M. Colloghan

dimanche 7 février 2016

Saillans, une enclave démocratique ?

Alixe Poncelin *

Depuis mars 2014, une liste collégiale gouverne la commune de Saillans, dans la Drome.

Origine de la liste collégiale
Au début des années 2010, le village de Saillans a connu une forte mobilisation contre l’installation d’un supermarché sur son territoire.
La communauté de communes avait prévu de vendre à prix coûtant un des terrains viabilisés de la zone d’activités commerciales pour la construction d’une supérette – en contradiction avec l’objectif d’aide à l’installation d’artisans. Les habitants et les touristes se sont donc mobilisés au sein d’un collectif, comptant jusqu’à mille adhérents, et la supérette n’a jamais vu le jour.

Après cette victoire, certains constats étaient ancrés dans les esprits :
- la condescendance de nombreux élus envers la population, accusée de ne pas saisir les enjeux politiques et de ne pas être capables de prendre les bonnes décisions
- l’impossible participation citoyenne au processus démocratique dans sa forme actuelle
- la nécessité d’une veille citoyenne sur les décisions prises

Ainsi, au début de l’année 2013, a émergé la nécessité d’envisager une alternative pour les élections municipales de 2014 : il était impensable de laisser la liste sortante se présenter seule, de ne pas essayer de construire une alternative.
Plusieurs réunions ont donc été organisées, ouvertes à tous les habitants, pour envisager les possibilités. Une fois l’intérêt de plusieurs dizaines d’habitants constaté, le groupe a longuement réfléchi au projet à porter.

Construction de la liste collégiale
Les participants au projet ont donc construits ensemble les principes qui devaient les guider, et imaginé le fonctionnement souhaité pour la future municipalité.
Trois axes principaux ont émergé :
- D’abord la transparence : que toutes les décisions prises soient portées à la connaissance des habitants, pendant le processus d’élaboration comme au moment de la décision. D’où la nécessité d’informer, par les moyens les plus divers.
- Ensuite la collégialité : aucune décision ne doit être prise par un seul individu, le pouvoir est partagé. Ainsi les élus travaillent en binômes sur des thématiques, partagent les taches, se font des compte-rendus, prennent les décision collectivement.
- Pour finir, la participation des habitants aux projets et aux décisions. Pour cela, il a fallu trouver des outils…
Dans la pratique, le projet proposait une répartition des élus par compétence (2 élus référents pour chaque thématique), une réunion hebdomadaire des élus pour prendre les décisions, et des commissions participatives thématiques ouvertes à tous les habitants pour élaborer des projets.

Pour finir, il a fallu constituer la liste elle-même. 21 personnes étaient volontaires, pour une liste de 15 noms.
Parmi les candidats, aucun n’avait déjà exercé de mandat d’élu : tous les participants acceptaient d’être candidats parce que la liste portait un autre projet de fonctionnement municipal.
Pour éviter d’avoir l’air d’imposer des ‘idées d’avant-garde’ à un ‘village conservateur’, les candidats se sont répartis à égalité entre anciens habitants et nouveaux venus, tous partie prenante bien sûr du projet.
Quant au choix du maire, il s’est porté sur le candidat le plus disponible.

Campagne de la liste collégiale
Les six derniers mois avant les élections ont été consacrés à la campagne.
Pour présenter le projet particulier de la liste, des débats participatifs ont eu lieu : les participants (une centaine à chaque fois) ont ainsi dégagé, sur les 7 thématiques dégagées par les candidats (sur le social, l’économie, l’environnement1), les forces et les faiblesses du village, et élaboré des pistes de réflexion, des orientations pour la liste collégiale.
Les candidats ont du défendre l’idée – parfois difficile à accepter pour certains habitants – de ne pas avoir de projets définis pour la commune, hormis celui d’avoir un fonctionnement innovant, et qu’il reviendrait ensuite aux habitants de définir ces projets…

Cette période pré-électorale a été animée par un intérêt marqué d’une large part de la population pour ces élections, qui présentaient pour une fois un enjeu fort.
Le taux de participation aux élections municipales a été de 80%. Le soir des élections, une centaine d’habitants est venue assister au dépouillement et à l’annonce des résultats.
La liste collégiale a été élue avec 57% des voix exprimées.

Fonctionnement de la liste collégiale
Reprenant ses principes, la liste s’est donc répartie les compétences (2 élus référents pour chaque commission thématique), ainsi que les indemnités de fonction (15O€ par mois chacun). Pour être disponibles, tous les élus se sont engagés à travailler à temps partiel.

Concrètement, le fonctionnement collégial s’appuie sur des commissions thématiques. Celles-ci sont ouvertes à tous les habitants de + de 15 ans, et coordonnées par un binôme d’élus référents. En septembre 2015, 230 personnes (un quart de la population majeure) sont inscrites à l’ensemble de ces commissions ; chacune réunit une quarantaine de participants. Elles se réunissent 2 fois par an environ : les participants proposent des projets concrets pour la commune, puis les priorisent. Ainsi chaque commission définit 3 projets concrets, qui sont ensuite mis en œuvre dans des groupes de travail : les Groupes Action-projet. Ils ont lieu sur une période définie, avec un nombre restreint d’habitants (avec un minimum de 6 participants) et un élu référent.
Tous les projets proposés en commission et développés dans les groupes de travail restent soumis à la validation des élus, en comité de pilotage.
Les élus se réunissent toutes les 2 semaines au sein du Comité de Pilotage : ouvert au public, il constitue l’instance de travail et de décision des élus, en préparation des Conseils municipaux.

Parallèlement, l’équipe municipale a engagé une réflexion approfondie autour de son exigence de transparence vis-à-vis des habitants. Les outils de communication ont été développés : affichage par des panneaux, site internet, lettres électroniques d’informations, journal, réunions publiques (70 depuis avril 2013)… Toutes les réunions des élus sont publiques.
De manière plus générale, une large importance a été accordée aux méthodes de collégialité et de participation citoyenne : celles-ci ne se décrètent pas, mais s’instaurent grâce à des outils de facilitation. L’équipe municipale a ainsi été largement accompagnée par un groupe d’habitants : en s’inspirant de méthodes participatives, par tâtonnements, un système d’animation de réunions et de réflexion globale sur les pratiques s’est progressivement mis en place. La méthode mise en place à Saillans s’est construite au fur et à mesure, par tâtonnements, par la participation confiante des habitants.

Pour finir, un Conseil des Sages a été mis en oeuvre dès le début, avec un rôle de veille.
Les 12 Sages (d’abord choisis parmi les volontaires non présents sur la liste aux élections, puis après les élections tirés au sort parmi les habitants volontaires) réunis dans ce comité de veille ont pour role d’observer d’éventuels dysfonctionnements, de faire des propositions pour améliorer le fonctionnement collégial et participatif de la municipalité, et de l’évaluer. Ils sont également chargés de la formation des citoyens volontaires animant les réunions. Ce sont enfin eux qui répondent aux sollicitations extérieures (200 à ce jour) sur cette municipalité atypique.
Schéma du fonctionnement collégial et participatif de la commune de Saillans

Petit bilan du fonctionnement de la liste collégiale
Après 1 an ½, il est possible de tirer un premier bilan.
Sur le principe d’abord : si la participation citoyenne est largement encouragée, le fonctionnement reste centralisé, avec une validation des projets citoyens par les élus. Le système français de démocratie représentative constitue un cadre contraignant auquel il est difficile (impossible ?) d’échapper. Les décisions quotidiennes sont prises par les élus, au sein du Comité de Pilotage pour garantir une certaine transparence, mais sans consultation possible des habitants. La disponibilité nécessaire s’accorde peu avec notre société chronophage.
Avec le système des commissions thématiques définissant chacune 3 projets par semestre, la municipalité doit ainsi suivre la mise en œuvre d’une quarantaine de projets par an. Le foisonnement d’idées citoyennes trouve une légitimité et une mise en œuvre qui sont encourageantes. Mais cela représente un temps d’investissement de la part des élus très conséquent, au risque de les épuiser. Il est donc nécessaire que ceux-ci partagent leur rôle avec des habitants, et non pas seulement entre élus. Partant du même constat, c’est d’ailleurs l’orientation qui a été décidée par la municipalité suite à un week-end de réflexion collective organisé en septembre par le Conseil des Sages.

Par ailleurs, le pouvoir de la municipalité reste limité par l’intercommunalité, gérant de nombreuses compétences.
Ce qui pose la question de l’isolement de la commune dans sa démarche, et de la nécessité d’essaimage, pour que la transformation de nos habitudes politiques puisse avoir une réelle mise en œuvre.

Pour finir, le dernier point qui nécessite une réserve est celui de la participation ‘faible’ et ciblée des habitants : s’il convient de se réjouir qu’un quart des habitants puisse être associé aux décisions municipales, force est de constater que les habitants qui n’étaient pas convaincus par ce système lors des élections ne le sont toujours pas. Or la démocratie, c’est bien de favoriser l’expression de tous.
Parallèlement à la poursuite de la mise en pratique, nécessairement longue, d’une méthode participative et collégiale, la municipalité – appuyée par le Conseil des Sages – doit aujourd’hui porter sa réflexion sur les moyens de mobilisation des habitants qui ne se sentent pour l’instant pas concernés ni convaincus par le projet municipal. C’est cette participation qui marquerait une victoire démocratique !

Le projet aujourd’hui mis en place par la municipalité de Saillans, quelles qu’en soient ses limites et ses imperfections, a tout d’abord le mérite d’exister ! Il constitue un véritable outil politique de réappropriation de l’espace public, de gestion collective, de valorisation des projets et compétences citoyens.
Quel que soit son avenir, sur la suite de la mandature et lors de prochaines élections, il aura été un moment d’effervescence démocratique, de partage, de participation, pour les nombreux habitants impliqués, et au-delà un ‘exemple’ mobilisateur pour de nombreux citoyens.

Article sollicité pour le site de l'association pour l'Autogestion.
http://www.autogestion.asso.fr/?p=5545

* Alixe Poncelin réside à Saillans, elle est syndicaliste, secrétaire de Solidaires Ardèche/Drôme

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire