M. Colloghan

mercredi 10 novembre 2010

L’hôtel de luxe qui accueillait ouvriers, paysans et militants

Par Sophie Chapelle (5 novembre 2010)

Le Bauen, à Buenos Aires, est un grand hôtel atypique. Fermé en 2001 pour cause de mauvaise gestion et de crise financière, il a rouvert sous l’impulsion d’une poignée d’anciens employés licenciés. Décidés à se réapproprier leur ancien outil de travail, ils se lancent dans l’aventure de l’autogestion et se regroupent en coopérative. Pari réussi pour un lieu d’hébergement qui accueille touristes et militants solidaires.

Le café-restaurant ne désemplit pas. Des habitants du quartier s’y mélangent aux touristes et militants de passage. Un brouhaha gagne progressivement le hall d’entrée, qui jouxte le bar. Une centaine de campesinos venus des quatre coins d’Argentine débarquent. Ils se rendent à la première fête nationale des semences, non loin de Buenos Aires. Les deux ascenseurs sont pris d’assaut entraînant un difficile chassé-croisé dans les escaliers. Derrière la réception de l’hôtel, c’est Diego, l’attaché de presse, qui remplace au pied-levé un collègue malade. Bienvenue à Bauen [1], un hôtel de luxe récupéré et autogéré par les travailleurs depuis 2003.


Comme de nombreux autres associés de Bauen, Armando a commencé à travailler comme serveur dans l’hôtel bien avant sa récupération par les salariés. Ce lieu emblématique de la capitale argentine n’est pas tout jeune. Construit sous la dictature militaire à l’occasion de la coupe du monde de football de 1978, l’hôtel Bauen accueille alors l’élite argentine. « C’était un défilé d’artistes, de politiques, d’hommes d’affaires, de touristes du monde entier », se souvient le serveur. Les dettes contractées par le propriétaire le conduisent en 1997 à vendre le prestigieux édifice. Racheté par un homme d’affaires chilien, l’hôtel est géré de façon calamiteuse jusqu’en décembre 2001, quand l’Argentine est frappée de plein fouet par une crise financière qui ruine le pays. Le propriétaire met la clé sous la porte.

« J’avais du mal à passer devant l’hôtel et à le voir partir en morceaux », se rappelle Maria del Valle, ancienne employée désormais responsable des relations presse de l’hôtel. « Je ne savais pas à l’époque qu’il existait un mouvement de récupération des entreprises ». La fermeture est d’autant plus dure à avaler que l’ancien propriétaire rouvre un autre hôtel plus moderne, à proximité [2]. « Le pays était entré dans une instabilité totale, nous n’avions pas d’argent pour envoyer notre fils à l’école. Les employés étaient victimes d’une politique obsolète, néolibérale, aggravant la précarité. Ce n’est pas un hasard si nous avons décidé d’emprunter un chemin alternatif », explique Marcelo Ruarte, 59 ans dont 23 passés à la réception, et premier président de la coopérative.

« Occuper, résister, produire ! »
Trente travailleurs licenciés de Bauen décident de suivre ce chemin alternatif le 21 mars 2003. Ils occupent l’hôtel, fermé depuis quinze mois, en passant par un tunnel qu’a fait creuser leur ancien patron entre les deux hôtels. « Revenir dans ce lieu nous a d’abord permis de nous retrouver, de savoir que nous disposions de capacités et d’un énorme potentiel d’idées, se souvient Marcelo. Nous savions que nous allions en faire un lieu autogéré. » Ils déposent les statuts d’une coopérative. Leur objectif : « Occuper, résister, produire ! ». Les associés sont davantage guidés par une nécessité pratique plutôt que par une idéologie autogestionnaire.

Sous la menace constante de l’expulsion, les travailleurs s’organisent pour réhabiliter progressivement l’hôtel. Les journées se révèlent éprouvantes. Les associés sont contraints de beaucoup bosser sans rien gagner au départ. « Nous n’avions que du pain et du maté (thé à base de plante héritée des cultures indiennes), se souvient Maria, qui prend alors le risque de lâcher son nouvel emploi pour rejoindre l’aventure. Nous avons commencé par acheter quelques produits de nettoyage pour les salons, l’entrée et toute la palissade ». Une fois les salles de conférence réaménagées, ils décident d’ouvrir un premier lot de chambres. Les premiers clients débarquent. « L’entreprise récupérée n’a pas de capital et par conséquent pas de facilités pour obtenir des crédits. Il nous fallait tranquilliser la situation, économiser et acheter des lits, des télévisions... Tout s’est fait petit à petit », raconte le premier président de la coopérative.

Lire l'article complet avec le lien : http://www.bastamag.net/article1236.html  

Sophie Chapelle

Notes
[1] Bauen correspond aux initiales de Buenos Aires Una Empresa Nacional (Une entreprise nationale de Buenos Aires)
[2] Le « Bauen Suite Hotel », à ne pas confondre avec l’hôtel Bauen en coopérative, si vous vous rendez à Buenos Aires.










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