Richard Neuville et Rémy Querbouët *
Ces dernières années, la Bolivie a vécu un cycle de luttes extrêmement importantes contre l’empire et la logique capitaliste néolibérale. L’accumulation de forces et d’expériences, d’une part, l’engagement institutionnel des mouvements sociaux via leur « instrument politique », de l’autre, ont permis d’entrevoir un changement. Les victoires d’Evo Morales et du Mouvement vers le socialisme (MAS) en décembre 2005 résultent indubitablement de cette conjonction. De l’émergence du mouvement cocalero dans les années 1980 à la crise de mai-juin 2005 sur la question de la loi sur les hydrocarbures, en passant par la « guerre de l’eau » à Cochabamba en avril 2000 et la « guerre du gaz » en octobre 2003, les mobilisations sociales ont exercé une influence indéniable et ont contribué grandement à ces victoires. Elles puisent également leurs racines dans les luttes qui permirent la « Révolution nationale » en 1952. (Cf. Un demi-siècle de luttes populaires)
L’indianisme, réactivé par le mouvement katariste dans les années 1970, a été repensé pour s’intégrer dans un projet politique global. Eloigné de toute conception indigéniste, il se veut un facteur déterminant dans la construction d’une nation unie dans la diversité. Les multiples composantes de la population doivent se retrouver dans un contrat social qui reconnaîtrait les différentes cultures. (Cf. L’indianisme comme facteur déterminant du projet politique)
Dans les années 1990, alors que le mouvement syndical indigène et paysan se renforce, la gauche se refuse toujours à accorder sa véritable place à ce mouvement ce qui le conduit à créer son propre instrument politique et à se présenter seul aux élections. Mélange de références au marxisme, à l’indianisme et au nationalisme révolutionnaire, le MAS progresse rapidement jusqu’à devenir la principale force politique du pays. (Cf. Le MAS : un instrument politique atypique)
Son leader, Evo Morales, passe du statut de syndicaliste cocalero à celui de Président de la République. Après cinq siècles de domination coloniale, impérialiste et néolibérale, c’est la première fois qu’un indien accède au pouvoir. (Cf. Evo Morales : Biographie d’une lutte)
Au sein du MAS, très vite, il pense qu’une « alliance de classes » - entendu comme entente entre les classes populaires et les « classes moyennes » - est indispensable pour parvenir au pouvoir. Il se lie à Álvaro García Linera, sociologue influencé par Toni Negri et Pierre Bourdieu, ancien membre de l’Armée guerillera Túpak katari (EGTK), représentant de la couche moyenne intellectuelle bolivienne. (Cf. Álvaro García Linera, le « co-pilote » du Président)
Parvenu au pouvoir avec l’engagement de respecter « l’agenda d’octobre », plateforme revendicative rédigée par les mouvements sociaux lors de la guerre du gaz en 2003, Evo Morales annonce dès le 1er mai 2006 la dite « nationalisation » des hydrocarbures et entreprend la renégociation des contrats avec les multinationales qui va aboutir en octobre de la même année. Les hydrocarbures redeviennent propriété de l’Etat en sous-sol et en surface. L’entreprise pétrolière publique (YPFB) est réactivée et joue un rôle dans la production et la commercialisation des ressources naturelles. Les multinationales doivent reverser 50 % de leurs bénéfices à l’Etat contre 18 % ultérieurement. L’objectif de 82 % prévus initialement a été revu à la baisse. La résistance des multinationales Petrobras (Brésil), Repsol (Espagne) et Total (France) et la pression exercée par les Etats ont eu raison du gouvernement. Le bras de fer a été très dur avec le gouvernement brésilien. Néanmoins, cette mesure permet au gouvernement de multiplier par quatre les ressources liées à l’exploitation des hydrocarbures et de mettre en place des politiques sociales (campagnes d’alphabétisation, de vaccinations, bourses scolaires et, tout récemment, la retraite universelle pour les plus de 60 ans: la Renta Dignidad). Les recettes de l’Etat vont continuer à progresser fortement ces prochaines années grâce à cette mesure. Le contrôle du produit intérieur brut (PIB) par l’Etat est ainsi passé de 6% à 19%. L’objectif est de parvenir rapidement à 30%. Evo Morales a annoncé le 1er mai que l’Etat bolivien reprenait le contrôle de trois filiales pétrolières à capitaux étrangers et le retour dans le giron public de l’entreprise nationale de télécommunications (ENTEL) qui était gérée la multinationale italienne Euro Telecom International.
Après les luttes de Cochabamba en 2000 et à El Alto en 2005 qui contestaient les concessions de la gestion de l’eau accordée à Betchel et à Suez-Lyonnaise des eaux, un ministère de l’eau a été créé pour la première fois en janvier 2006. Le 4 janvier 20077, la compagnie française a accepté de partir moyennant une indemnisation, elle a été remplacée par l’Entreprise publique (EPSAS). Dans ces deux villes, les tarifs n’ont pas encore diminué et la modernisation des réseaux s’opère lentement. Le « contrôle social » sur la gestion des nouvelles entreprises publiques a quelques difficultés à s’exercer. Le Gouvernement n’a pas encore abrogé la loi qui permit l’entrée des multinationales dans le pays. A ce jour, comme le déplore la Coordination de l’eau, seize projets de loi ont été rédigés mais aucun n’a encore été présenté au Parlement.
Autre engagement vis-à-vis de « l’agenda d’octobre », l’Assemblée Constituante a tardé à se mettre en place. Les élections ont eu lieu en juillet 2006, elles ont été remportées par le MAS qui a obtenu 137 sièges sur 255. Mais la droite défaite à deux reprises, repliée dans les départements de l’est du pays, l’Oriente, a mené une guerre de résistance, elle n’a eu de cesse d’entraver les travaux et n’a pas hésité à utiliser la violence physique. (Cf. La nouvelle Constitution : un accouchement aux forceps)
Si le texte constitutionnel est conforme aux attentes des mouvements sociaux, il n’a pas encore pu être soumis à un référendum populaire. La date initiale du 4 mai 2008 a été repoussée par la Cour nationale électorale. Le texte introduit de profonds changements et il est novateur dans beaucoup d’aspects mais il doit être adopté. (Cf. Un projet constitutionnel de rupture)
Face à tous ces projets, l’oligarchie, soutenue par une partie importante de la droite, mène une bataille sur l’autonomie voire le séparatisme. Le département de Santa Cruz, qu’elle contrôle a organisé un référendum avec l’assentiment de la Maison Blanche mais qui a été reconnu illégal par l’Organisation des Etats Américains (OEA). Mais derrière cette revendication, il faut y voir principalement une opposition féroce à la réforme agraire et un refus de toute solidarité avec les populations indiennes de l’Altiplano. Le jour de la ratification de la nouvelle Constitution, les citoyens devront se prononcer sur la récupération des terres par l’Etat au-delà de cinq mille ou dix mille hectares (17 familles contrôlent 512 000 hectares). De même, en réaction à une limitation transitoire des exportations agricoles, l’oligarchie a décidé d’engager une « guerre économique » en créant la pénurie sur des produits de base et en provoquant de l’inflation, qui n’est pas sans rappeler de mauvais souvenirs pour les populations urbaines. Le traumatisme de l’inflation du début des années 1980 sous un gouvernement progressiste est resté gravé dans les mémoires.
Pays producteur de la feuille de coca, la Bolivie est mise au ban des nations par la Convention de Vienne. Base de la cocaïne, la plante est l’objet d’une politique d’éradication principalement de la part des Etats-Unis depuis une vingtaine d’années. Mais derrière cette stratégie agressive de Washington se cache bien d’autres enjeux. Ancien leader cocalero, le président bolivien développe une autre stratégie qui consisterait à produire de nombreux dérivés à partir de la feuille sacrée des Andes, dont les vertus physiologiques ne sont plus à démontrer. (Cf. La coca : source de discorde)
Le développement de l’exploitation des ressources naturelles et de l’appareil productif permet de générer de l’emploi et des subsides pour l’Etat et donc de financer des politiques sociales mais cette logique productiviste n’est pas sans conséquence pour l’environnement. Si la Bolivie a pris des décisions courageuses sur la préservation de la biodiversité, de l’eau, l’interdiction des OGM, certains choix politiques parfois contraints comportent indiscutablement des risques. Le modèle de développement doit être interrogé même s’il repose sur des intentions louables. (Cf. Un type de développement aux conséquences environnementales prévisibles)
Enfin, le gouvernement d’Evo Morales a engagé une politique extérieure multilatérale qui rompt totalement avec ses prédécesseurs. S’il a maintenu les relations commerciales avec la Communauté andine des nations (CAN) et le Mercosur, la Bolivie a tout de suite intégré l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) et a refusé de signer un accord de libre échange avec les Etats-Unis. Tout en diversifiant ses interlocuteurs, Evo Morales est proche de ses homologues : Chávez (Venezuela), Correa (Equateur), Castro (Cuba) et a développé des relations avec les pays émergeants du Sud. (Cf. Une politique extérieure multilatérale)
Plus de deux années après leur arrivée au pouvoir, le MAS et Evo Morales ont indiscutablement engagé des réformes et un processus de changement dans le pays. Ils ont respecté leurs promesses. Ils ne puisent pas leur inspiration dans telle ou telle idéologie, leur action se caractérise surtout par un grand pragmatisme. Ils entendent construire un Etat fort pour reconquérir une souveraineté nationale et orienter l’activité économique. S’ils répondent aux attentes de leur base paysanne et indigène, une partie des couches moyennes urbaines, qui ont soutenu leur arrivée au pouvoir commence à s’en détourner et à manifester sa grogne. Les dirigeants vont devoir en tenir compte pour éviter quelques déconvenues. La droite a engagé un bras de fer avec le pouvoir dont on ne sait pas quelle en sera l’issue. Si sa volonté de séparatisme se concrétisait, elle aurait des répercussions sur l’ensemble de l’Amérique latine. Le séparatisme est devenu la principale arme de l’empire états-unien et celui-ci n’hésite pas à le soutenir financièrement. Le processus de changement reste donc fragile mais le pouvoir peut compter sur une base sociale solide, toujours prompte à se mobiliser pour défendre les premiers acquis de la « Révolution démocratique et culturelle ». Pour réussir, les dirigeants boliviens devront éviter quelques écueils.
Les auteurs sont membres de la commission internationale des Alternatifs.
Ce dossier tente d’apporter des éclairages sur la situation actuelle en Bolivie. La délégation des Alternatifs qui s’est rendue dans ce pays en mars 2008 a pu s’entretenir avec de nombreux-ses militant-e-s syndicaux, féministes, politiques, acteur-trice-s de mouvements sociaux, ce lui a permis d’appréhender le contexte social et politique et les transformations en cours en Bolivie. Faute de place et de temps, la retranscription exhaustive des différents aspects et du contenu de toutes ces rencontres n’a pas été possible. Les rédacteurs ont donc privilégié certains thèmes, forcément réducteurs, mais qui permettent néanmoins d’avoir une vision d’ensemble du processus en cours. Les articles ne sont ni référencés, ni annotés mais la bibliographie, le glossaire et la présentation du pays permettent de se repérer, d’accéder et de trouver des informations complémentaires.
Ce dossier a été publié en mai 2008 dans Rouge et Vert.
Ces dernières années, la Bolivie a vécu un cycle de luttes extrêmement importantes contre l’empire et la logique capitaliste néolibérale. L’accumulation de forces et d’expériences, d’une part, l’engagement institutionnel des mouvements sociaux via leur « instrument politique », de l’autre, ont permis d’entrevoir un changement. Les victoires d’Evo Morales et du Mouvement vers le socialisme (MAS) en décembre 2005 résultent indubitablement de cette conjonction. De l’émergence du mouvement cocalero dans les années 1980 à la crise de mai-juin 2005 sur la question de la loi sur les hydrocarbures, en passant par la « guerre de l’eau » à Cochabamba en avril 2000 et la « guerre du gaz » en octobre 2003, les mobilisations sociales ont exercé une influence indéniable et ont contribué grandement à ces victoires. Elles puisent également leurs racines dans les luttes qui permirent la « Révolution nationale » en 1952. (Cf. Un demi-siècle de luttes populaires)
L’indianisme, réactivé par le mouvement katariste dans les années 1970, a été repensé pour s’intégrer dans un projet politique global. Eloigné de toute conception indigéniste, il se veut un facteur déterminant dans la construction d’une nation unie dans la diversité. Les multiples composantes de la population doivent se retrouver dans un contrat social qui reconnaîtrait les différentes cultures. (Cf. L’indianisme comme facteur déterminant du projet politique)
Dans les années 1990, alors que le mouvement syndical indigène et paysan se renforce, la gauche se refuse toujours à accorder sa véritable place à ce mouvement ce qui le conduit à créer son propre instrument politique et à se présenter seul aux élections. Mélange de références au marxisme, à l’indianisme et au nationalisme révolutionnaire, le MAS progresse rapidement jusqu’à devenir la principale force politique du pays. (Cf. Le MAS : un instrument politique atypique)
Son leader, Evo Morales, passe du statut de syndicaliste cocalero à celui de Président de la République. Après cinq siècles de domination coloniale, impérialiste et néolibérale, c’est la première fois qu’un indien accède au pouvoir. (Cf. Evo Morales : Biographie d’une lutte)
Au sein du MAS, très vite, il pense qu’une « alliance de classes » - entendu comme entente entre les classes populaires et les « classes moyennes » - est indispensable pour parvenir au pouvoir. Il se lie à Álvaro García Linera, sociologue influencé par Toni Negri et Pierre Bourdieu, ancien membre de l’Armée guerillera Túpak katari (EGTK), représentant de la couche moyenne intellectuelle bolivienne. (Cf. Álvaro García Linera, le « co-pilote » du Président)
Parvenu au pouvoir avec l’engagement de respecter « l’agenda d’octobre », plateforme revendicative rédigée par les mouvements sociaux lors de la guerre du gaz en 2003, Evo Morales annonce dès le 1er mai 2006 la dite « nationalisation » des hydrocarbures et entreprend la renégociation des contrats avec les multinationales qui va aboutir en octobre de la même année. Les hydrocarbures redeviennent propriété de l’Etat en sous-sol et en surface. L’entreprise pétrolière publique (YPFB) est réactivée et joue un rôle dans la production et la commercialisation des ressources naturelles. Les multinationales doivent reverser 50 % de leurs bénéfices à l’Etat contre 18 % ultérieurement. L’objectif de 82 % prévus initialement a été revu à la baisse. La résistance des multinationales Petrobras (Brésil), Repsol (Espagne) et Total (France) et la pression exercée par les Etats ont eu raison du gouvernement. Le bras de fer a été très dur avec le gouvernement brésilien. Néanmoins, cette mesure permet au gouvernement de multiplier par quatre les ressources liées à l’exploitation des hydrocarbures et de mettre en place des politiques sociales (campagnes d’alphabétisation, de vaccinations, bourses scolaires et, tout récemment, la retraite universelle pour les plus de 60 ans: la Renta Dignidad). Les recettes de l’Etat vont continuer à progresser fortement ces prochaines années grâce à cette mesure. Le contrôle du produit intérieur brut (PIB) par l’Etat est ainsi passé de 6% à 19%. L’objectif est de parvenir rapidement à 30%. Evo Morales a annoncé le 1er mai que l’Etat bolivien reprenait le contrôle de trois filiales pétrolières à capitaux étrangers et le retour dans le giron public de l’entreprise nationale de télécommunications (ENTEL) qui était gérée la multinationale italienne Euro Telecom International.
Après les luttes de Cochabamba en 2000 et à El Alto en 2005 qui contestaient les concessions de la gestion de l’eau accordée à Betchel et à Suez-Lyonnaise des eaux, un ministère de l’eau a été créé pour la première fois en janvier 2006. Le 4 janvier 20077, la compagnie française a accepté de partir moyennant une indemnisation, elle a été remplacée par l’Entreprise publique (EPSAS). Dans ces deux villes, les tarifs n’ont pas encore diminué et la modernisation des réseaux s’opère lentement. Le « contrôle social » sur la gestion des nouvelles entreprises publiques a quelques difficultés à s’exercer. Le Gouvernement n’a pas encore abrogé la loi qui permit l’entrée des multinationales dans le pays. A ce jour, comme le déplore la Coordination de l’eau, seize projets de loi ont été rédigés mais aucun n’a encore été présenté au Parlement.
Autre engagement vis-à-vis de « l’agenda d’octobre », l’Assemblée Constituante a tardé à se mettre en place. Les élections ont eu lieu en juillet 2006, elles ont été remportées par le MAS qui a obtenu 137 sièges sur 255. Mais la droite défaite à deux reprises, repliée dans les départements de l’est du pays, l’Oriente, a mené une guerre de résistance, elle n’a eu de cesse d’entraver les travaux et n’a pas hésité à utiliser la violence physique. (Cf. La nouvelle Constitution : un accouchement aux forceps)
Si le texte constitutionnel est conforme aux attentes des mouvements sociaux, il n’a pas encore pu être soumis à un référendum populaire. La date initiale du 4 mai 2008 a été repoussée par la Cour nationale électorale. Le texte introduit de profonds changements et il est novateur dans beaucoup d’aspects mais il doit être adopté. (Cf. Un projet constitutionnel de rupture)
Face à tous ces projets, l’oligarchie, soutenue par une partie importante de la droite, mène une bataille sur l’autonomie voire le séparatisme. Le département de Santa Cruz, qu’elle contrôle a organisé un référendum avec l’assentiment de la Maison Blanche mais qui a été reconnu illégal par l’Organisation des Etats Américains (OEA). Mais derrière cette revendication, il faut y voir principalement une opposition féroce à la réforme agraire et un refus de toute solidarité avec les populations indiennes de l’Altiplano. Le jour de la ratification de la nouvelle Constitution, les citoyens devront se prononcer sur la récupération des terres par l’Etat au-delà de cinq mille ou dix mille hectares (17 familles contrôlent 512 000 hectares). De même, en réaction à une limitation transitoire des exportations agricoles, l’oligarchie a décidé d’engager une « guerre économique » en créant la pénurie sur des produits de base et en provoquant de l’inflation, qui n’est pas sans rappeler de mauvais souvenirs pour les populations urbaines. Le traumatisme de l’inflation du début des années 1980 sous un gouvernement progressiste est resté gravé dans les mémoires.
Pays producteur de la feuille de coca, la Bolivie est mise au ban des nations par la Convention de Vienne. Base de la cocaïne, la plante est l’objet d’une politique d’éradication principalement de la part des Etats-Unis depuis une vingtaine d’années. Mais derrière cette stratégie agressive de Washington se cache bien d’autres enjeux. Ancien leader cocalero, le président bolivien développe une autre stratégie qui consisterait à produire de nombreux dérivés à partir de la feuille sacrée des Andes, dont les vertus physiologiques ne sont plus à démontrer. (Cf. La coca : source de discorde)
Le développement de l’exploitation des ressources naturelles et de l’appareil productif permet de générer de l’emploi et des subsides pour l’Etat et donc de financer des politiques sociales mais cette logique productiviste n’est pas sans conséquence pour l’environnement. Si la Bolivie a pris des décisions courageuses sur la préservation de la biodiversité, de l’eau, l’interdiction des OGM, certains choix politiques parfois contraints comportent indiscutablement des risques. Le modèle de développement doit être interrogé même s’il repose sur des intentions louables. (Cf. Un type de développement aux conséquences environnementales prévisibles)
Enfin, le gouvernement d’Evo Morales a engagé une politique extérieure multilatérale qui rompt totalement avec ses prédécesseurs. S’il a maintenu les relations commerciales avec la Communauté andine des nations (CAN) et le Mercosur, la Bolivie a tout de suite intégré l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) et a refusé de signer un accord de libre échange avec les Etats-Unis. Tout en diversifiant ses interlocuteurs, Evo Morales est proche de ses homologues : Chávez (Venezuela), Correa (Equateur), Castro (Cuba) et a développé des relations avec les pays émergeants du Sud. (Cf. Une politique extérieure multilatérale)
Plus de deux années après leur arrivée au pouvoir, le MAS et Evo Morales ont indiscutablement engagé des réformes et un processus de changement dans le pays. Ils ont respecté leurs promesses. Ils ne puisent pas leur inspiration dans telle ou telle idéologie, leur action se caractérise surtout par un grand pragmatisme. Ils entendent construire un Etat fort pour reconquérir une souveraineté nationale et orienter l’activité économique. S’ils répondent aux attentes de leur base paysanne et indigène, une partie des couches moyennes urbaines, qui ont soutenu leur arrivée au pouvoir commence à s’en détourner et à manifester sa grogne. Les dirigeants vont devoir en tenir compte pour éviter quelques déconvenues. La droite a engagé un bras de fer avec le pouvoir dont on ne sait pas quelle en sera l’issue. Si sa volonté de séparatisme se concrétisait, elle aurait des répercussions sur l’ensemble de l’Amérique latine. Le séparatisme est devenu la principale arme de l’empire états-unien et celui-ci n’hésite pas à le soutenir financièrement. Le processus de changement reste donc fragile mais le pouvoir peut compter sur une base sociale solide, toujours prompte à se mobiliser pour défendre les premiers acquis de la « Révolution démocratique et culturelle ». Pour réussir, les dirigeants boliviens devront éviter quelques écueils.
Les auteurs sont membres de la commission internationale des Alternatifs.
Ce dossier tente d’apporter des éclairages sur la situation actuelle en Bolivie. La délégation des Alternatifs qui s’est rendue dans ce pays en mars 2008 a pu s’entretenir avec de nombreux-ses militant-e-s syndicaux, féministes, politiques, acteur-trice-s de mouvements sociaux, ce lui a permis d’appréhender le contexte social et politique et les transformations en cours en Bolivie. Faute de place et de temps, la retranscription exhaustive des différents aspects et du contenu de toutes ces rencontres n’a pas été possible. Les rédacteurs ont donc privilégié certains thèmes, forcément réducteurs, mais qui permettent néanmoins d’avoir une vision d’ensemble du processus en cours. Les articles ne sont ni référencés, ni annotés mais la bibliographie, le glossaire et la présentation du pays permettent de se repérer, d’accéder et de trouver des informations complémentaires.
Ce dossier a été publié en mai 2008 dans Rouge et Vert.
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