Richard Neuville *
Entre 1975 et 1989, près de onze millions et demi d’allemands ont participé à de nouvelles formes de mobilisations : antinucléaires, pacifistes, écologistes, antiracistes, de solidarité, d’occupation, féministes, homosexuelles et contre-culturelles. (Koopmans - 1995 : 53) . Il s’agit du plus fort taux de mobilisation alternative en Europe occidentale. Dans ce climat de contestation générale, les nombreuses occupations d’immeubles appartenant, le plus souvent, à des banques ou des entreprises contribuent aux fréquents affrontements avec la police, au renforcement de la criminalisation et à un haut degré de confrontation politique avec le pouvoir.
Progressivement, les jeunes radicaux, d’inspiration anarchiste, à la différence des BI (initiatives citoyennes) n’excluent pas l’utilisation de la violence pour empêcher les expulsions. Ainsi en 1981, les diverses expulsions et les batailles de rue avec la police causent la mort d’un jeune, mais les occupations se poursuivent et atteignent 170 immeubles occupés et concernent près de 3 000 personnes logées en 1984. A la fin de la décennie 80, on dénombrait 370 occupations dans l’ensemble de la République fédérale allemande (Mayer - 1987) .
Après la première occupation réalisée à Cologne en 1970, parallèlement à d’autres types d’actions pour le logement, le mouvement s’étend à d’autres villes comme Hambourg et Francfort. Dans ces villes, des étudiants, des travailleurs sociaux et des familles d’immigrés forment les premières expérimentations de vie collective, auxquelles se joignent des familles impliquées dans les grèves de loyers. Au milieu des années 70, la première division se produit au sein du mouvement avec, d’un coté, ceux qui lient les demandes de logement alternatif aux luttes contre la démolition d’immeubles populaires en centre-ville et, de l’autre, ceux qui les intègrent dans une lutte politique plus globale, spécifique à la contre-culture urbaine, qui se traduit notamment par des publications, des coopératives de logements, des collectifs autogérés et des groupes féministes. La forte répression et la criminalisation que subit ce mouvement de la part des gouvernements socio-démocrates accentuent la brèche mais il continue cependant de bénéficier d’un appui populaire et massif.
Au début des années 80, le mouvement d’occupations est connu pour ses activités de réhabilitation et d’entre-aide mais les condamnations qui lui sont imposées et les démolitions le conduisent à une seconde rupture interne. Une partie se regroupe dans des organisations plus formelles, comme Stadtbau et Treuhand, qui réussiront à obtenir la légalisation des logements occupés, leur transformation en propriété publique avec la cession aux occupants sous la forme de baux à long terme. Ce processus débute en 1981 à Berlin. Il est ensuite imité à Hambourg en 1984 et plus tard dans d’autres villes. Ces actions d’occupations contribuent à donner une visibilité publique au problème politique du logement. Ces légalisations n’atténuent pourtant pas toutes les tensions. Dans beaucoup de lieux, légalisés ou non, la dynamique contre-culturelle antérieure persiste. Les secteurs les plus radicaux persévèrent dans les occupations illégales et les affrontements avec la police continuent. Finalement, le mouvement décline en termes de mobilisation et de popularité. Ce sont principalement les groupes autonomes qui poursuivent les occupations mais, du fait de l’institutionnalisation des Verts, le fossé s’élargit progressivement avec les autres mouvements sociaux (antinucléaire, écologiste et pacifiste). La solidarité reste néanmoins active jusqu’en 1992 comme lors de la longue mobilisation pour la défense des « 13 maisons » de la Hafenstraβe et de plusieurs quartiers occupés à Hambourg. Mais le mouvement alternatif allemand s’est, d’une certaine manière, éteint à l’achèvement du « Court XXe siècle », selon l’expression d’Eric Hobsbawn.
* Richard Neuville, membre du collectif Lucien Collonges, coordinateur de l'ouvrage "Autogestion, hier, aujourd'hui, demain", paru aux éditions Syllepse en mai 2010. Ce court article a été publié dans cet ouvrage.
Pour en savoir plus
Entre 1975 et 1989, près de onze millions et demi d’allemands ont participé à de nouvelles formes de mobilisations : antinucléaires, pacifistes, écologistes, antiracistes, de solidarité, d’occupation, féministes, homosexuelles et contre-culturelles. (Koopmans - 1995 : 53) . Il s’agit du plus fort taux de mobilisation alternative en Europe occidentale. Dans ce climat de contestation générale, les nombreuses occupations d’immeubles appartenant, le plus souvent, à des banques ou des entreprises contribuent aux fréquents affrontements avec la police, au renforcement de la criminalisation et à un haut degré de confrontation politique avec le pouvoir.
Au milieu des années 70, des « communes » se créent à Berlin (comme la Kommune I ou la Wieland Kommune). Elles sont liées directement au mouvement étudiant et aux styles de vie de la contre-culture (par exemple des groupes formés pour la légalisation de la marijuana), mais également à la gauche radicale extraparlementaire qui, pour une partie, est à l’origine des groupes armés comme la RAF (Fraction armée rouge) au début de la décennie. Cependant, le mouvement d’occupations et les groupes autonomes prennent leurs distances, tout au moins au début, avec les organisations armées. Les squatters et les autonomes forment néanmoins les ailes les plus radicales des nouveaux mouvements sociaux allemands. Ces groupes créent des espaces de contre-culture dans les immeubles occupés et s’affrontent régulièrement avec la police lors des fréquentes protestations ou tentatives d’expulsion.
Au cours de cette période, la vague massive de protestations civiques qui se développe dans les principales villes allemandes, notamment pour s’opposer à l’énergie et aux armes nucléaires, donne une forte impulsion au mouvement d’occupations. En 1977, dans le district de Kreuzberg (Berlin-ouest), un groupe de citoyens participe à l’élaboration d’un plan de développement pour le quartier, mais leurs demandes ne sont pas entendues, ce qui les conduit à occuper un édifice public, d’où ils seront violemment délogés par la démolition immédiate du local. Cet événement débouche sur la création de la première organisation du mouvement (BI : Bürgerinitiative SO 36), qui s’oppose à la spéculation immobilière en occupant et réhabilitant de nombreux logements.
Le recours à des pratiques de confrontation et d’action directe pour exprimer des demandes modérées a pour effet de radicaliser le mouvement citoyen, même si celles-ci sont fortement réprimées par les autorités. Elles exercent incontestablement un fort pouvoir d’attraction chez les jeunes des mouvements alternatifs. De plus, les occupations démontrent à la société qu’elles contribuent à la réhabilitation urbaine et la revitalisation des quartiers de Berlin-ouest, où plus de 10 000 immeubles sont vides et 90 % du parc immobilier est sous forme locative et passablement dégradé.
Progressivement, les jeunes radicaux, d’inspiration anarchiste, à la différence des BI (initiatives citoyennes) n’excluent pas l’utilisation de la violence pour empêcher les expulsions. Ainsi en 1981, les diverses expulsions et les batailles de rue avec la police causent la mort d’un jeune, mais les occupations se poursuivent et atteignent 170 immeubles occupés et concernent près de 3 000 personnes logées en 1984. A la fin de la décennie 80, on dénombrait 370 occupations dans l’ensemble de la République fédérale allemande (Mayer - 1987) .
Après la première occupation réalisée à Cologne en 1970, parallèlement à d’autres types d’actions pour le logement, le mouvement s’étend à d’autres villes comme Hambourg et Francfort. Dans ces villes, des étudiants, des travailleurs sociaux et des familles d’immigrés forment les premières expérimentations de vie collective, auxquelles se joignent des familles impliquées dans les grèves de loyers. Au milieu des années 70, la première division se produit au sein du mouvement avec, d’un coté, ceux qui lient les demandes de logement alternatif aux luttes contre la démolition d’immeubles populaires en centre-ville et, de l’autre, ceux qui les intègrent dans une lutte politique plus globale, spécifique à la contre-culture urbaine, qui se traduit notamment par des publications, des coopératives de logements, des collectifs autogérés et des groupes féministes. La forte répression et la criminalisation que subit ce mouvement de la part des gouvernements socio-démocrates accentuent la brèche mais il continue cependant de bénéficier d’un appui populaire et massif.
Au début des années 80, le mouvement d’occupations est connu pour ses activités de réhabilitation et d’entre-aide mais les condamnations qui lui sont imposées et les démolitions le conduisent à une seconde rupture interne. Une partie se regroupe dans des organisations plus formelles, comme Stadtbau et Treuhand, qui réussiront à obtenir la légalisation des logements occupés, leur transformation en propriété publique avec la cession aux occupants sous la forme de baux à long terme. Ce processus débute en 1981 à Berlin. Il est ensuite imité à Hambourg en 1984 et plus tard dans d’autres villes. Ces actions d’occupations contribuent à donner une visibilité publique au problème politique du logement. Ces légalisations n’atténuent pourtant pas toutes les tensions. Dans beaucoup de lieux, légalisés ou non, la dynamique contre-culturelle antérieure persiste. Les secteurs les plus radicaux persévèrent dans les occupations illégales et les affrontements avec la police continuent. Finalement, le mouvement décline en termes de mobilisation et de popularité. Ce sont principalement les groupes autonomes qui poursuivent les occupations mais, du fait de l’institutionnalisation des Verts, le fossé s’élargit progressivement avec les autres mouvements sociaux (antinucléaire, écologiste et pacifiste). La solidarité reste néanmoins active jusqu’en 1992 comme lors de la longue mobilisation pour la défense des « 13 maisons » de la Hafenstraβe et de plusieurs quartiers occupés à Hambourg. Mais le mouvement alternatif allemand s’est, d’une certaine manière, éteint à l’achèvement du « Court XXe siècle », selon l’expression d’Eric Hobsbawn.
* Richard Neuville, membre du collectif Lucien Collonges, coordinateur de l'ouvrage "Autogestion, hier, aujourd'hui, demain", paru aux éditions Syllepse en mai 2010. Ce court article a été publié dans cet ouvrage.
Pour en savoir plus
HOSBOWN, Eric, L’âge des extrêmes : le court XXe siècle (1914-1991), Editions Complexe - Le Monde diplomatique, Bruxelles-Paris, 1999.
KOOPMANS, R. , Democracy from Beloww. New Social Movements and the Political System in West Germany, Westview, Colorado, 1995.
MAYER, M., Reestructuring and popular Opposition in East, in M.P.Smith, R. Feogrin, The capitalist City, Global reestructuring and community Politics, Blackwell, Oxford, 1987.
MARTINEZ LOPEZ, Miguel, Alemania : contracultura y divisiones del movimiento okupa, in Okupaciones de viviendas y de centros sociales, Virus, Barcelona, 2002.
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