Richard Neuville *
Lors du meeting organisé par le Mouvement des paysans sans terre brésilien (MST), les quatre chefs d'Etat vénézuélien, équatorien, paraguayen et bolivien (respectivement Chàvez, Correa, Lugo et Moralès) ont affirmé qu'ils sont le produit des mouvements sociaux, populaires et altermondialiste. De fait, ces présidents ont été élus à la suite d'importantes luttes populaires : Chavez à la suite du Caracazo (insurrection populaire fortement réprimée - 3 000 morts), Correa à la suite des importantes mobilisations indigènes qui ont fait chuter plusieurs présidents en une décennie, Lugo à la suite de l'alliance électorale de l'opposition et de mouvements sociaux ruraux et Moralès à la suite notamment des guerres de l'eau et du gaz. Ces dirigeants ont en commun de pouvoir s'appuyer sur d'importants mouvements sociaux même si ces derniers restent vigilants comme la CONAIE (Confédération indigène) en Equateur qui reste un contre-pouvoir actif. Les quatre orateurs du panel se sont accordés sur cette idée mais avec des nuances.
Pour Guisseppe Cocco, universitaire brésilien, il existerait plusieurs gauches en Amérique latine, il n'y a pas d'homogénéité compte tenu des trajectoires politiques diverses et des réalités nationales différentes. L'application du Consensus de Washington et les recettes néolibérales qui l’accompagnaient ont ruiné les économies nationales et engendré une dégradation sociale incommensurable pour les peuples. Les compositions sociales ont évolué et de nombreux mouvements de résistance ont émergé qui ont entraîné des changements politiques importants même si selon les pays, les nouvelles politiques menées s'avèrent différentes et s'appuient plus ou moins sur les mobilisations populaires : si d'un coté, le produit de l'exploitation des ressources d'énergie sont utilisées pour engager des politiques redistributives comme en Bolivie et au Venezuela, l'option néo-développementiste reposant sur l'agrobusiness et des mesures d'austérité pour les peuples ont été choisies en Argentine et au Brésil.
Pour Julio Gambina, intellectuel argentin, il n'y aucun doute, les quatre présidents cités sont bel et bien le produit des luttes populaires qui ont vues leurs prolongements dans les élections. Si les changements intervenus en Argentine, au Brésil, au Nicaragua et en Uruguay résultent d'une certaine manière de cette même dynamique sociale, la relation entre l'Etat et le pouvoir populaire est bien distincte. Pour lui, malgré l'élection de gouvernements progressistes, l'Etat continue d'être caractérisé par l'empreinte capitaliste. Certains pays ont adopté des politiques antiterroristes et ont envoyé des troupes à Haïti. Certains continuent de tenir des discours antilibéraux mais ne démantèlent pas la structure économique. Au contraire, se maintient la surexploitation des travailleurs, le rapport capital/travail se dégrade et les cycles de forte croissance observés ces dernières années renforcent les bénéfices de la structure capitaliste. Hormis en Bolivie et au Venezuela où des nationalisations ont été entreprises et de nombreuses coopératives créées, l'hégémonie de la structure économique concentrée se maintient voire se renforce. Dans ces conditions, il est nécessaire de constituer un pouvoir populaire capable d'affronter l'Etat. La question est de savoir si le pouvoir populaire (les mouvements sociaux) est capable d'empêcher le capital de se reproduire et d'inverser la tendance. Mais avec une note d'optimisme, il rappelle cependant que la mise en échec de l'Accord de libre échange des Amériques (ALCA) lors du sommet de Mar del Plata en novembre 2005 est bien la résultante d'une conjonction entre la forte mobilisation sociale sur l'ensemble de l'Amérique du sud et la position des chefs d'Etat. De même, il cite les initiatives populaires en Argentine et en Uruguay comme la Constituante sociale et le Congrès populaire.
Mickael Hardt, sociologue étasunien, connu comme co-rédacteur avec Toni Negri du livre "Multitudes : guerre et démocratie à l'époque de l'empire", effectue une comparaison entre deux événements auquel il a participé en ce début d'année : le 15è anniversaire du mouvement zapatiste et le FSM. Il rappelle que pour les zapatistes, seuls les mouvements autonomes sont capables d'affronter la globalisation capitaliste et non les états, que s'ils font une différence entre des pouvoirs de gauche et de droite, les deux appliquent la doctrine libérale et, qu'au FSM, les quatre présidents rendent hommage aux mouvements sociaux et sollicitent leurs soutiens. Pour lui, il ne faut pas poser la question en ces termes ou selon cette dialectique, il estime que "la multitude est la seule représentative" et que bien qu'il y ait des gouvernements de gauche, la multitude est la seule source d'innovation sociale et non pas seulement une force de soutien. Il ajoute qu'Obama n'est pas en mesure de réaliser les changements qu'il a promis car il n'y a pas de véritable pouvoir populaire.
Enfin, Oscar Vega, sociologue bolivien, s'est attaché à démontrer comment les changements intervenus en Bolivie sont d'une importance considérable. Il observe que le mouvement indigène a innové et que les changements opérés ne résultent pas de mouvements classiques, ni de l'Etat. La construction de l'Etat au XIXè siècle avait produit un grand phénomène d'exclusion sociale, économique, raciale. Depuis deux décennies, le long processus de débats a permis la construction d'un projet indigène pluraliste respectant les modes de vie et d'organisation. Il rappelle que c'est dans ce pays que pour la 1ère fois, une multinationale a été mise en déroute en Amérique latine grâce à une mobilisation d'acteurs différents (Guerre de l'eau - Cochabamba en 2000). L'adoption de la nouvelle Constitution est le résultat d'intenses mobilisations populaires, elle va permettre de réaliser le changement. Il affirme qu'en Bolivie, il existe bien une réelle articulation entre les mouvements sociaux et le pouvoir.
Ce débat a montré ô combien les analyses et l'appréhension des rapports entre pouvoir populaire (pouvoir constituant) et état (pouvoir constitué) diffèrent. Si la question est ancienne, force est de constater qu'elle est aujourd'hui observée sous des angles nouveaux, bien éloignés des concepts révolutionnaires ou sociologiques du début du XXè siècle. Les expériences nouvelles surgies à l’aube du XXIè siècle, si on considère comme Luis Hernandèz Navarro, journaliste à La Jornada, que celui commence - au regard des travaux de Hobsbawm - avec l'insurrection zapatiste le 1er janvier 1994, le démontrent. Les mouvements sociaux récents en Amérique latine ont été capables d'innovations importantes dans les pratiques sociales et dans leurs relations avec les états. C'est aussi la force du mouvement altermondialiste que d'avoir permis ces évolutions et ses approches.
* Animateur de la commission internationale des Alternatifs
Article rédigé pour Rouge et Vert (06/02/2009)
Lors du meeting organisé par le Mouvement des paysans sans terre brésilien (MST), les quatre chefs d'Etat vénézuélien, équatorien, paraguayen et bolivien (respectivement Chàvez, Correa, Lugo et Moralès) ont affirmé qu'ils sont le produit des mouvements sociaux, populaires et altermondialiste. De fait, ces présidents ont été élus à la suite d'importantes luttes populaires : Chavez à la suite du Caracazo (insurrection populaire fortement réprimée - 3 000 morts), Correa à la suite des importantes mobilisations indigènes qui ont fait chuter plusieurs présidents en une décennie, Lugo à la suite de l'alliance électorale de l'opposition et de mouvements sociaux ruraux et Moralès à la suite notamment des guerres de l'eau et du gaz. Ces dirigeants ont en commun de pouvoir s'appuyer sur d'importants mouvements sociaux même si ces derniers restent vigilants comme la CONAIE (Confédération indigène) en Equateur qui reste un contre-pouvoir actif. Les quatre orateurs du panel se sont accordés sur cette idée mais avec des nuances.
Pour Guisseppe Cocco, universitaire brésilien, il existerait plusieurs gauches en Amérique latine, il n'y a pas d'homogénéité compte tenu des trajectoires politiques diverses et des réalités nationales différentes. L'application du Consensus de Washington et les recettes néolibérales qui l’accompagnaient ont ruiné les économies nationales et engendré une dégradation sociale incommensurable pour les peuples. Les compositions sociales ont évolué et de nombreux mouvements de résistance ont émergé qui ont entraîné des changements politiques importants même si selon les pays, les nouvelles politiques menées s'avèrent différentes et s'appuient plus ou moins sur les mobilisations populaires : si d'un coté, le produit de l'exploitation des ressources d'énergie sont utilisées pour engager des politiques redistributives comme en Bolivie et au Venezuela, l'option néo-développementiste reposant sur l'agrobusiness et des mesures d'austérité pour les peuples ont été choisies en Argentine et au Brésil.
Pour Julio Gambina, intellectuel argentin, il n'y aucun doute, les quatre présidents cités sont bel et bien le produit des luttes populaires qui ont vues leurs prolongements dans les élections. Si les changements intervenus en Argentine, au Brésil, au Nicaragua et en Uruguay résultent d'une certaine manière de cette même dynamique sociale, la relation entre l'Etat et le pouvoir populaire est bien distincte. Pour lui, malgré l'élection de gouvernements progressistes, l'Etat continue d'être caractérisé par l'empreinte capitaliste. Certains pays ont adopté des politiques antiterroristes et ont envoyé des troupes à Haïti. Certains continuent de tenir des discours antilibéraux mais ne démantèlent pas la structure économique. Au contraire, se maintient la surexploitation des travailleurs, le rapport capital/travail se dégrade et les cycles de forte croissance observés ces dernières années renforcent les bénéfices de la structure capitaliste. Hormis en Bolivie et au Venezuela où des nationalisations ont été entreprises et de nombreuses coopératives créées, l'hégémonie de la structure économique concentrée se maintient voire se renforce. Dans ces conditions, il est nécessaire de constituer un pouvoir populaire capable d'affronter l'Etat. La question est de savoir si le pouvoir populaire (les mouvements sociaux) est capable d'empêcher le capital de se reproduire et d'inverser la tendance. Mais avec une note d'optimisme, il rappelle cependant que la mise en échec de l'Accord de libre échange des Amériques (ALCA) lors du sommet de Mar del Plata en novembre 2005 est bien la résultante d'une conjonction entre la forte mobilisation sociale sur l'ensemble de l'Amérique du sud et la position des chefs d'Etat. De même, il cite les initiatives populaires en Argentine et en Uruguay comme la Constituante sociale et le Congrès populaire.
Mickael Hardt, sociologue étasunien, connu comme co-rédacteur avec Toni Negri du livre "Multitudes : guerre et démocratie à l'époque de l'empire", effectue une comparaison entre deux événements auquel il a participé en ce début d'année : le 15è anniversaire du mouvement zapatiste et le FSM. Il rappelle que pour les zapatistes, seuls les mouvements autonomes sont capables d'affronter la globalisation capitaliste et non les états, que s'ils font une différence entre des pouvoirs de gauche et de droite, les deux appliquent la doctrine libérale et, qu'au FSM, les quatre présidents rendent hommage aux mouvements sociaux et sollicitent leurs soutiens. Pour lui, il ne faut pas poser la question en ces termes ou selon cette dialectique, il estime que "la multitude est la seule représentative" et que bien qu'il y ait des gouvernements de gauche, la multitude est la seule source d'innovation sociale et non pas seulement une force de soutien. Il ajoute qu'Obama n'est pas en mesure de réaliser les changements qu'il a promis car il n'y a pas de véritable pouvoir populaire.
Enfin, Oscar Vega, sociologue bolivien, s'est attaché à démontrer comment les changements intervenus en Bolivie sont d'une importance considérable. Il observe que le mouvement indigène a innové et que les changements opérés ne résultent pas de mouvements classiques, ni de l'Etat. La construction de l'Etat au XIXè siècle avait produit un grand phénomène d'exclusion sociale, économique, raciale. Depuis deux décennies, le long processus de débats a permis la construction d'un projet indigène pluraliste respectant les modes de vie et d'organisation. Il rappelle que c'est dans ce pays que pour la 1ère fois, une multinationale a été mise en déroute en Amérique latine grâce à une mobilisation d'acteurs différents (Guerre de l'eau - Cochabamba en 2000). L'adoption de la nouvelle Constitution est le résultat d'intenses mobilisations populaires, elle va permettre de réaliser le changement. Il affirme qu'en Bolivie, il existe bien une réelle articulation entre les mouvements sociaux et le pouvoir.
Ce débat a montré ô combien les analyses et l'appréhension des rapports entre pouvoir populaire (pouvoir constituant) et état (pouvoir constitué) diffèrent. Si la question est ancienne, force est de constater qu'elle est aujourd'hui observée sous des angles nouveaux, bien éloignés des concepts révolutionnaires ou sociologiques du début du XXè siècle. Les expériences nouvelles surgies à l’aube du XXIè siècle, si on considère comme Luis Hernandèz Navarro, journaliste à La Jornada, que celui commence - au regard des travaux de Hobsbawm - avec l'insurrection zapatiste le 1er janvier 1994, le démontrent. Les mouvements sociaux récents en Amérique latine ont été capables d'innovations importantes dans les pratiques sociales et dans leurs relations avec les états. C'est aussi la force du mouvement altermondialiste que d'avoir permis ces évolutions et ses approches.
* Animateur de la commission internationale des Alternatifs
Article rédigé pour Rouge et Vert (06/02/2009)
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