M. Colloghan

samedi 16 avril 2016

Nuit debout, Place de la République



Benoît Borrits

Près de deux semaines après le lancement de Nuit debout, le mouvement semble prendre racine, s’inscrire dans le temps et se démultiplier. En toile de fond, la revendication du retrait de la loi Travail, retrait souhaité par une majorité de citoyen-nes. Cette société, rongée par le chômage et la précarité, a les plus grandes difficultés à se mobiliser dans des grèves et à s’opposer à une classe politique majoritairement acquise à la « réforme ». D’où ce mouvement de citoyen-nes décidé-es à apparaître en pleine lumière et qui pose d’office la perspective d’une vraie démocratie. 


Mardi 13 avril, fin d’après-midi. Comme tous les soirs depuis maintenant plusieurs jours, des petits regroupements se forment sur la place de la République. En toile de fond une grande banderole « Nuit debout, retrait de la loi Travail ». Ici la tente du DAL (Droit au logement), ailleurs un point de rassemblement sur le réchauffement climatique. Ici un groupe qui débat sur la communication du mouvement, ailleurs un autre de quelques centaines de personnes qui parlent des mobilisations qui existent. Une proposition émerge pour qu’une grande manifestation, déclarée en préfecture, se tienne le samedi 16 avril. Une personne objecte qu’il n’y a pas besoin de se déclarer et qu’il vient de tenir une manifestation spontanée de 150 personnes à la Gare Saint-Lazare. Après quelques échanges, il apparaît que cette manifestation, dont l’objectif était une jonction avec les cheminots, a été arrêtée par la police qui a procédé à une arrestation. Un mouvement se prépare spontanément ce soir pour obtenir sa libération. Bref, l’effervescence est à son comble et ces réunions spontanées doivent laisser place à la grande Assemblée générale qui se tient tous les soirs vers 18 heures. Un petit air de mai 1968… sans les « orgas » d’extrême-gauche !

Il faut dire qu’après un magnifique week-end de mobilisation sur la place, les forces de police avaient démonté lundi matin l’ensemble du matériel – tentes, affiches et même jardin potager – qui s’y trouvait. Qu’à cela ne tienne, dès lundi soir les rassemblements repartaient de plus belle. Cette Assemblée générale était massive, quelques milliers de personnes au soleil couchant.

Elle débute par les rapports des commissions qui se sont déroulées sur place. Tout d’abord, le service d’ordre qui s’est entretenu dans l’après-midi avec la préfecture. Un accord semble trouvé pour que les manifestations se déroulent tous les jours de 16 heures à minuit et sur l’absence aux alentours de stands marchands de boissons alcoolisées. Une demande a été faite à la mairie de Paris pour l’installation de toilettes publiques, proposition chaleureusement approuvée par l’assemblée avec ces applaudissements silencieux faits de centaines de bras levés s’agitant… Puis la commission restauration qui salue le coup de main que donne la chef Emmanuelle Riboud dans la confection de repas chaud pour le soir. Suivent les commissions féminisme, France Afrique (avec l’association Survie) et la commission banlieue…

19h15, le son est coupé, des CRS casqués font leur apparition sur la place pour semble-t-il saisir le camion de sonorisation. L’assemblée se lève immédiatement pour sauver le camion, les CRS reculent et lancent quelques lacrymos. Le camion est sauvé mais quitte la place, l’assemblée reprend avec une sonorisation réduite.

La rapporteuse de la commission banlieue explique l’importance de généraliser ce mouvement aux quartiers populaires, ce qui n’avait pas été fait explique-t-elle en 2010. Loin de s’opposer, les oppressions de toute sorte doivent converger. Déjà des « Nuit debout » ont eu lieu et sont programmées à Saint Ouen, Saint Denis, Ivry, Montreuil et Mantes-la-jolie. Ce mouvement n’en est donc qu’à ses débuts… La commission « démocratie-modération » explique son travail et demande que durant les AG, le maximum de personnes soient assises avec formation d’une allée centrale. Une commission climat organise le tri sélectif sur la place et demande à la mairie que des poubelles de recyclage soient installées. Un manifeste de la Nuit debout s’organise autour de cahiers de doléance. Une « Gazette deboux » en ligne se met en place. Une commission immigration présentée par un travailleur sans-papier et la commission logement présentée par Marie du DAL clôturent la séance. Une pause musicale improvisée avant la reprise des débats qui se termineront tard dans la nuit.


Si l’objectif clairement affiché de Nuit debout est le retrait de la loi Travail, la spontanéité et l’auto-organisation de ce mouvement nous fait d’office penser aux différents rassemblements qui ont eu lieu récemment dans le monde (Place Taksim, Place Tahrir, Occupy Wall Street, Puerta del Sol…). C’est en quelque sorte l’expression d’une société gangrenée par le chômage et la précarité dans laquelle la contestation institutionnelle est de plus en plus cadenassée – difficulté de se mettre en grève, perte de confiance dans les partis politiques comme dans les manifestations syndicales à répétition – et que beaucoup d’anonymes cherchent à secouer. D’où l’inévitable ouverture de ces manifestations sur toute une série de questions : écologie, féminisme, racisme, droits sociaux avec en fil conducteur la volonté de construire une « réelle démocratie » dans tous les sens du terme. On ne peut qu’être frappé de la diversité sociologique de ce mouvement, de son caractère multi-générationnel et de la forte présence de la jeunesse dans son organisation. Jusqu’où ira-t-il ?

http://www.autogestion.asso.fr/?p=5971#more-5971

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