Nous publions successivement cinq courts articles (encadrés) rédigés par Richard Neuville, parus dans le livre "Autogestion, hier, aujourd'hui, demain", coordonné par le collectif Lucien Collonges, éditions Syllepse, mai 2010, 703p.
Richard Neuville *
L’histoire de l’entreprise Ceralep débute à Saint-Vallier (Drôme) en 1921. Elle se conjugue avec celle du capitalisme industriel et financier. Possédant un savoir-faire dans un secteur stratégique, l’entreprise est rachetée successivement par des groupes français, européens puis américain. Au gré des restructurations, l’effectif passe de 500 salariés dans les années 70 à 150 en 1990. En janvier 2004, comme des milliers d’autres ces dernières années, elle est mise en liquidation pour ne pas avoir distribué suffisamment de dividendes à ses actionnaires. Mais cette fois-ci, l’entreprise ne fermera pas. Très déterminés, les travailleurs engagent la lutte pour conserver leur emploi et poursuivre la production sous la forme coopérative.
Ceralep fabrique des isolants en céramique essentiels pour le transport et la distribution électrique. Pour résister à la concurrence japonaise, le secteur s’est d’abord restructuré dans les années 70 sous l’impulsion des principales entreprises nationales (Ceraver, Merlin Gerin, Alstom Atlantique), puis de grands groupes européens comme l’autrichien CERAM, qui est lui-même acquis en 2000 par PPC Insolators, détenu par des fonds de pension américains. En moins de trois ans, l’entreprise est poussée au dépôt de bilan. Les actionnaires du groupe estimant l’entreprise insuffisamment rentable déposent le bilan en septembre 2003 et licencient 57 personnes. Pourtant l’entreprise possède un solide carnet de commandes et produit pour 130 clients et non des moindres (EDF, SNCF, AREVA, SAGEM…). Malgré cela, la société est mise en liquidation le 31 janvier 2004 et l’administrateur ne déploie pas beaucoup d’énergie pour retrouver un repreneur. Le tribunal de commerce de Romans refuse même un projet de reprise pour un euro symbolique.
Refusant la fatalité de la fermeture de leur entreprise et convaincus de sa viabilité, les salariés engagent une forte mobilisation. Les 93 salariés se réunissent chaque jour en assemblée générale et communiquent rapidement vers l’extérieur. Ils se rendent à l’évidence que la pérennité de l’activité passe par la création d’une coopérative. Le secrétaire CGT du comité d’entreprise contacte l’Union régionale des SCOP pour étudier un plan de reprise. La production est quasi-interrompue pendant la constitution du dossier mais les travailleurs poursuivent leurs actions. La communauté de communes des Deux-Rives, soutenue par le conseil général et le conseil régional, leur met un local à disposition et du matériel de communication, ce qui leur permet de rester en relation avec leurs clients, de traiter le courrier et d’honorer certaines commandes en produisant clandestinement la nuit. Les travailleurs découvrent ainsi que le Commissariat à l’énergie atomique vient d’homologuer un de leurs produits.
Dans le projet de reprise, il est nécessaire de capitaliser à hauteur de 900 000 euros afin de constituer un fonds de roulement. Grâce à l’Urscoop, 800 000 euros sont rassemblés : une partie est obtenue grâce aux fonds d’investissement coopératifs Socoden et Scop, une autre grâce au Crédit coopératif, à la Mnef et à France Active qui octroient des prêts à des taux intéressants. L’Urscoop demande aux salariés de rassembler 100 000 euros pour constituer un capital social. Sur les 90 salariés, 52 s’engagent dans l’aventure et capitalisent l’entreprise, avec un apport personnel qui oscille entre 300 et 3 000 euros, en recueillant 51 000 euros. Mais le compte n’y est pas. Les salariés lancent alors un appel en direction de la population locale et au-delà. Ils installent des panneaux et des banderoles dans la ville et sur la nationale 7. En dix jours, un vrai élan de solidarité se créé dans tout le département, 802 donateurs - dont beaucoup de retraités de l’entreprise - apportent les 49 000 euros manquants qui permettent de constituer le capital social nécessaire. Les souscripteurs se constituent en association, les Amis de la SCOP, et sont représentés au Conseil d’administration. L’Urscoop dépose le dossier au tribunal de commerce en mars et l’activité reprend le 14 avril 2004. L’administration accepte d’éponger une partie des indemnités de licenciement d’un million d’euros que le fonds de pension n’avait pas payée.
Parmi les 52 salariés restants, il manque uniquement un gérant et un contrôleur de gestion, celui-ci est recruté. Le conseil d’administration désigne pour le poste de directeur et pour un mandat de six ans, révocable à tout moment, le syndicaliste CGT, secrétaire du comité d’entreprise, qui s’est le plus investi dans le projet de reprise. Tous les salariés embauchés deviennent sociétaires et cotisent l’équivalent de trois mois de salaire pour renforcer le capital social de l’entreprise. La productivité augmente rapidement de 25 % dans certains secteurs de la production. Dès la première année, l’entreprise récupère les anciens clients et dégage un résultat positif, elle parvient même à réaliser un plan d’investissement de 900 000 euros en 2007. L’effectif progresse et compte 62 salariés fin 2009. En cinq années, seize jeunes ont été embauchés pour compenser des départs en retraite et pourvoir les créations nettes d’emploi.
Les salariés sont informés et consultés en permanence de la marche de l’entreprise. Le conseil d’administration se réunit tous les deux mois et prend les décisions mais les plans d’investissement sont préalablement discutés dans les ateliers. Les salaires oscillent entre 1 800 et 3 000 € entre les ouvriers et le directeur. Depuis 2004, toutes les revendications salariales présentées par les trois syndicats ont été acceptées. Les salaires ont progressé de 4,5 % en 2007, de 2,5 % en 2008 et de 2 % en 2009 et une somme de 2 500 à 4 000 € a été redistribuée à chaque salarié.
La récupération de l’entreprise par les travailleurs a été rendue viable du fait de la qualité des produits reconnue au niveau mondial, grâce au soutien des principaux clients et probablement à la volonté politique de préserver ce secteur stratégique. Aujourd’hui, l’entreprise ne peut plus être délocalisée ou rachetée, une partie des bénéfices est reversée aux producteurs, l’effectif progresse et le savoir-faire industriel a été conservé. L’expérience de Ceralep montre clairement que les fermetures d’entreprises ne sont pas inéluctables et que les luttes des salariés pour conserver leurs emplois peuvent s’avérer victorieuses et contribuer à améliorer leurs conditions de travail et d’emploi. Comme l’indiquait Robert Nicaise, ancien syndicaliste CGT devenu PDG de l’entreprise : « cette reprise n’a été possible que parce que les travailleurs n’ont jamais baissé les bras face à la liquidation et sont restés mobilisés durant tout ce processus.» (Borrits 2010)
Richard Neuville, membre du Collectif Lucien Collonges, coordinateur de l'ouvrage "Autogestion, hier, aujourd'hui, demain", paru aux éditions Syllepse en mai 2010 (703 p.). Ce court article a été publié dans ce livre.
Benoît Borrits, Du combat syndical à l’appropriation de l’outil de travail, in Rouge & Vert, n°302, janvier 2010. Article rédigé suite à notre visite de l’entreprise le 4 janvier 2010. Publié sur ce site :
A la retraite, je me bats pour faire connaître les analyses de Bernard Friot, et celles de Michel Laloux, par ses propositions, je le sens frère de pensées avec Bernard Friot, je vois le formidable intérêt de les faire se rencontrer, c'est un point clé pour une évolution positive, là nous avancerions, marier Étienne Chouard avec serait une formidable triade.
RépondreSupprimerJe me tiens à votre disposition pour élaborer une rencontre collégiale qui ferait bien avancer le dé-tricotage du capitalisme ce monstre qui nous tue.
Cordialement avec vous, Gérard Dufour
NB : L'expérience de CERALEP doit vivre par ce que nous pouvons entreprendre ensemble, je me tiens à votre disposition pour tout complément d'info : gmdufour1@aliceadsl.fr