Benoît
Borrits
Près
de deux semaines après le lancement de Nuit debout, le mouvement semble prendre
racine, s’inscrire dans le temps et se démultiplier. En toile de fond, la
revendication du retrait de la loi Travail, retrait souhaité par une majorité
de citoyen-nes. Cette société, rongée par le chômage et la précarité, a les
plus grandes difficultés à se mobiliser dans des grèves et à s’opposer à une
classe politique majoritairement acquise à la « réforme ». D’où ce mouvement de
citoyen-nes décidé-es à apparaître en pleine lumière et qui pose d’office la
perspective d’une vraie démocratie.
Mardi
13 avril, fin d’après-midi. Comme tous les soirs depuis maintenant plusieurs
jours, des petits regroupements se forment sur la place de la République. En
toile de fond une grande banderole « Nuit debout, retrait de la loi Travail ».
Ici la tente du DAL (Droit au logement), ailleurs un point de rassemblement sur
le réchauffement climatique. Ici un groupe qui débat sur la communication du
mouvement, ailleurs un autre de quelques centaines de personnes qui parlent des
mobilisations qui existent. Une proposition émerge pour qu’une grande
manifestation, déclarée en préfecture, se tienne le samedi 16 avril. Une
personne objecte qu’il n’y a pas besoin de se déclarer et qu’il vient de tenir
une manifestation spontanée de 150 personnes à la Gare Saint-Lazare. Après
quelques échanges, il apparaît que cette manifestation, dont l’objectif était
une jonction avec les cheminots, a été arrêtée par la police qui a procédé à
une arrestation. Un mouvement se prépare spontanément ce soir pour obtenir sa
libération. Bref, l’effervescence est à son comble et ces réunions spontanées
doivent laisser place à la grande Assemblée générale qui se tient tous les
soirs vers 18 heures. Un petit air de mai 1968… sans les « orgas »
d’extrême-gauche !
Il
faut dire qu’après un magnifique week-end de mobilisation sur la place, les
forces de police avaient démonté lundi matin l’ensemble du matériel – tentes,
affiches et même jardin potager – qui s’y trouvait. Qu’à cela ne tienne, dès
lundi soir les rassemblements repartaient de plus belle. Cette Assemblée
générale était massive, quelques milliers de personnes au soleil couchant.
Elle
débute par les rapports des commissions qui se sont déroulées sur place. Tout
d’abord, le service d’ordre qui s’est entretenu dans l’après-midi avec la
préfecture. Un accord semble trouvé pour que les manifestations se déroulent
tous les jours de 16 heures à minuit et sur l’absence aux alentours de stands
marchands de boissons alcoolisées. Une demande a été faite à la mairie de Paris
pour l’installation de toilettes publiques, proposition chaleureusement
approuvée par l’assemblée avec ces applaudissements silencieux faits de
centaines de bras levés s’agitant… Puis la commission restauration qui salue le
coup de main que donne la chef Emmanuelle Riboud dans la confection de repas
chaud pour le soir. Suivent les commissions féminisme, France Afrique (avec
l’association Survie) et la commission banlieue…
19h15,
le son est coupé, des CRS casqués font leur apparition sur la place pour
semble-t-il saisir le camion de sonorisation. L’assemblée se lève immédiatement
pour sauver le camion, les CRS reculent et lancent quelques lacrymos. Le camion
est sauvé mais quitte la place, l’assemblée reprend avec une sonorisation
réduite.
La
rapporteuse de la commission banlieue explique l’importance de généraliser ce
mouvement aux quartiers populaires, ce qui n’avait pas été fait explique-t-elle
en 2010. Loin de s’opposer, les oppressions de toute sorte doivent converger.
Déjà des « Nuit debout » ont eu lieu et sont programmées à Saint Ouen, Saint
Denis, Ivry, Montreuil et Mantes-la-jolie. Ce mouvement n’en est donc qu’à ses
débuts… La commission « démocratie-modération » explique son travail et demande
que durant les AG, le maximum de personnes soient assises avec formation d’une
allée centrale. Une commission climat organise le tri sélectif sur la place et
demande à la mairie que des poubelles de recyclage soient installées. Un
manifeste de la Nuit debout s’organise autour de cahiers de doléance. Une «
Gazette deboux » en ligne se met en place. Une commission immigration présentée
par un travailleur sans-papier et la commission logement présentée par Marie du
DAL clôturent la séance. Une pause musicale improvisée avant la reprise des
débats qui se termineront tard dans la nuit.
Si
l’objectif clairement affiché de Nuit debout est le retrait de la loi Travail,
la spontanéité et l’auto-organisation de ce mouvement nous fait d’office penser
aux différents rassemblements qui ont eu lieu récemment dans le monde (Place
Taksim, Place Tahrir, Occupy Wall Street, Puerta del Sol…). C’est en quelque
sorte l’expression d’une société gangrenée par le chômage et la précarité dans
laquelle la contestation institutionnelle est de plus en plus cadenassée –
difficulté de se mettre en grève, perte de confiance dans les partis politiques
comme dans les manifestations syndicales à répétition – et que beaucoup
d’anonymes cherchent à secouer. D’où l’inévitable ouverture de ces
manifestations sur toute une série de questions : écologie, féminisme, racisme,
droits sociaux avec en fil conducteur la volonté de construire une « réelle
démocratie » dans tous les sens du terme. On ne peut qu’être frappé de la
diversité sociologique de ce mouvement, de son caractère multi-générationnel et
de la forte présence de la jeunesse dans son organisation. Jusqu’où ira-t-il ?
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