Textes de
Karl Marx et Friedrich Engels présentés par Pierre Cours-Salies et Pierre Zarka
(Syllepse - 2013).
Pourquoi revenir aujourd’hui sur les coopératives à
travers des textes de Marx et Engels alors qu’ils sont jugés indifférents voire
hostiles à cette question ?
Dans une longue introduction, Pierre Cours-Salies
et Pierre Zarka montrent qu’il serait temps de ne plus lire chez nos deux
barbus ce qui ne s’y trouve pas et au contraire d’y lire ce qui est un élément
constitutif de leur pensée : une attention permanente à ce qui naissait
dans le mouvement ouvrier. Ils ne pouvaient pas ne pas s’intéresser aux
coopératives, qui furent au centre de polémiques sur la stratégie
anticapitaliste. Et leur appréciation fut positive.
Engels jeune, dans un long article de 1845,
«Description de colonies communistes surgies ces derniers temps et encore
existantes », recense les expériences communistes, menées le plus souvent
par des sectes religieuses, et estime que cette communauté des biens est
surtout bénéfique pour les travailleurs pauvres qui y trouvent une existence
sans angoisse et l’égalité des droits. En 1884 il conseille à Auguste Bebel de
revendiquer « d’éliminer tous les obstacles légaux qui continuent à entraver
le développement des coopératives libres », libre s’entend comme
indépendantes de l’Etat.
Marx jeune, dans les « Manuscrits de
1844 », commence un long cheminement et avec un vocabulaire encore
abstrait et hégélien envisage l’hypothèse où la propriété privée serait abolie
« positivement », où en conséquence « l’homme produit
l’homme ». En 1880 sa préoccupation est la même quand il s’intéresse aux
coopératives au point de vouloir connaître leurs statuts et règlements.
« L’adresse inaugurale de l’association internationale
des travailleurs » en 1864, texte fondateur rédigé par Marx, consacre de
longs développements au mouvement coopératif : « La valeur de ces
grandes expériences sociales ne saurait être surfaite. Elles ont montré par des
faits, non plus par de simples arguments, que la production sur une grande
échelle et au niveau des exigences de la science moderne pouvait se passer
d’une classe de patrons employant une classe de salariés…elles ont montré que
comme le travail esclave, comme le travail serf, le travail salarié n’était
qu’une forme transitoire et inférieure, destinée à disparaitre devant le
travail associé exécuté avec entrain, dans la joie et le bon vouloir… » Le
mouvement coopératif n’est pas un expédient, il amorce un système de production
moderne à l’échelle de la société, sans exploiteurs, le « travail
associé », le communisme. Mais à cela une condition : « Pour
affranchir les masses travailleuses, la coopération doit atteindre un
développement national, et par conséquent, être soutenue et propagée par des
moyens nationaux.» C’est la question du seuil à atteindre pour ne pas être
absorbé par le marché. D’autre part, si les coopératives sont un élément de
l’émancipation, elles ne sont pas le seul et Marx et Engels ont trop le sens du
réel pour oublier l’Etat : « La conquête du pouvoir est donc devenue
le premier devoir de la classe ouvrière »; ce n’est pas un préalable à
l’émancipation, mais seul un pouvoir aux mains des ouvriers peut assurer sa
victoire.
Outre leur intérêt propre, ces textes nous
permettent de retrouver Marx et Engels tels qu’en eux-mêmes, opposés à
l’étatisme, conscients que l’émancipation se fait de bas en haut et non de haut
en bas.
L’introduction de Cours-Salies et de Zarka montre
combien ces textes sont pertinents pour étudier les possibles qui naissent dans
la mondialisation capitaliste et sa crise. Revenant sur l’histoire du vingtième
siècle, ils soulignent que ces possibles ne sont pas le fait de l’Etat :
en URSS les nationalisations ont assuré la domination de la bureaucratie ;
en France, elles ont été en 1945 le fait du nationalisme reconstructeur, et en
1981, une stratégie de grandeur et de modernisation. Rien à voir avec la
volonté d’appropriation sociale dont témoignent les expériences de mise en
coopérative de plus en plus nombreuses en France et dans le monde, expériences
qui se font à l’initiative des salariés eux-mêmes. La question de
l’organisation collective de la production et de la démocratie radicale est un
spectre qui rôde sans cesse. Mais il a du mal à prendre corps ; ainsi pour
la Sécurité sociale un des plus beaux succès du mouvement ouvrier, où l’Etat a
réussi à empêcher l’intervention populaire; pourquoi ? si ce n’est par ce
que « l’absence de projet de démocratie directe de type autogestionnaire
a ouvert la porte à une bureaucratie et un contrôle indirect par le patronat.»
Ce ne sont là que quelques-uns des points abordés
par l’introduction ; sa richesse en fait un texte qui peut être lu de
façon autonome comme un bilan et des propositions de perspectives. Elle se clôt
sur une belle conclusion : « Somme toute, la réponse est dans
une belle continuité avec celle de Marx : dans la mise en mouvement du
plus grand nombre. Porteuse de la mise en cause du capital et du dépérissement
de l’Etat en faveur de l’émancipation sociale. »
Romain Testoris
* Note de lecture publiée dans Rouge et Vert,
journal des Alternatifs, n°379 de juin 2014.
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