère au résultat. Et on se souvient que l’époque était celle d’un immense
bouillonnement. Tout avait semblé possible. Les alliages qui sortent du
chaudron sont bien entendu déterminés par la température de chauffe. Mais ce
n’est pas parce du chaudron est sorti un Michel Rocard qui évolue rapidement
vers une social-démocratie moderniste ou encore des courants «
pro-chinois » qu’il faut pour autant jeter l’alliage avec l’eau du bain.
La culture
autogestionnaire, qui a subi, nous le savons, une longue éclipse, a pourtant
essaimé dans les mouvements sociaux et s’est répandue sur la surface du globe à
partir des besoins et des expériences. Les lecteurs de ce site et de
l’Encyclopédie internationale de l’autogestion le savent. Le PSU en est
largement responsable, y compris post-mortem.
L’évolution
autogestionnaire
Il semble
intéressant de revenir sur quelques-uns des éléments qui ont marqué la
construction stratégique du PSU naissant et qui ont suscité à l’époque
polémiques et divergences : le contre-plan. Au tout début des années 1960,
il s’agit d’« élaborer et proposer une autre politique économique
». Le contre-plan est alors conçu « à la fois pour des raisons
d’efficacité et de rationalité économique, de justice sociale et de contrôle
démocratique ». Mais, s’agit-il simplement d’opposer au plan
gaulliste un plan qui resterait inscrit dans le cadre des frontières du
capitalisme français en plein bouleversement ou s’agit-il de jeter «
la base économique du programme de transition »au socialisme, comme le
défendent certains au congrès de 1963 ? S’il y a ambiguïté, ceux qui
défendent l’orientation d’un programme de transition cherchent à proposer une
voie de sortie du capitalisme : nous sommes encore, il faut absolument
s’en souvenir, en plein « modèle soviétique » (néanmoins en crise),
entre les événements de Budapest et ceux de Prague.
En 1965, année
présidentielle qui oppose le Général à François Mitterrand, le PSU 6 lance un appel aux « quatorze
organisations syndicales et politiques de la gauche pour proposer une
discussion sur le contre-plan ». Dans le même temps, un document «
esquisse la possibilité d’un contre-plan au niveau de l’Université.
» Nous sommes trois années avant Mai 68. Le PSU soumet donc au débat
public « les éléments d’un contre-plan susceptibles de servir de
base commune aux actions engagées en matière économique et sociale. »
De son côté, si
le PCF – alors sous influence soviétique, il convient de ne pas l’oublier –
avance également l’idée d’une plan « plan économique, social et
culturel fondamentalement différent du plan gaulliste par ses objectifs et par
son élaboration démocratique, par ses moyens comme par les conditions
politiques de sa mise en oeuvre qui ferait pièce au plan gaulliste », il
s’englue (Yalta oblige) dans la recherche d’une « démocratie
avancée » au sein du capitalisme. Tout en soulignant les limites de la
démarche du PCF et également de son propre parti, Pierre Naville, note qu’il faut
y opposer «une autre conception, qui ouvre la voie à un développement
socialiste ». Il ajoute, comme s’il écrivait pour
aujourd’hui, « si les partis politiques des travailleurs
s’unissaient pour élaborer un contre-plan de lutte, le propager et le lier à la
défense des revendications directes, un grand pas serait fait vers l’unité
solide de la gauche » 7.
La démarche
articule les « réformes de structure », telles que la « démocratisation
des nationalisations », l’«extension du secteur public »,
le « contrôle strict du crédit et des mécanismes de
financement », le « pouvoir de contrôle syndical sur
l’exécution du Plan par les entreprises ». Il faut ajouter, note Bernard
Ravenel, que l’axe de « cette panoplie de moyens que le contre-plan
suppose, c’est […] l’appui des classes populaires (urbaines et rurales) et de
leurs organisations syndicales [et qu’] un tel appui implique des garanties
sérieuses pour les travailleurs », sous la forme d’un «
engagement réciproque [qui] prendra la forme d’accords et de conventions
collectives négociés couvrant la période d’application du contre-plan ».
Quelles que
soient les ambiguïtés qui permettent plusieurs lectures de l’orientation du
PSU, les courants de rupture avec le capitalisme, écrit encore Bernard Ravenel,
peuvent se saisir de celle-ci pour exprimer « la nécessité d’un
profond changement qualitatif – et non seulement quantitatif – du
système français de planification [appuyé] sur la formation d’un
secteur socialisé dont la dynamique et la cohésion se répercuteront sur
l’ensemble de l’économie ». Il s’agit bel et bien de la proposition
d’une « politique de planification démocratique [ouvrant] la voie
au dépassement du capitalisme [et permettant de] traduire
l’aspiration profonde des travailleurs à prendre leur sort en main
». « L’alternative est nette, écrit Bernard
Ravenel, laissera-t-on à quelques technocrates ou à quelques dirigeants de
trusts le soin de prendre les décisions qui concernent l’avenir de tous, ou
créera-t-on les conditions pour que s’instaure une démocratie permettant à la
société de choisir consciemment son avenir ? »
Comme le note Bernard Ravenel, il est tout à fait notable qu’un « parti socialiste présente un programme de transition qui se propose d’introduire et de développer des instruments de planification dans une économie de marché pour orienter dans une perspective explicitement socialiste, de manière consciente et organisée, à travers un contrôle démocratique, à la fois les investissements et la consommation. » L’auteur ajoute que l’association de la démocratie économique à la démocratie politique permet à la fois de « créer les conditions politiques et culturelles d’une transition vers une société conjuguant socialisme et liberté», de poser la question du « contrôle sur tous les mécanismes de financement du pays», et de « démontrer que le vrai pouvoir à vaincre pour ouvrir la voie au socialisme sera celui de la finance organisée». La mise en œuvre d’un tel projet alternatif ne peut évidemment que s’appuyer sur un puissant bloc social mobilisé par la transformation radicale de la société. Jean-Marie Vincent, un des animateurs du PSU, insiste quant à lui sur l’utilisation du contre-plan comme « politique économique anticapitaliste avec un contrôle des travailleurs sur la production ».
Dans le «
chaudron » PSU – comme d’ailleurs dans la CFDT – s’oppose deux grandes
options sur la question du contre-plan : celle de ce qu’on appellera plus
tard la « deuxième gauche » – une gauche de pacification défendant
le réalisme et la modération dans l’élaboration du contre-plan – et celle qui
conçoit celui-ci comme un outil programmatique de construction d’un bloc social
porteur de transformation. Il n’est donc pas impossible que cette contradiction
ait aveuglé la gauche révolutionnaire – qui existera massivement à côté du PSU
à partir de Mai 68 et qui est elle-même aveuglée par le gauchisme et l’horizon
de ses interprétations (diverses) du bolchévisme – qui passera largement, pour
la plupart de ses composantes 8 à côté de la démarche alternative.
On pourra
prendre toute la mesure de la démarche de contre-plans, cette-fois-ci avec un
s, quand divers secteurs du mouvement populaire se mettront en branle sur la
question sur la base des mobilisations populaires et ouvrières Je renvoie ici à
l’Encyclopédie internationale de l’autogestion 9 et plus particulièrement aux articles
consacrés au contre-plan de la Lucas Aerospace et au budget participatif de
Porto Alegre. Et, pour revenir en France, dès le milieu des années 1960, alors
que la construction navale entre en crise, le PSU propose la mise en œuvre
d’«une recherche menée en commun par les représentants des travailleurs dans
divers chantiers français et par ceux des populations qui se trouvent
concernées ». Pour ce faire, il propose une « rencontre
nationale sur les constructions navales chargée d’élaborer un contre-plan
opposé à l’actuelle politique gouvernementale ». La démarche sera reprise
bien plus tard, pendant la campagne de Pierre Juquin, qui élaborera en
Loire-Atlantique un contre-plan pour la navale. A l’issue du second conflit
Lip, Charles Piaget évoquera la nécessité d’un plan de reconversion et d’une
régie sous contrôle ouvrier de l’industrie horlogère qui « pourrait
servir de pivot au développement de la région » et donc de base
programmatique à une mobilisation populaire.
Du
contrôle ouvrier à l’autogestion
En Mai 68,
contrairement à la CFDT qui, le 16 mai 1968, publie un communiqué appelant
à « substituer des structures démocratiques à base d’autogestion
» au pouvoir patronal et politique, le PSU ne met pas en avant
explicitement le mot d’ordre d’autogestion. Comme l’écrit Bernard Ravenel, le
temps était pourtant à la « prise en charge de la production par les
travailleurs » et à remplacer le « pouvoir patronal
absent », ce qui aurait constitué « un élément décisif de la chute
du régime capitaliste ». Le PSU met donc en avant les mots d’ordre de
« pouvoir ouvrier », de « pouvoir étudiant » 10 et de « pouvoir paysan ». Dans
sa conclusion, Bernard Ravenel écrit avec pertinence que c’est avec ce triple
slogan que le PSU a synthétisé les aspirations du mouvement de Mai,
c’est-à-dire de toutes les couches sociales intéressées à la
transformation socialiste de la société :« Ces mots d’ordre ont
alors la force symbolique d’évoquer un autre mode de rapports entre les hommes
et entre les hommes et les choses : la lutte ne se mène pas seulement
contre l’exploitation, elle doit également poser la question du pouvoir de
décision collective comme sur soi-même. » Si on peut s’étonner de ce
« balbutiement » programmatique – qu’on peut sans doute expliquer
par le fait que le PSU n’avait pas encore pris explicitement parti pour
l’autogestion –, on ne peut constater – au-delà des discussions que cela a
ouvert à l’époque – qu’à l’instant t, la différence entre le mot d’ordre
de l’autogestion et celui du PSU était aussi épaisse qu’une feuille de papier à
cigarette.
C’est aux
lendemains que Mai 68 que le PSU va se trouver à la croisée des mouvements
sociaux qui vont contester l’hégémonie bourgeoise sur la société. La liste est
longue et quelques-uns ont été cités en introduction de cette note de lecture.
Dès le mois de
novembre 1968, le PSU publie un document de travail intitulé Du contrôle
ouvrier au pouvoir des travailleurs, vers l’autogestion. Au moment de la
signature du programme commun entre le PS, le PCF et le MRG, le PSU centrera sa
critique sur le fait que selon l’accord, l’État « est appelé à jouer
un rôle déterminant au détriment de toute logique autogestionnaire ». En
effet, rappelle Bernard Ravenel, « plutôt que de porter sur le
nombre de nationalisations, le débat entre le PS et le PC aurait dû se centrer
sur un thème essentiel, celui des formes nouvelles de la gestion ».
C’est en 1972,
après de nombreuses convulsions, que le PSU fait de l’autogestion son axe
stratégique. Il n’en bougera plus et approfondira cette orientation après le
départ de Michel Rocard vers d’autres cieux, encore une fois quelles que soient
les appréciations que l’on puisse porter sur certains des choix politiques du
PSU, jusqu’à son auto-dissolution en 1989. Il convient ici de citer quelques
extraits de son Manifeste adopté en 1972 – et vendu, tenez-vous bien, à 50000
exemplaires –, dont l’actualité, encore une fois, parle d’elle-même :
« Sans
l’autogestion, la collectivisation des moyens de production n’entraîne pas
nécessairement la maîtrise des finalités et de l’organisation du travail
productif par les producteurs eux-mêmes. […] Il s’agit de libérer le
développement des forces productives en le soumettant à des fins qui ne soient
plus ni celles du profit […] Il est nécessaire de […] faire la liaison
avec le mot d’ordre du contrôle ouvrier qui en même temps qu’il sape
l’organisation capitaliste crée les conditions de l’apprentissage de la
démocratie ouvrière et prépare les formes naissantes de l’autogestion.
[Celle-ci] ne se résume pas à une forme d’organisation de la production. Les
collectifs de travailleurs, au même titre que ceux d’usagers de tel équipement
ou service public, ou que ceux d’habitants […] de ceux de consommateurs, sont
les cellules de base de la vie sociale. C’est à travers eux que la collectivité
territoriale provoquera l’expression des besoins collectifs. C’est à travers eux
que s’exprimera la pression des usagers sur les producteurs pour un autre
modèle de consommation. […] Chaque fois que les travailleurs s’organiseront
collectivement et librement pour régler les cadences du travail, pour refuser
la hiérarchie et désigner leurs propres responsables, pour exiger un contrôle
de la qualité sur un produit que, consommateurs, ils utiliseront, ils saperont
les fondations du pouvoir capitaliste. […] À travers l’autogestion
peuvent se réconcilier le travailleur et le citoyen, dissociés l’un de l’autre
par la bourgeoisie. » 11
Dans sa
conclusion, Bernard Ravenel revient sur certaines des propositions du dernier
PSU, lesquelles sont au coeur de la stratégie autogestionnaire. Il évoque ainsi
la question des immigré(e)s et donc du bloc social à construire.
Laissons lui la parole, nous sommes à nouveau en pleine actualité : «
Le PSU adopte en 1986 à son congrès une motion centrale consacrée à
l’immigration [dont le] contenu a pris avec le temps une signification
prémonitoire : “La présence de communautés étrangères, notamment de
musulmans, conduit la société française à prendre conscience de sa diversité
culturelle. C’est un événement d’importance dans un pays où sont apparus
simultanément droits de l’homme et État-nation.” […] C’est pourquoi le PSU se
doit de faire du pluriculturalisme un de ses axes principaux de réflexion et
d’intervention […]. Il faut […] entreprendre et faire connaître une réflexion
sérieuse sur les effets du pluralisme sur la société française, revisiter d’un
oeil neuf l’histoire, l’enseignement, la laïcité, les institutions, la vie
quotidienne, […] afin de voir ce qui est essentiel (qu’il faut conserver,
développer) et ce qui est fait de circonstances historiques ; approfondir
la démocratie en reconnaissant le droit de citoyenneté aux non-nationaux, en
facilitant l’accès libre à la citoyenneté des jeunes issus de l’immigration,
en élargissant les droits de l’homme (droit au bilinguisme, Conseil consultatif
des communautés de France) […]. Le PSU se doit de développer une réflexion et
des actions qui ne peuvent que renforcer les couches sociales qui feront la
société de demain”».
Le titre du
livre de Bernard Ravenel parle de lui-même : Quand la gauche se
réinventait, histoire d’un parti visionnaire. Nous aurions grand tort de
ne considérer son livre que comme l’histoire d’un courant du socialisme ayant
disparu. C’est bien plus que cela. Bien entendu les péripéties internes font
partie du paysage des forces de gauche, quelles qu’elles soient. Mais là n’est
pas l’essentiel de ce que nous dit Bernard Ravenel. Sa lecture nous entraîne
dans un temps où une gauche nouvelle se cherchait une stratégie pour proposer
aux forces sociales réellement existantes – c’est-à-dire diverses et multiples
– une alliance sur la base d’un «programme de transition »,
d’une « vision » de l’avenir reposant sur les dynamiques
de la conflictualité sociale.
Pour conclure
cette note de lecture, risquons un saut dans le temps. Dans le numéro d’avril
2016 de ContreTemps 12,
Josiane Zarka rappelle que le mouvement populaire n’a obtenu de grandes
victoires que dans les moments où il a disputé l’exercice du pouvoir à ceux qui
pensent le détenir naturellement. Elle prend l’exemple des années 1944-1945.
Celles-ci, écrit-elle, ont été « un grand moment d’exercice du pouvoir et
de transformation de la société par et pour le peuple rassemblé [dont la]
dimension autogestionnaire a été occultée ». Pour construire un tel
rassemblement, écrit-elle, « les acteurs du mouvement social – syndicalistes,
associatifs, politiques », doivent redéfinir « leur positionnement
par rapport aux citoyens, aux institutions et à la société ». C’est la
conception même de la lutte qui doit changer : « Elle ne peut demeurer
strictement revendicative, au risque de maintenir les citoyens dans une
amputation de leur pouvoir. Les luttes devraient, dans leur contenu et leur
forme, disputer au capitalisme l’organisation de la vie en société et montrer
que les citoyens sont capables de gouverner les entreprises et la société.
»
Tout en étant
un « parti », le meilleur du PSU était bien loin des constructions
partidaires, pour ne rien dire des stratégies bâties sur un homme providentiel
censé fédérer la gauche nouvelle autour de lui sur un programme minimal,
étatiste, aux accents souverainistes et ne permettant en aucune façon de
construire le « tous ensemble » politique et social que la crise en
cours du capitalisme et de la société bourgeoisie appelle.
Au risque de
prendre notre ami Bernard à rebrousse-poil, risquons la lecture de Lénine que
faisait la « marxiste-humaniste » américaine Raya Dunayevskaya qui
écrivait que pour le dirigeant bolchevik, « la mobilisation des masses
n’était pas le “moyen” de parvenir à une “fin”, le socialisme. Leur auto-activité, c’est le
socialisme. » 13
Nous ne sommes
finalement pas si éloignés de la vieille histoire que nous raconte Bernard
Ravenel.
Patrick
Silberstein. Publié sur le site de l'Association Autogestion.
Notes :
- Voir Pierre Naville, Vers l’automatisme social, Paris, Syllepse, 2016, préface de Pierre Cours-Salies. Ce livre est paru en 1963 ; son auteur était par ailleurs membre de la direction du PSU. ↩
- Jusqu’en avril 1968, le PSU comptait à peine une dizaine de sections d’entreprise. En 1969, il en compte près de 150. Au printemps 1970, la conférence nationale ouvrière du PSU réunit quelque 350 sections et groupes d’entreprise et 200 délégués, « une majorité d’hommes (sauf exception notable pour les Chèques postaux), une moyenne d’âge de trente ans, une qualification moyenne assez élevée ». ↩
- Je laisserai par conséquent de côté les nombreuses critiques qui peuvent être faites à son activité et à son corpus politique et théorique. ↩
- Les passages entre guillemets et en italiques sont des citations extraites du livre de Barnard Ravenel. ↩
- On y retrouve notamment la mouvance mendésiste, des chrétiens de gauche, des sociaux-démocrates en rupture de SFIO, des « néo-réformistes », des ex-membres du PCF et des marxistes-révolutionnaires de divers obédiences, souvent des « trotskistes » issus de différentes ruptures au sein de la 4e Internationale, à la recherche de voies nouvelles. ↩
- Le PSU appellera à soutenir François Mitterrand tout en menant une campagne autonome. ↩
- En 1964, propos de l’élaboration du plan gaulliste, Pierre Naville écrit : « Il est évident que le mouvement ouvrier et démocratique ne peut se désintéresser de ce problème. C’est aussi sur ce terrain qu’il faut se battre. Cela exige un développement et une coordination des revendications ouvrières immédiates et des propositions pour une réforme de la structure économique (nationalisations, réformes agraires, etc.) dans le cadre d’un plan général de développement économique à opposer à la programmation capitaliste. Ce ne sera certainement pas un plan socialiste, parce que les conditions d’un pareil plan sont absentes, mais c’est une forme nouvelle et un nouveau moyen de lutte pour avancer vers le socialisme. La politique des revenus […] ne peut être contrecarrée que si les syndicats savent travailler avec fermeté et intelligence, en reliant eux aussi leurs revendications immédiates à la lutte pour les réformes économiques et pour un plan économique dans l’intérêt des travailleurs et des couches moyennes de la société » (« L’élaboration du contre-plan », Tribune socialiste, 24 octobre 1964, cité par Bernard Ravenel). ↩
- L’Alliance marxiste révolutionnaire, « trotskiste » et autogestionnaire représente une de ces exceptions. ↩
- Collectif, L’Encyclopédie international de l’autogestion, Paris, Syllepse,www.syllepse.net/lng_FR_srub_86_iprod_656-autogestion-l-encyclopedie-internationale-version-epub.html. ↩
- En Mai 68, le bureau national de l’UNEF, largement influencé par les thèses du PSU, appelle à l’«instauration immédiate d’un pouvoir étudiant réel […] avec droit de veto sur toute décision. » ↩
- Manifeste du Parti socialiste unifié : Contrôler aujourd’hui pour décider demain,Paris, Téma, 1973. ↩
- Contretemps, n°29, Paris, Syllepse, avril 2016. ↩
- Raya Dunayevskaya, Marxisme et liberté, à paraître en novembre 2016 aux éditions Syllepse. ↩
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