Le film « A Fábrica de
nada » (L’usine de rien) est avant tout une expérience collective à
l’image de l’histoire qu’il raconte, une lutte ouvrière qui débouche sur une occupation
et une récupération d’entreprise par ses travailleur-se-s. En effet, c’est un
collectif portugais, organisé en coopérative de production « Terratreme Filmes »,
indépendant des grosses maisons de production, qui a écrit, réalisé et
produit le film. Ce n’est donc pas le fruit du hasard que l’écriture du
scenario soit si riche et aborde autant de registres, elle correspond à une
pratique et se révèle juste par son adéquation entre
le fond et la forme.
En effet, cette fiction ne se
contente pas de raconter l’histoire d’une usine de pièces d’ascenseurs qui
ferme, elle met en débat nombre de questions autour du travail en utilisant la
trame d’une reprise en main des moyens de production. Ce film au long cours chemine
pendant près de trois heures entre le récit d’une occupation, l’ébauche
romanesque, l’analyse marxiste, le débat théorique sur
l’autogestion et la comédie musicale. Il se distingue d’un documentaire même si,
à certains moments, il se situe au plus proche du réel, en abordant différentes
problématiques humaines, organisationnelles et techniques, spécifiques aux
processus de récupération d’entreprises par les travailleur-se-s, telles qu’il
est possible de les observer en Argentine, en France ou ailleurs. Pedro Pinho
et son équipe ont réalisé un important travail de documentation pour créer
cette œuvre comme le démontre la diversité et la justesse des aspects traités.
Le film soulève diverses
questions : reprise d'entreprise par ses travailleur-se-s, réflexion
collective, autogestion, précarité, crise économique. Dans un contexte
économique où l’emploi se raréfie, il interroge notre
rapport au travail et les alternatives possibles. Il évoque différents
registres, entre la désaffection, l’aliénation, l’émancipation et la
redéfinition d’un autre monde. Il développe
multiples facettes d’une thèse sur la fin du travail et l’absence d’alternatives
à la société capitaliste.
« L’usine de rien »
nous plonge d’emblée dans l’ambiance de la crise économique du Portugal de 2010
avec toutes ses conséquences sociales et humaines, qui a touché tant de
travailleur-se-s à la recherche de solutions pour survivre. Le film conjugue et chemine sur plusieurs niveaux entre
parcours individuels et collectifs, entre considérations de la vie quotidienne
et controverses théoriques :
-
Il débute par l’enlèvement de
machines pendant la nuit auquel s’oppose les ouvriers alertés. Ceux-ci évoluent
de la perplexité à la révolte. Ils n’entendent pas abandonner leurs postes de
travail, tout comme ils ne s’en laissent pas compter par la tactique
managériale de division consistant à les diviser avec des primes de départ. Les
dissensions qui en résultent sont dépassées quand ils décident d’occuper
l’usine pour s’opposer à la délocalisation. Progressivement, l’idée de
reprendre la production germe avec tout ce que cela implique comme
apprentissage et difficultés mais l’aventure collective de l’autogestion
esquisse un autre horizon.
-
Il relate la vie personnelle de Zé,
un jeune ouvrier de l’usine, dans sa relation sentimentale ou avec son père rêvant
à une nouvelle révolution.
-
Il tourne également autour d’un
personnage, Daniel, sorte d’intello de gauche, qui se situe en retrait en
observant l’occupation en cours et distille quelques références marxistes. Le
même participe ensuite à une discussion théorique entre intellectuels sur l’autogestion, le travail et la nature du
système capitaliste.
Tourné en partie avec des
ouvriers qui jouent leur propre rôle et dans un cadre naturel, le film oscille
entre réalisme et idéalisme tout en empruntant la voie artistique. Malgré le
tragique de la crise, il révèle la force du collectif pour sortir du néant,
l’optimisme et la joie qui s’expriment avec la comédie musicale.
Avec une approche radicale, Pedro
Pinho adopte une structure narrative qui permet d’agglutiner différents
aspects, de poser des questions tout en laissant la place à diverses hypothèses.
« L’Usine de rien » est une œuvre à la fois
politique, philosophique et cinématographique. Le film est une invitation à la
réflexion et nous conseillons de prendre le temps de le voir pour la justesse
du scenario et la qualité de la réalisation et de l’interprétation. Malgré sa
durée, il est assurément un bon outil pour engager le débat sur l’avenir du
travail et les perspectives autogestionnaires.
Le film a été primé à la Quinzaine des réalisateurs du
festival de Cannes 2017.
Richard Neuville
Voir
la bande-annonce : https://vimeo.com/236375404
Sortie
nationale le 13 décembre
Extraits de la fiche technique
Un film de João Matos,
Leonor Noivo, Luísa Homem, Pedro Pinho, Tiago Hespanha
Réalisation : Pedro Pinho
Production : João Matos,
Leonor Noivo, Luísa Homem, Pedro Pinho, Susana Nobre, Tiago Hespanha
(Terratreme Filmes)
Durée : 177 minutes
Année de production : 2017
Pays : Portugal
Écrit par :
Pedro Pinho, Luísa Homem, Leonor Noivo, Tiago Hespanha
Sur une idée de : Jorge Silva Melo
Image : Vasco Viana
Musique originale : José
Smith Vargas, Pedro Rodrigues
Distribution France : Météore Films
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