Par Alberto Acosta *
(Traduction Richard Neuville)
En partant d’une critique rénovée de l’idée de
développement, l’Amérique latine a engagé un processus intéressant pour renouer
avec ses origines. D’un coté, elle maintient et récupère une tradition historique
de critiques et de questionnements sur le développement, mais élaborés et présentés
depuis longtemps, ces réflexions n’ont pas été actualisées et ont été menacées
par l’oubli. De l’autre, de nouvelles conceptions émergent, elles émanent des
peuples autochtones et des nationalités ancestrales de l’Abya Yala et se
complètent avec des apports provenant d’autres régions de la Terre.
Alors qu’une bonne partie des postures
conventionnelles sur le développement, auxquelles n’échappent pas certains
courants critiques, se meuvent dans les savoirs occidentaux propres à la
Modernité, les propositions latino-américaines récentes échappent à ses
limites.
En effet, ces propositions récupèrent des postures
clés ancrées dans les connaissances et les savoirs des peuples et des
nationalités ancestrales. Ses expressions les plus connues nous renvoient aux
constitutions de l’Équateur (2008) et de Bolivie (2009) ; dans le premier
cas, c’est le Buen Vivir ou Sumak Kawsay (en quechua), et dans le second, en
particulier le Vivir Bien (Bien vivre) ou Suma Qamaña (en aymara) mais
également Sumak Kawsay (en quechua). Il existe des notions similaires (même si
elles ne sont pas identiques) chez d’autres peuples indigènes comme les Mapuche
(Chili), les Guaranís de Bolivie et Paraguay, les Kunas (Panama), les Achuar
(Amazonie équatorienne), mais également dans la tradition Maya (Guatemala), au
Chiapas (México).
Au-delà des visions de l’Abya-Yala (l’Amérique
d'aujourd’hui), il existe des similitudes aux pensées philosophiques à partir
de visions humanistes et non utilitaristes dans d’autres endroits de la planète
qui, d'une certaine manière, s’apparentent à la recherche du Buen vivir.
Le Sumak Kawsay ou Buen Vivir, en tant que culture
de la vie, a été connu et pratiqué au cours de différentes périodes dans
diverses régions de la Terre-Mère sous différents noms et variétés : l’Ubuntu en Afrique ou le Svadeshi, le Swaraj et l’Apargrama en
Inde. On pourrait également récupérer quelques éléments de la "bonne
vie" d'Aristote, bien qu'il soit plutôt considéré comme un des piliers de
la civilisation occidentale controversée, dans cet effort collectif pour
reconstruire / construire un casse-tête d'éléments constitutifs de nouvelles
formes d'organisation de la vie.
Le Buen Vivir ne constitue donc pas une
originalité, ni une nouveauté des processus politiques du XXIe siècle dans les
pays andins. Les peuples et les nationalités ancestrales de l’Abya-Yala ne sont
pas non plus les uniques porteurs de ces propositions. Le Buen Vivir appartient
à une longue recherche d’alternatives de vie qui a pris forme dans les luttes pour
l’émancipation et la vie de l’Humanité.
Une proposition émanant
de la périphérie du monde
Le Buen Vivir, en tant qu'ensemble de pratiques de vie
-plusieurs d'entre elles résultant de la résistance à la longue nuit coloniale
et ses séquelles encore présentes- reste un mode de vie dans diverses
communautés indigènes, qui n'ont pas été totalement absorbées par la modernité
capitaliste ou qui sont parvenues à se maintenir à la marge. Leurs savoirs
communautaires, c'est l'essentiel, constituent la base pour imaginer et pour
penser des mondes différents en tant que chemin pour le transformer.
Ce sera donc toujours un problème de vérifier ce qu’est
et ce que représente un savoir ancestral quand probablement ce qui est présenté
comme tel ne l’est pas réellement et qu’il n’existe pas non plus de moyens de
le corroborer. Les cultures sont tellement hétérogènes que
cela peut paraître injuste de parler de "notre" culture et prétendre
que ce qui se dit est correct. De plus, l’histoire de l’Humanité est l’histoire des
échanges culturels et cela s’applique également aux communautés originaires
américaines. Il est donc impératif de récupérer les pratiques et les modes de
vie des communautés indigènes, en les considérant comme tels, sans pour autant les
idéaliser.
D’une certaine manière, le plus remarquable et
profond de ces propositions alternatives est qu’elles surgissent de groupes
traditionnellement marginalisés. Elles invitent à rompre avec plusieurs
concepts considérés comme indiscutables et à questionner la structure homogène
et totalisante du capitalisme. Elles sont les voix des autres, qui à partir de
l’altérité demandent la construction du Buen Vivir et la reconnaissance de leur
capacité de proposition. Ce sont des voix qui commencent à être reprises dans
d’autres endroits de la planète. Autant que cela paraisse curieux et que cela
ne puisse pas nécessairement être vue comme une réplique du Buen Vivir andin-amazonien,
il convient de relever, que dans le but de réfléchir sur la nécessité d’un
autre style de vie, le maire de la ville de Cologne (Köln) a décidé de célébrer
une journée annuelle du « Buen Vivir » (en reprenant le terme en
espagnol.
Ce qui importe à ce niveau, c’est de reconnaître
qu’il existe sur ces terres américaines et sous d’autres latitudes des
mémoires, des expériences et des pratiques de sujets communautaires qui ont des
styles de vie qui ne sont pas inspirés par le concept traditionnel de
développement et de progrès, dans le sens d’une accumulation illimitée et
permanente de richesses.
Une alternative au
développement
En émergeant de racines communautaires non
capitalistes, le Buen Vivir projette une vision du monde différente de la
construction occidentale de civilisation hégémonique. Il rompt également avec
les logiques anthropocentriques du capitalisme en tant que civilisation
dominante ainsi que tous les socialismes « réels » existants pour le
moment et leurs contradictions intrinsèques.
La proposition du développement, surgie de la
logique du progrès de la civilisation occidentale établit une série complexe de
dichotomies de domination : développé / sous-développé, avancé / attardé,
supérieur / inférieur, centre / périphérie, premier monde / tiers-monde… Ainsi,
la dichotomie ancestrale sauvage / civilisé a acquis une nouvelle force qui
s’est introduite de manière violente dans notre Abya-Yala lors de la conquête
européenne il y a cinq siècles. Dès lors, un processus brutal de conquête et de
colonisation a été inauguré, qui reste en vigueur dans toutes les républiques
latino-américaines du XXIe siècle.
La structure dominante de la civilisation actuelle s'est
concrétisée dans ce contexte de projections globales. L’institutionnalisation
de la dichotomie supérieur / inférieur a impliqué l’émergence
d’expressions multiples de colonialité pour justifier et légitimer
l’inégalité : la « colonialité du pouvoir » s’exprime dans le
maintien de relations de domination Nord / Sud ; la « colonialité du
savoir » qui impose la connaissance occidentale
en homogénéisant et en prétendant annuler les savoirs populaires ; la
colonialité de l’être qui annihile l’altérité et la différence des minorités et
la colonialité de l’avoir (la possession) qui prétend réduire le Buen Vivir en
termes de consommation, et en ce sens celui qui possède le plus se croit
supérieur.
En tant que point fondamental dans l'agenda de la
Modernité et de l'Illustration, ces modèles de
colonialité, toujours en vigueur de nos jours, ne sont pas un souvenir du passé
mais ils s'expliquent par l'actuelle organisation du monde dans son ensemble.
Concrètement, les sociétés ont été et continuent à
être réordonnées pour s'adapter au « développement » sur l'ensemble
de la planète. Le développement s’est transformé en destin commun de l'Humanité
comme une obligation non-négociable. Pour y parvenir, on a accepté la
destruction sociale et écologique que provoquent les formes d’extractivisme,
d'accumulation héritées des colonies, comme l'exploitation minière à grande
échelle, bien que celles-ci accentuent la dépendance aux marchés extérieurs et
au grand capital transnational.
Quand les problèmes ont commencé à miner notre foi
dans le développement, nous avons commencé à chercher des alternatives de développement,
nous avons utilisé différents qualificatifs pour le différencier de ce qui nous
incommodait mais
nous avons poursuivi sur la même voie : développement économique, développement social,
développement soutenable ou durable, écodéveloppement, développement à échelle
humaine, développement local, développement endogène, développement avec équité
de genre, co-développement, développement transformateur... développement sans
limite… avant de comprendre que le problème résidait dans le développement.
Le Buen Vivir dévoile les erreurs et les
limitations des diverses théories dudit développement. Il critique le concept
de développement, devenu une entité qui norme et régit la vie d'une grande
partie de l'Humanité, qui n’est même pas en mesure d’atteindre ce développement si convoité. Alors que, de leur coté,
les pays considérés comme développés montrent de plus en plus de signes de leur
mal-développement. Et ce dans un monde où les brèches qui séparent les riches
des pauvres s’élargissent de manière permanente, y compris dans les pays
industrialisés.
Rappelons pour affiner ces réflexions que pour
certains savoirs indigènes, il n'existe pas d’analogie à celle du
développement, ce qui conduit dans bien des cas à exclure cette idée. La conception d'un processus linéaire de vie qui établit un
état antérieur et postérieur, un savoir, un sous-développement et un
développement n'existe pas ; tout comme la dichotomie par laquelle doivent
transiter les personnes pour atteindre le bien-être, comme cela se passe dans
le monde occidental. Il n'existe pas non plus de concepts de richesse et de
pauvreté déterminés par l'accumulation et la carence de biens matériels.
Le Buen Vivir apparaît donc,
comme une catégorie en constante construction et reproduction. En tant qu’approche
globale, il est important de comprendre la diversité des éléments
auxquels sont conditionnés les actions humaines qui
contribuent au Bien Vivir, comme la
connaissance, les codes de conduite éthique et spirituelle dans la relation
avec autrui, les valeurs humaines, la vision de l'avenir, entres autres. En
définitive, le Buen Vivir constitue une catégorie centrale de la philosophie de
la vie des sociétés indigènes.
Si nous acceptons que le Buen Vivir est différent du
développement, il ne s’agit pas d’appliquer un ensemble de politiques,
d’instruments, d’indicateurs pour sortir du « sous-développement » et
atteindre la condition désirée du « développement », qui est une
tâche inutile pour les autres. Après cinq siècles d’horreur et d’erreurs
commises au nom du progrès -et du développement au cours des six dernières
décennies-, il est clair que le but n’est pas d’accepter l’une ou l’autre voie.
Les chemins vers le développement ne sont le problème majeur, la difficulté
réside dans le concept même de développement.
Le monde vit un “mal développement” généralisé, qui
n’épargne pas les pays considérés comme industrialisés, c’est-à-dire ceux dont
le style de vie devait servir de référence. De plus, ces pays sont les
principaux responsables du
changement climatique à un niveau global. Pour la première fois dans l’histoire
de l’Humanité, la production de déchets –produit de toute transformation de
l’énergie et de la matière- a dépassé la capacité d’assimilation et de
recyclage de la Terre, de même la vitesse d’extraction des matières premières a
commencé à être très supérieure au temps de production, menaçant ainsi la
reproduction de la vie. Ce désastre environnemental démontre que les relations
entre la société capitaliste et la nature sont malades, et que le
fonctionnement du système mondial contemporain est révélateur du « mal-développement ».
Il est donc urgent d’en finir avec le
concept traditionnel de progrès, en tant qu’option unique, compte tenu de sa
dérive productiviste et « développementiste », et notamment dans sa
vision mécaniciste de croissance économique, sans exclure ses multiples
synonymes.
Mais il ne s’agit pas seulement de les dissoudre, il faut recourir à une vision
différente, beaucoup plus riche en termes de contenus et de difficultés.
Maintenant, y compris dans les pays du Nord, de plus en plus de personnes
désenchantées et indignées travaillent déjà pour la décroissance et cherchent
d’autres options de vie qui explorent une rencontre nouvelle de l’être humain
avec la nature. Ainsi,
diverses optiques (écologisme populaire, marxisme, féminisme, etc.) convergent
actuellement pour proposer de dépasser le capitalisme, elles sont issues des
opprimés et se renforcent dans une perspective inclusive.
Vers un retour à la
nature
Le Buen Vivir repose sur le dépassement
de deux dichotomies aiguisées pernicieusement par la modernité avec, d'un côté,
la domination de l'être humain sur la Nature et, de l'autre, l'exploitation
entre les êtres humains : Nord / Sud, ville / campagne, et en particulier celle
de groupes hégémoniques sur la majorité des exploités.
Plutôt que de maintenir la séparation
entre la Nature et les êtres humains, plutôt que de soutenir une civilisation
qui met la vie en danger, la tâche implique d’organiser leur rencontre. Il est
nécessaire de dépasser la civilisation capitaliste, par essence dévastatrice et
assurément intolérable et insoutenable, qui « étouffe la vie et le monde
de la vie », pour reprendre les mots du grand philosophe équatorien Bolívar Echeverría. Pour y parvenir, il faudra passer de l’actuel
anthropocentrisme au (socio)bio-centrisme. Avec son postulat d’harmonie avec la nature, avec son
opposition au concept d’accumulation perpétuelle, avec son retour aux valeurs
d’usage, le Buen Vivir ouvre une perspective pour formuler des visions alternatives
de vie.
La satisfaction de cette transformation
civilisatrice méga historique exige de profonds changements. L’arrêt du
mercantilisme de la nature constitue un des premiers pas indispensables. Pour
synthétiser, le Bien Vivre se sépare des idées occidentales conventionnelles du
progrès et vise d’autres conceptions de la vie, en accordant une attention
particulière à la nature et à une vie digne pour tous les habitants de la
planète.
Le Buen
Vivir, un défi démocratique
Pour autant, il est évident que le Buen
Vivir est un concept pluriel (il serait préférable de parler de « bons
modes de vie » (buenos vivires)
ou de « bons modes de vie partagés» (buenos
convivires), directement issu des communautés indigènes, sans pour autant nier
les avantages technologiques du monde moderne ou des apports possibles d’autres
cultures et savoirs qui interrogent différents présupposés de la modernité
dominante. Le respect de la souveraineté des peuples, pour ses définitions
productives, reproductives et pour sa construction territoriale permettrait des
espaces d’échange et d’interrelation horizontale qui romprait finalement avec
les expressions héritées de la colonialité.
Nous n’oublions pas que l’humanité
affronte de grands défis. Le sacrifice de la nature et du travail humain, au nom de
l’expansion planétaire du capitalisme, anéantit de plus en plus la vie. Ce
devenir destructeur reproduit en lui-même de nouvelles violences structurelles,
comme les guerres, les migrations contraintes, le narcotrafic… Et ceci renforce
un processus de régression politique qui conduit à des formes d’organisation de
la société de plus en plus totalitaires. Affronter cette réalité, chargée
d’incertitudes, est le compromis à assumer. Il y a urgence à donner du sens à
la lutte contre cette barbarie, comme l’évoquait déjà Rosa Luxemburg.
En conclusion, cette tâche complexe
implique d’apprendre en désapprenant, d’apprendre et réapprendre en même temps.
Une tâche qui exigera de plus en plus de démocratie consensuelle, de plus en
plus de participation et toujours plus de respect entre les cultures. Nul ne peut prétendre détenir la vérité.
* Alberto Acosta est un économiste équatorien,
enseignant-chercheur à la Faculté latino-américaine de sciences sociales
(Flacso). Ex-ministre de l’énergie et des mines, ex-président de l’Assemblée
constituante et ex-candidat à la présidence de la République. Auteur notamment
de Le Buen vivir (Utopia, 2014).
Initialement publié dans La Línea de Fuego – Pensamiento crítico, cet article a été révisé
en septembre 2015 par l’auteur à notre demande et publié dans sa version
originale (en castillan) dans l’Encyclopédie internationale de l’autogestion,
Paris, Syllepse, 2015, p.122-129.
(Traduction de Richard Neuville, Association pour
l’Autogestion)
CONSTRUIR EL BUEN
VIVIR – SUMAK KAWSAY.
Alberto Acosta
13 de septiembre del 2015
América Latina, a partir de una
renovada crítica a la idea del desarrollo, se encuentra en un interesante
proceso de reencuentro con sus orígenes. Por un lado, se mantiene y se recupera
una tradición histórica de críticas y cuestionamientos al desarrollo elaborados
y presentados hace tiempo atrás, pero que quedaron rezagados y amenazados de
olvido. Por otro lado, afloran nuevas concepciones, sobre todo originarias de
los pueblos y nacionalidades ancestrales del Abya Yala, que se complementan con
aportes provenientes de otras regiones de la Tierra.
Mientras buena parte de las posturas
convencionales sobre el desarrollo e incluso muchas de las corrientes críticas
se desenvuelven dentro de los saberes occidentales propios de la Modernidad,
las propuestas latinoamericanas recientes escapan a esos límites.
En efecto, estas propuestas recuperan
posturas clave ancladas en los conocimientos y saberes propios de los pueblos y
nacionalidades ancestrales. Sus expresiones más conocidas nos remiten a las
constituciones de Ecuador (2008) y Bolivia (2009); en el primer caso es el Buen
Vivir o Sumak Kawsay (en kichwa), y en el segundo, en particular el Vivir Bien
o Suma Qamaña (en aymara) y también Sumak Kawsay (en quechua). Existen nociones
similares (mas no idénticas) en otros pueblos indígenas, como los Mapuche
(Chile), los Guaranís de Bolivia y Paraguay, los Kunas (Panamá), los Achuar
(Amazonía ecuatoriana), pero también en la tradición Maya (Guatemala), en
Chiapas (México), entre otros.
Además de estas visiones del Abya-Yala
(América, en la actualidad), existen, en otras muchas partes del planeta,
aproximaciones a pensamientos filosóficos de alguna manera emparentados con la
búsqueda del Buen Vivir desde visiones humanistas y no utilitaristas.
El Sumak Kawsay o Buen Vivir, en
tanto cultura de la vida, con diversos nombres y variedades, ha sido conocido y
practicado en diferentes períodos en las distintas regiones de la Madre Tierra:
el Ubuntu en África o el Svadeshi, el Swaraj y el Apargrama
en la India. Aunque se le puede considerar como uno de los pilares de la
cuestionada civilización occidental, en este esfuerzo colectivo por
reconstruir/construir un rompecabezas de elementos sustentadores de nuevas
formas de organizar la vida, se podrían recuperar incluso algunos elementos
de la “vida buena” de Aristóteles.
El Buen Vivir, entonces, no es una
originalidad ni una novelería de los procesos políticos de inicios del siglo
XXI en los países andinos. Tampoco son los pueblos y nacionalidades ancestrales
del Abya-Yala los únicos portadores de estas propuestas. El Buen Vivir forma
parte de una larga búsqueda de alternativas de vida fraguadas en el calor de
las luchas de la Humanidad por la emancipación y la vida.
Una propuesta desde la periferia del mundo
El Buen Vivir, en tanto sumatoria de
prácticas vivenciales, muchas de ellas de resistencia a la realmente larga
noche colonial y sus secuelas todavía vigentes, es aún un modo de vida en
diversas comunidades indígenas, que no han sido totalmente absorbidas por la
modernidad capitalista o que han resuelto mantenerse al margen de ella. Sus
saberes comunitarios, esto es lo que cuenta, constituyen la base para imaginar
y pensar mundos diferentes en tanto camino para cambiar éste.
De todas maneras, siempre será un
problema comprobar lo que es y lo que representa un saber ancestral cuando
probablemente lo que se presenta como tal no es realmente ancestral, ni hay
modo de corroborarlo. Las culturas son tan heterogéneas en su interior que
puede resultar injusto hablar de “nuestra” cultura como prueba de que lo
que uno dice es correcto. Además, la historia de la Humanidad es la historia de
los intercambios culturales y eso también se aplica a las comunidades
originarias americanas. Es imperioso, de todos modos, recuperar las prácticas y
vivencias de las comunidades indígenas, asumiéndolas tal como son, sin llegar a
idealizarlas.
Lo destacable y profundo de estas
propuestas alternativas, de todas formas, es que surgen desde grupos
tradicionalmente marginados. Son propuestas que invitan a romper de raíz con
varios conceptos asumidos como indiscutibles y a cuestionar la estructura
homogenizante y totalizadora del capitalismo. Son las voces de los otros y las
otras, que desde la alteridad demandan la construcción del Buen Vivir y el
reconocimiento de su capacidad de propuesta. Son voces que comienzan a ser
replicadas en otros lugares del planeta. Aunque resulte curioso y que no
necesariamente pueda ser vista como una réplica del Buen Vivir
andino-amazónico, vale anotar el hecho de que el alcalde de la ciudad de
Colonia (Köln) haya declarado un día al año, como el día del “buen vivir” (así,
en español), para reflexionar sobre la necesidad de otro estilo de vida.
Lo
que cuenta en este punto es reconocer que en estas tierras americanas y en
otras latitudes existen memorias, experiencias y prácticas de sujetos
comunitarios que ejercitan estilos de vida no inspirados en el tradicional
concepto del desarrollo y del progreso, entendido este como la acumulación
ilimitada y permanente de riquezas. Es imperioso, entonces, impulsar la
recuperación de dichas prácticas y vivencias de las comunidades indígenas,
asumiéndolas tal como son, sin llegar a idealizarlas.
Una alternativa al desarrollo
El Buen Vivir, al surgir de raíces
comunitarias no capitalistas, plantea una cosmovisión diferente a la
construcción occidental de civilización hegemónica. Rompe por igual con las
lógicas antropocéntricas del capitalismo en tanto civilización dominante así
como con los diversos socialismos “reales” existentes hasta ahora y sus
contradicciones intrínsecas.
La propuesta del desarrollo, surgida
desde la lógica del progreso civilizatorio de occidente estableció una
compleja serie de dicotomías de dominación: desarrollado-subdesarrollado,
avanzado-atrasado, superior-inferior, centro-periferia, primer mundo-tercer
mundo… Así cobró nueva fuerza la ancestral dicotomía salvaje-civilizado, que se
introdujo de manera violenta hace más de cinco siglos en nuestra Abya-Yala con la
conquista europea. Desde entonces se inauguró un proceso brutal de conquista y
colonización, vigente todavía en todas las repúblicas latinoamericanas del
siglo XXI.
En ese contexto de proyecciones
globales se plasma la estructura dominante de la actual civilización. La
institucionalización de la dicotomía superior-inferior implicó la emergencia de
expresiones múltiples de colonialidad como formas de justificar y legitimar la
desigualdad. La colonialidad del poder expresada en el mantenimiento de relaciones
de dominación norte-sur, la colonialidad del saber que impone el conocimiento
occidental homogenizante pretendiendo anular los saberes populares, la
colonialidad del ser que silencia la alteridad y la otredad de las minorías, y
la colonialidad del tener que pretende reducir el Buen Vivir a términos de
consumo, y en ese sentido se cree superior a quien más tiene.
Dichos patrones de colonialidad,
vigentes hasta nuestros días, no son sólo un recuerdo del pasado sino que
explican la actual organización del mundo en su conjunto, en tanto punto
fundamental en la agenda de la Modernidad y de la Ilustración.
En concreto, a lo largo y ancho del
planeta, las sociedades fueron y continúan siendo reordenadas para adaptarse al
“desarrollo”. El desarrollo se transformó en el destino común de la Humanidad,
una obligación innegociable. Para conseguirlo, por ejemplo, se acepta la
destrucción social y ecológica que provocan aquellas modalidades extractivistas
de acumulación heredadas desde la colonia, como la megaminería, a pesar de que
ésta ahonda y profundiza la dependencia del mercado exterior y del gran capital
transnacional.
Cuando los problemas comenzaron a
minar nuestra fe en el desarrollo, empezamos a buscar alternativas de
desarrollo, le pusimos apellidos para diferenciarlo de lo que nos incomodaba,
pero seguimos por la misma la senda: desarrollo económico, desarrollo social,
desarrollo local, desarrollo rural, desarrollo sostenible o sustentable,
ecodesarrollo, desarrollo a escala humana, desarrollo local, desarrollo
endógeno, desarrollo con equidad de género, codesarrollo, desarrollo
transformador… desarrollo al fin y al cabo… Hasta que se llegó a entender que
el problema radica en el desarrollo.
El Buen
Vivir desnuda los errores y las limitaciones de las diversas teorías del
llamado desarrollo. Critica el concepto de desarrollo transformado en una
entelequia que norma y rige la vida de gran parte de la Humanidad, a la que
perversamente le es imposible alcanzar ese tan ansiado desarrollo. Mientras que,
por otro lado, aquellos países se asumen como desarrollados muestran cada vez
más señales de su maldesarrollo. Y eso en un mundo, en donde, por lo demás, las
brechas que separan a los ricos de los pobres, incluso en países
industrializados, se ensanchan permanentemente.
Recordemos, para redondear estas reflexiones, que bajo algunos saberes
indígenas no existe una idea análoga a la de desarrollo, lo que lleva a que en
muchos casos se rechace esa idea. No existe la concepción de un proceso lineal
de la vida que establezca un estado anterior y posterior, a saber, de
subdesarrollo y desarrollo; dicotomía por la que deben transitar las personas
para la consecución del bienestar, como ocurre en el mundo occidental. Tampoco
existen conceptos de riqueza y pobreza determinados por la acumulación y la
carencia de bienes materiales.
El Buen Vivir asoma, entonces, como
una categoría en permanente construcción y reproducción. En tanto planteamiento
holístico, es preciso comprender la diversidad de elementos a los que están
condicionadas las acciones humanas que propician Buen Vivir, como son el
conocimiento, los códigos de conducta ética y espiritual en la relación con el
entorno, los valores humanos, la visión de futuro, entre otros. El Buen Vivir,
en definitiva, constituye una categoría central de la filosofía de la vida de
las sociedades indígenas.
Si aceptamos que el Buen Vivir es
algo diferente al desarrollo, no se trata de aplicar un conjunto de políticas,
instrumentos e indicadores para salir del “subdesarrollo” y llegar a
aquella deseada condición del “desarrollo”. Una tarea por lo demás
inútil.
Luego de cinco siglos de horrores y
errores cometidos en nombre del progreso -y del desarrollo en las últimas seis
décadas-, queda claro que el tema no es el de simplemente aceptar una u otra
senda. Los caminos hacia el desarrollo no son el problema mayor. La dificultad
radica en el concepto mismo del desarrollo.
El mundo vive un “mal desarrollo” generalizado,
incluyendo los considerados países industrializados, es decir aquellos cuyo
estilo de vida debía servir como faro referencial. Esos países, además, son los
principales causantes de los cambios climáticos a nivel global. Por primera vez
en la historia de la Humanidad la producción de residuos -producto de toda
transformación de la energía y la materia- superó la capacidad de asimilación y
reciclaje de la Tierra y la velocidad en la extracción de recursos comenzó a
ser muy superior al tiempo de producción poniendo en riesgo la reproducción de
la vida. Este colapso ambiental devela que las relaciones entre la sociedad
capitalista y la Naturaleza están enfermas, y que el funcionamiento del sistema
mundial contemporáneo es “maldesarrollador”.
En suma, es urgente disolver el
tradicional concepto del progreso en su deriva productivista y del desarrollo
en tanto dirección única, sobre todo en su visión mecanicista de crecimiento
económico, así como sus múltiples sinónimos. Pero no solo se trata de
disolverlos, se requiere una visión diferente, mucho más rica en contenidos y
en dificultades. Ahora, incluso en los países del norte, cada vez más personas
desencantadas e indignadas, ya trabajan por el decrecimiento y buscan otras
opciones de vida que propendan al reencuentro del ser humano con la
Naturaleza. Así, en la nuestra época convergen varias visiones que
proponen superar el capitalismo (ecologismo popular, marxismo, feminismo,
etc.), surgidas también desde los oprimidos, y que se refuerzan con esta
perspectiva incluyente.
Hacia un reencuentro con la Naturaleza
El Buen Vivir se funda en la
superación de dos dicotomías perversamente agudizadas por la modernidad, por un
lado la dominación del ser humano sobre la Naturaleza y por otro, la
explotación entre seres humanos: norte-sur, ciudad-campo, y en general de los grupos
hegemónicos por sobre las mayorías de explotados.
En lugar de mantener el divorcio
entre la Naturaleza y los seres humanos, en lugar de sostener una civilización
que pone en riesgo la vida, la tarea pasa por propiciar su reencuentro. Hay que
superar la civilización capitalista, en esencia depredadora y por cierto
intolerable e insostenible, que “vive de sofocar a la vida y al mundo de la
vida”, para ponerlo en palabras del gran filósofo ecuatoriano Bolívar
Echeverría. Para lograrlo habrá que transitar del actual antropocentrismo al
(socio)biocentrismo. Con su postulación de armonía con la Naturaleza, con su
oposición al concepto de acumulación perpetua, con su regreso a valores de uso,
en este sentido, el Buen Vivir abre la puerta para formular visiones
alternativas de vida.
El
logro de esta transformación civilizatoria megahistórica, exige profundos
cambios. La desmercantilización de la Naturaleza se perfila como uno de los
indispensables primeros pasos. En síntesis, el Buen Vivir se aparta de las ideas
occidentales convencionales del progreso, y apunta hacia otras concepciones de
la vida, otorgando una especial atención a la Naturaleza y la vida digna de
todos los habitantes del planeta.
El Buen Vivir un reto democrático
Queda en claro, por lo tanto, que el
Buen Vivir es un concepto plural (mejor sería hablar de “buenos vivires”
o “buenos convivires”) que surge especialmente de las comunidades
indígenas, sin negar las ventajas tecnológicas del mundo moderno o posibles
aportes desde otras culturas y saberes que cuestionan distintos presupuestos de
la modernidad dominante. El respeto por la soberanía de los pueblos, por sus
definiciones productivas, reproductivas y por su construcción territorial
permitirá espacios de intercambio e interrelación horizontal que rompa
finalmente con las expresiones de colonialidad heredadas.
No nos olvidemos que la Humanidad
enfrenta grandes retos. El sacrificio de la Naturaleza y del trabajo humano, en
aras de la expansión planetaria del capitalismo, ahogan cada vez más la vida.
Dicho devenir destructor reproduce en sí mismo nuevas violencias estructurales,
como son las guerras, las migraciones forzadas, el narcotráfico... Y esto
consolida un proceso de regresión política que conduce a formas cada vez más totalitarias
de organización de la sociedad. Enfrentar esta realidad, cargada de
incertidumbres, es el compromiso a ser asumido. Urge dar sentido democrático a
la lucha en contra de esta barbarie, de la cual ya nos advirtió Rosa Luxemburg.
En síntesis, esta compleja tarea
implica aprender desaprendiendo, aprender y reaprender al mismo tiempo. Una
tarea que exigirá cada vez más democracia consensual, cada vez más
participación y siempre mucho respeto
entre todas las culturas. Nadie puede asumirse como propietario de la verdad.
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