
La quatrième enquête
nationale sur les entreprises récupérées par les travailleurs (ERT) réalisée
par le programme « Faculté ouverte » de l’université de Buenos Aires
confirme que le mouvement argentin des entreprises récupérées s’inscrit dans la
durée. Depuis 2001, plus de 300 entreprises en faillite ou abandonnées par
leurs propriétaires ont été reconverties par leurs ancien-ne-s travailleur-se-s
et parmi elles, 60 l’ont été sur les trois dernières années. Si l’incertitude
juridique autour de ces processus reste forte, il apparait que la voie de la
récupération par les salariés reste une option valide de plus en plus soutenue
par les syndicats.
Comme le déclarait José Abellí en 2009, le phénomène de récupération d’entreprises par les travailleurs est aujourd’hui bien ancré dans la classe ouvrière argentine : « Aujourd’hui, quel que soit l’endroit dans le pays, lorsqu’une entreprise ferme, les travailleurs brandissent le drapeau de l’autogestion. C’est le grand acquis de la lutte de la classe ouvrière argentine »[1]. Il n’est donc pas qu’un lointain souvenir de la crise de 2001 comme le confirmait également Andrés Ruggeri en 2010 « les entreprises récupérées par les travailleurs, non seulement, n’ont pas disparu mais elles se sont converties en une option que les travailleurs reconnaissent comme valide, malgré toutes les difficultés, plutôt que de se résigner à la fermeture des entreprises »[2].
Comme le déclarait José Abellí en 2009, le phénomène de récupération d’entreprises par les travailleurs est aujourd’hui bien ancré dans la classe ouvrière argentine : « Aujourd’hui, quel que soit l’endroit dans le pays, lorsqu’une entreprise ferme, les travailleurs brandissent le drapeau de l’autogestion. C’est le grand acquis de la lutte de la classe ouvrière argentine »[1]. Il n’est donc pas qu’un lointain souvenir de la crise de 2001 comme le confirmait également Andrés Ruggeri en 2010 « les entreprises récupérées par les travailleurs, non seulement, n’ont pas disparu mais elles se sont converties en une option que les travailleurs reconnaissent comme valide, malgré toutes les difficultés, plutôt que de se résigner à la fermeture des entreprises »[2].
Les premiers éléments de la quatrième enquête nationale sur les entreprises récupérées par les travailleurs (ERT) réalisée par le programme « Faculté ouverte » de l’université de Buenos Aires en apportent une démonstration éclatante. Présentée le 21 mars dernier dans l’hôtel Bauen, à l’occasion du 11e anniversaire de sa récupération, le jour même où les travailleurs de cet hôtel récupéré apprenaient la décision de justice intimant leur expulsion, elle indique que ce sont plus de 60 entreprises qui ont été récupérées ces trois dernières années et 2 500 emplois qui ont été préservés. Depuis 2001, plus de 300 entreprises en faillite ou abandonnées par leurs propriétaires ont été reconverties par leurs ancien-ne-s travailleur-se-s, même si beaucoup courent le risque d’être contestées par des décisions de justice.
Un
cadre juridique complexe
Lors
de la présentation, Andrés Ruggeri, directeur du programme déclarait à
l’agence ANSOL que « l'une des données les plus saillantes du rapport
montre l'incidence de la loi sur les faillites, qui n'est pas celle attendue
parce que les conflits durent plus longtemps, parce que les entreprises qui ont
obtenu gain de cause d’un point de vue juridique sont très peu nombreuses, mais
également parce que peut-être les expropriations requièrent un parcours
juridique plus long, plus complexe qu’avant»[3].
De
fait, la durée des conflits a augmenté puisque sur la période (2010-2013), elle
est passée à 335 jours contre 249 jours précédemment. Dans 61% des cas, les
travailleurs ont été contraints d’occuper l’entreprise et/ou de résister contre
des décisions de justice et des tentatives d’expulsion (37%). Si la nouvelle
loi de 2011 avait initialement été perçue comme une avancée dans la mesure où
elle permettait au juge d’accorder la poursuite de l’activité des entreprises
sous le contrôle de coopératives de travailleurs, il n’en demeure pas moins que
dans la pratique le juge conserve toute latitude pour permettre cette
possibilité et qu’il en abuse parfois au détriment des travailleurs. Les faits
le confirment puisque seuls 9,7 % des nouveaux cas de récupération ont pu
profiter de ce recours. Alors qu’en 2010, 63% des ERT avaient obtenu une loi
d’expropriation, seuls 19% des cas postérieurs y sont parvenus.
Comme
l’illustre le cas de l’hôtel Bauen, le cadre juridique reste problématique et
les travailleurs de Fabricaciones Rosario se trouvent dans la même situation.
De même, à Buenos Aires, l’imprimerie Mon est arrêtée depuis deux ans et demi
et ses travailleurs attendent toujours à la porte de pouvoir entrer pour reprendre
la production.
Pour
autant, ce cadre juridique ne frêne pas les récupérations d’entreprises. Bien au
contraire, devant les fermetures intempestives d’usines le processus se
poursuit. Selon l’enquête, sur la période 2010-2013, ce sont précisément 63
initiatives d’autogestion qui ont été engagées permettant de préserver
2 664 postes de travail.
Les
évolutions relevées lors de la dernière enquête
Depuis
les premiers relevés, réalisés entre 2001 et 2002, jusqu'au dernier, le
Programme « Faculté Ouverte » a comptabilisé 311 entreprises
récupérées, autant de processus qui ont permis de préserver l’emploi de 13 462
travailleurs dans le pays[4].
La quantité d’entreprises récupérées continue
de croître et la moitié des entreprises (150) se situe dans
l'aire métropolitaine (la Ville et le Grand Buenos Aires) et le reste se trouve
à l'intérieur de la province de Buenos Aires ou dans le reste du pays. L’aire
métropolitaine de Buenos Aires et la région de la Pampa (les provinces de
Buenos Aires, La Pampa et Santa Fe) concentrent à elles seules 81 % des ERT. Toutefois, ces dernières années, les ERT ont
développé leur base géographique puisqu’elles sont aujourd’hui présentes dans
21 des 24 provinces du pays.
Pour
Andrés Ruggeri : « Il y a une nouvelle génération d’entreprises
récupérées et il est nécessaire de s’interroger sur les raisons de ce
resurgissement qui, s’il n’est pas aussi massif qu’en 2001 et 2002,
montre que la moitié des entreprises récupérées existantes sont postérieures à
la crise »[5].
Selon
les données du quatrième relevé, la récupération s'est élargie à d'autres secteurs
d’activité : alors que la métallurgie dominait dans les trois premiers
échantillons, elle s’est notamment diversifiée ces trois dernières années avec des
établissements éducatifs et gastronomiques, comme le montre les exemples du
collège Guido Spano ou du restaurant Alé Alé.
Une
autre évolution notable concerne l’engagement du mouvement syndical dans le
soutien aux processus. Alors qu’il était de 44% jusqu’en 2010, il passe à 64%
dans la dernière période. Celui-ci semble avoir intégré que le phénomène n’est
pas simplement conjoncturel mais bel et bien ancré dans la réalité économique
et sociale du pays.
Une
forte majorité d’ERT (93%) maintiennent les assemblées générales périodiques
(56% une fois par semaine). 54% d’entre elles appartiennent à un mouvement ou une
organisation d’ERT ou de coopératives et 71% réalisent des activités solidaires
ou culturelles en lien avec la communauté.
Globalement,
la capacité productive reste moindre qu’avant la récupération, l’absence de
capital (47,1%), de matières premières (35,3%) et la difficulté d’insertion sur
le marché (29,4%) restent prégnantes. Les données recueillies sont cependant en
évolution par rapport à celles relevées en 2003 et sont à mettre en relief avec
l’amélioration de la situation macroéconomique qui permet aux nouvelles ERT de
s’insérer plus rapidement. Néanmoins, leur accès au crédit reste problématique du
fait de leur statut, c’est ainsi que 29% des ERT ont recours au « travail
à façon », ce qui signifie qu’elles dépendent d’un donneur d’ordre qui
leur procure la matière première et les paie pour le travail et la maintenance
des machines. Dans certains cas, elles parviennent à capitaliser et à acquérir au
fil du temps une certaine indépendance alors que d’autres restent dans une
situation de sous-traitance. Relevons également que 61% des ERT reçoivent des
aides de l’Etat.
Un
autre trait significatif de ce phénomène est le maintien d’une égalité
salariale (52% des cas). Dans les autres cas, la différence est le plus souvent
liée à la différence du nombre d’heures effectuées (61,5%). Dans aucun cas,
l’échelle des salaires est supérieure à 50%.
Dans
une interview au journal Pagina 12, Andrés Ruggeri déclare que « le
processus est consolidé malgré la précarité et l’absence de résolution
générale. La modification de la loi sur les faillites semblait être la solution
mais elle a déjà démontré que ce n’est pas le cas et qu’y compris les choses
empirent. De même, l’Etat ne semble ni vouloir ni pouvoir en terminer avec le
phénomène. Ce qui est certain, c’est que pendant ce temps les processus se
poursuivent »[6].
Les
résultats collectés confortent Andrés Ruggeri dans son appréciation générale du
phénomène : « Le mouvement des entreprises récupérées argentines est
une référence au plan international, à notre connaissance, c'est le plus
important du monde. Les travailleurs ont adopté la récupération des entreprises
comme un outil viable quand les possibilités d’emploi se restreignent parce
qu'ils la voient comme une option et une réalité »[7].
Une
autre enquête du ministère du Travail datée de novembre 2013 confirme également
la vitalité des unités productives autogérées en Argentine puisqu’elle en
dénombre 786, dont 98 % de coopératives, impliquant 28 000 travailleurs
dans tout le pays. Le chiffre d’entreprises récupérées corrobore celui du
programme Faculté ouverte puisque 318 cas sont répertoriés[8].
L’enquête
du programme « Faculté ouverte » démontre effectivement que les
processus de récupération d’entreprises par les travailleurs en Argentine ne
sont pas qu’un lointain souvenir de la crise et, que malgré des difficultés
légales, ils sont bien ancrés dans la classe ouvrière. Comme le déclarait
Andrés Ruggeri lors de la rencontre internationale « L’économie des
travailleurs » chez les Fralib à Gémenos en début d’année, « l’aspiration
à la démocratisation de la production et à la redistribution des richesses est inscrit
dans l’ADN des travailleurs ».
Richard Neuville
Le 22 avril 2014
Pour en savoir plus :
Des données plus précises de cette enquête seront publiées
prochainement sur le site web : www.recuperadasdoc.com.ar
Des synthèses en français des précédentes enquêtes in Richard Neuville, « Les entreprises récupérées par les
travailleurs en Argentine », publié le 31 octobre 2012.
http://www.autogestion.asso.fr/?p=2071
ou sur ce site :"Argentine : Les entreprises récupérées se consolident", publié le 3 janvier 2011.
ou sur ce site :"Argentine : Les entreprises récupérées se consolident", publié le 3 janvier 2011.
« Argentine
: Entreprises récupérées » (2), Juin 2006, publié le 19 mars 2009
« Argentine : Entreprises "récupérées" ou
autogérées », Janvier 2004, publié le 19 mars 2009.
http://alterautogestion.blogspot.fr/2009/03/argentine-entreprises-recuperees.html
[1] Abellí, José, « Empresas
recuperadas », article du 27/02/2009, consultable sur :
[2] Andrés Ruggeri (Dir.), Informe del
Tercer Relevamiento Nacional de empresas recuperadas « Las empresas recuperadas en la Argentina 2010 », Buenos Aires,
Octubre de 2010, 90 p. Téléchargeable : http://www.recuperadasdoc.com.ar/
[3] Cooperativas, « Más
de 60 empresas recuperdas en tres años », Publicado el 7 de abril de 2014. Agencia
de Noticias Ansol. Consultable sur : http://www.ansol.com.ar/noticia.php?id=3123
[4] « Datos destacados del IV relevamiento de ERT
del programa Facultad Abierta », Données transmises par Andrés Ruggeri,
directeur du programme, le 21 avril 2014.
[5] op.cit.
[6] Esteban Magnani, « IV Relevamiento de la UBA
sobre empresas recuperadas, Para no perder el empleo”, Pagina 12, 20 de abril
de 2014. Consultable sur le site : http://www.pagina12.com.ar/diario/suplementos/cash/17-7607-2014-04-20.html
[7] Op. Cit
[8] Informe del Programa de Trabajo Autogestionado del
Ministerio de Trabajo, Empleo y Seguridad Social de la Nación. Noviembre 2013. Consultable
sur le site OSERA : http://webiigg.sociales.uba.ar/empresasrecuperadas/PDF/PDF_09/Informe_Trabajo_Autogestionado_Datos.pdf
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