par Pablo Solón (*)
Que
s'est il passé ? Comment en sommes nous arrivés là ? Qu'est il arrivé avec le processus de
changement qui il y a plus de 15 ans conquit sa première victoire avec la
guerre pour l'eau ? Pourquoi un conglomérat de mouvements qui voulaient changer
la Bolivie finirent piégés par un référendum pour que deux personnes puissent
être rééligibles en 2019 ?
Affirmer que tout cela est l'œuvre de la conspiration impérialiste est absurde. L'idée du référendum pour la réélection n'est pas partie de la Maison Blanche mais du Palacio Quemado. Cela dit, il est clair que l'impérialisme et toute l'extrême droite profitent de cette grande erreur que fut la convocation à un référendum pour que deux personnes puissent être réélues.
Le
référendum n'est pas tant la cause du problème sinon un de plus de ses
tragiques épisodes. Le processus de changement suit un mauvais chemin et il est
nécessaire de réfléchir bien au-delà des scandales de corruption et des
mensonges qui, bien qu'importants, ne sont jamais que la pointe de l'iceberg.
Il y a
quatre ans et demi j'ai quitté le gouvernement et depuis lors j'ai cherché à
comprendre ce devenir. Ce qui se passe en Bolivie n'est pas quelque chose
d'unique. Depuis le début du siècle passé différents mouvements
révolutionnaires, de gauche ou progressistes sont arrivés au gouvernement dans
différents pays du monde et, malgré le fait que plusieurs d'entre eux
générèrent d'importantes transformations, pratiquement tous finirent récupérés
par les logiques du capitalisme et par le pouvoir.
En bref, je voudrais ici partager quelques
idées, autocritiques et propositions qui, je l'espère, puissent contribuer à récupérer les rêves d'un
processus de changement qui est très complexe et qui n'est propriété d'aucun
parti ou dirigeant.
I. LA LOGIQUE DU POUVOIR S'EST EMPARÉ DU
PROCESSUS
Les
activistes de gauche au gouvernement parlent généralement du danger de la
droite, de l'impérialisme et de la contre-révolution, mais ils ne mentionnent
presque jamais le danger que représente le pouvoir en lui-même. Les dirigeants
de gauche croient qu'étant au pouvoir ils pourront transformer la réalité du
pays et ne sont pas conscients que ce pouvoir finira aussi à les transformer
eux-mêmes.
En
général, au début d'un processus de changement, le nouveau gouvernement promeut
- par voie constitutionnelle ou insurrectionnelle - la réforme ou
transformation des vieilles structures de pouvoir de l'Etat. Ces changements,
tout radicaux qu'ils soient, ne seront jamais suffisants pour éviter que les
nouveaux gouvernants soient cooptés par la logique du pouvoir qui est présente
tant dans les structures de pouvoir réactionnaires que dans les structures de
pouvoir révolutionnaires. L'unique
option pour éviter qu'un processus de changement y succombe est hors de (la
sphère) de l'État : (elle réside) dans la force, l'indépendance du
gouvernement, l'autodétermination et la mobilisation créative des organisations
sociales, des mouvements et des différents acteurs sociaux qui donnèrent
naissance à ces transformations.
Dans le
cas bolivien, qui comparativement à d'autres processus de changement était très
privilégié par la forte présence d'organisations sociales vigoureuses une de
nos erreurs la plus grave fut d'affaiblir les organisations sociales en
incorporant aux structures de l'Etat une grande partie de ses dirigeants qui
finirent exposés aux
tentations et à la logique du pouvoir. Avant
de coopter toute une génération de dirigeants, il aurait fallu former de vraies
équipes pour gérer les attributions clefs de l'Etat. Octroyer sièges syndicaux,
promotions, postes et avantages aux organisations sociales qui furent à
l'origine du processus de changement favorisa une logique clientéliste et
"prébendière". Par contre, nous aurions dû renforcer l'indépendance
et la capacité d'autodétermination des organisations sociales pour qu'elles
constituent un véritable contre-pouvoir qui propose et contrôle ceux qui sont
devenus des bureaucrates de l'Etat. Le
véritable gouvernement du peuple n'est pas, et jamais ne sera dans les
structures de l'Etat.
Nous
continuions avec une structure hiérarchique de l'Etat du passé et nous
n'impulsions pas une structure plus horizontale. Sans doute, le concept du
"patron" ou du "patron l'a dit" fut dès le départ une très
grave erreur. Jamais le culte de la personnalité n'aurait dû être entretenu.
Au
début, maintes de ces erreurs furent commises sous la pression des
circonstances et de la méconnaissance de la façon d'administrer un appareil
d'Etat de manière différente. A notre inexpérience s'ajouta la conspiration et
le sabotage de la droite, ainsi que l'impérialisme qui obligea à serrer les
rangs très souvent de manière acritique (cas Porvenir (1), négociation d'articles de la Constitution Politique
de l'Etat, etc.). Les succès et victoires contre la droite, loin d'ouvrir une
nouvelle étape pour reconduire le processus et identifier nos erreurs,
accentuèrent les tendances les plus enclines au culte du chef et à la
centralisation.
La
logique du pouvoir est très similaire à la logique du capital. Le capital n'est
pas une chose, mais un processus qui n'existe qu'en tant qu'il génère plus de
capital. Le capital qui n'est pas investi et qui ne produit pas de profit est
un capital qui sort du marché. Le capital doit être en croissance permanente
pour exister. De la même façon opère la logique du pouvoir. Sans que tu t'en
rendes compte, le plus important pour le gouvernement va être de se maintenir
au pouvoir et d'avoir plus de pouvoir pour assurer ta continuité au pouvoir.
Les arguments de cette logique qui préfère la permanence au pouvoir et son
expansion à tout prix sont au final convaincants et nobles : "s'il n'a pas
la majorité absolue au Congrès, la droite boycottera à nouveau le
gouvernement", “plus est grand le nombre de gouvernorats et de
municipalités que nous contrôlons, mieux peuvent être exécuter les plans et
projets”, “la justice et d’autres attributions de l’Etat doivent être au
service du processus de changement”, “peut-être veux-tu que revienne la
droite”, “que deviendra le peuple si nous perdons le pouvoir…”.
Si le péché originel du processus de
changement fut de nous croire "le gouvernement du Peuple", le moment
d'inflexion du processus de changement se produisit lors de la seconde
législature du gouvernement. En 2010, on obtint plus des deux tiers (des
sièges) du parlement et (nous disposions) de l'énergie suffisante pour
progresser réellement vers une transformation de fond concernant le Vivre Bien.
C'était le moment de renforcer plus que jamais le contre pouvoir des
organisations sociales et de la société civile pour limiter le pouvoir de ceux
de nous qui étions au gouvernement, au parlement,
dans les préfectures et les municipalités. C'était
le moment de faire des efforts pour promouvoir de nouveaux leadership et activistes créatifs qui puissent nous remplacer parce
que les dynamiques du pouvoir allaient nous broyer.
Cependant,
ce qui se fit fut tout le contraire. On
centralisa encore plus le pouvoir des chefs, on transforma le parlement en
appendice de l'exécutif, on continua d'entretenir le clientélisme des
organisations sociales, on arriva jusqu'à l'extrême de diviser quelques
organisations indigènes et on essaya de contrôler le pouvoir judiciaires par
d'absurdes manœuvres qui firent échouer le projet de disposer d'une Cours
Suprême de Justice idoine, indépendante et élue pour la première fois de
l'histoire.
Au
lieu d'encourager des esprits libres qui
suscitent le débat dans tous les espaces de la société civile et dans l'Etat,
on censura et on poursuivit ceux qui étaient en désaccord avec les positions
officielles. On tomba dans un entêtement absurde à justifier l'injustifiable
comme Chaparina (2) et à chercher à détourner à tout prix la victoire des
indigènes et des gens qui avaient fait reculer le projet de route par le TIPNIS
(3). Ce contexte, dans lequel la complaisance était récompensée et où la
critique était traitée comme la peste, favorisa le contrôle des moyens de
communication par divers moyens, mina l'émergence de nouveaux dirigeants et
renforça l'illusion que le processus de changement de millions de gens
dépendait de quelques uns.
La
logique du pouvoir avait capturé le processus de changement et le plus
important passa pour être la seconde réélection et maintenant la troisième.
II. LES ALLIANCES QUI ONT MINÉ LE PROCESSUS
Tout
processus de transformation sociale déplacent certains secteurs, en catapulte
d'autres et en engendre de nouveaux. Dans le cas bolivien, le processus de changement
signifia au début le déplacement d'une classe moyenne technocratique et d'une
bourgeoisie parasitaire d'Etat qui durant des décades alternèrent au
gouvernement et qui toujours disposaient de familiers dans les structures de
pouvoir pour obtenir des appels d'offres publics, des expertises, des
concessions, des contrats, des
terres et autres avantages.
En 2006
ce secteur fut déplacé et quoique plusieurs de ses membres continuèrent à
occuper des fonctions étatiques ils n'avaient alors plus le pouvoir d'avant
pour faire des affaires et des arrangements avec l'Etat. Dans le pays commença
une lutte très dure entre, d'un côté, les secteurs sociaux précédemment
dominants qui avaient été déplacés ou qui craignaient de perdre leurs
privilèges (propriétaires fonciers, agro-industriels et entrepreneurs) et, de
l'autre côté, les secteurs
sociaux émergents indigènes, paysans, les travailleurs et une classe moyenne
populaire très composite. Les oligarques de la région orientale (4)
développèrent avec habileté un discours d'"autonomies" régionales
pour gagner l'appui de secteurs de la population et la confrontation nous
conduisit quasi au bord d'une guerre civile. Au
final, grâce à la mobilisation sociale et au référendum révocatoire (5), les
secteurs les plus réactionnaires se trouvèrent écartés. Cependant, malgré sa
déroute, cette oligarchie obtint quelques victoires partielles avec les
amendements au texte constitutionnel, qui à ce moment là paraissaient mineures
par rapport au fait qu'on allait enfin disposer de la Constitution de l'Etat
Plurinational de Bolivie. A ce moment commença une politique d'alliance néfaste
qui vida de son esprit le processus de changement.
Les
dirigeants au gouvernement qui avaient déjà commencé à être capturés par la
logique du pouvoir optèrent pour une stratégie qui fut de pactiser avec les
représentants économiques de l'opposition tout en poursuivant leurs leaders
politiques. ¡Carotte économique et bâton politique!
Ainsi,
peu à peu, les objectifs de la révolution agraire furent vidés de leur contenu. La grande majorité des propriétaires
fonciers d'avant 2006 ne furent pas touchés. On mit l'accent sur la garantie et
l'attribution de titres fonciers qui favorisèrent majoritairement les indigènes
et les paysans, mais on ne procéda pas au démantèlement du pouvoir des
latifundiaires. Dans ce contexte il y eut une alliance avec le secteur le plus
important des agro-entrepreneurs : les exportateurs de soja transgénique à qui
on permit de continuer d'augmenter leur production. Le soja transgénique qui, en 2005, ne
représentait que 21% de la production de soja en Bolivie, atteignit les 92% en
2012. On différa la vérification de l'accomplissement de la responsabilité
économique et sociale des grandes propriétés qui aurait conduit à leur expropriation
et à leur réattribution, les déboisements illégaux de forêts furent classés
sans suite et on encouragea l'extension de la déforestation au bénéfice
principal des agro-exportateurs.
Ces
alliances qui eurent été impensables avant 2006 furent justifiées au prétexte
qu'ainsi on divisait l'opposition de la province de Santa Cruz (6), qu'on rendait possible le bon accueil du gouvernement par les
villes des provinces orientales, et qu'on évitait une polarisation comme celle
du Venezuela, puisque les secteurs économiques de l'opposition de droite
verraient qu'il valait mieux ne pas faire échouer la stabilité du gouvernement.
Cette
politique d'alliances pour stabiliser et consolider "le gouvernement du
peuple" embrassa presque tous les secteurs du pouvoir économique. La
bourgeoisie financière qui, par principe, fut traitée avec égard pour éviter le
risque d'une panique bancaire, comme au temps de l'UDP (7), fut l'une de celles
qui en profita le plus. Les profits du secteur financier de Bolivie passèrent
de 43 millions de dollars en 2005 à 283 millions de dollars en 2014. Quelque
chose de pareil advint avec le secteur minier privé transnational, qui malgré
quelques nationalisations, maintint tout au long des dix dernières années une
participation de 70% des exportations (minières). Selon le Ministre des
Finances lui-même, les profits du secteur privé atteignirent 4.111 millions de
dollars en 2013.
Le
processus de changement non seulement avait été capturé par la logique du
pouvoir mais de plus les secteurs patronaux de droite avaient commencé à le
saper de l'intérieur.
III. LES NOUVEAUX RICHES
Ces
politiques d'alliance avec l'ennemi n'auraient pas été possibles si ne s'était
opérée une transformation de la base sociale du processus de changement. Dans
presque tous les processus révolutionnaires de ce siècle et du siècle passé,
après un processus de confrontation avec les vieux secteurs déplacés, surgit au
sein même du processus révolutionnaire des groupes de nouveaux riches et de
nouveaux bureaucrates qui veulent jouir de leur nouveau statut et qui, pour ce
faire, s'allient avec des secteurs des anciens riches. L'amélioration des
conditions de vie de quelques secteurs et en particulier de quelques groupes de
dirigeants ne conduit pas nécessairement à un plus grand développement de la
conscience, bien au contraire. La seule façon de neutraliser ces nouveaux
riches et ces nouvelles classes moyennes d'origine populaire est encore
l'existence de fortes organisations sociales. Cependant, quand celles-ci sont
affaiblies et cooptées par l'Etat, il n'existe plus aucun contre poids à ces
nouveaux secteurs du pouvoir économique qui commencent à interférer de manière
déterminante dans la prise des décisions.
Au début
du second mandat du gouvernement en 2010, il était clair que le grand danger
pour le processus de changement n'était pas extérieur mais dans les dirigeants
et les nouveaux groupes de pouvoir qui s'étaient formés dans les municipalités,
les gouvernorats, les entreprises d'Etat, les charges publiques, les forces armées
et les ministères. La répartition de la rente gazière parmi toutes les
entreprises ouvrit une opportunité incroyable de faire petites et grandes
affaires de toutes sortes. Dans les hautes sphères on était conscient du
danger, mais on ne décida pas de mettre en place de façon opportune des
mécanismes efficients de contrôle interne et externe de l'appareil d'Etat. La
logique dominante conduisit à être celle des chantiers et encore des chantiers
pour gagner plus de popularité et ainsi obtenir la réélection. Ainsi surgirent
de nouveaux secteurs de pouvoir économique (entre les mains) de dirigeants
politiques, syndicaux et entrepreneurs qui commencèrent à monter socialement
grâce à l'Etat. A ceux-là s'ajoutèrent les secteurs du commerce, de la
contrebande, des coopératives minières, des producteurs de feuille de coca, des
transporteurs et d'autres qui obtinrent une série d'avantages et bénéfices du
fait qu'ils représentaient d'importantes masses électorales.
Le
problème du processus de changement est plus profond qu'il n'apparaît. Il ne s'agit pas seulement de graves
erreurs (commises) par des individus ou de scandales de corruption (dignes) de
série télévisée, mais bien que
maintenant il y a une bourgeoisie émergente et une classe moyenne populaire,
chaula, aymara et quechua (8) qui ne cherchent qu'à poursuivre leur processus
d'accumulation économique.
Pour
poursuivre le processus de changement il faut revigorer les anciennes
organisations sociales et en créer de nouvelles. Aujourd'hui il n'est pas sûr
que ceux qui furent les acteurs clefs de ce processus il y a une décade soient
les acteurs clefs de demain. Croire qu'avec un changement de personnes il est
possible de poursuivre le processus de changement conduit à se tromper soi
même. Le processus de changement est plus complexe et nécessite la
reconstitution du tissu social qui fut à son origine.
IV. DU BIEN VIVRE A L'EXTRACTIVISME (9)
Pour
revitaliser et poursuivre le processus de changement, il fondamental de savoir
quel pays nous sommes en train de construire, être sincères et autocritiques.
Les succès de ces 10 ans passés sont indéniables sur bien des aspects et ont
pour origine l'accroissement des revenus de l'Etat par la renégociation des
contrats avec les transnationales pétrolières quand les prix des hydrocarbures
étaient élevés. De façon stricte on ne peut pas dire qu'il y eut une
nationalisation puisqu'au jour d'aujourd'hui deux entreprises transnationales
(PETROBRAS et REPSOL) gèrent 75% de la production du gaz naturel de Bolivie. Ce
qui eut bien lieu fut une renégociation des contrats qui fit que les profits
des entreprises transnationales tirés des coûts récupérables et des bénéfices
passèrent de 43% en 2005 à seulement 22% en 2013. Il est indéniable que les
transnationales du pétrole, poursuivant leur activité en Bolivie, gagnent le
triple de ce qu'elles gagnaient il y a dix ans, mais d'un autre côté il est
tout aussi vrai que l'Etat dispose de huit fois plus de revenus, ceux-ci
passant de 673 millions de dollars en 2005 à 5.459 millions de dollars en 2013 [1]. Cette énorme quantité de millions
de dollars permit de faire bondir l'investissement public, de mettre en
application une série d'aides sociales, de développer les travaux
d'infrastructure, l'extension des services de base, l'accroissement des réserves
en devises de l'Etat et la mise en oeuvre d'autres mesures. Il est indéniable
que par comparaison avec les décades antérieures il y eut une amélioration de
la situation de la population et cela explique l'appui dont bénéficie encore le
gouvernement.
Mais la
question demeure : où est en train de nous conduire ce modèle ? au Bien Vivre ?
au socialisme communautaire ? Ou, au contraire : sommes-nous tombés dans
l'addiction à l'extractivisme (9) et à la rente d'une économie capitaliste
fondamentalement exportatrice ?
L'idée
de départ était de nationaliser les hydrocarbures pour redistribuer la richesse
et sortir de l'extractivisme des matières premières tout en progressant dans la diversification de l'économie.
Aujourd'hui, dix années plus tard, malgré quelques projets de diversification
économique, nous n'avons pas surmonté cette tendance et au contraire nous
sommes encore plus dépendants des exportations de matières premières (gaz,
minerais et soja). Pourquoi
sommes-nous restés à mi chemin et sommes-nous devenus dépendants de
l'extractivisme et des exportations ? Parce
que c'était la façon la plus commode d'obtenir des ressources pour se maintenir
et continuer au pouvoir. Il n'est pas vrai qu'il n'y avait pas d'autres
options, mais il est évident que celles-ci n'allaient pas produire rapidement
des revenus en devises pour accroître la popularité du gouvernement. Aller vers
une Bolivie agro-écologique aurait été une voie beaucoup plus cohérente avec le
Vivre Bien et et la protection de la Mère Terre (10), mais cela n'aurait pas
garanti à ce moment d'importants revenus économiques et aurait signifié une
confrontation avec la grande agro-industrie du soja transgénique.
De façon
autocritique, nous devons reconnaître que la conception que nous avions il y a plus
de 10 ans de la substitution des importations n'est pas faisable à l'échelle où
nous l'imaginions à cause de la concurrence internationale de marchandises
meilleur marché et aussi pour la taille réduite de notre marché intérieur. Cela
est encore beaucoup plus difficile quand on ne met pas en œuvre la moindre
politique de monopole du
commerce extérieur et de contrôle de la contrebande. Des mesures opportunes
comme freiner les accords de libre commerce de Bolivie, revenir sur le TLC (11)
avec le Mexique et sortir du CIADI (12) ne furent pas accompagnées de mesures
de contrôle effectif du commerce extérieur.
Le Vivre
Bien et les droits de la Mère Terre gagnèrent de la notoriété au niveau
international, mais au niveau national ils se virent chaque fois plus dévalués
parce qu'ils servaient seulement à nourrir un discours qui ne se mettait pas en
pratique. Le TIPNIS (3) fut la goutte qui fit déborder le verre en montrant
l'incongruité qu'il y avait entre le dire et le faire.
V. UNE AUTRE BOLIVIE EST POSSIBLE
Quelques
jours avant le référendum une information fut publiée disant que à Oruro (13)
on allait construire une usine de production d'énergie solaire de 50 MW qui
couvrira LA MOITIÉ de la demande d'énergie électrique du département d'Oruro,
d'un coût d'investissement de 100 millions de dollars. La nouvelle circula à
peine bien que ce soit une petite preuve qu'une Autre Bolivie est Possible.
La
Bolivie peut abandonner progressivement l'extractivisme et se placer à l'avant
garde d'une véritable révolution énergétique communautaire. Si la Bolivie se le
proposait, un investissement de 1.000
millions de dollars pourrait produire 500 MW d'énergie solaire, ce qui
représente presque un tiers de la demande nationale actuelle. La transformation
peut être beaucoup plus profonde si on prend en compte le fait que le
gouvernement prévoit un investissement total de 47.000 millions de dollars
d'ici 2020.
Mais de
plus, la Bolivie pourrait soutenir une énergie solaire communautaire,
municipale et familiale qui convertisse le consommateur d'électricité en
producteur d'énergie. Au lieu de subventionner le diesel pour les
agro-industriels, on pourrait investir cet argent pour que les boliviens de
moindres revenus produisent de l'énergie solaire sur leur toit. De cette façon,
on démocratiserait et décentraliserait la production d'énergie électrique. Le
Vivre Bien commencera à être une réalité quand on donnera un pouvoir économique
à la société (comme producteurs et pas seulement comme consommateurs et
bénéficiaires de bons d'aide sociale) et qu'on promouvra des activités pour
récupérer l'équilibre perdu avec la nature.
La
véritable alternative à la privatisation n'est pas l'étatisation mais la
socialisation des moyens de production. Très souvent, les entreprises d'Etat se
comportent comme des entreprises privées en l'absence de participation sociale
effective et de contrôle social. Faire le pari de la génération d'énergie
solaire communautaire, municipale et familiale contribuerait à donner du
pouvoir à la société plutôt qu'à l'Etat et aiderait à réduire les émissions de
gaz à effet de serre qui provoque le changement climatique.
Le thème
de l'énergie solaire communautaire et familiale n'est qu'un petit exemple pour
que nous puissions penser hors des modèles traditionnels du "développement".
Ainsi de même devons-nous récupérer la proposition d'une Bolivie
agro-écologique et agro-forestière parce que la véritable richesse des nations
d'ici quelques décades ne sera plus dans l'extractivisme destructeur de
matières premières mais dans la préservation de sa biodiversité, dans la
production de produits écologiques et dans la connivence avec la nature, ce en
quoi nous avons un grand legs des peuples autochtones.
La
Bolivie ne doit commettre les mêmes erreurs que les pays dits "développés".
Le pays peut franchir des étapes s'il sait décrypter les véritables
possibilités et périls du XXIº siècle et laisser le vieux développementisme du
XXº siècle.
Personne
ne pense cesser immédiatement d'extraire et exporter du gaz. Mais il n'est
définitivement plus possible de faire des plans pour accroître l'extractivisme
quand existent d'autres alternatives qui, peut être à court terme, seraient
plus compliquées à mettre en œuvre mais qui, à moyen terme, seront beaucoup
plus bénéfiques pour l'humanité et la Mère Terre.
Au lieu
de promouvoir des référendums sur la réélection de deux personnes, nous
devrions promouvoir des référendums sur les transgéniques, l'énergie nucléaire,
les méga barrages hydro-électriques, la déforestation, l'investissement public
et sur autant d'autres sujets qui sont cruciaux pour le processus de
changement. Il n'est possible de poursuivre le changement qu'avec un plus grand
exercice de la démocratie réelle.
Une
lecture erronée de ce qui s'est produit peut conduire à des formes plus
autoritaires de gouvernement et à la résurgence d'une droite néolibérale comme
cela se produit en Argentine. Il
n'y a pas de doute que des secteurs de droite agissent tant depuis l'opposition
que de l'intérieur du gouvernement. On ne peut non plus fermer les yeux et ne
pas reconnaître que des secteurs de la gauche et des mouvements sociaux se sont
laissé coopter par le pouvoir ou que nous ne fûmes pas capables d'articuler une
claire proposition alternative.
La
poursuite du processus de changement passe par :
a)
discuter de façon critique et propositionnelle les problèmes du développementisme
tardif capitaliste invivable sous-jacent à l'agenda patriotique pour 2025,
b)
évaluer, expliciter et engager des actions au sein et hors de l'Etat pour faire
front aux problèmes et dangers que suscite la logique du pouvoir
(autoritarisme, clientélisme, suivisme, nouveaux riches, alliances pragmatiques
et truquées, corruption, etc.),
c)
dépasser la contradiction entre le dire et le faire, et faire réalité l'application
des droits de la Mère Terre et l'exécution de projets qui contribuent
réellement à l'harmonie avec la nature, et d) être autocritiques avec soi même
et avec nos propres organisations et mouvements sociaux qui parfois
reproduisent les pratiques nuisibles des chefs et prébendiers.
Le Vivre Bien est possible
!
Traduction :
Marc ÉCREMENT/Ilurdotz, et Ana ARILLO/Txantrea pour la révision
finale_16.03.2016
-----------------------------------------------------------------------
[1] Carlos
Arce Vargas. Una década de gobierno ¿Construyendo el Vivir Bien o el
capitalismo salvaje? CEDLA. 2016.
Notes du traducteur
(*) Sur l'auteur Pablo
SOLÓN :
Pablo Solón Romero est un homme politique bolivien qui fut Ambassadeur de la Bolivie
aux Nations Unies de février 2009 à la fin juin 2011. Il est maintenant directeur exécutif
de l'organisation altermondialiste "Focus on the Global South". Wikipédia (…) Pablo Solón a d'abord travaillé plusieurs années comme travailleur
social et militant dans différentes organisations sociales : dans des
mouvements indigènes, des associations d'étudiants, des syndicats et dans des associations défendant les droits de l'homme ou des organisations culturelles de la Bolivie. Il s'est lié ainsi
aux mouvements qui ont porté au pouvoir Evo Morales et son parti, le MAS, de la
fin des années 1990 à 2005.
(1)
Cas Porvenir : le 11 septembre
2008, il se produisit un affrontements entre séparatistes opposés au
gouvernement d'Evo Morales et tenants de l'unité nationale favorables au
gouvernement; il y eut 13 morts et plus de 50 blessés.
(2) Chaparina : le 24 septembre 2011, "Un millier
d'Indiens amazoniens, qui marchent depuis un mois vers la capitale La Paz pour
protester contre un projet routier à travers des terres ancestrales" (…). Voir > http://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/201109/24/01-4451126-bolivie-tension-sur-la-marche-indigene-4-blesses-un-ministre-retenu.php
(3) TIPNIS : Le "Territoire indigène et parc national Isiboro-Sécure"
(TIPNIS) est situé dans les départements boliviens de Beni et de Cochabamba. Wikipédia .
Voir > http://www.sciencespo.fr/opalc/content/la-bolivie-et-la-revolte-des-indigenes-du-tipnis
(4) del oriente > de la région orientale
proche du Brésil
(5) référendum révocatoire "Le président bolivien Evo Morales a promulgué (le 23 mai 2008), la
loi de convocation officielle du référendum révocatoire du mandat populaire du
président, vice-président et des préfets (gouverneurs) départementaux. Il aura
lieu le 10 août prochain.(…) Pour la première fois dans toute l'histoire de la Bolivie, le
peuple a le droit non seulement de choisir mais également de révoquer les
autorités si celles-ci ne sont pas utiles ou ne sont pas au service du peuple,
a affirmé Evo Morales, au moment de sanctionner la loi. (…) Son intention est
que les différends entre Boliviens se résolvent par les urnes et non par les
armes. Le gouvernement souhaite qu'à travers le dialogue, de nouveaux
référendums autonomes soient évités, comme celui qui a eu lieu à Santa Cruz le
dimanche 4 mai, en marge de la loi et de la constitution bolivienne.”(Source : http://www.michelcollon.info/IMG/article_PDF/article_a277.pdf )
(6) l'opposition de la province de Santa Cruz : "Au sujet de la consultation sur l'autonomie qui a eu lieu à Santa
Cruz, (la députée bolivienne Elizabeth Salguero) a déclaré qu'il s'agit d'un «
carnaval autonome plus que d'un processus démocratique » et a souligné que le
«régime autonome n'existe pas dans la constitution ». Enfin, elle a répété que
« le référendum révocatoire va réorienter la voie démocratique pour que le
peuple décide s'il veut ce processus de changement ou s'il nous faut
accompagner le président ». Avec
ces deux mesures, celle d'exposer son poste et celui du vice-président à la
considération du vote populaire, ainsi que celle de la convocation de tous les
préfets à un dialogue, Evo Morales prend à nouveau l'initiative d'une option
risquée qui confirme sa vocation démocratique et sa conviction de la nécessité
des changements qu'il promeut pour son pays. L'opposition devrait reconnaître
l'illégalité du référendum réalisé à Sant Cruz, et accepter le jeu démocratique
avec toutes ses conséquences. Le référendum révocatoire est une issue « in
extremis », mais qui, face au refus de dialoguer persistant de la part de
l'opposition, s'avère valable pour éviter l'éclatement de la crise et la
progression de la division interne." (Source : http://www.michelcollon.info/IMG/article_PDF/article_a277.pdf )
(7) comme au temps de l'UDP : (…) Unidad Democrática y Popular (UDP) fue una alianza formada a finales
de la década del 70abarcando
varios partidos de la izquierda boliviana.
Entre ellos destacaban:
- el Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR), de Jaime Paz Zamora
- el Movimiento Nacionalista Revolucionario de Izquierda (MNR-I), de Hernán Siles Suazo
- el Partido Revolucionario de la Izquierda Nacionalista (PRIN), de Juan Lechín Oquendo y Lidia Gueiler
- y el Partido Comunista de Bolivia (PCB), de Oscar Salas Moya. Su líder, Hernán Siles Suazo, llegó al gobierno el 10 de octubre de 1982, tras 3 elecciones fallidas. (…) logrando esta vez los apoyos que le dieron el gobierno. Al asumir la presidencia la frágil democracia boliviana se encontraba frente a una muy difícil situación económica y política. Económicamente, Bolivia estaba quebrada frente a la crisis de la deuda externa, común a toda América Latina derivada de una década en la que las dictaduras latinoamericanas endeudaron fraudulentamente a los países con crédito barato, hecho además que desencadenó un proceso hiperinflacionario que destruyó el poder adquisitivo de los asalariados y llevando el país a la anarquía. Tuvo que enfrentar la dura oposición de su ex aliado Lechín desde la COB. Al desligarse el MIR de la alianza de gobierno, la UDP perdió la poca fuerza que le quedaba. Siles no tuvo respuestas económicas, la fijación de precios fracasó y finalmente debió renunciar y llamar a nuevas elecciones el 6 de agosto de 1985. La UDP se desintegró y desapareció junto con la carrera política de Hernan Siles.(…). (Source : https://es.wikipedia.org/wiki/Unidad_Democrática_y_Popular )
(8) chaula, aymara et quechua : peuples amérindiens présents en Bolivie et dans les pays voisins. (9) La notion d'extractivisme est un concept large, et polysémique qui désigne les moyens et stratégies d'exploitation industrielle de la Nature, quand il s'agit d'extraire (sans retour et directement dans le milieu naturel) des ressources naturelles pas, peu, difficilement, lentement ou coûteusement renouvelables1. Ce qui est extrait peut être des molécules, des matières et des matériaux, des organismes vivants (plantes, champignons, animaux) ou de l'énergie (ex : uranium, hydrocarbures fossiles, bois-énergie). L'extractivisme est une sorte de déclinaison du principe de la cueillette mais appliqué avec des moyens industriels, localement dans le cas des carrières, et à très grande échelle dans le cas de la pêche industrielle ou de l'exploitation des forêts tropicales. L'extractivisme nécessite des réseaux de transports (routes, voies ferrées, canaux, pistes d'atterrissage, pipe-lines, ligne à haute-tension, navires marchands ou technique, etc.). Dans le cas de ressources peu ou lentement renouvelables il a comme limite la surexploitation (ex : surpêche) et dans le cas de ressource rares, sa limite est l'épuisement de la ressource. > Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Extractivisme
(10) Mère Terre / Terre Mère : « Terre-Mère » est une expression utilisée pour désigner certaines Déesses mères, plus particulièrement celles qui personnifient la terre fertile (Gaïa grecque, Pārvatī hindoue chez les Indiens, Amalur basque, Etügen ekh (ou Ekh Gazar) du Tengrisme turco-mongol, etc.). La Déclaration universelle des droits de la Terre-Mère est une déclaration formulée par les peuples amérindiens lors de la Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique (2010). (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Terre-Mère)
- el Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR), de Jaime Paz Zamora
- el Movimiento Nacionalista Revolucionario de Izquierda (MNR-I), de Hernán Siles Suazo
- el Partido Revolucionario de la Izquierda Nacionalista (PRIN), de Juan Lechín Oquendo y Lidia Gueiler
- y el Partido Comunista de Bolivia (PCB), de Oscar Salas Moya. Su líder, Hernán Siles Suazo, llegó al gobierno el 10 de octubre de 1982, tras 3 elecciones fallidas. (…) logrando esta vez los apoyos que le dieron el gobierno. Al asumir la presidencia la frágil democracia boliviana se encontraba frente a una muy difícil situación económica y política. Económicamente, Bolivia estaba quebrada frente a la crisis de la deuda externa, común a toda América Latina derivada de una década en la que las dictaduras latinoamericanas endeudaron fraudulentamente a los países con crédito barato, hecho además que desencadenó un proceso hiperinflacionario que destruyó el poder adquisitivo de los asalariados y llevando el país a la anarquía. Tuvo que enfrentar la dura oposición de su ex aliado Lechín desde la COB. Al desligarse el MIR de la alianza de gobierno, la UDP perdió la poca fuerza que le quedaba. Siles no tuvo respuestas económicas, la fijación de precios fracasó y finalmente debió renunciar y llamar a nuevas elecciones el 6 de agosto de 1985. La UDP se desintegró y desapareció junto con la carrera política de Hernan Siles.(…). (Source : https://es.wikipedia.org/wiki/Unidad_Democrática_y_Popular )
(8) chaula, aymara et quechua : peuples amérindiens présents en Bolivie et dans les pays voisins. (9) La notion d'extractivisme est un concept large, et polysémique qui désigne les moyens et stratégies d'exploitation industrielle de la Nature, quand il s'agit d'extraire (sans retour et directement dans le milieu naturel) des ressources naturelles pas, peu, difficilement, lentement ou coûteusement renouvelables1. Ce qui est extrait peut être des molécules, des matières et des matériaux, des organismes vivants (plantes, champignons, animaux) ou de l'énergie (ex : uranium, hydrocarbures fossiles, bois-énergie). L'extractivisme est une sorte de déclinaison du principe de la cueillette mais appliqué avec des moyens industriels, localement dans le cas des carrières, et à très grande échelle dans le cas de la pêche industrielle ou de l'exploitation des forêts tropicales. L'extractivisme nécessite des réseaux de transports (routes, voies ferrées, canaux, pistes d'atterrissage, pipe-lines, ligne à haute-tension, navires marchands ou technique, etc.). Dans le cas de ressources peu ou lentement renouvelables il a comme limite la surexploitation (ex : surpêche) et dans le cas de ressource rares, sa limite est l'épuisement de la ressource. > Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Extractivisme
(10) Mère Terre / Terre Mère : « Terre-Mère » est une expression utilisée pour désigner certaines Déesses mères, plus particulièrement celles qui personnifient la terre fertile (Gaïa grecque, Pārvatī hindoue chez les Indiens, Amalur basque, Etügen ekh (ou Ekh Gazar) du Tengrisme turco-mongol, etc.). La Déclaration universelle des droits de la Terre-Mère est une déclaration formulée par les peuples amérindiens lors de la Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique (2010). (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Terre-Mère)
(11) TLC : Traité de Libre Échange L'accord de libre-échange entre le Mexique et la Bolivie fut signé le 10 septembre 1994 et entré en application le 1er janvier 1995.
(12) CIADI = Centro Internacional de Arreglo de Diferencias relativas a
Inversiones (CIADI) > Le "Centre international pour le
règlement des différends relatifs aux investissements" est une institution de la Banque
Mondiale créé par la convention de Washington du 18 mars 1965.
(13) Oruro : grand carrefour ferroviaire et routier de Bolivie. Une voie ferroviaire franchit les Andes et relie la Bolivie directement aux ports chiliens d'Iquique et d'Antofagasta sur la côte pacifique.
---------------------------------------------------------------------------------(13) Oruro : grand carrefour ferroviaire et routier de Bolivie. Une voie ferroviaire franchit les Andes et relie la Bolivie directement aux ports chiliens d'Iquique et d'Antofagasta sur la côte pacifique.
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