Alixe
Poncelin *
Depuis
mars 2014, une liste collégiale gouverne la commune de Saillans,
dans la Drome.
Origine
de la liste collégiale
Au
début des années 2010, le village de Saillans a connu une forte
mobilisation contre l’installation d’un supermarché sur son
territoire.
La communauté de communes avait
prévu de vendre à prix coûtant un des terrains viabilisés de la
zone d’activités commerciales pour la construction d’une
supérette – en contradiction avec l’objectif d’aide à
l’installation d’artisans. Les habitants et les touristes se sont
donc mobilisés au sein d’un collectif, comptant jusqu’à mille
adhérents, et la supérette n’a jamais vu le jour.
Après
cette victoire, certains constats étaient ancrés dans les esprits :
-
la condescendance de nombreux élus envers la population, accusée de
ne pas saisir les enjeux politiques et de ne pas être capables de
prendre les bonnes décisions
-
l’impossible participation citoyenne au processus démocratique
dans sa forme actuelle
-
la nécessité d’une veille citoyenne sur les décisions prises
Ainsi,
au début de l’année 2013, a émergé la nécessité d’envisager
une alternative pour les élections municipales de 2014 : il
était impensable de laisser la liste sortante se présenter seule,
de ne pas essayer de construire une alternative.
Plusieurs
réunions ont donc été organisées, ouvertes à tous les habitants,
pour envisager les possibilités. Une fois l’intérêt de plusieurs
dizaines d’habitants constaté, le groupe a longuement réfléchi
au projet à porter.
Construction
de la liste collégiale
Les
participants au projet ont donc construits ensemble les principes qui
devaient les guider, et imaginé le fonctionnement souhaité pour la
future municipalité.
Trois
axes principaux ont émergé :
-
D’abord la transparence : que toutes les décisions
prises soient portées à la connaissance des habitants, pendant le
processus d’élaboration comme au moment de la décision. D’où
la nécessité d’informer, par les moyens les plus divers.
-
Ensuite la collégialité : aucune décision ne doit être
prise par un seul individu, le pouvoir est partagé. Ainsi les élus
travaillent en binômes sur des thématiques, partagent les taches,
se font des compte-rendus, prennent les décision collectivement.
-
Pour finir, la participation des habitants aux projets et aux
décisions. Pour cela, il a fallu trouver des outils…
Dans
la pratique, le projet proposait une répartition des élus par
compétence (2 élus référents pour chaque thématique), une
réunion hebdomadaire des élus pour prendre les décisions, et des
commissions participatives thématiques ouvertes à tous les
habitants pour élaborer des projets.
Pour
finir, il a fallu constituer la liste elle-même. 21 personnes
étaient volontaires, pour une liste de 15 noms.
Parmi
les candidats, aucun n’avait déjà exercé de mandat d’élu :
tous les participants acceptaient d’être candidats parce que la
liste portait un autre projet de fonctionnement municipal.
Pour
éviter d’avoir l’air d’imposer des ‘idées d’avant-garde’
à un ‘village conservateur’, les candidats se sont répartis à
égalité entre anciens habitants et nouveaux venus, tous partie
prenante bien sûr du projet.
Quant
au choix du maire, il s’est porté sur le candidat le plus
disponible.
Campagne
de la liste collégiale
Les
six derniers mois avant les élections ont été consacrés à la
campagne.
Pour
présenter le projet particulier de la liste, des débats
participatifs ont eu lieu : les participants (une centaine à
chaque fois) ont ainsi dégagé, sur les 7 thématiques dégagées
par les candidats (sur le social, l’économie, l’environnement1),
les forces et les faiblesses du village, et élaboré des pistes de
réflexion, des orientations pour la liste collégiale.
Les
candidats ont du défendre l’idée – parfois difficile à
accepter pour certains habitants – de ne pas avoir de projets
définis pour la commune, hormis celui d’avoir un fonctionnement
innovant, et qu’il reviendrait ensuite aux habitants de définir
ces projets…
Cette
période pré-électorale a été animée par un intérêt marqué
d’une large part de la population pour ces élections, qui
présentaient pour une fois un enjeu fort.
Le
taux de participation aux élections municipales a été de 80%. Le
soir des élections, une centaine d’habitants est venue assister au
dépouillement et à l’annonce des résultats.
La
liste collégiale a été élue avec 57% des voix exprimées.
Fonctionnement
de la liste collégiale
Reprenant
ses principes, la liste s’est donc répartie les compétences (2
élus référents pour chaque commission thématique), ainsi que les
indemnités de fonction (15O€ par mois chacun). Pour être
disponibles, tous les élus se sont engagés à travailler à temps
partiel.
Concrètement,
le fonctionnement collégial s’appuie sur des commissions
thématiques. Celles-ci sont ouvertes à tous les habitants de +
de 15 ans, et coordonnées par un binôme d’élus référents. En
septembre 2015, 230
personnes (un quart de la population majeure) sont inscrites à
l’ensemble de ces commissions ; chacune réunit une quarantaine de
participants. Elles se réunissent 2 fois par an environ : les
participants proposent des projets concrets pour la commune, puis les
priorisent. Ainsi
chaque commission définit 3 projets concrets, qui sont ensuite mis
en œuvre dans des groupes de travail : les Groupes
Action-projet. Ils ont lieu sur une période définie, avec un
nombre restreint d’habitants (avec un minimum de 6 participants) et
un élu référent.
Tous
les projets proposés en commission et développés dans les groupes
de travail restent soumis à la validation des élus, en comité de
pilotage.
Les
élus se réunissent toutes les 2 semaines au sein du Comité
de Pilotage
: ouvert au public, il constitue l’instance de travail et de
décision des élus, en préparation des Conseils municipaux.
Parallèlement,
l’équipe municipale a engagé une réflexion approfondie autour de
son exigence de transparence vis-à-vis des habitants. Les outils de
communication ont été développés : affichage par des panneaux,
site internet, lettres électroniques d’informations, journal,
réunions publiques (70 depuis avril 2013)… Toutes les réunions
des élus sont publiques.
De manière
plus générale, une large importance a été accordée aux méthodes
de collégialité et de participation citoyenne : celles-ci ne se
décrètent pas, mais s’instaurent grâce à des outils de
facilitation. L’équipe municipale a ainsi été largement
accompagnée par un groupe d’habitants : en s’inspirant de
méthodes participatives, par tâtonnements, un système d’animation
de réunions et de réflexion globale sur les pratiques s’est
progressivement mis en place. La méthode mise en place à Saillans
s’est construite au fur et à mesure, par tâtonnements, par la
participation confiante des habitants.
Pour
finir, un Conseil
des Sages
a été mis en oeuvre dès le début, avec un rôle de veille.
Les
12 Sages (d’abord choisis parmi les volontaires non présents sur
la liste aux élections, puis après les élections tirés au sort
parmi les habitants volontaires) réunis dans ce comité de veille
ont pour role d’observer d’éventuels dysfonctionnements, de
faire des propositions pour améliorer le fonctionnement collégial
et participatif de la municipalité, et de l’évaluer. Ils sont
également chargés de la formation des citoyens volontaires animant
les réunions. Ce sont enfin eux qui répondent aux sollicitations
extérieures (200 à ce jour) sur cette municipalité atypique.
Schéma
du fonctionnement collégial et participatif de la commune de
Saillans
Petit
bilan du fonctionnement de la liste collégiale
Après
1 an ½, il est possible de tirer un premier bilan.
Sur
le principe d’abord : si la participation citoyenne est
largement encouragée, le fonctionnement reste centralisé, avec une
validation des projets citoyens par les élus. Le système français
de démocratie représentative constitue un cadre contraignant auquel
il est difficile (impossible ?) d’échapper. Les décisions
quotidiennes sont prises par les élus, au sein du Comité de
Pilotage pour garantir une certaine transparence, mais sans
consultation possible des habitants. La disponibilité nécessaire
s’accorde peu avec notre société chronophage.
Avec
le système des commissions thématiques définissant chacune 3
projets par semestre, la municipalité doit ainsi suivre la mise en
œuvre d’une quarantaine de projets par an. Le foisonnement d’idées
citoyennes trouve une légitimité et une mise en œuvre qui sont
encourageantes. Mais cela représente un temps d’investissement de
la part des élus très conséquent, au risque de les épuiser. Il
est donc nécessaire que ceux-ci partagent leur rôle avec des
habitants, et non pas seulement entre élus. Partant du même
constat, c’est d’ailleurs l’orientation qui a été décidée
par la municipalité suite à un week-end de réflexion collective
organisé en septembre par le Conseil des Sages.
Par
ailleurs, le pouvoir de la municipalité reste limité par
l’intercommunalité, gérant de nombreuses compétences.
Ce
qui pose la question de l’isolement de la commune dans sa démarche,
et de la nécessité d’essaimage, pour que la transformation de nos
habitudes politiques puisse avoir une réelle mise en œuvre.
Pour
finir, le dernier point qui nécessite une réserve est celui de la
participation ‘faible’ et ciblée des habitants : s’il
convient de se réjouir qu’un quart des habitants puisse être
associé aux décisions municipales, force est de constater que les
habitants qui n’étaient pas convaincus par ce système lors des
élections ne le sont toujours pas. Or la démocratie, c’est bien
de favoriser l’expression de tous.
Parallèlement
à la poursuite de la mise en pratique, nécessairement longue, d’une
méthode participative et collégiale, la municipalité – appuyée
par le Conseil des Sages – doit aujourd’hui porter sa réflexion
sur les moyens de mobilisation des habitants qui ne se sentent pour
l’instant pas concernés ni convaincus par le projet municipal.
C’est cette participation qui marquerait une victoire
démocratique !
Le
projet aujourd’hui mis en place par la municipalité de Saillans,
quelles qu’en soient ses limites et ses imperfections, a tout
d’abord le mérite d’exister ! Il constitue un véritable
outil politique de réappropriation de l’espace public, de gestion
collective, de valorisation des projets et compétences citoyens.
Quel
que soit son avenir, sur la suite de la mandature et lors de
prochaines élections, il aura été un moment d’effervescence
démocratique, de partage, de participation, pour les nombreux
habitants impliqués, et au-delà un ‘exemple’ mobilisateur pour
de nombreux citoyens.
Article sollicité pour le site de l'association pour l'Autogestion.
http://www.autogestion.asso.fr/?p=5545
*
Alixe Poncelin réside à Saillans, elle est syndicaliste, secrétaire
de Solidaires Ardèche/Drôme
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