M. Colloghan

lundi 1 novembre 2010

Tower Colliery : Treize années de gestion ouvrière

Richard Neuville *

« La mine de Tower représente la liaison entre la nécessité d’une justice sociale à l’échelle locale et la volonté de porter des idéaux à l’échelle internationale. » (Carré 1999)


En 1979, à peine désignée Premier Ministre britannique, Margaret Thatcher, entreprend sa « révolution conservatrice » en s’attaquant aux acquis sociaux, aux droits syndicaux et aux services publics. Elle entend prendre sa revanche avec les mineurs, responsables à ses yeux de la chute du gouvernement conservateur d’Edward Health en 1974. Elle décide pour cela de remplacer l’industrie minière par le gaz et l’énergie nucléaire, beaucoup plus cher. Une longue bataille politique s’engage alors entre la Dame de fer et le syndicat des mineurs. En mars 1984, l’Union nationale des mineurs déclenche une grève illimitée. Celle-ci sera la plus longue de l’histoire du mouvement ouvrier britannique mais les mineurs reprendront le travail un an plus tard en mars 1985 sans avoir rien obtenu. (Lemoine 1985)
 

Le pouvoir du puissant syndicat est totalement brisé, il a été vaincu par le redoutable dispositif défensif des conservateurs : des forces de police accrues, bien payées et bien formées, ainsi qu’un important réseau d’informateurs. Les fermetures de puits se succèdent. Entre 1983 et 1990, le nombre de mineurs passe de 181 000 à 65 000. (Patzold 1999)

En octobre 1992, le gouvernement annonce la fermeture de 31 des 50 dernières mines de l’entreprise nationale British Coal et le licenciement de 30 000 mineurs. La mine de Tower Colliery à Aberdare, dernière en activité du sud du pays de Galles, est concernée. Il s’agit également d’un des derniers bastions ouvriers de Grande-Bretagne. Les mineurs résistent et marchent sur Londres, les femmes entrent dans la lutte. Les vallées environnantes se mobilisent pour soutenir financièrement les grévistes car les fonds syndicaux sont bloqués pour action illégale. La fermeture du puits est signée le 19 avril 1994. Mais les mineurs ne se résignent pas. Tyrone O’Sullivan, secrétaire du syndicat, et ses camarades votent le rachat de leur entreprise en investissant leurs indemnités de licenciement (8 000 livres) afin de poursuivre l’extraction du charbon dans la « Cynon Valley », dont le filon est exploité depuis 1831.

Le 2 janvier 1995, 239 mineurs reprennent la production sous la forme de coopérative autogérée. Le directeur général est désigné pour un mandat de deux ans, renouvelable une seule fois. Un système de formation continue est mis en place afin de permettre une certaine rotation des tâches. Une des premières décisions est d’attribuer une augmentation significative des salaires et d’instaurer une véritable couverture maladie garantissant un maintien du salaire intégral pendant 15 mois. L’écart des salaires est de un à deux. Des ingénieurs et des cadres de haut niveau sont recrutés en assemblée générale et deviennent sociétaires de la coopérative après avoir payé leur quote-part. Les mineurs gestionnaires démontrent qu’ils peuvent parfaitement gérer leur entreprise et investissent pour la sécurité des travailleurs. Très vite, en dépit des discours des précédents dirigeants et des représentants du gouvernement, la mine s’avère très rentable. Tower Colliery se montre exemplaire avec des taux d’accidents du travail et d’absentéisme extrêmement bas. La coopérative réalise d’importants bénéfices sans pour autant tout sacrifier à la sacro-sainte productivité. Elle forme des apprentis et son effectif atteint rapidement 400 salariés. Le rapport au travail, à la hiérarchie, à la culture se transforme de manière irréversible et les travailleurs ont le sentiment de préserver leur « idéal socialiste ». La coopérative s’engage localement en soutenant activement le tissu associatif des vallées proches et exerce sa solidarité ouvrière et internationaliste notamment par le soutien aux luttes des mineurs polonais et sud-africains, par l’envoi de charbon et de nourriture à Cuba.

Les mineurs anticipent sur la disparition des gisements et pour les générations futures. Très tôt, il ne s’agit pas uniquement de faire fonctionner la mine mais de réfléchir à l’avenir. La coopérative exploite au mieux le filon jusqu’à son terme. Mais pour des raisons géologiques, la mine ferme définitivement ses portes le 3 août 2009 après treize années d’autogestion réussie. Cependant « si le filon géologique est épuisé, le filon politique est encore exploité. » (Health 2008) La mine a en effet prospéré, embauché, permis de bien assurer la retraite des mineurs et sert encore de modèle d’organisation politique et économique. Environ 70 travailleurs ont été transférés sur les mines d’Aberpergwn toutes proches, de nouveau soutenues par les pouvoirs publics et « Unity Mine » en a repris 50 autres. Entre-temps, l’Etat britannique a changé de tactique. Au désengagement systématique a succédé une politique de financement public. L’Assemblée galloise verse également des subventions pour soutenir la formation de jeunes mineurs. Sur la propriété de 250 hectares, plusieurs projets sont à l’étude.


L’histoire de Tower a été popularisée dans le monde entier. Elle a inspiré, et inspirera encore, des générations de travailleurs jetées du jour au lendemain à la porte des entreprises.


* Richard Neuville est membre du Collectif Lucien Collonges, coordinateur de l'ouvrage "Autogestion, hier, aujourd'hui, demain", paru aux éditions Syllepse en mai 2010. Ce court article a été publié dans cet ouvrage


Pour en savoir plus

Jean-Michel Carré, Charbons ardents – Construction d’une utopie, Arte éditions et Le Serpent à plumes, Paris, 1999 et réalisateur du film documentaire « Charbons ardents », Grain de sable, 1999.
Tony Health, Tower Colliery : le charbon qui valait de l’or, The Independant, 27 janvier 2008.
Maurice Lemoine, La longue grève des mineurs britanniques, Le Monde diplomatique, janvier 1985.
Brigitte Patzold, Autogestion dans une mine du Pays de Galles, Le Monde diplomatique, juillet 1999.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire