M. Colloghan

samedi 20 février 2016

Construire le Buen Vivir-Sumak Kawsay



Par Alberto Acosta *
(Traduction Richard Neuville) 

En partant d’une critique rénovée de l’idée de développement, l’Amérique latine a engagé un processus intéressant pour renouer avec ses origines. D’un coté, elle maintient et récupère une tradition historique de critiques et de questionnements sur le développement, mais élaborés et présentés depuis longtemps, ces réflexions n’ont pas été actualisées et ont été menacées par l’oubli. De l’autre, de nouvelles conceptions émergent, elles émanent des peuples autochtones et des nationalités ancestrales de l’Abya Yala et se complètent avec des apports provenant d’autres régions de la Terre.


Alors qu’une bonne partie des postures conventionnelles sur le développement, auxquelles n’échappent pas certains courants critiques, se meuvent dans les savoirs occidentaux propres à la Modernité, les propositions latino-américaines récentes échappent à ses limites.

En effet, ces propositions récupèrent des postures clés ancrées dans les connaissances et les savoirs des peuples et des nationalités ancestrales. Ses expressions les plus connues nous renvoient aux constitutions de l’Équateur (2008) et de Bolivie (2009) ; dans le premier cas, c’est le Buen Vivir ou Sumak Kawsay (en quechua), et dans le second, en particulier le Vivir Bien (Bien vivre) ou Suma Qamaña (en aymara) mais également Sumak Kawsay (en quechua). Il existe des notions similaires (même si elles ne sont pas identiques) chez d’autres peuples indigènes comme les Mapuche (Chili), les Guaranís de Bolivie et Paraguay, les Kunas (Panama), les Achuar (Amazonie équatorienne), mais également dans la tradition Maya (Guatemala), au Chiapas (México).

Au-delà des visions de l’Abya-Yala (l’Amérique d'aujourd’hui), il existe des similitudes aux pensées philosophiques à partir de visions humanistes et non utilitaristes dans d’autres endroits de la planète qui, d'une certaine manière, s’apparentent à la recherche du Buen vivir.

Le Sumak Kawsay ou Buen Vivir, en tant que culture de la vie, a été connu et pratiqué au cours de différentes périodes dans diverses régions de la Terre-Mère sous différents noms et variétés : l’Ubuntu en Afrique ou le Svadeshi, le Swaraj et l’Apargrama en Inde. On pourrait également récupérer quelques éléments de la "bonne vie" d'Aristote, bien qu'il soit plutôt considéré comme un des piliers de la civilisation occidentale controversée, dans cet effort collectif pour reconstruire / construire un casse-tête d'éléments constitutifs de nouvelles formes d'organisation de la vie.

Le Buen Vivir ne constitue donc pas une originalité, ni une nouveauté des processus politiques du XXIe siècle dans les pays andins. Les peuples et les nationalités ancestrales de l’Abya-Yala ne sont pas non plus les uniques porteurs de ces propositions. Le Buen Vivir appartient à une longue recherche d’alternatives de vie qui a pris forme dans les luttes pour l’émancipation et la vie de l’Humanité.


Une proposition émanant de la périphérie du monde

Le Buen Vivir, en tant qu'ensemble de pratiques de vie -plusieurs d'entre elles résultant de la résistance à la longue nuit coloniale et ses séquelles encore présentes- reste un mode de vie dans diverses communautés indigènes, qui n'ont pas été totalement absorbées par la modernité capitaliste ou qui sont parvenues à se maintenir à la marge. Leurs savoirs communautaires, c'est l'essentiel, constituent la base pour imaginer et pour penser des mondes différents en tant que chemin pour le transformer.

Ce sera donc toujours un problème de vérifier ce qu’est et ce que représente un savoir ancestral quand probablement ce qui est présenté comme tel ne l’est pas réellement et qu’il n’existe pas non plus de moyens de le corroborer. Les cultures sont tellement hétérogènes que cela peut paraître injuste de parler de "notre" culture et prétendre que ce qui se dit est correct. De plus, l’histoire de l’Humanité est l’histoire des échanges culturels et cela s’applique également aux communautés originaires américaines. Il est donc impératif de récupérer les pratiques et les modes de vie des communautés indigènes, en les considérant comme tels, sans pour autant les idéaliser.

D’une certaine manière, le plus remarquable et profond de ces propositions alternatives est qu’elles surgissent de groupes traditionnellement marginalisés. Elles invitent à rompre avec plusieurs concepts considérés comme indiscutables et à questionner la structure homogène et totalisante du capitalisme. Elles sont les voix des autres, qui à partir de l’altérité demandent la construction du Buen Vivir et la reconnaissance de leur capacité de proposition. Ce sont des voix qui commencent à être reprises dans d’autres endroits de la planète. Autant que cela paraisse curieux et que cela ne puisse pas nécessairement être vue comme une réplique du Buen Vivir andin-amazonien, il convient de relever, que dans le but de réfléchir sur la nécessité d’un autre style de vie, le maire de la ville de Cologne (Köln) a décidé de célébrer une journée annuelle du « Buen Vivir » (en reprenant le terme en espagnol.

Ce qui importe à ce niveau, c’est de reconnaître qu’il existe sur ces terres américaines et sous d’autres latitudes des mémoires, des expériences et des pratiques de sujets communautaires qui ont des styles de vie qui ne sont pas inspirés par le concept traditionnel de développement et de progrès, dans le sens d’une accumulation illimitée et permanente de richesses.

Une alternative au développement

En émergeant de racines communautaires non capitalistes, le Buen Vivir projette une vision du monde différente de la construction occidentale de civilisation hégémonique. Il rompt également avec les logiques anthropocentriques du capitalisme en tant que civilisation dominante ainsi que tous les socialismes « réels » existants pour le moment et leurs contradictions intrinsèques.

La proposition du développement, surgie de la logique du progrès de la civilisation occidentale établit une série complexe de dichotomies de domination : développé / sous-développé, avancé / attardé, supérieur / inférieur, centre / périphérie, premier monde / tiers-monde… Ainsi, la dichotomie ancestrale sauvage / civilisé a acquis une nouvelle force qui s’est introduite de manière violente dans notre Abya-Yala lors de la conquête européenne il y a cinq siècles. Dès lors, un processus brutal de conquête et de colonisation a été inauguré, qui reste en vigueur dans toutes les républiques latino-américaines du XXIe siècle.

La structure dominante de la civilisation actuelle s'est concrétisée dans ce contexte de projections globales. L’institutionnalisation de la dichotomie supérieur / inférieur a impliqué l’émergence d’expressions multiples de colonialité pour justifier et légitimer l’inégalité : la « colonialité du pouvoir » s’exprime dans le maintien de relations de domination Nord / Sud ; la « colonialité du savoir » qui impose la connaissance occidentale en homogénéisant et en prétendant annuler les savoirs populaires ; la colonialité de l’être qui annihile l’altérité et la différence des minorités et la colonialité de l’avoir (la possession) qui prétend réduire le Buen Vivir en termes de consommation, et en ce sens celui qui possède le plus se croit supérieur.

En tant que point fondamental dans l'agenda de la Modernité et de l'Illustration, ces modèles de colonialité, toujours en vigueur de nos jours, ne sont pas un souvenir du passé mais ils s'expliquent par l'actuelle organisation du monde dans son ensemble.

Concrètement, les sociétés ont été et continuent à être réordonnées pour s'adapter au « développement » sur l'ensemble de la planète. Le développement s’est transformé en destin commun de l'Humanité comme une obligation non-négociable. Pour y parvenir, on a accepté la destruction sociale et écologique que provoquent les formes d’extractivisme, d'accumulation héritées des colonies, comme l'exploitation minière à grande échelle, bien que celles-ci accentuent la dépendance aux marchés extérieurs et au grand capital transnational.

Quand les problèmes ont commencé à miner notre foi dans le développement, nous avons commencé à chercher des alternatives de développement, nous avons utilisé différents qualificatifs pour le différencier de ce qui nous incommodait mais nous avons poursuivi sur la même voie : développement économique, développement social, développement soutenable ou durable, écodéveloppement, développement à échelle humaine, développement local, développement endogène, développement avec équité de genre, co-développement, développement transformateur... développement sans limite… avant de comprendre que le problème résidait dans le développement.

Le Buen Vivir dévoile les erreurs et les limitations des diverses théories dudit développement. Il critique le concept de développement, devenu une entité qui norme et régit la vie d'une grande partie de l'Humanité, qui n’est même pas en mesure d’atteindre ce développement si convoité. Alors que, de leur coté, les pays considérés comme développés montrent de plus en plus de signes de leur mal-développement. Et ce dans un monde où les brèches qui séparent les riches des pauvres s’élargissent de manière permanente, y compris dans les pays industrialisés.

Rappelons pour affiner ces réflexions que pour certains savoirs indigènes, il n'existe pas d’analogie à celle du développement, ce qui conduit dans bien des cas à exclure cette idée. La conception d'un processus linéaire de vie qui établit un état antérieur et postérieur, un savoir, un sous-développement et un développement n'existe pas ; tout comme la dichotomie par laquelle doivent transiter les personnes pour atteindre le bien-être, comme cela se passe dans le monde occidental. Il n'existe pas non plus de concepts de richesse et de pauvreté déterminés par l'accumulation et la carence de biens matériels.

Le Buen Vivir apparaît donc, comme une catégorie en constante construction et reproduction.  En tant qu’approche globale, il est important de comprendre la diversité des éléments auxquels sont conditionnés les actions humaines qui contribuent au Bien Vivir, comme la connaissance, les codes de conduite éthique et spirituelle dans la relation avec autrui, les valeurs humaines, la vision de l'avenir, entres autres. En définitive, le Buen Vivir constitue une catégorie centrale de la philosophie de la vie des sociétés indigènes.

Si nous acceptons que le Buen Vivir est différent du développement, il ne s’agit pas d’appliquer un ensemble de politiques, d’instruments, d’indicateurs pour sortir du « sous-développement » et atteindre la condition désirée du « développement », qui est une tâche inutile pour les autres. Après cinq siècles d’horreur et d’erreurs commises au nom du progrès -et du développement au cours des six dernières décennies-, il est clair que le but n’est pas d’accepter l’une ou l’autre voie. Les chemins vers le développement ne sont le problème majeur, la difficulté réside dans le concept même de développement.

Le monde vit un “mal développement” généralisé, qui n’épargne pas les pays considérés comme industrialisés, c’est-à-dire ceux dont le style de vie devait servir de référence. De plus, ces pays sont les principaux responsables du changement climatique à un niveau global. Pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, la production de déchets –produit de toute transformation de l’énergie et de la matière- a dépassé la capacité d’assimilation et de recyclage de la Terre, de même la vitesse d’extraction des matières premières a commencé à être très supérieure au temps de production, menaçant ainsi la reproduction de la vie. Ce désastre environnemental démontre que les relations entre la société capitaliste et la nature sont malades, et que le fonctionnement du système mondial contemporain est révélateur du « mal-développement ».

Il est donc urgent d’en finir avec le concept traditionnel de progrès, en tant qu’option unique, compte tenu de sa dérive productiviste et « développementiste », et notamment dans sa vision mécaniciste de croissance économique, sans exclure ses multiples synonymes. Mais il ne s’agit pas seulement de les dissoudre, il faut recourir à une vision différente, beaucoup plus riche en termes de contenus et de difficultés. Maintenant, y compris dans les pays du Nord, de plus en plus de personnes désenchantées et indignées travaillent déjà pour la décroissance et cherchent d’autres options de vie qui explorent une rencontre nouvelle de l’être humain avec la nature. Ainsi, diverses optiques (écologisme populaire, marxisme, féminisme, etc.) convergent actuellement pour proposer de dépasser le capitalisme, elles sont issues des opprimés et se renforcent dans une perspective inclusive.

Vers un retour à la nature

Le Buen Vivir repose sur le dépassement de deux dichotomies aiguisées pernicieusement par la modernité avec, d'un côté, la domination de l'être humain sur la Nature et, de l'autre, l'exploitation entre les êtres humains : Nord / Sud, ville / campagne, et en particulier celle de groupes hégémoniques sur la majorité des exploités.

Plutôt que de maintenir la séparation entre la Nature et les êtres humains, plutôt que de soutenir une civilisation qui met la vie en danger, la tâche implique d’organiser leur rencontre. Il est nécessaire de dépasser la civilisation capitaliste, par essence dévastatrice et assurément intolérable et insoutenable, qui « étouffe la vie et le monde de la vie », pour reprendre les mots du grand philosophe équatorien Bolívar Echeverría. Pour y parvenir, il faudra passer de l’actuel anthropocentrisme au (socio)bio-centrisme. Avec son postulat d’harmonie avec la nature, avec son opposition au concept d’accumulation perpétuelle, avec son retour aux valeurs d’usage, le Buen Vivir ouvre une perspective pour formuler des visions alternatives de vie.
       
La satisfaction de cette transformation civilisatrice méga historique exige de profonds changements. L’arrêt du mercantilisme de la nature constitue un des premiers pas indispensables. Pour synthétiser, le Bien Vivre se sépare des idées occidentales conventionnelles du progrès et vise d’autres conceptions de la vie, en accordant une attention particulière à la nature et à une vie digne pour tous les habitants de la planète.

Le Buen Vivir, un défi démocratique

Pour autant, il est évident que le Buen Vivir est un concept pluriel (il serait préférable de parler de « bons modes de vie » (buenos vivires) ou de « bons modes de vie partagés» (buenos convivires), directement issu des communautés indigènes, sans pour autant nier les avantages technologiques du monde moderne ou des apports possibles d’autres cultures et savoirs qui interrogent différents présupposés de la modernité dominante. Le respect de la souveraineté des peuples, pour ses définitions productives, reproductives et pour sa construction territoriale permettrait des espaces d’échange et d’interrelation horizontale qui romprait finalement avec les expressions héritées de la colonialité.

Nous n’oublions pas que l’humanité affronte de grands défis. Le sacrifice de la nature et du travail humain, au nom de l’expansion planétaire du capitalisme, anéantit de plus en plus la vie. Ce devenir destructeur reproduit en lui-même de nouvelles violences structurelles, comme les guerres, les migrations contraintes, le narcotrafic… Et ceci renforce un processus de régression politique qui conduit à des formes d’organisation de la société de plus en plus totalitaires. Affronter cette réalité, chargée d’incertitudes, est le compromis à assumer. Il y a urgence à donner du sens à la lutte contre cette barbarie, comme l’évoquait déjà Rosa Luxemburg.

En conclusion, cette tâche complexe implique d’apprendre en désapprenant, d’apprendre et réapprendre en même temps. Une tâche qui exigera de plus en plus de démocratie consensuelle, de plus en plus de participation et toujours plus de respect entre les cultures. Nul ne peut prétendre détenir la vérité.

* Alberto Acosta est un économiste équatorien, enseignant-chercheur à la Faculté latino-américaine de sciences sociales (Flacso). Ex-ministre de l’énergie et des mines, ex-président de l’Assemblée constituante et ex-candidat à la présidence de la République. Auteur notamment de Le Buen vivir (Utopia, 2014).

Initialement publié dans La Línea de Fuego – Pensamiento crítico, cet article a été révisé en septembre 2015 par l’auteur à notre demande et publié dans sa version originale (en castillan) dans l’Encyclopédie internationale de l’autogestion, Paris, Syllepse, 2015, p.122-129.

(Traduction de Richard Neuville, Association pour l’Autogestion)

CONSTRUIR EL BUEN VIVIR – SUMAK KAWSAY.
Alberto Acosta
13 de septiembre del 2015

América Latina, a partir de una renovada crítica a la idea del desarrollo, se encuentra en un interesante proceso de reencuentro con sus orígenes. Por un lado, se mantiene y se recupera una tradición histórica de críticas y cuestionamientos al desarrollo elaborados y presentados hace tiempo atrás, pero que quedaron rezagados y amenazados de olvido. Por otro lado, afloran nuevas concepciones, sobre todo originarias de los pueblos y nacionalidades ancestrales del Abya Yala, que se complementan con aportes provenientes de otras regiones de la Tierra.
Mientras buena parte de las posturas convencionales sobre el desarrollo e incluso muchas de las corrientes críticas se desenvuelven dentro de los saberes occidentales propios de la Modernidad, las propuestas latinoamericanas recientes escapan a esos límites.
En efecto, estas propuestas recuperan posturas clave ancladas en los conocimientos y saberes propios de los pueblos y nacionalidades ancestrales. Sus expresiones más conocidas nos remiten a las constituciones de Ecuador (2008) y Bolivia (2009); en el primer caso es el Buen Vivir o Sumak Kawsay (en kichwa), y en el segundo, en particular el Vivir Bien o Suma Qamaña (en aymara) y también Sumak Kawsay (en quechua). Existen nociones similares (mas no idénticas) en otros pueblos indígenas, como los Mapuche (Chile), los Guaranís de Bolivia y Paraguay, los Kunas (Panamá), los Achuar (Amazonía ecuatoriana), pero también en la tradición Maya (Guatemala), en Chiapas (México), entre otros.
Además de estas visiones del Abya-Yala (América, en la actualidad), existen, en otras muchas partes del planeta, aproximaciones a pensamientos filosóficos de alguna manera emparentados con la búsqueda del Buen Vivir desde visiones humanistas y no utilitaristas.
El Sumak Kawsay o Buen Vivir, en tanto cultura de la vida, con diversos nombres y variedades, ha sido conocido y practicado en diferentes períodos en las distintas regiones de la Madre Tierra: el Ubuntu en África o el Svadeshi, el Swaraj y el Apargrama en la India. Aunque se le puede considerar como uno de los pilares de la cuestionada civilización occidental, en este esfuerzo colectivo por reconstruir/construir un rompecabezas de elementos sustentadores de nuevas formas de organizar la vida, se podrían recuperar incluso algunos elementos de  la “vida buena” de Aristóteles.
El Buen Vivir, entonces, no es una originalidad ni una novelería de los procesos políticos de inicios del siglo XXI en los países andinos. Tampoco son los pueblos y nacionalidades ancestrales del Abya-Yala los únicos portadores de estas propuestas. El Buen Vivir forma parte de una larga búsqueda de alternativas de vida fraguadas en el calor de las luchas de la Humanidad por la emancipación y la vida.

Una propuesta desde la periferia del mundo

El Buen Vivir, en tanto sumatoria de prácticas vivenciales, muchas de ellas de resistencia a la realmente larga noche colonial y sus secuelas todavía vigentes, es aún un modo de vida en diversas comunidades indígenas, que no han sido totalmente absorbidas por la modernidad capitalista o que han resuelto mantenerse al margen de ella. Sus saberes comunitarios, esto es lo que cuenta, constituyen la base para imaginar y pensar mundos diferentes en tanto camino para cambiar éste.
De todas maneras, siempre será un problema comprobar lo que es y lo que representa un saber ancestral cuando probablemente lo que se presenta como tal no es realmente ancestral, ni hay modo de corroborarlo. Las culturas son tan heterogéneas en su interior que puede resultar injusto hablar de “nuestra” cultura como prueba de que lo que uno dice es correcto. Además, la historia de la Humanidad es la historia de los intercambios culturales y eso también se aplica a las comunidades originarias americanas. Es imperioso, de todos modos, recuperar las prácticas y vivencias de las comunidades indígenas, asumiéndolas tal como son, sin llegar a idealizarlas.
Lo destacable y profundo de estas propuestas alternativas, de todas formas, es que surgen desde grupos tradicionalmente marginados. Son propuestas que invitan a romper de raíz con varios conceptos asumidos como indiscutibles y a cuestionar la estructura homogenizante y totalizadora del capitalismo. Son las voces de los otros y las otras, que desde la alteridad demandan la construcción del Buen Vivir y el reconocimiento de su capacidad de propuesta. Son voces que comienzan a ser replicadas en otros lugares del planeta. Aunque resulte curioso y que no necesariamente pueda ser vista como una réplica del Buen Vivir andino-amazónico, vale anotar el hecho de que el alcalde de la ciudad de Colonia (Köln) haya declarado un día al año, como el día del “buen vivir” (así, en español), para reflexionar sobre la necesidad de otro estilo de vida.
        Lo que cuenta en este punto es reconocer que en estas tierras americanas y en otras latitudes existen memorias, experiencias y prácticas de sujetos comunitarios que ejercitan estilos de vida no inspirados en el tradicional concepto del desarrollo y del progreso, entendido este como la acumulación ilimitada y permanente de riquezas. Es imperioso, entonces, impulsar la recuperación de dichas prácticas y vivencias de las comunidades indígenas, asumiéndolas tal como son, sin llegar a idealizarlas.

Una alternativa al desarrollo

El Buen Vivir, al surgir de raíces comunitarias no capitalistas, plantea una cosmovisión diferente a la construcción occidental de civilización hegemónica. Rompe por igual con las lógicas antropocéntricas del capitalismo en tanto civilización dominante así como con los diversos socialismos “reales” existentes hasta ahora y sus contradicciones intrínsecas.
La propuesta del desarrollo, surgida desde la lógica del progreso civilizatorio de occidente estableció una compleja serie de dicotomías de dominación: desarrollado-subdesarrollado, avanzado-atrasado, superior-inferior, centro-periferia, primer mundo-tercer mundo… Así cobró nueva fuerza la ancestral dicotomía salvaje-civilizado, que se introdujo de manera violenta hace más de cinco siglos en nuestra Abya-Yala con la conquista europea. Desde entonces se inauguró un proceso brutal de conquista y colonización, vigente todavía en todas las repúblicas latinoamericanas del siglo XXI.
En ese contexto de proyecciones globales se plasma la estructura dominante de la actual civilización. La institucionalización de la dicotomía superior-inferior implicó la emergencia de expresiones múltiples de colonialidad como formas de justificar y legitimar la desigualdad. La colonialidad del poder expresada en el mantenimiento de relaciones de dominación norte-sur, la colonialidad del saber que impone el conocimiento occidental homogenizante pretendiendo anular los saberes populares, la colonialidad del ser que silencia la alteridad y la otredad de las minorías, y la colonialidad del tener que pretende reducir el Buen Vivir a términos de consumo, y en ese sentido se cree superior a quien más tiene.
Dichos patrones de colonialidad, vigentes hasta nuestros días, no son sólo un recuerdo del pasado sino que explican la actual organización del mundo en su conjunto, en tanto punto fundamental en la agenda de la Modernidad y de la Ilustración.
En concreto, a lo largo y ancho del planeta, las sociedades fueron y continúan siendo reordenadas para adaptarse al “desarrollo”. El desarrollo se transformó en el destino común de la Humanidad, una obligación innegociable. Para conseguirlo, por ejemplo, se acepta la destrucción social y ecológica que provocan aquellas modalidades extractivistas de acumulación heredadas desde la colonia, como la megaminería, a pesar de que ésta ahonda y profundiza la dependencia del mercado exterior y del gran capital transnacional.
Cuando los problemas comenzaron a minar nuestra fe en el desarrollo, empezamos a buscar alternativas de desarrollo, le pusimos apellidos para diferenciarlo de lo que nos incomodaba, pero seguimos por la misma la senda: desarrollo económico, desarrollo social, desarrollo local, desarrollo rural, desarrollo sostenible o sustentable, ecodesarrollo, desarrollo a escala humana, desarrollo local, desarrollo endógeno, desarrollo con equidad de género, codesarrollo, desarrollo transformador… desarrollo al fin y al cabo… Hasta que se llegó a entender que el problema radica en el desarrollo.
El Buen Vivir desnuda los errores y las limitaciones de las diversas teorías del llamado desarrollo. Critica el concepto de desarrollo transformado en una entelequia que norma y rige la vida de gran parte de la Humanidad, a la que perversamente le es imposible alcanzar ese tan ansiado desarrollo. Mientras que, por otro lado, aquellos países se asumen como desarrollados muestran cada vez más señales de su maldesarrollo. Y eso en un mundo, en donde, por lo demás, las brechas que separan a los ricos de los pobres, incluso en países industrializados, se ensanchan permanentemente.
Recordemos, para redondear estas reflexiones, que bajo algunos saberes indígenas no existe una idea análoga a la de desarrollo, lo que lleva a que en muchos casos se rechace esa idea. No existe la concepción de un proceso lineal de la vida que establezca un estado anterior y posterior, a saber, de subdesarrollo y desarrollo; dicotomía por la que deben transitar las personas para la consecución del bienestar, como ocurre en el mundo occidental. Tampoco existen conceptos de riqueza y pobreza determinados por la acumulación y la carencia de bienes materiales.
El Buen Vivir asoma, entonces, como una categoría en permanente construcción y reproducción. En tanto planteamiento holístico, es preciso comprender la diversidad de elementos a los que están condicionadas las acciones humanas que propician Buen Vivir, como son el conocimiento, los códigos de conducta ética y espiritual en la relación con el entorno, los valores humanos, la visión de futuro, entre otros. El Buen Vivir, en definitiva, constituye una categoría central de la filosofía de la vida de las sociedades indígenas.
Si aceptamos que el Buen Vivir es algo diferente al desarrollo, no se trata de aplicar un conjunto de políticas, instrumentos e indicadores para salir del “subdesarrollo” y llegar a aquella deseada condición del “desarrollo”. Una tarea por lo demás inútil.
Luego de cinco siglos de horrores y errores cometidos en nombre del progreso -y del desarrollo en las últimas seis décadas-, queda claro que el tema no es el de simplemente aceptar una u otra senda. Los caminos hacia el desarrollo no son el problema mayor. La dificultad radica en el concepto mismo del desarrollo.
El mundo vive un “mal desarrollo” generalizado, incluyendo los considerados países industrializados, es decir aquellos cuyo estilo de vida debía servir como faro referencial. Esos países, además, son los principales causantes de los cambios climáticos a nivel global. Por primera vez en la historia de la Humanidad la producción de residuos -producto de toda transformación de la energía y la materia- superó la capacidad de asimilación y reciclaje de la Tierra y la velocidad en la extracción de recursos comenzó a ser muy superior al tiempo de producción poniendo en riesgo la reproducción de la vida. Este colapso ambiental devela que las relaciones entre la sociedad capitalista y la Naturaleza están enfermas, y que el funcionamiento del sistema mundial contemporáneo es “maldesarrollador”.
En suma, es urgente disolver el tradicional concepto del progreso en su deriva productivista y del desarrollo en tanto dirección única, sobre todo en su visión mecanicista de crecimiento económico, así como sus múltiples sinónimos. Pero no solo se trata de disolverlos, se requiere una visión diferente, mucho más rica en contenidos y en dificultades. Ahora, incluso en los países del norte, cada vez más personas desencantadas e indignadas, ya trabajan por el decrecimiento y buscan otras opciones de vida que propendan al reencuentro del ser humano con la Naturaleza. Así, en la nuestra época convergen varias visiones que proponen superar el capitalismo (ecologismo popular, marxismo, feminismo, etc.), surgidas también desde los oprimidos, y que se refuerzan con esta perspectiva incluyente.

Hacia un reencuentro con la Naturaleza

El Buen Vivir se funda en la superación de dos dicotomías perversamente agudizadas por la modernidad, por un lado la dominación del ser humano sobre la Naturaleza y por otro, la explotación entre seres humanos: norte-sur, ciudad-campo, y en general de los grupos hegemónicos por sobre las mayorías de explotados.
En lugar de mantener el divorcio entre la Naturaleza y los seres humanos, en lugar de sostener una civilización que pone en riesgo la vida, la tarea pasa por propiciar su reencuentro. Hay que superar la civilización capitalista, en esencia depredadora y por cierto intolerable e insostenible, que “vive de sofocar a la vida y al mundo de la vida”, para ponerlo en palabras del gran filósofo ecuatoriano Bolívar Echeverría. Para lograrlo habrá que transitar del actual antropocentrismo al (socio)biocentrismo. Con su postulación de armonía con la Naturaleza, con su oposición al concepto de acumulación perpetua, con su regreso a valores de uso, en este sentido, el Buen Vivir abre la puerta para formular visiones alternativas de vida.
        El logro de esta transformación civilizatoria megahistórica, exige profundos cambios. La desmercantilización de la Naturaleza se perfila como uno de los indispensables primeros pasos. En síntesis, el Buen Vivir se aparta de las ideas occidentales convencionales del progreso, y apunta hacia otras concepciones de la vida, otorgando una especial atención a la Naturaleza y la vida digna de todos los habitantes del planeta.

El Buen Vivir un reto democrático

Queda en claro, por lo tanto, que el Buen Vivir es un concepto plural (mejor sería hablar de “buenos vivires” o “buenos convivires”) que surge especialmente de las comunidades indígenas, sin negar las ventajas tecnológicas del mundo moderno o posibles aportes desde otras culturas y saberes que cuestionan distintos presupuestos de la modernidad dominante. El respeto por la soberanía de los pueblos, por sus definiciones productivas, reproductivas y por su construcción territorial permitirá espacios de intercambio e interrelación horizontal que rompa finalmente con las expresiones de colonialidad heredadas.
No nos olvidemos que la Humanidad enfrenta grandes retos. El sacrificio de la Naturaleza y del trabajo humano, en aras de la expansión planetaria del capitalismo, ahogan cada vez más la vida. Dicho devenir destructor reproduce en sí mismo nuevas violencias estructurales, como son las guerras, las migraciones forzadas, el narcotráfico... Y esto consolida un proceso de regresión política que conduce a formas cada vez más totalitarias de organización de la sociedad. Enfrentar esta realidad, cargada de incertidumbres, es el compromiso a ser asumido. Urge dar sentido democrático a la lucha en contra de esta barbarie, de la cual ya nos advirtió Rosa Luxemburg.
En síntesis, esta compleja tarea implica aprender desaprendiendo, aprender y reaprender al mismo tiempo. Una tarea que exigirá cada vez más democracia consensual, cada vez más participación y siempre  mucho respeto entre todas las culturas. Nadie puede asumirse como propietario de la verdad.

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