Richard Neuville
Álvaro García Linera, l'actuel vice-président de la Bolivie est bien peu connu en France et l’influence qu’il exerce sur la politique actuelle de son pays l’est encore moins. Il symbolise pourtant l'alliance des couches moyennes urbaines et intellectuelles avec les peuples indigènes, qui a contribué à la victoire d’Evo Morales en décembre 2005. Mieux cerner sa personnalité et son itinéraire permet de comprendre le processus actuel de transformation sociale en Bolivie.
Álvaro García Linera, l'actuel vice-président de la Bolivie est bien peu connu en France et l’influence qu’il exerce sur la politique actuelle de son pays l’est encore moins. Il symbolise pourtant l'alliance des couches moyennes urbaines et intellectuelles avec les peuples indigènes, qui a contribué à la victoire d’Evo Morales en décembre 2005. Mieux cerner sa personnalité et son itinéraire permet de comprendre le processus actuel de transformation sociale en Bolivie.
Álvaro García Linera est né en 1962 dans une famille métisse de la classe moyenne de Cochabamba. Il s'initie très tôt à la politique à l’époque de la dictature d'Hugo Banzer (1971-1978). Plus tard, comme étudiant en mathématiques à l'Université autonome de Mexico, il s'implique dans les campagnes de solidarité avec l'Amérique centrale. Cas peu commun dans la classe intellectuelle bolivienne, il ne militera jamais au sein de la gauche traditionnelle avec laquelle il polémique. Au début des années 90, il intègre même l’Armée guérillera Túpak Katari (EGTK), créée pour provoquer une insurrection indigène dans le pays, seule à même d’inverser le rapport de forces et de transformer radicalement le pays. Il y rencontre Felipe Quispe, leader aymara (qui sera longtemps un adversaire syndical et politique d'Evo Morales). Mais la guérilla est vaincue. Felipe Quispe et Álvaro García Linera feront cinq ans de prison. Au cours de sa détention, Álvaro étudie la sociologie et il évolue vers d’autres modes d’action.
Quand il sort de prison, il intègre l'Université de la Paz comme professeur de sociologie et participe à la fondation du groupe d'intellectuels critiques « Comuna », dont la production analyse et accompagne l'évolution des mouvements sociaux. Il publie un texte très novateur « Syndicat, multitude et communauté » qui permet de comprendre les transformations sociales et politiques résultant des réformes néolibérales des années 80. Il est un temps influencé par Toni Negri mais sa référence permanente reste Pierre Bourdieu. Il est passé d’un marxisme dit « classique » à la défense de l’autonomie des mouvements sociaux.
A partir de 2002, Álvaro García Linera se rapproche du MAS et se lie progressivement à Evo Morales. C'est tout naturellement que le leader du MAS, convaincu de la nécessité d'une alliance avec les couches moyennes et intellectuelles pour l'emporter, lui propose d'être le candidat à la vice-présidence. Après le retrait de Felipe Quispe, il devient aussi le lien entre les deux principales communautés indigènes que sont les aymaras et les quechuas. Son itinéraire et son origine sociale lui procurent une double légitimité.
Le 18 décembre 2005 - fait unique dans l’histoire de la Bolivie - ils sont élus dès le premier tour avec 54 % des voix. Son arrivée à la vice-présidence perpétue une tradition d’intellectuels boliviens et latino-américains qui sont passés des « armes de la critique » à la « critique des armes » pour transformer la réalité. Il s’engage ainsi de nouveau auprès des plus humbles, privé-e-s trop longtemps - bien que majoritaires dans le pays - de l’accès au pouvoir, pour construire une nation qui rompt avec l’exclusion et mettre en œuvre un projet ou chacun-e aura sa place.
Son rôle d’intermédiaire entre la présidence et le parlement lui confère une responsabilité importante. Il a été très impliqué dans les négociations avec l’opposition sur le processus constituant et la future ratification de la nouvelle Constitution. Pour beaucoup et notamment les peuples indigènes il s’est montré trop conciliant avec l’opposition en acceptant des concessions qui ont entravées le processus constitutionnel. Ce n’est pas faux mais la préoccupation permanente du nouveau pouvoir est le plus haut respect des valeurs démocratiques et le « vivre bien » doit inclure plutôt qu’exclure. Dans un processus de changement qui se veut radical, la tentation est parfois grande d’imposer plutôt que de négocier. Álvaro García Linera et Evo Morales ont choisi la voie de la négociation. Le vice-président n’y aura certainement pas été étranger.
(Mai 2008)
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