M. Colloghan

lundi 14 décembre 2020

Autogestion, écologie et féminisme au cœur de la IIIe rencontre de l’« Économie des travailleur-se-s »

(Milan, 12-14 avril 2019)

Par Bruno Della Sudda et Richard Neuville

La troisième rencontre euro méditerranéenne de l’« Économie des travailleur-se-s »i s'est tenue du 12 au 14 avril 2019 à Trezzano sul Naviglio (Banlieue de Milan), dans les locaux de l'usine autogérée RiMaflowii. Elle s'inscrivait dans le cadre des activités du réseau international initié en 2007 lors de la première réunion organisée en Argentine, à l'initiative du programme Faculta Abierta de l'université de Buenos Aires. Elle faisait suite des IIIe rencontres régionales sud-américaine et centre/nord-américaine qui furent organisées à Santiago du Chili et à Mexico l’automne dernier. Le retard pris pour la rencontre euro méditerranéenne est dû à la menace d’expulsion qui pesait sur les travailleur-se-s de l’usine RiMaflow ces derniers mois. L’organisation s’est appuyée sur le réseau national Fuorimercato (hors du marché) Autogestione in movimentoiii mis en place ces dernières années en Italie. Cette rencontre s’inscrivait dans le prolongement de celles tenues dans les usines Fralib (aujourd’hui SCOP-TI) à Gémenos en janvier 2014iv et Vio-Me à Thessalonique en octobre 2016v par le réseau euro méditerranéen. Elle a rassemblé 250 personnes environ avec une parité hommes/femmes et une proportion importante de jeunes. Elle a réuni des participant.es d’une dizaine de pays : Allemagne, Belgique, Croatie, État espagnol, France, Grèce, Hongrie, Italie, Kurdistan, Russie, ainsi qu'une délégation d'Argentine et du Brésil représentant le réseau mondial.

 

Les rencontres de l’Économie des travailleur-se-s s’articulent comme un espace de débat entre des travailleur-se-s, des syndicalistes, des militant-e-s sociaux et politiques, des chercheurs et des chercheuses, ainsi que des universitaires sur les problèmes et les potentialités des expériences rencontrées par les travailleuses et les travailleurs. Elles sont basées sur l’autogestion et la défense des droits et des intérêts des travailleur-se-s qui vivent de leur travail, dans les conditions actuelles du capitalisme mondialisé néolibéral. Dans ce type de rencontre, les expériences d’autogestion générées par les travailleur-se-s sud-américain-e-s et européen-ne-s, comme les entreprises récupérées, les mouvements coopératifs de travailleur-se-s, les expériences de contrôle ouvrier et de cogestion, l’économie solidaire et les autres luttes pour l’auto-organisation du travail et l’autogestion de l’économie définissent les axes de débat. Ces expériences impliquent de rediscuter et de repenser les problèmes nouveaux et anciens de la classe ouvrière et du monde du travail, en les actualisant dans le contexte d’hégémonie néolibérale mondiale, de crise globale et de crise du mouvement ouvrier. 

Sous des formes distinctes, différents secteurs et les expressions d’une classe ouvrière de plus en plus diversifiée représentent déjà des alternatives qui ne se limitent pas à la sphère économique, mais qui concernent également des sphères qui permettent de percevoir une imbrication avec des processus culturels basés sur des relations non capitalistes et qui préfigurent des espaces où les relations internes de pouvoir et de genre sont susceptibles d'être rediscutées, tout comme la relation avec la communauté. Ces processus, présents dans les usines récupérées et les entreprises autogestionnaires émergentes, permettent d'entrevoir ce que les travailleur-se-s, à partir d'une planification consciente, pourraient proposer comme modèle alternatif au capitalisme. C’est pour cela que les rencontres de « L’Économie des travailleur-se-s » s'appuient systématiquement sur les expériences, tant du point de vue de la critique et la résistance à la gestion de l’économie par les capitalistes que sur le respect des formes de gestion de la classe ouvrière.

La rencontre de Milan a permis d’aborder différents thèmes comme  la notion de « mutualisme conflictuel », portée par le réseau Fuori Mercato, un syndicalisme sans frontière et embrassant tout le champ social ; l’agroécologie et les relations entre mouvements ruraux et urbains ; la reproduction sociale dans les expériences autogérées et le travail syndical ; la récupération du « public », des « communs » dans une perspective autogestionnaire ; la production autogérée et autogestion de la distribution ; l’articulation entre autogestion, écologie et féminisme affirmée avec force par de nombreuses et nombreux participant-e-s dans les ateliers ou en réunion plénière ; le welfare par le bas ; l’autonomie économique pour sortir de la violence de genre. Nos camarades italien-ne-s ont également présenté leur « Manifeste du mutualisme et de l'autogestion », qui reste pour l'instant un processus d'élaboration en Italie mais qu'ils/elles aimeraient voir adopté à une plus grande échelle (Cf. l'entretien ci-après).

Lors de la rencontre de Thessalonique (2016), il avait été convenu de renforcer l’articulation entre, d’une part, les luttes ouvrières et paysannes et, d’autre part, les luttes écologiques et féministes. Cette volonté s’est concrétisée, notamment grâce à la pratique de nos camarades italien-ne-s de Fuori Mercato, qui sont engagé-e-s dans une alternative au marché capitaliste, qui repose sur des principes autogestionnaires et qui tente d'esquisser une alternative de société. Le travail rural a occupé une place importante dans cette rencontre en s'appuyant sur les expériences italiennes et espagnoles. Dommage que les fermes autogérées françaises et la Confédération paysanne sollicitées n'aient pu y participer. Par ailleurs, le nombre d'entreprises récupérées représentées étai(en)t en recul par rapport à la précédente rencontre. Certaines qui avaient participé aux rencontres précédentes alors qu'elles étaient en processus de récupération ne s'impliquent plus dès lors qu'elles entament le processus de production. De même, la présence des organisations syndicales serait évidente : l’aboutissement des revendications sociales ne doit-elle pas déboucher sur cette perspective ? De ce point de vue, la présence d’organisations telles que l’Union syndicale Solidaires ou la CGT espagnole constitue un point d’appui essentiel dans le développement de ce processus. Il est indispensable de renforcer et structurer le réseau européen, qui doit s’élargir davantage aux organisations syndicales et politiques tout en renforçant les réseaux économiques alternatifs. Quant aux organisations politiques qui se revendiquent de la gauche y compris radicale, pour nombre d'entre elles en panne de stratégie, elles seraient inspirées de s'intéresser à toutes ces expériences et à ce réseau, comme aux pratiques alternatives en général, pour alimenter leur réflexion.

L’Association pour l’autogestion, le Réseau pour l'autogestion, les alternatives, l'altermondialisme, l'écologie et le féminisme (AAAEF) et l’Union syndicale Solidaires étaient représentés à Milan, dans le cadre du travail commun au sein du Réseau « Se fédérer pour l’émancipation »vi. Ces organisations se sont notamment exprimées dans une déclaration commune, lue à la tribune par Christian Mahieux (Union syndicale Solidaires) sur les mouvements sociaux et l'auto-organisation des travailleur-se-s.

La prochaine édition euro méditerranéenne aura lieu en 2020 en Andalousie, elle sera organisée par les camarades du Syndicat des ouvrier-ère-s paysan-ne-s / syndicat andalou des travailleur-se-s (SOC/SAT) et de la CGT espagnole sous l'égide du réseau euro méditerranéen. D'ici là, en septembre 2019, se tiendra la 7ème rencontre mondiale, à coté de Sao Paulo, au sein de l’école des cadres du Mouvement des sans terre (MST). Ces deux lieux sont révélateurs de l'évolution du réseau dans une meilleure prise en compte du travail rural, de l'articulation entre autogestion et agroécologie et de genre. Les structures françaises, membre du réseau, souhaitent élargir la participation à ces rencontres qui demeurent des cadres ouverts en termes de participation et de contenus programmatiques.

i Richard Neuville, « L'”Économie des travailleur-se-s”, un réseau international et un concept en construction », Les Utopiques, N°10, Mars 2019, p.44-51.

ii Voir les articles : Nadia De Mond, « RiMaflow, une lutte ouvrière exemplaire du XXIe siècle », Association pour l'autogestion, 19 novembre 2018 : https://autogestion.asso.fr/rimaflow-une-lutte-ouvriere-exemplaire-du-xxie-siecle/ ; Benoît Borrits, « RiMaflow : il y a une vie après la désindustrialisation », 4 février 2016 : https://autogestion.asso.fr/rimaflow-il-y-a-une-vie-apres-la-desindustrialisation/ ; Dario Azzelini & Oliver Ressler, « Occuper, résister, produire : Rimaflow », 5 février 2015 : https://autogestion.asso.fr/occuper-resister-produire-rimaflow/ ; Site de RiMaflow : https://rimaflow.it/

iii Voir l’entretien avec Salvatore Cannavò et Luigi Malabarba ci-après. Site de FuoriMercato : http://www.fuorimercato.com/

iv Richard Neuville, "Rencontre européenne « L’économie des travailleurs » dans l’entreprise Fralib", Contre Temps, n°22 - Eté 2014, p.99-103

v Benoît Borrits & Richard Neuville, « Succès de la IIe rencontre euro-méditerranéenne de l’« Économie des travailleur-se-s » à Thessalonique », Association Autogestion, 24 novembre 2016 : http://www.autogestion.asso.fr/?p=6491 ; « Contribution à un nouveau projet de société, d’économie et de culture », Dossier Rencontre euro-méditerranéenne de l’économie des travailleur-se-s, Cerises, n°307, 9 décembre 2016, p.2-8 : http://www.cerisesenligne.fr/file/archive/cerises-307.pdf

vi Ce Réseau rassemble l’Association Autogestion (AA), l’Association des communistes unitaires (ACU), les Amis de Tribune socialiste (ATS), Cerises la coopérative, l’Observatoire des mouvements de la société (OMOS), le Réseau pour l’autogestion, les alternatives, l’altermondialisme, l’écologie et le féminisme (AAAEF), le Temps des lilas et l’Union syndicale Solidaires.

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