samedi 19 juillet 2025

L’État, la révolution et l’autogestion. La question autogestionnaire et la gauche en France depuis 1968

Photo LIP2

Par Théo Roumier 

La question de l’autogestion a été au cœur des débats et des élaborations de la gauche radicale dans les années 1968. Théo Roumier donne à voir les lignes de force de ces discussions qui ne relevaient pas de simple polémiques entre courants politiques, mais s’inscrivaient dans un débat stratégique vivant, orienté vers la perspective, largement partagée alors, de la révolution socialiste.

Le texte ci-dessous est la retranscription, légèrement reprise, d’une communication prononcée lors de la conférence internationale Historical materialism Paris, « Conjurer la catastrophe », qui s’est tenue du 26 au 28 juin dernier. Elle s’inscrivait dans le panel « Transformations anticapitalistes de l’État ? ». Contretemps publiera d’autres communications tenues lors de cet événement important pour les pensées critiques et qui a attesté de leur vitalité.


État. Révolution. Autogestion.

Dans la décennie qui a suivi Mai 68 en France, c’est bien le dernier terme qui est venu interroger toute la gauche hexagonale, politique comme syndicale, ses pratiques, ses stratégies, ses projets.

Pour introduire cette communication qui va tenter de survoler cette période, en allant même un peu au-delà, je voudrais commencer par ces quelques mots de Daniel Guérin qui me semblent en poser les enjeux :

« L’autogestion ouvrière (…) est condamnée à osciller entre deux pôles : d’une part, l’autonomie des groupes de production, nécessaire pour que chacun d’eux se sente réellement libre et “désaliéné” ; d’autre part, la nécessité de la coordination en vue de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts égoïstes. Qui diable pourrait assumer cette coordination ? Invoquer ici Satan n’est pas une outrance, car le problème est diaboliquement ardu. S’il ne se trouve pas un organisme de coordination qui soit autonome, c’est-à-dire émanant des travailleurs, et d’eux-seuls, c’est fatalement l’État autoritaire qui s’arrogera ce rôle. »[1]

Nous sommes fin novembre 1965 quand Guérin pose ainsi la question au colloque Proudhon de Bruxelles. La suite des événements va donner à ce dilemme une répercussion qui ira bien au-delà des cercles, informés mais encore étroits, qui s’en préoccupaient jusqu’ici (à l’instar des trotskystes « pablistes » ou autour de la revue Autogestion, publiée à partir de 1966).

Mai-juin 68, ses 10 millions de grévistes, ses lycées et ses universités en totale ébullition, est en ce sens un détonateur.

Le 16 mai 1968, l’une des deux grandes confédérations syndicales françaises, la CFDT, publie un communiqué particulièrement marquant dans lequel on peut lire ceci :

« À la monarchie industrielle et administrative, il faut substituer des structures démocratiques à base d’autogestion »

Le mot n’est pas totalement nouveau, mais il est récent. Traduit du serbo-croate, il fait alors référence aux expériences menées dans la Yougoslavie titiste et dans les premières années de la jeune Algérie indépendante. Pour autant, il va vite les « déborder » et devenir en quelque sorte « l’autre nom du socialisme », en tout cas pour celles et ceux qui ne l’envisagent que « dans la liberté ».

Deux fédérations de la CFDT, la Chimie dirigée par Edmond Maire, et Hacuitex (pour Habillement, Cuir, Textile) dirigée par Frédo Krumnow, s’étaient déjà appropriée le mot en 1964, à l’occasion de leur déconfessionnalisation.

C’est au 35e congrès de la centrale syndicale, en 1970, que l’orientation du socialisme autogestionnaire est adoptée largement. De simple mot dans un communiqué, l’autogestion est devenue à la fois l’axe et la perspective centrale du syndicat. Stratégie pour l’action et projet de société.

Le socialisme autogestionnaire de la CFDT repose sur trois piliers :

1/ la propriété sociale des moyens de production (ni privée, ni d’État donc, les mots sont importants) ;

2/ la planification démocratique ;

3/ l’autogestion, de l’entreprise mais aussi de l’ensemble de la société.

Tous les trois supposent une rupture anticapitaliste. Et tous les trois percutent le rapport à l’État.


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 Cette article a été publié le 16 juillet 2025

 

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