M. Colloghan

lundi 29 novembre 2010

Etats généraux ardéchois du service public : La gestion de l’eau

18 novembre 2010
Richard Neuville *

Evoquer la question de la gestion de l’eau implique assurément une immersion dans des eaux pour le moins troubles, voire opaques. Sans compter les conflits d’intérêts patents…

« Fermeté des élus du SIVOM » (La Tribune 17/12/2009), « Les contraintes de la régie » (La Tribune 02/11/2006)

Derrière ces deux titres éloquents à trois années d’intervalle, il apparaît clairement que la presse locale a un point de vue quasi-définitif sur le mode de gestion à privilégier et l’attitude que les élu-e-s doivent adopter vis-à-vis des usager-ère-s. On saisit également tous les enjeux démocratiques autour des délibérations de nos élu-e-s. Comment les citoyen-ne-s peuvent-ils avoir l’audace d’importuner le travail des élu-e-s ? Mais, heureusement ceux-ci / celles-ci veillent à perpétuer les bienfaits de la démocratie représentative permettant de décider en leur âme et conscience pendant la durée de leur mandat et de justifier l’absence de concertation de la population. Le propos pourrait paraître très acerbe s’il ne reposait pas sur des expériences concrètes en Ardèche.

Quelques rappels : (Fondation France libertés)
- En France, le prix de l’eau varie de 1 à 7.
- Les fuites d’eau représentent en moyenne 25 % de l’eau mise en distribution.
- 60 % des communes représentant 80 % des usager-ère-s soit plus de 50 millions de personnes dépendent du privé (VEOLIA, SUEZ et SAUR) soit 80 % des usagers en France.
- Les usagers dépendant du privé paient une facture en moyenne 27 % supérieure à celle d’une régie publique et jusqu’à 44 % de plus dans une intercommunalité.

Mais les temps changent et, ces dernières années sous la pression citoyenne, nombre de collectivités locales ont récupéré la gestion de l’eau ou renégocié les contrats à la baisse. Mais cette dernière disposition n’est pas sans conséquence pour les salarié-e-s comme on a pu s’en rendre compte en novembre avec la lutte des 1 100 salarié-e-s de Veolia en région parisienne. Affectés directement au contrat négocié entre le SEDIF (Syndicat des eaux d’Ila de France) et Veolia, les salarié-e-s sont considérés comme variable d’ajustement du fait de la mise en place à compter du 1er janvier 2011 d’une « société dédiée » imposée par le SEDIF et qui prévoit une baisse de 25 % des charges salariales en douze ans.

Par ailleurs, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que les multinationales citées ont engrangé de gros bénéfices pendant des décennies grâce aux subsides de l’eau et que c’est ainsi qu’elles ont pu par la suite diversifier leurs activités jusqu’à parvenir à contrôler les principaux outils de communication en France mais également la presse locale.

- En Ardèche, plusieurs luttes ont été menées depuis une décennie pour recouvrer une gestion publique de l’eau : SEBA (Ardèche méridionale), Tournon, Annonay et SIVOM Olivier de Serres (canton de Villeneuve de Berg). Les villes de Tournon et Annonay ont récupéré la gestion directe (je ne développe pas). Par contre, en Ardèche méridionale et sur le canton de Villeneuve de Berg, les importantes mobilisations organisées par l’ACF (Association de consommateurs de la Fontaulière) et le CRIC (Comité de résistance et d’initiatives citoyennes) n’ont pas permis d’en finir avec la délégation de services publics, en l’occurrence avec la SAUR. Malgré les mobilisations citoyennes et populaires en 2006 et 2009 : manifestations, pétitions, débats publics, les élu-e-s de droite comme de gauche du SEBA et du SIVOM Olivier de Serres ont refusé respectivement à 71 % et 83 % le passage en régie publique et ont prolongé leur concession au secteur privé pour 10 et 12 ans, privilégiant en cela les intérêts capitalistiques des actionnaires plutôt que ceux des usagers. Il faut relever qu’à aucun moment, les présidents des syndicats concernés n’ont daigné rencontrer les associations pour entendre leurs doléances.

Révélatrices du courage des élu-e-s, les délibérations ont été prises à huis-clos pour le SEBA et à bulletins secrets pour Olivier de Serres. Comment les élu-e-s de la République ont-ils pu redouter à ce point le regard de leurs administrés ? Au SEBA, la première délibération entachée de vices de procédure a été contestée devant la justice par l’ACF. Une nouvelle délibération laissera apparaître des votes différents mais une majorité confirmera le recours à l’affermage quelques mois plus tard.

Pourtant la gestion du réseau par la SAUR est de médiocre qualité.
Sur le périmètre du SIVOM Olivier de Serres :
* 34% ou 1/3 du volume d’eau mis en distribution est perdu,
* Le taux de renouvellement des branchements (particulièrement ceux en plomb) et des compteurs est insuffisant pour assurer la qualité du service sur le long terme. (Extraits du rapport annuel 2007 de la SAUR).

Concernant les 79 communes d’Ardèche ayant répondu à une enquête, le prix moyen du m3 d’eau potable était de 1,61€. Alors qu’il était avant renégociation à 2,40 €, soit 50 % plus cher pour les communes du SIVOM Olivier de Serres. (Chiffres de l’Agence de l’eau du bassin Rhône Méditerranée et Corse)

Le passage en régie publique a partout entraîné à moyen terme :
- Soit une baisse du prix du m3 d’eau potable,
- Soit une baisse du prix de l’abonnement,
Et constamment une meilleure gestion de l’eau au bénéfice des citoyens et de l’environnement.

Alors que les régies publiques d’Aubenas (ville) et d’Ouvèze Payre (communes rurales) démontrent une maîtrise complète de leurs services, une transparence du fonctionnement et des résultats et garantissent des prix bien inférieurs à l’affermage, comment peuvent se justifier ces choix politiques ?

A l’heure où la plupart des élu-e-s locaux déplorent, et à juste titre, le démantèlement et la disparition de services publics de proximité (bureaux de poste, classes, perceptions, services hospitaliers, etc.) décidés en haut lieu, il conserve malgré tout la capacité d’opérer des choix politiques au niveau local. Il paraît incompréhensible qu’ils n’optent pas pour une gestion publique de l’eau et de l’ensemble des compétences qui leurs sont dévolues : projets dans le champ des énergies renouvelables (éolien, solaire, etc.), l’assainissement, la gestion des déchets, la restauration scolaire et municipale, les équipements et espaces culturels et autres.

Quelques propositions :
- Une Loi cadre interdisant toute forme de marchandisation des biens communs universels (eau, air, biodiversité). L’eau ne doit donc pas être l’objet de profit, elle doit donc relever de la gestion publique ;
- La gestion socialisée de l’eau doit impliquer l’ensemble des acteurs et associer les élu-e-s, les salarié-e-s, les associations et les citoyen-ne-s. Les structures publiques doivent comporter plusieurs collèges. Pour la gestion de l’eau, la société coopérative d’intérêt collectif pourrait être privilégiée ;
- La ressource en eau est essentielle à la survie de l’humanité et de la biodiversité, elle est doit donc être protégée et préservée. Cela implique une gestion démocratique et soutenable de cette ressource à l’échelle de la planète;
- Mise en place obligatoire d’une commission consultative de services publics locaux à partir de 2 ou 3 000 habitants au lieu de 10 000 actuellement ou à la demande d’une ou plusieurs associations.

Quelques éléments de comparaison entre régie et délégation de service public
• La formule selon laquelle le fermier exploite le service à ses risques et périls n’est qu’un attrape-nigaud. En matière financière, les fermiers ont toujours su convaincre les collectivités d’accepter, le cas échéant, des augmentations de tarifs. Il suffit de consulter les avenants successifs de chaque contrat pour le vérifier.
• En délégation de service public, c’est la collectivité qui supporte la charge de renforcement des installations, y compris quand le fermier est défaillant,
• Pour le renouvellement, non seulement le fermier n’assume aucun risque, mais en plus il réalise des profits illicites sur les provisions non dépensées.
• En DSP, le prix de l’eau évolue en fonction d’une formule d’indexation, déconnectée de l’évolution des charges. Cette formule d’indexation est systématiquement inflationniste.

* Militant engagé au sein de deux associations revendiquant une gestion publique de l’eau en Ardèche : ACF (Association des consommateurs d’eau de la Fontaulière) en Ardèche méridionale et le CRIC (Comité de résistance et d’initiatives citoyennes) sur le canton de Villeneuve de Berg.
































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