Le
23 après-midi, plusieurs exposés et débats ont traité de la situation de la
dette dans le Bassin méditerranéen et leurs conséquences avec une analyse plus
poussée sur la situation pour les pays les plus concernés, d’une part au Sud, en Tunisie et en Egypte, d'autre part au Nord,
dans l'Etat espagnol, en Grèce et au Portugal.
Tout
d’abord, Fathi Chamkhi de RAID-Tunisie, qui présidait cette rencontre, a
présenté la situation en Tunisie. La crise politique résultant en partie des
profondes inégalités a provoqué la révolution et permis de chasser Ben Ali mais
les problèmes économiques s’amplifient. L’économie repose essentiellement sur
les exportations de produits agricoles et de matières premières. La production
industrielle est offshore et ne bénéficie pas au pays. Le rythme
d’endettement annuel qui était de 1,7 milliard de dinars sous Ben Ali s’est
envolé et atteint sur les trois dernières années 4, 3 milliards de dinars. De
1987 à 2010, la Tunisie
a emprunté 41 milliards de dinars et a remboursé 48 milliards de dinars au
titre de la dette à moyen et long terme. La Tunisie a donc alimenté les comptes des bailleurs
de fonds avec le solde de 7,5 milliards de dinars.
Il
existe de fait deux monnaies : une locale et une autre pour les échanges.
La situation actuelle est proche de la banqueroute de 1986 et les pays
créditeurs ont saisi le FMI. Pour Fathi Chamkhi : « Le Front
populaire doit continuer à guider l’activité populaire pour permettre au peuple
tunisien d’être souverain ». Il est nécessaire de gérer la crise interne
avant l’externe.
En
Egypte, l’endettement remonte aux années 70 et il avait été multiplié par dix
sous Sadate. Les politiques d’austérité ont commencé dans les années 90 sous l’injonction
du FMI. L’intervenant au nom de la
Coalition populaire précise qu’il s’agit d’un échec du modèle
de développement. Celui-ci a été fort sous Moubarak mais faible en termes
d’emplois, ce qui a entraîné la révolution de janvier. La situation en Egypte
est similaire à celle de la
Tunisie et la dette intérieure est très importante. Il existe
également un gros problème énergétique. Quelle est l’alternative pour
l’opposition ?
Au
Maroc, pour Omar Aziki d’El Mounadhil, le pays n’a pas pu résoudre
l’endettement depuis l’indépendance. Il échange beaucoup avec l’Union
européenne, dont la crise affecte directement le Maroc (immigrés victimes en
termes d’emploi et donc moins de devises envoyées au pays, baisse du tourisme
et investissements extérieurs en chute). Il y a un assujettissement aigu lié à
l’endettement. En 2012, la dette publique s’élevait à 69 milliards de dollars
et représentait 71 % du Produit intérieur brut (PIB) national. Les ressources
sont en baisse car le Maroc vend en dollars et en euros. Les prêts
internationaux s’effectuent comme partout avec des conditions drastiques et entraînent
notamment une réduction des dépenses sociales. La Commission pour la
justice exige l’annulation de la dette et la réhabilitation des victimes
d’Hassan II.
Au
Liban, pour le représentant du Parti communiste libanais, la situation est
comparable aux autres pays. Il n’existe pas d’économie nationale. L’endettement
par habitant est de 15 000 dollars.
En
Syrie, il n’y a plus d’endettement depuis les années 70 et le gouvernement n’a
pas autorisé l’intervention des institutions internationales. Cependant, 80 %
de l’économie est contrôlée par 20 % de la population. Depuis le début de la
crise politique, la situation est devenue très critique, l’économie s’est
détériorée, la monnaie est dévaluée et la production a été considérablement
réduite. C’est le chaos total, il n’y a plus de médicaments et de nombreux
produits de première nécessité ne sont plus disponibles.
En
Grèce, depuis 3 ans malgré les politiques d’austérité la dette a augmenté de 20
%. Le chômage a fortement progressé et les gouvernements ont privatisé
l’énergie et les télécommunications. Il est probable que les capitaux étrangers
investissent en Grèce et les capitalistes grecs investissent à l’extérieur.
Le
salaire minimum a chuté de 20 % et le salaire annuel (calculé avec les primes
de fin d’année) a baissé de 40 % dans le secteur public et de 30 % dans le
secteur privé. Le contrat social a volé en éclats. Il y a un problème de
compétitivité. Il est nécessaire de changer de politique mais pour y parvenir,
le peuple a besoin de comprendre la situation.
Dans
l’Etat espagnol, Miguel Urban Crespo, qui s’exprimé au nom des cinq
organisations (Izquierda Anticapitalista, Lucha Internacionalista, Izquierda
Unida, Candidatura Unitat Polular et Sortu) a précisé que l’Etat vit une crise
de régime, héritée de la « transition démocratique ».
Il
a décliné la situation en plusieurs points :
-
Le modèle de croissance dévastateur pour l’environnement.
-
La vague de privatisations des entreprises publiques comparable à celle engagée
par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne
au début des années 80.
-
La dette espagnole privée et socialisée, elle s’élève à 5 milliards d’euros et
seule un quart est d’origine publique, ce qui illustre bien la logique de la
privatisation des bénéfices et la socialisation des dettes.
Actuellement,
trois millions de personnes sont touchées par la pauvreté extrême et le pouvoir
d’achat décline fortement pour une grande majorité de citoyen-ne-s.
En
3 années, ce sont 40 années d’acquis sociaux qui ont été supprimées par trois
contre-réformes sociales. Cette situation a provoqué le mouvement du 15 mai
2011 – 15M.
La
crise de l’immobilier est énorme et les hypothèques entraînent des catastrophes
humaines. Il existe un mouvement pour la levée des hypothèques qui se renforce
de jour en jour. D’une manière générale, l’Etat espagnol vit la période de
mouvements sociaux la plus forte depuis 30 ans.
Le
représentant portugais du Bloc de gauche a précisé que les dettes externes
touchent plus principalement les pays périphériques de l’Union européenne. Il a
sollicité avec force un besoin de solidarité internationale pour ne pas rester
isolés.
Après
les interventions des différents représentants de partis des pays les plus
affectés, le débat a permis d’échanger et de tenter d’esquisser des pistes. Il
est notamment nécessaire de restructurer les dettes, de taxer les profits des
investissements productifs étrangers, parvenir à faire comprendre aux peuples
les enjeux de l’endettement, de construire un réseau face au lobby financier (8
grandes banques captent une partie importante des échanges), de progresser dans
les audits des dettes en tant qu’outil de mobilisation dans le but d’obtenir
l’annulation des dettes.
Nous
avons pu mesurer, grâce aux témoignages de nombreux pays représentés, à quel
point les gouvernements s'alignent sur les recommandations des institutions
financières internationales en imposant des politiques d'austérité qui ont des
conséquences extrêmement graves pour les populations. Les pouvoirs qui ont
succédé aux dictatures renversées ont poursuivi les recettes néolibérales avec
pour conséquences l'aggravation de l'endettement, l'incapacité à réduire les
inégalités et à développer des programmes sociaux et économiques en réponse aux
aspirations populaires qui se sont exprimées lors des révolutions. Partout, les
capitalistes appliquent les mêmes recettes alors que les peuples sont divisés.
Dans
les pays du nord, nous connaissons mieux la situation avec les exemples de la Grèce, de l'Etat espagnol et
du Portugal, suivie par Chypre aujourd'hui où la Troïka, avec l'Union
européenne, impose des politiques d'austérité remettant en cause le compromis
social déjà bien attaqué.
Lors
de la matinée du 24, les alternatives et les ripostes possibles ont été
débattues en vue d’aboutir à une déclaration commune. La discussion a montré
une forte volonté de poursuivre ces rencontres, qui sont très importantes pour
nos camarades des pays arabes car elles permettent d'échanger sur la situation
et sur les moyens de mobiliser les populations autour de cette question
fondamentale qu'est le paiement de la dette. Ce réseau en construction est
également important pour fédérer des organisations de l'ensemble de la Méditerranée, y
compris des pays qui comme la
France sont des créanciers en particulier de la dette
tunisienne. Des actions communes sont envisagées dans des formes à préciser.
A
noter, l’intervention d’Eric Toussaint pour le CADTM qui a montré que la
résistance à l'endettement et aux institutions internationales est possible en
développant les exemples de trois pays : l'Argentine, l'Equateur et l'Islande
qui ont suspendu le remboursement de la dette ou décidé de ne pas la payer. Il
a plaidé pour que la question de la dette soit une priorité pour les
organisations politiques et pas seulement un point dans les programmes.
Les
dettes illégitimes et odieuses -pour celles qui ont été contractées par des
régimes dictatoriaux- répondent à trois critères :
1.
Absence de consentement de la population ;
2.
Absence de bénéfices pour la population de l’état endetté ;
3.
Le fait que les créanciers savaient que l’endettement ne servait pas les intérêts
de la population.
Dans
les pays méditerranéens, l’endettement a servi principalement les classes
dominantes et les entreprises étrangères puis avec la crise financière les
banques.
A
part en Grèce où le peuple refuse de payer la dette, ailleurs il est nécessaire
de faire un travail d’audit de la dette.
En
référence aux trois pays cités ci-dessus, il a précisé qu’un pays qui décide de
désobéir aux créanciers a plus de chance de s’en tirer qu’un pays docile.
Après
amendements, le Manifeste final de la rencontre méditerranéenne de Tunis a été
adopté. Les Alternatifs, présents à cette rencontre, ont donné leur signature
et entendent s'inscrire pleinement dans ce réseau.
Le
dimanche 24 dans l’après-midi un grand meeting populaire s'est tenu au palais
des congrès qui a réuni plus d'un millier de personnes dans une ambiance
dynamique et militante, avec slogans tels que « A bas la dictature, à bas le
capital » et chants révolutionnaires. Ponctuant la vingtaine
d'interventions des participants à la rencontre, plusieurs vidéos ont été
projetées en hommage à Chokri Belaïd assassiné le mois dernier et à Hugo Chávez,
et en souvenir des journées révolutionnaires du printemps 2011, montrant
notamment la répression violente des manifestations.
Les
intervenants ont été très (trop) nombreux : des représentants de l'Etat
espagnol, du Portugal, de la
Grèce, du Maroc, de l'Egypte, d'Algérie, de Syrie, du Venezuela,
de la Colombie,
du Liban, d'Italie, d'Haïti et de Palestine. Pour la France, sont intervenus
Olivier Besancenot pour le NPA et Marie-Christine Vergiat pour le groupe GUE-NL
au Parlement européen. Le meeting s'est terminé par une intervention du
porte-parole du Front Populaire, Hamma Hammani, chaleureusement applaudie qui a
conclu par : « La dette est un instrument essentiel pour continuer le
colonialisme. Le Front populaire doit s'engager à continuer la révolution, il
doit combattre le capital, le fondamentalisme… ».
Pour
les Alternatifs, cette rencontre internationale sur la dette est très
importante et le réseau en construction à l'échelle du Bassin méditerranéen
doit devenir un point d'appui pour envisager des ripostes populaires aux
politiques d'austérité. Cela suppose un élargissement à l'ensemble des
formations de la gauche radicale qui s'opposent à ces politiques dans les
différents pays.
Nathalie
Marcu et Richard Neuville
Voir sur ce site le manifeste adopté
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