Les
élections générales (Congrès et Sénat) ont vu une augmentation significative de
la participation puisqu’elle s’élève à 73,2% (+4,26% par rapport à 2011), ce
qui correspond à 683 000 électeur-trice-s supplémentaires. Les résultats
révèlent un bouleversement important du
paysage politique dans le pays avec trois enseignements principaux : fin
de la domination du bipartisme, émergence de nouvelles forces politiques :
Podemos (et ses alliés) et Ciudadanos à l’échelle du pays, marginalisation de
Izquierda Unida.
Fin du bipartisme
Si
le Parti populaire (PP) remporte les élections générales dans l’État
espagnol, il n’obtient qu’une majorité relative au Congrès : 28,72% et 123
sièges mais conserve cependant la majorité absolue au Sénat (124 sièges sur
208). Cependant, il se trouve dans l’impossibilité de gouverner seul et les
alliances possibles restent très hypothétiques.
Le
Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) se classe deuxième et obtient 22,01 % des
suffrages et 90 sièges. Ces deux formations perdent respectivement 15,9% et
6,72% et 5 millions de voix par rapport aux élections de 2011 où elles
rassemblaient 73,5% des voix après avoir déjà perdu 10 points lors des
précédentes en 2008 (83,81%), cela se traduit par une chute de 33 points en
sept années. Le PP l’emporte dans une grande majorité de provinces (37/50) mais
il reste très distancé en Catalogne et en Euskadi ou les nationalistes de
droite en net recul ne l’emportent qu’en Vízcaya (Bilbao) pour le Parti
nationaliste basque (PNV) et dans les provinces de Lleida et Girona pour
Democràcia i Llibertat (nouvelle coalition autour de Convergència Democràtica
de Catalunya (CDC).
Le
PSOE n’est en tête que dans ses derniers bastions : Estrémadure et Andalousie
mais il ne devance le PP que dans les provinces de Badajoz, Cordoue, Cadix,
Huelva, Jaén et Séville (2 régions et 6 provinces), il est dépassé par le PP à
Grenade. Les élections du 20 décembre mettent un terme à 35 années de
bipartisme, le PP et le PSOE enregistrent leurs plus faibles scores de leur
histoire et depuis le début de la « transition démocratique », c’est
le premier enseignement qu’il faut tirer de cette consultation.
Confirmation
de Podemos et de Ciudadanos
Cette
élection a vu l’émergence de deux nouvelles formations : Podemos et
Ciudadanos qui ont chamboulé totalement le paysage politique dans l’État
espagnol. Ces deux formations recueillent respectivement 5 189 333
voix (20,66%) et 69 sièges et 3 500 446 voix (13,93%) et 40 sièges.
Elles représentent aujourd’hui un peu plus du tiers de l’électorat. En un peu
moins de deux années (création en janvier 2014), Podemos est parvenu à
s’imposer après son émergence lors des élections européennes (7,97% - 5 sièges)
en juin 2014, cette formation poursuit sa progression, 14,3% lors des élections
régionales de mai 2015 et l’élection de 133 député-e-s régionaux (avec ceux
obtenus deux mois plus tôt en Andalousie) et la conquête de plusieurs villes
parfois dans le cadre d’alliances, telles que Barcelone (En comú), Cadix,
Madrid, La Corogne (Marea Atlántica), Valencia (Compromis).
Podemos
et ses alliés l’emportent dans quatre provinces de Catalogne et d’Euskadi. La
coalition En Comú Podem (Podem Catalunya, Iniciativa per Catalunya Verds,
Esquerra Unida i Alternativa, Equo y Barcelona en Comú) est largement en tête en
Catalogne avec 24,74% avec près de neuf points d’avance sur l’Esquerra
republicana de Catalunya (ERC) (15,98%). Elle domine largement dans les
provinces de Barcelone (26,91%) et Tarragone (20,65%). C’est un résultat d’une
portée considérable en Catalogne, il est aussi le résultat d’une accumulation
de forces et d’expérimentations importantes depuis plus d’une décennie.
Podemos-Ahal-Du
est en tête en Euskadi en terme de voix avec près de 26% et dans deux provinces
sur trois de cette région : Álava (Victoria) et Guipúzcoa (San Sébastian)
mais obtient un élu de moins que le PNV (5 contre 6). A noter qu’EH-Bildu (Gauche
nationaliste abertzale) n’obtient que 2 sièges avec 15,07% des voix en Euskadi,
bien loin du score d’Amaiur en 2011 (7 élu-e-s). Il y a visiblement eu un
transfert de voix vers Podemos.
Podemos-Compromis
obtient 27% dans la province de Valence. En Galice, la coalition avec les
nationalistes et gauche unie : Podemos-En Marea-ANOVA-EU obtient un
excellent résultat avec 25% et même 28% dans la province de Pontevedra.
Alors
que le discours de Podemos est ambigu sur la question nationale et
d’indépendance des régions historiques (Catalogne, Euskadi et Galice), il y a
un certain paradoxe dans les résultats. Là où les forces nationalistes sont les
plus fortes, elles obtiennent des résultats assez faibles. Les nationalistes de
droite de Democràcia i Llibertat termine 4e avec 15% des
voix et leur allié à la région ERC 16% en Catalogne. Indubitablement, les
électeur-trice-s ont opté pour des choix très différents que pour les élections
régionales. Cependant, il convient de relever que les scores importants se
situent dans le prolongement de campagnes unitaires larges lors des
municipales, c’est significatif en Catalogne et en Galice. Podemos n’a accepté
des alliances que dans les régions historiques et dans la communauté de Valence
(qui a également un statut particulier et une langue reconnue officiellement).
Les négociations avec la Gauche unie n’ont pas abouti et Iglesias ne souhaitait
que le débauchage du jeune leader de IU, Alberto Garzón. Les bons résultats de
Podemos se traduisent également par sa deuxième place dans la communauté de
Madrid (20,86%) derrière le PP, dans la
Communauté de Valence, en Galice, aux Baléares, aux Canaries et en Navarre. Toutefois,
le vote de Podemos reste principalement un vote urbain, il est assez faible en
Castilla La Mancha et Castilla y León où, avec le mode de scrutin, il n’obtient
respectivement qu’un et trois sièges. Le PSOE en obtenant trois fois plus avec
seulement 7% des voix en plus. Il n’est pas implanté dans les zones rurales.
Podemos
réalise une réelle percée et remporte largement son pari, même s’il ne devance
pas le PSOE et que le dessein initial de la fulgurance pour parvenir au pouvoir
ne se concrétise pas. A noter le renversement de tendance entre Podemos et
Ciudadanos au cours des dernières semaines de la campagne. Ce résultat est un
événement important pour l’état espagnol et pour toute la gauche radicale en
Europe, qu’il importe d’analyser pour en tirer des enseignements.
Ciudadanos
(C’s) n’est pas à proprement parlé un nouveau parti puisqu’il a été créé en
2005 en Catalogne où il s’est d’abord présenté aux diverses élections. Il se
caractérise notamment par son opposition à l’autonomie accrue des régions
historiques et en faveur de l’unité de l’Espagne, il condamne fortement la
corruption des forces du bipartisme. Il n’a décidé son expansion nationale
qu’en 2014, année où il a obtenu deux postes de députés européens. En mai 2015,
il a obtenu 93 sièges de député-e-s régionaux et 1 527 sièges de
conseiller-ère-s municipaux mais il a surtout créé la surprise en devenant la
deuxième force en Catalogne lors des élections autonomes (17,9%) de septembre
dernier. Il ne parvient cependant pas à réussir la percée que les sondages
semblaient indiquer (jusqu’à 21,5% à la mi-octobre). Son score le situe bien en
deçà avec 13,93% même si ses 40 députés auront un rôle important, il est le
grand perdant de cette élection. C’s a indiqué qu’il ne participerait pas à une
coalition avec le PP.
La marginalisation de la Gauche unie
La
gauche unie (IU), qui se présentait sous l’étiquette « Unidad popular en
Común », elle obtient 923 000 voix (3,67% des suffrages) et deux
députés élus à Madrid. Elle retrouve le nombre de députés qu’elle avait obtenu
en 2008. En 2011, profitant des effets de la crise et l’absence d’autres forces
de gauche critique, elle avait pu rebondir en obtenant 6,92% et 11 sièges. Il
n’y aura plus de représentant-e-s d’IU pour l’Andalousie ou les Asturies (deux
bastions historiques). Là où IU n’est pas en alliance avec Podemos comme en
Catalogne et Galice, elle s’écroule ou ne résiste que dans des endroits très
localisés. Comme les formations en dehors du bipartisme, IU est pénalisé par le
mode de scrutin proportionnel par province. Il lui faut 461 000 voix pour
obtenir un poste quand le PP en a besoin que de 58 600. L’avenir s’annonce
difficile pour cette formation car elle se retrouve aujourd’hui largement
concurrencée par Podemos et risque d’être marginalisée sans qu’il y ait, cette
fois, une possibilité de rebond.
Quel gouvernement ?
Quelques
heures après un scrutin qui a bouleversé considérablement le paysage politique
dans l’État espagnol, il est prématuré de prévoir la composition de la nouvelle
majorité et du nouveau gouvernement. Différents scenarii sont possibles mais
les négociations risquent de se prolonger. Aujourd’hui, le PSOE a confirmé
qu’il ne votera pas l’investiture du PP, Ciudadanos indique qu’il s’abstiendra,
Pablo Iglesias conditionne son soutien au PSOE à la tenue d’un référendum
catalan et valorise le caractère plurinational de l’État (les
résultats en Catalogne et en Euskadi semblent avoir infléchi sa position).
L’hypothèse d’un gouvernement PP/PSOE n’est pas à écarter… Elle entraînerait
assurément un éclatement du PSOE et une recomposition politique à gauche. Mais
pour l’instant, nous n’en sommes qu’au stade des hypothèses… et rien n’est
moins sûr qu’une possibilité se concrétise…
Richard
Neuville
21
décembre 2015
Annexes
Résultats Congrès
Parti
populaire : 28,72% (123 s) (-63)
PSOE :
22,01% (90s) (-20) Le pire score depuis la transition
Podemos :
20,66% (69s) pénalisé par le mode de scrutin proportionnel par province
Ciudadanos :
13,93% (40s)
ERC
(Gauche républicaine de Catalogne) : 2,4% (9s)
DL
(Democràcia i Llibertat –ex Convergencia – nationalistes de
centre-droit) : 2,26% (8s)
PNV
(Parti nationaliste basque –centre-droit) : 1,21% (6s)
Unidad Popular –Izquierda unida : 3,67% (2s)
obtenus à Madrid
EH-Bildu
(Gauche nationaliste abertzale): 0,88% (2s) -7
Coalition
canarienne : 0,31% (1s)
Résultats au Sénat
Le PP remporte 124 sièges
(-12), le PSOE 47 (-1), Podemos 16, ERC 6, DL 6, PNV 6, CCA-PNC 1
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire