M. Colloghan

samedi 27 avril 2013

Quelle école pour l'émancipation ?


Introduction de l'atelier organisé lors du FSM de Tunis - Bruno Della Sudda

Pour le journal Rouge et Vert et les Alternatifs, il ne saurait y avoir de système éducatif sans lien avec notre projet de société, un projet d'émancipation basé sur l'autogestion, mais aussi les solidarités, le féminisme et l'écologie, un projet internationaliste et donc altermondialiste.

Et nous pensons que l'Ecole que nous voulons pour demain doit intégrer dès aujourd'hui, et donc sans attendre le changement nécessaire de société, cette dimension émancipatrice et autogestionnaire.

Depuis plusieurs années, l'Ecole publique est une cible majeure de l'offensive capitaliste et des politiques économiques néolibérales : celle-ci se traduit par un recul de l'investissement éducatif, la dégradation des conditions de travail et d'études pour les jeunes, une tendance générale à injecter la logique et l'idéologie néolibérales dans les systèmes éducatifs, ceux-ci devant être de plus en plus soumis à la mise en concurrence et aux exigences patronales.

Mais cette offensive capitaliste rencontre des résistances, au Nord comme au Sud.

C'est le sens des mobilisations de ces dernières années en Europe, au Québec, au Chili et dans d'autres pays ou régions du monde.

Plus que jamais, nous devons donc résister à l'offensive capitaliste mais nous ajoutons à cela que les résistances ne suffisent pas, qu'il ne s'agit pas de défendre un statuquo, mais bien de passer à la contre-offensive pour transformer le système éducatif.

1. Les enjeux sont considérables : une refondation éducative pour le XXI° siècle doit prendre en compte les critères suivants :

- les enfants issus aujourd'hui ou demain des systèmes éducatifs devront affronter les défis tout au long du siècle : l'éducation doit les préparer pour les 80 prochaines années ;

- ces défis de taille – écologique, social et économique, alimentaire, énergétique et la crise démocratique – concernent fortement les pays du Sud, mais aussi les populations pauvres du Nord et des pays émergents ; ce qui rend urgente une éducation de tous et de toutes à la solidarité, à la créativité et à l'autonomie ;

- l'éducation à la citoyenneté ne peut plus se contenter désormais des cours traditionnels et magistraux d'éducation civique : la citoyenneté doit se construire dans un vécu quotidien et une pratique démocratique permanente à l'école, au collège, au lycée et à l'université, tendant vers l'autogestion.

Refondée à partir de ces impératifs, l'éducation se doit de redéfinir ses finalités, ses contenus, ses structures, ses méthodes et ses moyens, et enfin l'articulation entre tous ces éléments.

2. Les finalités nouvelles aboliront la compétition, la concurrence et tout esprit de sélection au profit d'une formation pour les jeunes comme pour les adultes au travail d'équipe et à la solidarité, à l'émulation collective dans les apprentissages, à l'égalité filles-garçons et en fin de parcours à la coopération internationale solidaire. L'éducation n'a pas pour finalité d'être asservie aux marchés, à la finance et au productivisme dominants, mais doit œuvrer à l'enrichissement culturel et linguistique et au bien-être général. L'optique est bien celle de l'émancipation à travers une Ecole polytechnique et globale.

3. Les contenus et les méthodes devront privilégier la préservation de l'environnement, les productions utiles aux humains, l'enrichissement culturel et scientifique, l'initiation aux arts et techniques dans un esprit de polyvalence maximale et non de spécialisation précoce visant à satisfaire le marché de l'emploi ; cette réorientation radicale des priorités met d'emblée à l'ordre du jour de l'Ecole une réflexion critique sur la notion d'un progrès qui à ce jour a été conçu sans critères et sans limites. Cette réflexion peut sous diverses formes commencer très tôt à l'école. Ajoutons à cela que les contenus devront être bien plus attentifs aux enseignements artistiques, aux sciences humaines comme la sociologie, toujours dans l'optique de l'émancipation et de l'autogestion.

De manière plus générale, c'est le rapport au savoir qui sera repensé pour mette fin à l'élitisme, au primat du cours magistral et de l'éducation réduite à l'instruction, pour permettre aux jeunes des milieux populaires de construire leur savoir et de considérer que cette Ecole est vraiment la leur, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

4. Des structures alternatives dès maintenant : elles doivent s'adapter aux élèves dans leur diversité, ce qui, si l'on veut éviter une spécialisation précoce ou excessive, doit combiner un tronc commun de connaissances pour toutes et tous avec la possibilité de lier ce tronc commun à un axe thématique privilégié correspondant aux motivations de chaque élève et aux spécificités géographiques locales ou régionales (sports, musique, arts de la scène, ferme/nature/environnement, arts plastiques, techniques du son et de l'image, etc. …). La possibilité pour un-e élève de changer d'axe thématique sera garantie par le respect du tronc commun et le lien constant entre les disciplines et les activités de l'axe thématique. Ceux-ci doivent non seulement tenir compte des motivations des élèves, mais aussi mettre en œuvre des modes d'appropriation du savoir divers (apprendre par la recherche, le tâtonnement, la manipulation et la construction, en combinant la pratique et la conceptualisation). Les axes thématiques sont conçus non pas en concurrence avec les apprentissages du tronc commun, mais au contraire pour dynamiser et contextualiser leurs contenus. La polyvalence éducative en sera profondément renforcée.

5. L'ensemble finalités/contenus/structures ainsi repensé et articulé ne peut pas se concevoir sans une remise en question des pédagogies à dominante magistrale, peu formatrices, et des pouvoirs dans les établissements scolaires

C'est toujours la forme qui forme, les contenus ne font qu'informer.

La mise en œuvre de l'ensemble implique le recours aux méthodes actives (recherche, production, échanges, diffusion), aux travaux de groupe, aux technologies issues de la numérisation (son, image, Internet, nouvelle téléphonie). Ce qui entraine une nouvelle conception des locaux scolaires, des horaires et des moyens disponibles, pour permettre une autre organisation et une autre conception du travail, tant pour les jeunes que pour les adultes.

Cet ensemble doit être selon nous relié à deux éléments essentiels eux-mêmes raccordés à l'autogestion :

* un nouveau statut des élèves, avec un élargissement important de leurs droits (et par exemple la participation de toutes et de tous aux conseils de classe) et de leur place dans les structures de pouvoir à l'échelle des établissements, et la mise en route d'une alternative à la notation traditionnelle en terme d'évaluation du travail des élèves ;

* une nouvelle conception, autogestionnaire et antihiérarchique, du pouvoir à l'échelle des établissements, avec élection des responsables, direction par un conseil d'établissement et pouvoir des équipes pédagogiques et des jeunes, fin de l'inspection et évaluation du travail enseignant par des pair-e-s et des équipes de recherche.

Enfin, la coopération comme alternative à la compétition et à la concurrence doit être au cœur de l'Education et considérée comme une finalité nouvelle pour les élèves.

Il doit en être de même pour les enseignant-e-s : la formation et l'organisation du travail en équipes pédagogiques est inséparable de l'obtention d'un temps important de concertation intégré au service des enseignant-e-s.

Voilà les éléments que nous mettons en avant dans les luttes, pour une alternative dans le domaine éducatif combinée à un projet alternatif de société.

En conclusion, ayons à l'esprit que l'existence d'une Ecole publique ne va pas de soi : dans les dernières décennies du XIX° siècle, en Europe d'abord et ailleurs ensuite, c'est la jonction des exigences portées par la société et surtout par le mouvement ouvrier et des besoins d'une économie capitaliste radicalement transformée par la double révolution industrielle -et nécessitant une main d'œuvre mieux formée- qui ont poussé les classes dominantes à concéder le principe de l'Ecole publique.

On peut aujourd'hui s'interroger sur ce que veut réellement le capitalisme financier qui a succédé au capitalisme industriel : a-t-il encore besoin d'une main d'œuvre aujourd'hui mieux formée et plus qualifiée qu'hier ?

La poussée éducative qui a abouti à une scolarisation massive au Nord puis dans une certaine mesure au Sud au XX° siècle, débouchant sur une élévation du niveau culturel à une échelle de masse, doit-elle se prolonger, qui plus est dans un contexte de crise globale et systémique, alors que cette poussée amène nécessairement une capacité des individus à la critique et des risques de contestation sociale et politique ?

Plutôt que de la détruire, les capitalistes ne souhaitent-ils pas injecter une logique libérale de manière progressive, affaiblissant l'Ecole publique avant de proposer, le moment venu, sa privatisation ?
Car on ne saurait l'oublier : l'Education représente un immense marché potentiel, aujourd'hui largement soustrait aux profits capitalistes.

C'est une question à laquelle, dans les luttes et les mobilisations, nous devons aussi réfléchir, pour mieux défendre l'Ecole publique attaquée par l'offensive capitaliste, et en même temps la transformer dans l'optique de l'émancipation et de l'autogestion.

Bruno Della Sudda, pour la Commission Education des Alternatifs
Tunis, le 29 mars 2013

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