Soucieux de mieux comprendre le concept de « cogestion sous contrôle ouvrier », forme retenue par le gouvernement bolivarien depuis début 2005 pour soutenir les entreprises récupérées par les travailleurs, nous avons souhaité visiter l’entreprise INVEPAL. La récupération de cette entreprise a fait l’objet d’une longue lutte et fait figure de pionnière en matière de récupération d’entreprises et de reprise en cogestion sous contrôle ouvrier au Venezuela.
En compagnie de Regulo Barreto, de Autonomía sindical, (1) nous avons donc quitté Caracas et parcouru 230 kilomètres pour nous rendre à Moron, dans l’état de Carabobo pour visiter cette entreprise. Il s’agit d’une papeterie qui est située en bordure de la mer des Caraïbes, dans une zone peu urbanisée et non loin d’un complexe pétrochimique. L’entreprise s’étend sur un territoire de 5 800 hectares, bordé d’immenses plages et recouvert de cocotiers et de palmiers. C’est une tradition, les entreprises au Venezuela avaient l’habitude d’acquérir d’immenses terrains entourant les centres de production dans un but spéculatif. L’entreprise VENEPAL avait respecté cette tradition et avait acquis des terrains qui restaient en jachère. Le complexe comprenait notamment des terrains pour les troupeaux, des moulins, des maisons, un hôtel équipé d’une piscine, un stade de base-ball, un générateur électrique et même un aérodrome. L’entreprise a été créée dans les années 50 et en 1998, elle comprenait 5 unités de production et employait 1 810 travailleurs. Elle contrôlait 40 % du marché national et elle était une des plus importantes papeteries en Amérique latine.
Mais l’entreprise a commencé à perdre des parts de marché et à s’endetter fortement au début des années 2000. Des actionnaires se sont retirés, d’autres comme le groupe mexicain COPAMEX en ont pris le contrôle en janvier 2000 pour se retirer en décembre de la même année. Une partie de l’entreprise VENEPAL est ensuite achetée par une entreprise colombienne SMURFIT qui projette de délocaliser la production en Colombie. En juillet 2003, alors qu’il ne reste plus que 600 travailleurs, VENEPAL est déclarée en faillite. Il s’agit notamment de casser la résistance des travailleurs et le soutien dont ils bénéficiaient. D’autant plus que les dirigeants de l’entreprise se sont largement compromis dans la déstabilisation du pouvoir bolivarien. En avril 2002, lors du golpe, certains des principaux actionnaires ont assisté à l’intronisation de l’éphémère présidence de Pedro Carmona, responsable de la fedecamara (chambre patronale). De même, lors du principal lock-out patronal de décembre 2002 - janvier 2003, les travailleurs ont dû occuper l’usine pour éviter la paralysie de la production, décrétée par les patrons.
A partir du 4 juillet 2003, les travailleurs ont occupé l’entreprise pendant 80 jours et ont commencé à assurer eux-mêmes la production. A l’issue de cette action, il y a eu une trêve mais l’entreprise a cessé toute activité le 4 septembre 2004. Les travailleurs ont repris l’occupation pendant de longs mois, persuadés que cette entreprise restait viable et ont élaboré un projet de récupération. Ils ont mené de nombreuses actions et ont lancé une campagne internationale de soutien.
Finalement le 13 janvier 2005, l’Assemblée nationale a adopté une loi décrétant l’entreprise VENEPAL comme cause d’utilité publique et sociale. Elle a voté l’expropriation à l’unanimité et créé l’entreprise INVEPAL SA dont la durée a été fixée à 50 ans. Cette nouvelle entreprise est constituée d’un capital 13 200 000 000 bolivares, détenu à 51 % par l’Etat et 49 % par la coopérative constituée par les travailleurs (COVINPA). La part des travailleurs a été accordée sous forme de prêt par l’Etat dans le but de réactiver l’entreprise sous le mode de la cogestion.
La nouvelle entreprise est dirigée par un directoire, composé de 5 membres : 2 représentants de l’Etat et 3 de la coopérative. Pour Ramón Lagardera, qui nous a rappelé la genèse de ce projet, le « directoire ne fonctionne pas bien » et il n’a pas caché son scepticisme sur le concept de cogestion car il estime, que « dans un processus révolutionnaire, les travailleurs doivent pouvoir s’approprier l’appareil de production. La part détenue par la coopérative doit évoluer pour qu’à terme les travailleurs soient autonomes et que l’entreprise fonctionne en autogestion. » (2)
INVEPAL fonctionne avec 2 unités de production (la principale à Moron et l’autre à Maracay dans l’état voisin d’Aragua). Il y a à peu près 500 travailleurs, dont 300 sont membres de la coopérative. Dans la configuration actuelle, les travailleurs associés sont des prestataires de service d’INVEPAL. La coopérative gère la cantine, une école et l’immobilier dans lequel des paysans voisins - qui ont également participé à la lutte - se sont installés et cultivent les terres inoccupées par la production papetière.
Cette expérimentation a déjà fait des émules comme dans l’entreprise d’aluminium ALCASA mais celle-ci reste publique et les travailleurs sont étroitement associés à la gestion.
Néanmoins, ses responsables se défendent de renouveler le type de cogestion à l’Allemande. Les travailleurs élisent les manageurs - qui conservent leurs salaires précédents - et sont soumis au droit de révocation. Il s’agit d’éliminer la bureaucratie et la corruption. L’an dernier, des responsables syndicaux de l’électricité de la FETRAELEC – UNT ne nous avaient pas caché leurs difficultés sur la mise en œuvre de la cogestion au sein de l’entreprise publique de production et de distribution d’électricité CADAFE.
Le concept de cogestion à la Vénézuélienne recouvre donc différentes formes et reste controversé et selon les dire des travailleurs d’INVEPAL, « rien n’est clair ! ». L’Etat envisage une loi sur la cogestion et les services des ministères du travail et de l’économie populaire ont planché sur un projet qui a été jugé insatisfaisant par 55 % des associés de la coopérative COVINPA. La cogestion reste à définir dans son contenu et sa forme. L’exemple d’INVEPAL illustre bien les balbutiements que l’on retrouve dans d’autres domaines au Venezuela mais on invente, on expérimente et on tente de développer de nouvelles formes de production et de nouveaux rapports au travail. Quoi qu’il en soit, le président vénézuélien a annoncé, il y a un peu plus de 6 mois, lors de son émission dominicale « Alo Presidente » que 136 usines actuellement fermées pourraient être expropriées et que les travailleurs seraient étroitement associés à la gestion. Doit-on comprendre que la cogestion n’est qu’une étape vers l’autogestion comme certains interlocuteurs nous l’ont dit, rien n’est moins sûr ! L’avenir le dira.
* Article rédigé pour Rouge et Vert le12/02/2006 suite à une visite de l'entreprise.
(1) Autonomía sindical est une des 3 tendances de la nouvelle centrale syndicale, la Unión sindical de los trabajadores (UNT), elle est liée à Patria para Todos (PPT) ; les 2 autres tendances sont Fuerza bolivariana de los trabajadores liée au Movimiento por la Vè República (MVR) et Clasista, Revolucionaria, Internacionalsta y Socialista qui est liée au Partido Revolución y Socialismo (PRS) d’inspiration trotskyste et influencée par les morenistes.
(2) Entretien réalisé le 31 janvier 2006.
En compagnie de Regulo Barreto, de Autonomía sindical, (1) nous avons donc quitté Caracas et parcouru 230 kilomètres pour nous rendre à Moron, dans l’état de Carabobo pour visiter cette entreprise. Il s’agit d’une papeterie qui est située en bordure de la mer des Caraïbes, dans une zone peu urbanisée et non loin d’un complexe pétrochimique. L’entreprise s’étend sur un territoire de 5 800 hectares, bordé d’immenses plages et recouvert de cocotiers et de palmiers. C’est une tradition, les entreprises au Venezuela avaient l’habitude d’acquérir d’immenses terrains entourant les centres de production dans un but spéculatif. L’entreprise VENEPAL avait respecté cette tradition et avait acquis des terrains qui restaient en jachère. Le complexe comprenait notamment des terrains pour les troupeaux, des moulins, des maisons, un hôtel équipé d’une piscine, un stade de base-ball, un générateur électrique et même un aérodrome. L’entreprise a été créée dans les années 50 et en 1998, elle comprenait 5 unités de production et employait 1 810 travailleurs. Elle contrôlait 40 % du marché national et elle était une des plus importantes papeteries en Amérique latine.
Mais l’entreprise a commencé à perdre des parts de marché et à s’endetter fortement au début des années 2000. Des actionnaires se sont retirés, d’autres comme le groupe mexicain COPAMEX en ont pris le contrôle en janvier 2000 pour se retirer en décembre de la même année. Une partie de l’entreprise VENEPAL est ensuite achetée par une entreprise colombienne SMURFIT qui projette de délocaliser la production en Colombie. En juillet 2003, alors qu’il ne reste plus que 600 travailleurs, VENEPAL est déclarée en faillite. Il s’agit notamment de casser la résistance des travailleurs et le soutien dont ils bénéficiaient. D’autant plus que les dirigeants de l’entreprise se sont largement compromis dans la déstabilisation du pouvoir bolivarien. En avril 2002, lors du golpe, certains des principaux actionnaires ont assisté à l’intronisation de l’éphémère présidence de Pedro Carmona, responsable de la fedecamara (chambre patronale). De même, lors du principal lock-out patronal de décembre 2002 - janvier 2003, les travailleurs ont dû occuper l’usine pour éviter la paralysie de la production, décrétée par les patrons.
A partir du 4 juillet 2003, les travailleurs ont occupé l’entreprise pendant 80 jours et ont commencé à assurer eux-mêmes la production. A l’issue de cette action, il y a eu une trêve mais l’entreprise a cessé toute activité le 4 septembre 2004. Les travailleurs ont repris l’occupation pendant de longs mois, persuadés que cette entreprise restait viable et ont élaboré un projet de récupération. Ils ont mené de nombreuses actions et ont lancé une campagne internationale de soutien.
Finalement le 13 janvier 2005, l’Assemblée nationale a adopté une loi décrétant l’entreprise VENEPAL comme cause d’utilité publique et sociale. Elle a voté l’expropriation à l’unanimité et créé l’entreprise INVEPAL SA dont la durée a été fixée à 50 ans. Cette nouvelle entreprise est constituée d’un capital 13 200 000 000 bolivares, détenu à 51 % par l’Etat et 49 % par la coopérative constituée par les travailleurs (COVINPA). La part des travailleurs a été accordée sous forme de prêt par l’Etat dans le but de réactiver l’entreprise sous le mode de la cogestion.
La nouvelle entreprise est dirigée par un directoire, composé de 5 membres : 2 représentants de l’Etat et 3 de la coopérative. Pour Ramón Lagardera, qui nous a rappelé la genèse de ce projet, le « directoire ne fonctionne pas bien » et il n’a pas caché son scepticisme sur le concept de cogestion car il estime, que « dans un processus révolutionnaire, les travailleurs doivent pouvoir s’approprier l’appareil de production. La part détenue par la coopérative doit évoluer pour qu’à terme les travailleurs soient autonomes et que l’entreprise fonctionne en autogestion. » (2)
INVEPAL fonctionne avec 2 unités de production (la principale à Moron et l’autre à Maracay dans l’état voisin d’Aragua). Il y a à peu près 500 travailleurs, dont 300 sont membres de la coopérative. Dans la configuration actuelle, les travailleurs associés sont des prestataires de service d’INVEPAL. La coopérative gère la cantine, une école et l’immobilier dans lequel des paysans voisins - qui ont également participé à la lutte - se sont installés et cultivent les terres inoccupées par la production papetière.
Cette expérimentation a déjà fait des émules comme dans l’entreprise d’aluminium ALCASA mais celle-ci reste publique et les travailleurs sont étroitement associés à la gestion.
Néanmoins, ses responsables se défendent de renouveler le type de cogestion à l’Allemande. Les travailleurs élisent les manageurs - qui conservent leurs salaires précédents - et sont soumis au droit de révocation. Il s’agit d’éliminer la bureaucratie et la corruption. L’an dernier, des responsables syndicaux de l’électricité de la FETRAELEC – UNT ne nous avaient pas caché leurs difficultés sur la mise en œuvre de la cogestion au sein de l’entreprise publique de production et de distribution d’électricité CADAFE.
Le concept de cogestion à la Vénézuélienne recouvre donc différentes formes et reste controversé et selon les dire des travailleurs d’INVEPAL, « rien n’est clair ! ». L’Etat envisage une loi sur la cogestion et les services des ministères du travail et de l’économie populaire ont planché sur un projet qui a été jugé insatisfaisant par 55 % des associés de la coopérative COVINPA. La cogestion reste à définir dans son contenu et sa forme. L’exemple d’INVEPAL illustre bien les balbutiements que l’on retrouve dans d’autres domaines au Venezuela mais on invente, on expérimente et on tente de développer de nouvelles formes de production et de nouveaux rapports au travail. Quoi qu’il en soit, le président vénézuélien a annoncé, il y a un peu plus de 6 mois, lors de son émission dominicale « Alo Presidente » que 136 usines actuellement fermées pourraient être expropriées et que les travailleurs seraient étroitement associés à la gestion. Doit-on comprendre que la cogestion n’est qu’une étape vers l’autogestion comme certains interlocuteurs nous l’ont dit, rien n’est moins sûr ! L’avenir le dira.
* Article rédigé pour Rouge et Vert le12/02/2006 suite à une visite de l'entreprise.
(1) Autonomía sindical est une des 3 tendances de la nouvelle centrale syndicale, la Unión sindical de los trabajadores (UNT), elle est liée à Patria para Todos (PPT) ; les 2 autres tendances sont Fuerza bolivariana de los trabajadores liée au Movimiento por la Vè República (MVR) et Clasista, Revolucionaria, Internacionalsta y Socialista qui est liée au Partido Revolución y Socialismo (PRS) d’inspiration trotskyste et influencée par les morenistes.
(2) Entretien réalisé le 31 janvier 2006.
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