M. Colloghan

samedi 30 juillet 2011

Aspects démocratiques d'une transition énergétique

Cette brève contribution a été rédigée en préparation de l'atelier : "Démocratie confisquée, débat usurpé : reprendre un contrôle citoyen" organisé par la Convergence citoyenne pour une transition énergétique dans le cadre des rencontres qui se tiendront à Lézan du 26 au 28 août 2011. Lors de cet atelier, les expériences de participation citoyenne y seront plus particulièrement développées afin de dégager des perspectives.
Richard Neuville *
Historiquement, la politique énergétique de la France n’a donné lieu à aucun débat public et citoyen. Le choix de l’accélération du programme du nucléaire civil, décidé dans le cadre du Plan Messmer en 1974 et dans la plus grande opacité, est intimement lié à celui du nucléaire militaire résultant des orientations géostratégiques de l’après-guerre et de la création du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) en 1945. Dès lors, le débat a été largement confisqué par l’Etat et les ministères de la défense et de l’industrie. De plus, cette orientation a été mise en œuvre par l’entreprise nationalisée EDF sous l’égide étroite de la technostructure et avec le consentement de la CGT dans le cadre du compromis historique. Le choix du nucléaire est donc lié à celui d’un état fort, autoritaire et centraliste comme on peut l’observer dans les états les plus nucléarisés du monde. Le primat du tout nucléaire a donc annihilé tout développement des énergies renouvelables, il a pérennisé inexorablement le rôle tout puissant de l’Etat et donc généré l’absence de tout débat démocratique et citoyen sur l’avenir énergétique.

Aujourd’hui encore, la politique énergétique n’est toujours pas débattue. Le Grenelle de l’environnement, même s’il s’agissait de la première opération à grande échelle de concertation du monde associatif, a volontairement occulté certains sujets et l’on sait ce qu’il est advenu de certaines décisions. Ce simulacre de concertation n’a, à aucun moment, associé les citoyen-ne-s.

L’attribution des permis d’exploration et d’exploitation des huiles et gaz de schiste résulte de la même logique, celle d’une centralisation excessive de la décision. En France, les choix énergétiques ont toujours ignoré les principes élémentaires de la démocratie, y compris ceux très insuffisants de la démocratie représentative.

Alors que les crises climatique et énergétique vont avoir des conséquences très lourdes sur l’avenir de la planète, les décisions pour demain doivent sortir impérativement du giron de la technocratie et être transférées provisoirement aux instances élues. Mais ce ne sera pas suffisant car la démocratie représentative est totalement discréditée et se trouve de plus en plus sous l’influence des lobbies. Il y a donc urgence à construire une articulation entre démocratie représentative et démocratie directe, cela passe par la mise en place d’instances de décision citoyenne.

Depuis une vingtaine d’années, des expériences de participation et décision citoyennes ont été expérimentées sur d’autres continents (Budget participatif à Porto Alegre repris par plus d’un millier de collectivités dans une trentaine de pays, des Conseils locaux de planification publique aux conseils communaux au Venezuela, formes de participation active au Kerala, etc.)*, celles-ci peuvent servir de référence. Ce qui est possible dans plusieurs états et collectivités dans le monde peut être instauré en France sur des formes à définir démocratiquement. Il y a urgence à mettre en œuvre une planification démocratique, reposant sur des assemblées populaires élues à différents échelons pour définir une nouvelle politique énergétique. Aujourd’hui, le savoir n’est plus l’apanage des classes dominantes et les citoyen-ne-s sont tout à fait en capacité d’opérer des choix pour l’intérêt général. L’expérimentation des forums citoyens l’a démontré amplement.

Dans la société de demain que nous souhaitons autogestionnaire, les biens communs universels (l’eau, l’air, la biodiversité) et les biens publics (énergie, transports, télécommunications) devront échapper à toutes formes de marchandisation et être socialisés, ce qui n’implique pas nécessairement la nationalisation. Quel que soient les échelons de compétences (national, régional ou local), les citoyen-ne-s, les associations, les syndicats devront être associés pleinement aux décisions et à la gestion des entreprises ou des régies publiques. L’essentiel des services publics de proximité pourraient être gérés par des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), tels que l’eau, les déchets, les énergies renouvelables, l’éolien, le solaire, etc.

La transformation sociale et politique de la société implique de rompre radicalement avec les pratiques actuelles qui consistent à déléguer la gestion aux intérêts privés et à confisquer le pouvoir de décision. Le discrédit de la démocratie représentative s’explique en partie par l’opacité de la gestion publique, le refus d’entendre les mobilisations populaires (eau, huiles et gaz de schiste, nucléaire, etc.) et l’absence de concertation des usager-ère-s et des travailleur-se-s à tous les niveaux.

La perspective autogestionnaire pose donc les questions de la propriété, du financement, des modes de gestion et de la composition des instances de gestion des services publics, ce qui peut se résumer par la nécessité impérieuse de « démocratiser radicalement la démocratie ».

Enfin, la définition d’une nouvelle politique énergétique implique évidemment la remise en cause des modes de production, la sortie de la logique productiviste et la relocalisation d’une partie de l’économie pour réduire de manière substantielle le transport de marchandises, extrêmement énergivore.

Le 22/07/2011


* Membre de l'Association pour l’Autogestion, Co-coordinateur et co-auteur de l’ouvrage « Autogestion hier, aujourd’hui, demain » paru aux éditions Syllepse, 2010.

Quelques références consultables sur ce blog :
* Benoît Borrits, Le Kérala : vers une démocratie pleine et entière...
http://alterautogestion.blogspot.com/2010/07/le-kerala-vers-une-democratie-pleine-et.html
Richard Neuville, Venezuela « Les Conseils communaux et le double pouvoir »
http://alterautogestion.blogspot.com/2011/01/venezuela-les-conseils-communaux-et-le.html
Bruno Della Sudda et Richard Neuville, Le budget participatif : de l’expérimentation de Porto Alegre au concept : http://alterautogestion.blogspot.com/2011/01/le-budget-participatf-de.html

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