Intervention dans l'atelier "Transition énergétique" de Richard Neuville* pour Les Alternatifs aux Journées d’étude de la Gauche Anticapitaliste les 25 et 26 mai 2013 : L’écosocialisme
Dans le temps imparti, je limiterai mon propos à deux
aspects :
1. La place singulière du nucléaire en France ;
2. Les enjeux et les défis démocratiques de la
transition énergétique.
Mais tout d’abord, je préciserai que, pour les
Alternatifs, la transition énergétique est indissociable de la transition
écologique et du projet de société que nous souhaitons construire, donc dans
une perspective de rupture avec le capitalisme et le productivisme.
1. La place singulière du nucléaire en France
La France possède le nombre le plus élevé au monde de
réacteurs nucléaires par habitant (58 réacteurs) et sa consommation d’énergie
reste dépendante des énergies fossiles à près de 75 %. Le nucléaire produit 78
% de l’électricité.
Comment en est-on arrivé là ?
Le mouvement antinucléaire français -malgré quelques
luttes héroïques- a subi une défaite historique, seulement atténuée par le
succès de la lutte de Plogoff, lieu de contestation de masse. Il ne s’en est
jamais vraiment remis, contrairement à ses homologues allemand et suisse.
A partir de 97, l’institutionnalisation des Verts -et
particulièrement leur entrée au gouvernement- aura un rôle démobilisateur pour
les mouvements et les contestations écologiques. Alors que la ministre Voynet capitule
devant le lobby nucléaire sur le MOX, l’enfouissement des déchets radioactifs à
Bure et les lignes à haute tension, elle demande à des experts d’élaborer un
scenario de transition énergétique, qui allait préfigurer Negawatt. Mais
au-delà de son intérêt, sa genèse est bel et bien un substitut au renoncement à
un arrêt rapide du nucléaire en France.
Je rappellerai également que huit jours après la catastrophe
de Fukushima de mars 2011, un « appel solennel » est lancé par 68 organisations
(dont une douzaine de partis politiques) pour demander au gouvernement français
de renoncer aux projets électronucléaires (EPR, ITER, Bure, etc.) et à
l’exploitation des réacteurs ayant atteint ou dépassé plus de 30 ans, ce qui
signifiait la fermeture immédiate de 21 réacteurs et de 21 autres d’ici
mi-2017, soit près des 2/3 en 6 ans. Or, aucune campagne n’a été engagée. Le Réseau
Sortir du Nucléaire y a renoncé mais les organisations signataires n’ont pas
fait vivre cet appel. Certaines n’ont même pas publié cet appel sur leur site
ou dans leur revue… Il y a là une responsabilité collective énorme, qui nous
incombe tous.
En France, le nucléaire a pu se développer et s’imposer
auprès de la population dans le cadre de la pensée unique de la puissance
technocratique car le programme a réellement été engagé à la fin des Trente
glorieuses, après la phase de reconstruction au cours duquel l’Etat très
centralisé avait démontré sa capacité à doter le pays de grandes
infrastructures et réorganiser la production.
Or, le Plan Messmer a été décidé sans aucune
concertation et dans la plus grande opacité, sans même un débat au Parlement
(ce qui est inimaginable en Allemagne ou en Suisse). Le développement du
nucléaire civil est intimement lié au nucléaire militaire résultant des
orientations géostratégiques de l’après-guerre et la création du Commissariat à
l’énergie atomique.
Pendant la phase transitoire, si la France décidait d’arrêter le nucléaire, elle aurait besoin
d’énergies fossiles (gaz, charbon). Les énergies fossiles représenteraient 30 %
de la production d’électricité si on souhaitait arrêter le nucléaire en 10 ans.
C’est pourquoi des mesures devraient être prises dans les secteurs qui émettent
le plus de gaz à effet de serre : les transports, le bâtiment et l’agriculture
intensive.
- Limiter l'usage abusif des engrais dans
l'agriculture,
- Limiter la consommation d’essence des véhicules
privés,
- Réduire de 10 km/h la vitesse sur les autoroutes.
Pour engager la transition énergétique, il est donc nécessaire :
- d’engager des crédits importants dans la recherche
sur les énergies renouvelables en commençant par réaffecter ceux consacrés au
nucléaire et à ITER.
- de développer un mix énergétique (hydraulique,
solaire, éolien, biomasse, géothermie, etc.) à grande échelle qui permettrait
de produire autant que 25 réacteurs nucléaires en 10 ans.
- d’économiser l’énergie en mettant un frein aux gaspillages. Grâce aux seules économies d’énergie, 23 réacteurs nucléaires pourraient être arrêtés sur 10 ans[1].
Mais l’efficacité (réduction des gaspillages, meilleures
technologies, etc.) ne suffira pas, il faudra la conjuguer avec la sobriété en
réduisant -selon Daniel Tanuro[2]- la
demande finale d’énergie de moitié environ dans l’Union européenne. Nos organisations
politiques doivent engager sans plus tarder une réflexion sérieuse sur la forme
que la sobriété devra prendre dans notre société, surtout pour atténuer les
effets sociaux.
2. Les enjeux et les défis démocratiques de la
transition énergétiques
L’enjeu de la transition dépasse largement nos
frontières et concerne l’ensemble de la planète. Il nous faut donc résonner à
cette échelle. L’exploitation fossile a explosé avec le développement du
capitalisme (elle représente 90 % des sources d’énergie) et l’accaparement des
ressources génèrent de nombreux conflits. Le nucléaire ne représente que 2 % de
la production mondiale.
Les enjeux géostratégiques sont énormes. Ils
supposent de repenser les rapports entre les états et d’engager une
redistribution mondiale en revoyant les échanges et en premier lieu en
réduisant les transports. Pour répondre aux enjeux climatiques aux horizons
2020 et 2050, un changement radical de notre système énergétique s’impose, il devra
respecter un équilibre Nord-Sud et garantir la justice sociale.
Ce changement implique :
• Une réduction importante de la
consommation en énergie des pays du Nord et l’arrêt du nucléaire en France. Ce
postulat remet en cause les logiques capitaliste et productiviste.
• Une décroissance de la production
matérielle et des transports, une dé-consommation, pour le dire autrement une «
décontamination au productivisme », une souveraineté alimentaire au niveau des
états et un renforcement des luttes contre les grands projets inutiles et
imposés (GPII).
• Une contestation de la logique du «
capitalisme vert », qui n’est pas en mesure de répondre aux enjeux énergétiques
et écologiques. Les mesures techniques -dites d’efficacité- qui représentent 70
% dans le scénario Negawatt favorisent notamment les profits des
multinationales. L’urgence écologique impose la mise en œuvre de solutions
reposant sur le choix de techniques appropriables, renouvelables et durables,
de même qu’une production décentralisée et diversifiée.
• Une articulation entre une démocratie
économique et sociale, -qui exclut la production et la distribution de
l’énergie de la sphère du marché et du profit- et une démocratie active
articulant une forme représentative et des processus de démocratie directe
(budgets participatifs, instances de décisions citoyennes), qui pourrait se
concrétiser dans le cadre d’une « planification démocratique écologique ».
Le défi est donc bien de conjuguer la « démocratie
réelle » et la justice sociale.
La transition écologique et énergétique implique :
- une articulation entre les niveaux national et
local en termes de production et de distribution d’énergie : entre un service
public national (pôle public de l’énergie) et des instances locales : régies
publiques contrôlées par les citoyen-ne-s et les travailleur-se-s et des
coopératives (SCIC). La loi Energie de 2002, dite Cochet, a dérégulé la
production de l’électricité et favorisé les profits, elle doit être révisée ;
- une prise en compte des besoins sociaux (accès à
l’eau et à l’énergie pour toutes et tous) et la mise en œuvre d’une péréquation
indispensable entre les niveaux national et local incluant la gratuité des
premières tranches et des tarifications progressives ;
- une convergence des luttes sociales et écologiques
pour peser sur les orientations politiques à un niveau macro, les luttes
accélèrent la prise de conscience, à titre d’exemple : celle, massive contre
l’exploration et l’exploitation des gaz et huiles de schiste en Ardèche
méridionale débouche sur une réflexion citoyenne d’ampleur sur la transition
énergétique ;
La transition écologique et énergétique implique
d’engager :
- des campagnes pour valoriser les gisements
d’emplois que représente la transition écologique, articulées avec la
revendication de la réduction du temps de travail. Selon une étude récente
conduite par Philippe Quirion[3] , sur
l’effet sur l’emploi de la mise en œuvre du scénario Negawatt, les créations
d’emplois nettes iraient de 220 000 à 330 000 en 2020 et de 570 000 à 820 000
en 2030. Seulement 7 ans après avoir décidé de sortir du nucléaire, l’Allemagne
comptait 235 000 emplois permanents dans le secteur des énergies renouvelables.
- une reconversion écologique de l’industrie
(automobile, agroalimentaire, sortie du nucléaire, etc.) et une relocalisation
des activités avec de petites unités de production ;
- l’élaboration de contre-plans alternatifs associant
les travailleurs-ses, les syndicats les associations et les citoyen-ne-s afin
de garantir les droits sociaux et le respect de la nature tout intégrant de
nouveaux rapports de production et de nouvelles organisations du travail ;
- des réflexions citoyennes au niveau des territoires
permettant de mutualiser les « intelligences » et de développer des
alternatives concrètes innovantes. Des coordinations locales entre les
coopératives de production et des instances politiques participatives
permettraient d’y parvenir. Les territoires
en transition, les commissions extra-municipales, les initiatives citoyennes se
développent déjà un peu partout car les citoyen-ne-s saisissent parfaitement
les enjeux et sont suffisamment éduqué-e-s pour être force de propositions et
d’initiatives.
- une valorisation des terrains d’expérimentations
(agriculture, auto-construction, productions coopératives d’énergie
renouvelables, etc.).
La perspective autogestionnaire -que nous défendons-
pose les questions de la propriété, du financement, des modes de gestion et de
la composition des instances de gestion des services publics, ce qui peut se
résumer par la nécessité impérieuse de « démocratiser radicalement la
démocratie »[4].
En conclusion, une nouvelle politique énergétique
implique évidemment la remise en cause des modes de production, la sortie de la
logique productiviste et la relocalisation d’une partie de l’économie pour réduire
de manière substantielle le transport de marchandises, extrêmement énergivore,
ainsi qu’une reconversion écologique de l’industrie.
* Militant engagé dans la lutte contre le gaz de schiste et le forum sur la transition écologique et énergétique en Ardèche.
1. Nucléaire Non
merci, « Quelles alternatives au nucléaire », consultable sur : http://nucleairenonmerci.net/actualite/alternatives-au-nucleaire.html
[2] Daniel Tanuro, “A propos du « Manifeste
écosocialiste » du Parti de gauche », 13 mars 2013. Consultable sur :
http://www.npa2009.org/node/36068
[3] Philippe Quirion, chargé de recherche au CIRED CNRS
"L’effet net sur l’emploi de la transition énergétique en France"
(Avril 2013)
[4] Richard Neuville, « Les défis démocratiques de
la transition énergétique », Mars 2013. Consultable sur : http://alterautogestion.blogspot.fr/2013/03/transition-energetique-les-defis.html
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