Utopie,
éthique, fil conducteur pour l'action, la démarche autogestionnaire est au cœur
des aspirations à l'émancipation. Si elle n'a pu (encore) se réaliser dans la
durée, elle a donné sens à bien des engagements et des combats. Opposant aux
oppressions, dominations, et au chacun pour soi, l'autonomie et la coopération,
elle est l'espoir d'une alternative à la pensée unique néolibérale comme aux
dérives autoritaire.
Cet
espoir vient de loin : des socialismes utopiques au syndicalisme
révolutionnaire, et le chemin fut long, jalonné par des révoltes, projets, et
actions multiformes. Une longue histoire. Le syndicalisme révolutionnaire avait
pour perspective une grève générale expropriatrice qui aboutirait à la
réorganisation de toute la société par les travailleurs. Les organisations
libertaires ont maintenu face au stalinisme et à la social-démocratie, contre
vents et marées, l'espoir d'un avenir sans capitalisme ni bureaucratie. Des
courants marxistes ayant combattu le stalinisme et ses dictatures
bureaucratiques ont, pour certains, opposé aux partis-Etats issus de la
tradition bolchévique l'alternative autogestionnaire. Puis, dans les années
soixante et soixante dix, de nouveaux militantEs ont retrouvé l'aspiration à l'auto
organisation et à l'autogestion, et ont, entre autres, contribué à la lutte des
Lip.
Militant
des Alternatifs, c'est à cette dernière tradition que je me réfère, sans ignorer
les apports de toutes les autres. Depuis, de nouvelles générations ont retrouvé
le vieux chemin autogestionnaire, dans la conduite de leurs luttes et comme
perspective.
De
l'Ukraine à la Catalogne, les aspirations anticapitalistes et antiautoritaires
ont été maintes fois défaites, mais elles n'ont pas disparu. Aujourd'hui, en
Amérique latine, une continuité est parfois recherchée entre des formes de
solidarité communautaires précapitalistes (qui il est vrais s'accompagnaient
d'un contrôle social pesant) et une aspiration égalitaire et écologiste au
"bien vivre". Et partout des luttes sociales ou écologiques
réactivent l'aspiration à décider ensemble, à refuser les logiques
délégataires.
Dans
bien des domaines, sociaux et de fait politiques, même si ils ne s'inscrivent
pas dans le champ classique de la politique, l'aspiration autogestionnaire
chemine. Dans les réseaux et collectifs qui agissent pour une alter
consommation, dans le secteur culturel, lorsque les salariéEs assurent la
direction de leur entreprise sous forme coopérative, lorsque les Fralib portent
un projet liant gestion directe par les salariéEs, production de qualité en
lien avec les consommateurs et les collectivités territoriales proches,
rapports éthiques avec les producteurs ici et dans le pays du Sud. Ces
expérimentations, ces formes de lutte autogestionnaires, ne mettent pas
globalement à bas le système, restent fragiles, mais elles ouvrent des brèches
et prouvent que "c'est possible".
Un projet radicalement
alternatif
La fin des séparations artificielles qui font de l'individu
un travailleur ou un consommateur unidimensionnel. Le refus de la
parcellisation qui prive de sens l'activité humaine. Et cette démarche renvoie
au projet politique : comprendre la complexité du système de dominations pour
l'affronter sur tous les terrains, et travailler à une alternative globale,
loin de paradigmes 'rouge' ou 'vert' réducteurs.
A sa manière, le mouvement altermondialiste est également en recherche d'une cohérence d'ensemble à opposer à l'ordre capitaliste et productiviste. Le lien entre l'expérimentation et le projet global, entre le chemin et le but. C'est revendiquer l'expérimentation, les contre pouvoirs et contre projets partiels, savoir leur fragilité, mais comprendre qu'un exemple vaut mieux que cent discours. Savoir aussi que l'expérimentation prend sens quand le cap de la transformation globale de la société reste tenu.
A sa manière, le mouvement altermondialiste est également en recherche d'une cohérence d'ensemble à opposer à l'ordre capitaliste et productiviste. Le lien entre l'expérimentation et le projet global, entre le chemin et le but. C'est revendiquer l'expérimentation, les contre pouvoirs et contre projets partiels, savoir leur fragilité, mais comprendre qu'un exemple vaut mieux que cent discours. Savoir aussi que l'expérimentation prend sens quand le cap de la transformation globale de la société reste tenu.
Ici
se noue une contradiction : le risque de la simple juxtaposition de pratiques
alternatives fragiles et de petits mouvements politiques tentant vaille que
vaille, et dans leur diversité, de porter une vision autogestionnaire
stratégique. Surmonter le vieux clivage théorie/pratique, dépasser les
cloisonnements, est un défi considérable. La récente Foire à l'Autogestion (à
l'appel de nombreux collectifs et réseaux porteurs d'initiatives à caractère
autogestionnaire et d'organisations libertaires, alternatives et se réclamant
de la décroissance) a donné à voir le foisonnement d'un espace autogestionnaire
dans les domaines de la consommation, de la production, de la culture, de
l'éducation, et, en même temps, la difficulté à construire plus de commun entre
champ politique et champs sociaux.
La remise en
cause de toutes les facettes de la domination
Refuser
la domination politique, en dépassant les logiques de délégation, par la
délibération collective, la démocratie active. Combattre la domination
culturelle, par le partage des savoirs, la controverse, la mise de l'expertise
scientifique ou militante au service du débat et de la décision collective.
Démasquer et combattre les nouvelles formes de dominations appuyées sur la
"compétence". Refuser les hiérarchies et partages des rôles entre
vieux et jeunes, femmes et hommes, "exécutantEs" et "compétentEs",
et ce, que ces partages, racines des dominations, soient l'héritage
d'archaïsmes religieux ou la projection du chacun pour soi capitaliste. Refuser
les pièges de la société du spectacle social et politique, qui, au mieux, ne
met en valeur les figures de la contestation que pour masquer la radicalité
collective.
Une vision
radicalement émancipatrice de l'action collective
Dans
les mobilisations où le "tous ensemble", pour décider et agir, est un
formidable levier. En politique, pour en finir avec les hiérarchies entre le
parti-guide (qu'il soit électoraliste ou "révolutionnaire") et toutes
les autres formes d'organisation collective, syndicales, associatives.
Les
Alternatifs portent le projet d'un mouvement politique assumant un certain
nombre de dimensions nécessaires à l'émancipation : mémoire des luttes, mise en
commun d'expériences et de forces, contribution à un projet autogestionnaire et
écologiste. Un "parti mouvement", perméable à toutes les formes de
mobilisation et recherchant les convergences sociales et politiques les plus
larges pour transformer la société. Mais la question de l'utilité d'un
mouvement politique "séparé" traverse toujours les secteurs se
réclamant de l'autogestion.
Une éthique de
l'action
La
plus difficile puisqu'elle s'oppose frontalement à tout ce qui conduit dès
l'enfance, dans la famille comme dans le système éducatif, l'individu à la
quête du pouvoir, à la compétition, souvent aussi à la servitude volontaire.
Cette éthique doit conduire à une vigilance constructive, à un regard critique
sur les outils collectifs d'émancipation : en leur sein aussi se déroule le
combat contre le vieux monde, contre la confiscation du pouvoir et du savoir,
et la résignation à la logique délégataire.
Ici et maintenant
La
place majeure tenue pas l'Etat dans la structuration de la société française
joue un rôle ambivalent : elle contribue sans aucun doute à la résistance du
corps social à l'idéologie néolibérale, contribue à des formes de solidarité.
Mais elle marque profondément la "gauche de gauche" et tend aussi à
marginaliser les aspirations autogestionnaires. Les détenteurs du pouvoir
politique et la technocratie s'épaulent dans bien des domaines, par exemple
dans une vénération commune du nucléaire.
De
même, une démarche alternative peut conduire des collectivités territoriales ou
des collectifs de citoyenNEs à produire localement de l'énergie, mais elle se
heurte à une vision classique et verticale du service public qui, elle,
privilégie un opérateur unique à l'échelle de l'Hexagone comme élément de
résistance à la marchandisation. A contrario, autour d'objectifs comme la
relocalisation des activités ou la durabilité des produits, se noue la
convergence entre démarche autogestionnaire et écologie radicale.
But, moyen et
chemin
Le
but est celui d'une société d'émancipation, traversée de contradictions mais ou
l'autonomie des individus se combinera avec leur coopération. Un avenir où
l'être primera sur l'avoir. Le moyen c'est l'action collective, l'appropriation
des savoirs, le libre débat, la démocratie active, et la construction de
solidarités et d'outils militants qui préfigurent une société autogérée.
Les
chemins sont divers : celui des grandes mobilisations de masse, ces
indignations qui parfois font tomber les dictatures, celui de l'action
quotidienne, des alternatives concrètes, de ces mobilisations, qui sont des temps
collectifs comme des temps d’émancipation et d'apprentissage individuel. Ces
luttes ne gagnent pas toujours, mais, souvent, donnent sens à la vie de celles
et ceux qui y participent.
L'autogestion est but,
moyen et chemin.
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