Par Richard Neuville
Dans sa critique du déficit démocratique du système parlementaire, André Gorz pointait avec clairvoyance l’écueil du bureaucratisme qui ne pourra être évité que par un éco-socialisme efficace et réaliste reposant sur des réformes révolutionnaires graduelles. Il mettait également en exergue les limites de la démocratie parlementaire et estimait que si : « Le suffrage donne le droit de gouverner, il n’en donne pas le pouvoir » (Gorz, 1975: 72). Pourtant la mystification du concept de démocratie indirecte tend à se perpétuer en déniant tout exercice de pouvoir populaire sur l’organisation de la société, en ne laissant aux citoyen-ne-s que la possibilité de désigner leurs représentant-e-s tous les cinq ans. Ainsi, les intérêts suprêmes de l’Etat capitaliste sont bien préservés (Munster, 2008).
Avec l’ampleur de la contestation du mode de représentation et la
demande croissante de participation de la part des citoyen-ne-s, ce statuquo
apparaît de plus en plus paradoxal. C’est précisément ce qui ressort de l’analyse
des mouvements de révolte citoyens, qui ont surgis à partir de 2010 aux quatre
coins de la planète (de l'Islande à l'Etat espagnol, du Chili au Québec, du
Brésil à la Turquie). Certains s’élèvent contre la corruption politique,
l’arrogance des élites et revendiquent la dignité ; d’autres rejettent les
élites financières et la connivence entre le monde politique et financier et le
capitalisme mais l’objectif est le même (Castells, 2012).
Ces mouvements posent la question de la légitimité politique qui touche
la quasi-totalité de la planète. Un nombre croissant de citoyen-ne-s estiment
ne plus être représenté-e-s. La France, qui n’a pas été touchée directement par
ces mouvements, n’est pourtant pas exempte de ces constats parfaitement
perceptibles dans les luttes ou lors des consultations électorales. Le pays
traverse une véritable crise de la démocratie représentative que la
« classe politique » s’évertue à ignorer. S’agissant de la politique
énergétique, la souveraineté du pouvoir constituant ne s’est jamais exercée et
la délégation de pouvoir a même été largement obstruée par la technocratie.
Les politiques énergétiques en France
Historiquement, la politique énergétique n’a donné lieu à aucun débat
public et citoyen d’ampleur. Le choix de l’accélération du programme du
nucléaire civil, décidé dans le cadre du Plan Messmer en 1974 et dans la plus
grande opacité, est intimement lié à celui du nucléaire militaire résultant des
orientations géostratégiques de l’après-guerre et de la création du
Commissariat à l’énergie atomique (CEA) en 1945. Dès lors, le débat a été
largement confisqué par l’Etat et les ministères de la Défense et de l’Industrie.
De plus, cette orientation a été mise en œuvre par l’entreprise nationalisée
EDF sous l’égide étroite de la technostructure et avec le consentement de la
fédération CGT de l’énergie dans le cadre du compromis historique. Le choix du
nucléaire est donc lié à celui d’un état fort, autoritaire et centraliste comme
on peut l’observer dans les états les plus nucléarisés du monde. Le primat du
tout nucléaire a donc annihilé tout développement à grande échelle des énergies
renouvelables, il a pérennisé inexorablement le rôle tout puissant de l’Etat et
donc généré l’absence de tout débat démocratique et citoyen sur l’avenir
énergétique.
L’attribution des permis d’exploration et d’exploitation des huiles et
gaz de schiste en 2010 a résulté de la même logique, celle d’une
centralisation excessive de la décision, cantonnée à quelques services
ministériels et corps d’Etat et à la signature apposée par un ministre servile.
En France, les choix énergétiques ont toujours ignoré les principes
élémentaires de la démocratie, y compris ceux très insuffisants de la
démocratie représentative, comme le Parlement.
Aujourd’hui encore, la politique énergétique n’est toujours pas
réellement débattue à une échelle de masse. Le Grenelle de l’environnement
(2007), même s’il s’agissait de la première opération de concertation à grande
échelle du monde associatif, a volontairement occulté certains sujets (comme le
nucléaire) et l’on sait ce qu’il est advenu de nombre de décisions. Ce
simulacre de concertation n’a, à aucun moment, associé les citoyen-ne-s, il
s’est limité à associer les « experts » et les professionnels du
secteur associatif largement subventionné pas des subsides publics.
Sous le gouvernement Ayrault, la feuille de route de la Conférence
environnementale (2013) et du débat national sur la politique énergétique n’a
guère dépassé le stade des bonnes intentions de la Convention d’Aarhus[1]
et s’est cantonnée à « améliorer la gouvernance environnementale » en
préconisant une rationalisation des procédures environnementales qu’il s’agit
d’engager « sans diminution des exigences ». La loi-cadre sur la
décentralisation, au demeurant fort critiquable, a néanmoins pris en compte les
« questions de la biodiversité et de l’énergie » afin de rendre les
collectivités territoriales acteurs majeurs de la transition écologique[2].
Au-delà de certaines intentions louables, la loi sur la transition
énergétique adoptée en juillet 2015 se maintient dans le carcan libéral et
austéritaire, elle privilégie la croissance verte, « génératrice de
surconsommation et n’intégrant pas la finitude des ressources » ;
sous la pression des lobbies industriels, elle renonce à la socialisation du
secteur de l’énergie ; le scenario énergétique ne remet pas en cause le
nucléaire et les modes de transport actuels ; elle néglige la mise eu
œuvre d’une véritable politique de recherche ; l’absence de transparence
sur les décisions, la mise en place et le suivi des politiques s’inscrivent
dans la continuité et l’opacité qui ont toujours prévalues dans le secteur de
l’énergie (Sud Energie, 2015). A la veille de la 21e conférence
climatique (COP21) qui se déroulera en décembre à Paris, il s’agit là d’une
vraie occasion manquée mais pouvait-il en être autrement avec le pouvoir en
place qui conduit une véritable politique de classe ?
Alors que les crises climatique et énergétique vont avoir des
conséquences incommensurables pour l’avenir de la planète, les décisions pour
demain doivent sortir impérativement du giron de la technocratie et être
transférées provisoirement aux différentes instances élues. Mais, ce ne sera
pas suffisant car la démocratie représentative est totalement discréditée et se
trouve de plus en plus sous l’influence des lobbies. Il y a donc urgence à
construire une articulation entre démocratie représentative et démocratie
directe, cela passe par la mise en place de réelles instances de décision
citoyenne, que nous définissons comme « démocratie active ».
Des expérimentations de démocratie active ailleurs
Depuis une vingtaine d’années, des expériences de participation et de décision
citoyennes ont été expérimentées sur d’autres continents : le Budget
participatif à Porto Alegre repris par plus d’un millier de collectivités dans
une trentaine de pays (Della Sudda et Neuville, 2010: 83), des Conseils
locaux de planification publique aux conseils communaux au Venezuela (Neuville,
2010 :196), des formes de participation active au Kerala en Inde (Borrits,
2010), etc., sans être directement transposables, celles-ci peuvent servir de
référence.
Plus près de nous, en Europe, la « planification énergétique »
mise en œuvre dans la municipalité de Kolding (Danemark) dès 1994[3],
a décidé de réduire de 75 % les émissions de CO2 d’ici 2021 ; les
programmes d’autosuffisance énergétique de Marinaleda et Matarredonda
(Andalousie)[4] basés
sur l’éolien et le solaire démontrent qu’il est possible d’agir à différents
niveaux. Ces exemples ne sont pas exhaustifs, de nombreux éco-quartiers Vauban
à Freiburg et Kronsberg à Hanovre (Allemagne), BedZED à Londres, Vesterbro à
Copenhague, Hammarby à Stockholm, Eva Lanxmeer à Culemborg, etc.[5]
ont largement innové et réussi à réduire de manière conséquence les
consommations d’énergie, voire même passer en énergie positive.
Ce qui est possible dans plusieurs états et collectivités dans le monde pourrait
être instauré en France dans des formes à définir démocratiquement. Cela passerait
par la mise en œuvre d’une planification démocratique écologique, reposant sur
des assemblées populaires élues à différents échelons pour définir une nouvelle
politique énergétique. Aujourd’hui, le savoir n’est plus l’apanage des classes
dominantes et les citoyen-ne-s sont parfaitement en capacité d’opérer des choix
pour l’intérêt général. L’expérimentation des forums citoyens l’a démontrée
amplement (ex : OGM).
Pour une transition énergétique socialisée et démocratisée
Dans la société de demain que nous souhaitons autogestionnaire, les
biens communs universels (l’eau, l’air, la biodiversité) et les biens publics
(énergie, transports, télécommunications) devront échapper à toutes formes de
marchandisation et être socialisés, ce qui n’impliquera pas nécessairement la
nationalisation. Quels que soient les échelons de compétences (national,
régional ou local), les citoyen-ne-s, les associations, les syndicats devront
être associés pleinement aux décisions et à la gestion des entreprises ou des
régies publiques. L’essentiel des services publics de proximité pourraient être
gérés par des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), tels que l’eau,
les déchets, les énergies renouvelables, l’éolien, le solaire, etc. Il est à
relever que par la volonté de collectifs de citoyen-ne-s et de collectivités
locales, le processus est engagé puisque le nombre de SCIC s’est accru très
rapidement ces cinq dernières années et qu’il existe actuellement 442 SCIC,
dont près d’un quart orientent leurs
activités vers l’environnement (préservation, gestion des déchets, auto partage
et énergies renouvelables…)[6].
Rappelons l’histoire de l’électrification rurale en France, non pas pour
en faire un modèle mais pour méditer sur les capacités citoyennes et
municipales capables de pallier les carences de l’Etat. A la fin du XIXe
siècle, l’Etat ne souhaitait pas la développer sur l’ensemble du territoire et
les entreprises privées ne l’estimaient pas suffisamment rentable. Des fermiers
et des municipalités s’organisèrent et créèrent des coopératives pour produire
et acheminer l’électricité dans les campagnes. A posteriori, l’Etat
admit les régies municipales d’électricité (1900), il fit adopter une loi qui
créa les Sociétés d’intérêt collectif Agricole d’électricité (SICAE) pour
donner un statut aux coopératives créées spontanément par les fermiers. En
1937, 96 % des communes et 90 % de la population bénéficiaient de l’électricité
(Massé, 2005).
La transformation sociale et politique de la société implique de rompre
radicalement avec les pratiques actuelles qui consistent à déléguer la gestion de
l’énergie aux intérêts privés capitalistiques (une des conséquences de la loi
énergie de 2000)[7] et à
confisquer le pouvoir de décision. Le discrédit de la démocratie représentative
s’explique en partie par l’opacité de la gestion publique, le refus d’entendre
les mobilisations populaires (eau, huiles et gaz de schiste, nucléaire, etc.)
et l’absence de concertation des usager-ère-s et des travailleur-se-s à tous
les niveaux.
La perspective autogestionnaire pose donc les questions de la propriété,
du financement, des modes de gestion et de la composition des instances de
gestion des services publics, ce qui peut se résumer par la nécessité
impérieuse de « démocratiser radicalement la démocratie ».
La définition d’une nouvelle politique énergétique implique évidemment
la remise en cause des modes de production, la sortie de la logique
productiviste et la relocalisation d’une partie de l’économie pour réduire de
manière substantielle le transport de marchandises, extrêmement énergivore,
ainsi qu’une reconversion écologique de l’industrie.
Pour ce faire, il ne s’agit pas tant de « reprendre un contrôle citoyen
» mais de créer les conditions d’un véritable pouvoir de décision citoyen, tout
en multipliant les expérimentations citoyennes, dont il faudra tirer les
enseignements. Il est aujourd’hui nécessaire de dépasser la seule référence aux
contre-pouvoirs pour élargir le contrôle citoyen et construire des espaces
d’autonomie populaire réconciliant ainsi la vie quotidienne et l’action
politique. Donc de passer à des formes collectives de résistance à des formes
collectives d’organisation et d’expérimentations.
Engager une transition post-capitaliste
Une véritable transition impliquerait de prendre la
décision d’arrêter le nucléaire en France. Pendant la phase transitoire, le
pays aurait besoin d’énergies fossiles (gaz, charbon), qui représenteraient 30
% de la production d’électricité si on souhaitait arrêter le nucléaire en 10
ans. C’est pourquoi parallèlement des mesures radicales devraient être prises
dans les secteurs qui émettent le plus de gaz à effet de serre : les
transports, le bâtiment et l’agriculture intensive.
La transition énergétique doit s’insérer dans la transition écologique
globale pour permettre une réduction substantielle de la consommation
d’énergie. Il s’agit aussi d’engager cette transition tout en évitant deux
écueils, d’une part, la mutation du système vers un capitalisme vert et une économie
verte (d’ailleurs déjà engagée) et, d’autre part, le choix d’une évolution de
type réformiste comme celle préconisée par certaines organisations de gauche
(Tanuro, 2010). De ce point de vue, le « Manifeste écosocialiste » du
Parti de gauche, tout au moins dans sa version initiale, ne se montrait pas à
la hauteur des enjeux et fut notamment critiqué par Daniel Tanuro qui
considérait qu’il se situait dans une perspective « davantage étatiste et
centralisatrice qu’autogestionnaire et décentralisée », dans la mesure où
« elle fait l’impasse sur la nature de classe de l’Etat, pare la
République française de vertus qu’elle n’a pas et présente pour ainsi dire une
conception « top-down » de l’émancipation socialiste »[8].
Si le concept d’écosocialisme a suscité des débats, il convient de relever que
celui-ci est en constante évolution. En effet,
depuis la rédaction du « Manifeste écosocialiste international » en
2001 ou même la « déclaration écosocialiste de Belém » en 2009, il
s’est affiné[9]. Les travaux de Daniel Tanuro le démontrent avec la
redéfinition du rôle des sciences, des technologies et du progrès, qui est
appréhendée différemment dans une prise de distance claire avec le scientisme, tout
comme l’articulation entre la centralisation et la décentralisation avec la préconisation
de l’interconnexion de réseaux énergétiques décentralisés : « Leur
gestion démocratique par les communautés et dans l’intérêt collectif des
habitant-e-s est une possibilité réelle dont les écosocialistes doivent se
saisir en posant des revendications locales concrètes de contrôle et de
participation
plutôt que
de se cramponner au modèle obsolète de la grande entreprise nationalisée »
(Tanuro, 2015). Si pour la reconversion de
l’industrie, nous suggérons plutôt la co-élaboration de contre-plans
alternatifs (voir ci-après – Hardy, 2010) à l’exercice du contrôle ouvrier par
les seuls syndicats, les points de vue tendent à converger.
La transition souhaitable implique que le système productif, donc les
choix politiques (propriété sociale, système financier …), soient en cohérence
avec les changements économiques, en mutation rapide dans un processus
cohérent, bien qu’en adaptation semi permanente. Cette transition est d’autant
plus nécessaire à penser et à engager que l’énergie, encore plus que d’autres
questions écologiques, est au cœur du système et un de ses déterminants
principaux aussi bien pour la production et la distribution que pour la
consommation.
Des objectifs structurels et des mesures de court
terme
Il s'agit de réaliser une reconversion écologique de l'économie dans sa
globalité et dans chaque secteur de production et d'échange : énergie,
industrie, agriculture, distribution, aménagement et urbanisme. Dans ses trois
composantes (production, consommation et échange), le système économique à
construire devrait répondre aux objectifs suivants :
• la satisfaction prioritaire et totale des besoins humains fondamentaux
: alimentation, formation, logement, santé, culture ;
• la limitation des autres productions avec priorité pour les biens et
services améliorant les conditions de vie et de travail, la recherche d'un
usage collectif et économe des biens durables (transport, logement, équipements
culturels et touristiques, …) et l’accès le plus équitable possible de tous aux
biens et aux services ;
• la répartition harmonieuse de
la production sur tout le territoire ;
• la recherche (avec les pays
voisins et amis) de formes de coopération et d'échange répondant aux critères
ci-dessus pour chaque pays concerné.
Ces orientations permettraient de répondre à
la question de l'évolution de la production et de la répartition des biens ou
de la richesse en dépassant les débats entre décroissance, objection et type de
croissance, tout en s'inscrivant dans une recherche de sobriété. C'est dans le cadre de
cette transition que les mesures de court terme devraient être adoptées afin
:
- d’engager des crédits importants dans la
recherche sur les énergies renouvelables en commençant par réaffecter ceux consacrés
au nucléaire et à ITER ;
- de développer un mixte énergétique (hydraulique,
solaire, éolien, biomasse, géothermie, etc.) à grande échelle qui permettrait
de produire autant que 25 réacteurs nucléaires en 10 ans ;
- de renoncer aux projets d’exploration et
d’exploitation des gaz et huiles de schiste et d’annuler tous les permis qui
ont été attribués ;
- d’économiser l’énergie en mettant un frein aux
gaspillages. Grâce aux seules économies d’énergie, 23 réacteurs nucléaires
pourraient être arrêtés sur 10 ans.
Mais l’efficacité (réduction des gaspillages,
meilleures technologies, etc.) ne suffira pas. Selon Daniel Tanuro, il faudra
la conjuguer avec la sobriété en réduisant la demande finale d’énergie de
moitié environ dans l’Union européenne[10].
Conjuguer la démocratie « réelle » et la
justice sociale
L’enjeu de la transition dépasse largement nos
frontières et concerne l’ensemble de la planète. Il nous faut donc raisonner à cette échelle. L’exploitation fossile a
explosé avec le développement du capitalisme (elle représente 90 % des sources d’énergie)
et l’accaparement des ressources génèrent de nombreux conflits. Le nucléaire ne
représente que 2 % de la production mondiale.
Les enjeux géostratégiques sont énormes. Ils
supposent de repenser les rapports entre les états et d’engager une redistribution
mondiale en revoyant les échanges et en premier lieu en réduisant les
transports. Pour répondre aux enjeux climatiques aux horizons 2020 et 2050, un
changement radical de notre système énergétique s’impose, il devra respecter un
équilibre Nord-Sud et garantir la justice sociale.
Ce changement implique :
• Une réduction importante de la consommation
en énergie des pays du Nord et l’arrêt du nucléaire en France. Ce postulat
remet en cause les logiques capitaliste et productiviste.
• Une critique radicale de la croissance
capitaliste et la décroissance d'une partie de la production matérielle (en
particulier ce qui a trait à l'armement et la publicité) et des transports
routiers, individuels et aériens, par la relocalisation et le développement
d'une autonomie alimentaire à une échelle des territoires - échelle qui doit
être déterminée par la démocratie active -, ainsi qu'un renforcement des luttes
contre les grands projets inutiles et imposés (GPII).
• Une contestation de la logique du « capitalisme
vert », qui n’est pas en mesure de répondre aux enjeux énergétiques et
écologiques. Les mesures techniques -dites d’efficacité- qui représentent 70 %
dans le scénario négaWatt[11]
favorisent notamment les profits des multinationales. L’urgence écologique
impose la mise en œuvre de solutions reposant sur le choix de techniques
appropriables, renouvelables et durables, de même qu’une production
décentralisée et diversifiée.
• Une articulation entre
une démocratie économique et sociale, -qui exclut la production et la
distribution de l’énergie de la sphère du marché et du profit- et une
démocratie active articulant une forme représentative et des processus de
démocratie directe (budgets participatifs, instances de décisions citoyennes
ayant pour objet l'élaboration des projets, le suivi de leur mise en œuvre et
l'évaluation de leur réalisation, avec éventuellement reconsidération de
ceux-ci), qui pourrait se concrétiser dans le cadre d’une « planification
démocratique écologique ».
Le défi est donc bien de conjuguer la « démocratie
réelle » et la justice sociale, ce qui implique :
- une articulation entre les niveaux national et
local en termes de production et de distribution d’énergie : entre un service
public national (pôle public de l’énergie) et des instances locales : régies
publiques contrôlées par les citoyen-ne-s et les travailleur-se-s et des
coopératives (SCIC). La loi Energie de 2000, dite Cochet, a dérégulé la
production de l’électricité et favorisé les profits, elle doit être révisée ;
- des campagnes pour valoriser les gisements
d’emplois que représente la transition écologique, articulées avec une
réduction du temps de travail, sans perte de salaire et avec embauche
compensatoire et réduction des rythmes de travail. Selon une étude conduite par
Philippe Quirion, sur l’effet sur l’emploi de la mise en œuvre du scénario
négaWatt, les créations d’emplois nettes iraient de 220 000 à 330 000 en 2020
et de 570 000 à 820 000 en 2030 (Quirion, 2013). Seulement 7 ans après avoir
décidé de sortir du nucléaire, l’Allemagne comptait 235 000 emplois permanents
dans le secteur des énergies renouvelables.
- une reconversion écologique de l’industrie
(automobile, agroalimentaire, sortie du nucléaire, etc.) et une relocalisation
des activités avec de petites unités de production ;
- un développement important des transports
collectifs respectueux de l’environnement (Trains, tramways, etc.)
- l’élaboration de contre-plans alternatifs
associant les travailleurs-ses, les syndicats les associations et les citoyen-ne-s
afin de garantir les droits sociaux et le respect de la nature tout intégrant
de nouveaux rapports de production et de nouvelles organisations du travail ;
- une prise en compte des besoins sociaux (accès à
l’eau et à l’énergie pour toutes et tous) et la mise en œuvre d’une péréquation
indispensable entre les niveaux national et local incluant la gratuité des
premières tranches et des tarifications progressives par un véritable programme
d’éradication de la précarité énergétique ;
- un plan de lutte contre les pollutions aux
particules fines (responsable de 42000 décès prématurés en France chaque année) ;
- une convergence des luttes sociales et
écologiques pour peser sur les orientations politiques à un niveau macro, les
luttes accélèrent la prise de conscience ;
- une valorisation des terrains d’expérimentations
(agriculture, auto-construction, productions coopératives d’énergie
renouvelables, etc.) ;
- des réflexions citoyennes au niveau des
territoires permettant de mutualiser les « intelligences » et de développer des
alternatives concrètes innovantes. Des coordinations locales entre les
coopératives de production et des instances politiques participatives
permettraient d’y parvenir.
Le chemin sera long et pourtant il y a urgence à engager des mesures
radicales face à l’ampleur croissante des dégâts engendrés par les crises
climatique et écologique. D’ores et déjà, ici et là, des « sentiers de
l’utopie » se dessinent qui peuvent contribuer à construire des chemins de
l’émancipation et des germes de pouvoir populaire pour une transition
écologique et énergétique (Frémeaux & Jordan, 2012). Ces expériences
s’inscrivent en rupture avec la logique productiviste, le modèle de
développement capitaliste et le primat des intérêts privés. Mais une rupture totale
impliquera assurément un affrontement à grande échelle avec la classe
dominante.
Richard Neuville - Juin 2015
(Une version initiale de l’article avait été publiée
sur le site de l’association pour l’autogestion le 10 avril 2013 : http://www.autogestion.asso.fr/?p=2792
)
Article publié dans Autogestion,
l’encyclopédie internationale, Syllepse, 2015, p.2051-2061.
Pour en savoir plus
Benoît Borrits, « Le
Kérala : vers une démocratie pleine et entière… », Juin 2010. Consultable
sur : http://alterautogestion.blogspot.com/2010/07/le-kerala-vers-une-democratie-pleine-et.html
Bruno Della Sudda et
Richard Neuville, « Budget participatif»
dans Lucien Collonges, Autogestion hier, aujourd’hui, demain, Paris,
Syllepse, 2010.
Manuel Castells, Redes
de Indignación y Esperanza, (Les réseaux de l’indignation et de l’espoir),
Alianza, Madrid, 2012.
Isabelle Frémeaux, John
Jordan, Les sentiers de l’utopie, Paris, La découverte Poche / Essais,
2012.
André Gorz, (Michel
Bosquet), Ecologie et politique, Paris,
Galilée, 1975.
Jean-Pierre Hardy,
« Contre-plans alternatifs », dans Lucien Collonges, Autogestion
hier, aujourd’hui, demain, Paris, Syllepse, 2010.
Michaël Löwy,
« Ecosocialisme et planification démocratique », dans Lucien
Collonges, Autogestion hier, aujourd’hui, demain, Paris, Syllepse, 2010.
Michael Löwy, Écosocialisme,
Les Petits Libres, Mille et une nuits, 2011.
René Massé, « Histoire
de l'électrification rurale en France », Édition « Études et travaux en ligne »
du Gret. N°03. 2005. http://www.riaed.net/IMG/pdf/Histoire-electrification-rurale-France.pdf
Arno Munster, André Gorz
ou le socialisme difficile, Paris, Lignes, 2008.
Richard Neuville, «
Conseils communaux et double pouvoir au Venezuela» dans Lucien Collonges, Autogestion
hier, aujourd’hui, demain, Paris, Syllepse, 2010.
Philippe Quirion, L’effet
net sur l’emploi de la transition énergétique en France, CIRED CNRS, Avril
2013.
Sud Energie /
Solidaires, « Une loi de transition énergétique soumise au marché »,
Janvier 2015. http://www.sudenergie.org/site/2015/01/une-loi-de-transition-energetique-soumise-au-marche/
Daniel Tanuro, L'Impossible
capitalisme vert, Paris, La Découverte,
2010
Daniel Tanuro, « Les
chantiers de l’écosocialisme révolutionnaire », Intervention lors du
week-end de mobilisation sur le climat 10-12 avril 2015 à Cologne. Site
academia.edu : http://www.academia.edu/12095608/Les_chantiers_de_l%C3%A9cosocialisme_r%C3%A9volutionnaire
[1]
La Convention d’Aarhus a été adoptée en juin
1998 par 39 Etats. Elle définit des principes sur l'accès à l'information, la
participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en
matière d'environnement.
[2]
Site du ministère de l’écologie, du
développement durable et de l’énergie, http://www.developpement-durable.gouv.fr/Constats-et-objectifs,30231.html
[3]
« De la campagne des villes européennes
durables », p.9 - 2003. Consultable sur : http://euronet.uwe.ac.uk/www.sustainable-cities.org/News%20spec%20French.pdf
[4]
Mohamed Belaali, « Nouvelles de Marinaleda », Le
Grand Soir, Août 2011. Consultable sur : http://www.legrandsoir.info/nouvelles-de-marinaleda.html
[5]
« Les écoquartiers », Site internet Habitatcoop.
http://www.habicoop.fr/spip.php?article305
[6]
Chiffres clés SCIC, Site Inter Réseaux
SCIC : http://www.les-scic.coop/sites/fr/les-scic/documentation/chiffres-cles
http://www.les-scic.coop/sites/fr/les-scic/l-annuaire-scic/scic-activite
(Consulté le 24/05/2015). Voir par exemple la SCIC
ENR Pays de Rance, Côtes d’Armor : http://www.scic-energiesrenouvelables.fr/
[7]
Loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à
la modernisation et au développement du service public de l'électricité : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000750321
[8]
Daniel Tanuro, « A propos du « Manifeste
écosocialiste » du Parti de Gauche », Site Contre Temps, Mars 2013 : http://www.contretemps.eu/interventions/propos-%C2%AB-manifeste-%C3%A9cosocialiste-%C2%BB-parti-gauche
[9]
« Manifeste écosocialiste international »,
Co-rédigé par Michaël Löwy et Joel Kovel, 2001, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article7891
La « déclaration
écosocialiste de Belèm », 2009, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article13522
[10]
Daniel Tanuro, op.cit. 2013.
[11]
Association négaWatt, Scenario
négaWatt 2011 : http://www.negawatt.org/scenario-negawatt-2011-p46.html
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