Par Richard Neuville
Dès 2001, les entreprises récupérées par les travailleur-se-s (ERT) en Argentine ont ressenti le besoin de se fédérer au sein d'organisations spécifiques. A cela au moins deux raisons, elles n'étaient pas ou peu soutenues par les organisations syndicales (à l'exception de l'Union ouvrière métallurgique de Quilmes et, plus tardivement, la fédération de l'imprimerie de Buenos Aires) et elles ne se sentaient pas représentées par le mouvement coopératif traditionnel. Elles devaient donc se doter d'une forme de représentation susceptible d'être un interlocuteur crédible face aux pouvoirs publics mais également pour développer des liens organiques entre elles. A l'époque, le Mouvement national des entreprises récupérées (MNER) joua un rôle prépondérant dans la transmission d'expériences et la solidarité avec les nouvelles coopératives, ce qui leur a permis d'acquérir une plus grande visibilité sociale, politique et médiatique. Entre 2002 et 2004, l'importante vague de récupération d'entreprises par les travailleur-se-s en a largement bénéficié et son intervention a été dans bien des cas décisive.
Dès 2001, les entreprises récupérées par les travailleur-se-s (ERT) en Argentine ont ressenti le besoin de se fédérer au sein d'organisations spécifiques. A cela au moins deux raisons, elles n'étaient pas ou peu soutenues par les organisations syndicales (à l'exception de l'Union ouvrière métallurgique de Quilmes et, plus tardivement, la fédération de l'imprimerie de Buenos Aires) et elles ne se sentaient pas représentées par le mouvement coopératif traditionnel. Elles devaient donc se doter d'une forme de représentation susceptible d'être un interlocuteur crédible face aux pouvoirs publics mais également pour développer des liens organiques entre elles. A l'époque, le Mouvement national des entreprises récupérées (MNER) joua un rôle prépondérant dans la transmission d'expériences et la solidarité avec les nouvelles coopératives, ce qui leur a permis d'acquérir une plus grande visibilité sociale, politique et médiatique. Entre 2002 et 2004, l'importante vague de récupération d'entreprises par les travailleur-se-s en a largement bénéficié et son intervention a été dans bien des cas décisive.
L'impérieuse nécessité de se fédérer au niveau sectoriel
Mais au-delà des péripéties et des divisions résultant de divergences politiques et organisationnelles qui ont pu surgir par la suite, la nécessité de s'organiser d'un point de vue sectoriel est apparue essentielle. Ce n'est probablement pas un hasard, si le secteur de l'imprimerie a été précurseur dans ce domaine, d'autant qu'il représente 10% des ERT du pays et 17% des nouvelles récupérations conquises au cours de la période 2010-20131. De plus, ce secteur a bénéficié d'un fort taux de syndicalisation et, à présent, d'un soutien actif des syndicats de branche dans les processus de récupération, ce qui est loin d'être la règle dans d'autres secteurs d'activités. Ce secteur s'appuie également sur une forte tradition de syndicalisme révolutionnaire (le syndicat des typographes de Buenos Aires fut créé en 1857) et une conscientisation politique élevée. Le Réseau coopératif de l'imprimerie (Red Gráfica cooperativa) a été créé en 2007 et n'a cessé de se développer jusqu'à regrouper aujourd'hui une trentaine de coopératives associées ou reliées dans l'ensemble du pays Il a ensuite été imité par d'autres secteurs productifs, tels que la métallurgie, le textile, l'agroalimentaire et le secteur de la viande.
Plutôt que de rester isolées dans un système capitaliste concurrentiel, les coopératives de l'imprimerie ont opté pour le regroupement en réseau afin de développer des politiques communes en vue de mutualiser les investissements productifs, les achats, le stockage, la production, la qualité, la recherche et développement, les ressources humaines, la formation, la planification stratégique et opérationnelle, le financement, la commercialisation, la diffusion et la publicité.
Ce réseau permet de garantir la soutenabilité économique et sociale des coopératives associées à partir des bénéfices et des potentialités que permet l'intégration sectorielle :
- la mise en pratique de l'inter-coopération humaine, économique et financière,
- la synergie produite par le travail mutualisé,
- les bénéfices générés par les économies d'échelle,
- l'optimisation des processus à travers les réductions de structures,
- l'accès à des services communs financés par l'ensemble,
- l'élargissement du marché par la complémentarité de ses produits et ses services2.
Le réseau s'est doté d'une technologie de pointe qui lui permet d'assurer une gamme de produits très large et d'obtenir des marchés de l’État.
A titre d'illustration, ce ne sont pas moins de quatre coopératives qui assurent en complémentarité la photocomposition, le design de la couverture, la pré-impression et l'impression de la série de livres de la collection « Bibliothèque Économie des travailleurs » publiée par les éditions Continente.
Red Gráfica cooperativa regroupe plus de 500 travailleurs associés, qui bénéficient d'une formation technique et professionnelle solide leur permettant de réaliser un travail de qualité reconnu sans être soumis aux mêmes critères de productivité et de rentabilité que le secteur privé classique et ainsi tendre à éliminer les processus d'auto-exploitation.
Ce n'est pas non plus totalement un hasard si ce processus de regroupement sectoriel a été initié par les travailleurs de l'entreprise Chilavert. Celle-ci qui fut récupérée en 2002 en bénéficiant d'un soutien important des mouvements sociaux (Assemblées populaires, piqueteros, etc.) et de la population du quartier, elle fut une des luttes les plus médiatisées et les plus emblématiques avec Zanón et l'IMPA. En 2002, pendant la phase d'occupation des locaux, les travailleurs parvinrent à imprimer le livre « ¿Que son las asembleas populares? » et à sortir la production par un trou creusé dans un mur mitoyen en accord avec le propriétaire du garage attenant alors que la police stationnait jour et nuit devant la porte d'entrée de l'imprimerie.
Plus tard, la petite équipe de travailleurs comprit rapidement que si leur coopérative restait isolée sur le marché, elle ne s'en sortirait pas. Elle devait donc maintenir des relations étroites avec l'environnement immédiat, les mouvements sociaux mais également tenter de fédérer le secteur professionnel. L'entreprise, installée dans un quartier assez populaire de Buenos Aires, Barrio Pompeya, est ouverte à la population et ses locaux sont utilisés pour développer diverses activités sociales, culturelles et éducatives. Dès 2003, elle s'est notamment créée une école populaire, Bachillerato popular, affiliée à la Coopérative d'éducateurs et chercheurs populaires (CEIP), à laquelle participe une centaine d'élèves de tous âges, parmi lesquel-le-s des travailleur-se-s de l'entreprise, en vue d'obtenir un diplôme de cycle secondaire reconnu par l’État après trois années d'études. La pédagogie est inspirée de Paulo Freire, l'école est pensée comme une « organisation populaire interrogeant les savoirs institués et générant des savoirs et du pouvoir populaire en mouvement permanent et pour l'action collective »3. Chilavert Artes Gráficas héberge également le Centre de documentation des entreprises récupérées, cogéré avec des universitaires du programme « Faculté ouverte » de l'université de Buenos Aires. Tout un symbole, le visiteur y est accueilli par des travailleur-se-s disponibles qui aiment à raconter leur histoire et il est invité à partager le casse-croûte pour poursuivre l'échange. Actuellement, Plácido Peñarrieta, président de la coopérative, assume également la coordination de la fédération.
Alors que la problématique technologique s'avère cruciale pour les ERT argentines dans l'approfondissement des processus d'autogestion, Red Gráfica cooperativa est parvenu à relever ce dilemme en mutualisant les investissements productifs et la production, ce qui lui permet d'innover d'un point de vue social en améliorant les conditions de travail et de réduire l'auto-exploitation des travailleurs associés. Les bonnes relations avec le syndicat de l'imprimerie permettent aux travailleur-se-s de continuer à bénéficier de la couverture sociale bien qu'ils/elles ne soient plus sous statut salarié-e-s-, ce qui n'est pas le cas d'autres secteurs d'activités qui doivent la prendre en charge directement.
La fédération des entreprises coopératives de l'imprimerie est porteuse d'une stratégie de transformation sociale de la société et de rupture avec le système de domination capitaliste. Elle est également très impliquée dans l'organisation des rencontres régionales et internationales de l'économie des travailleurs, dont l'un des objectifs est de nouer des liens entre les différentes expériences à l'échelle planétaire en vue d'esquisser des alternatives concrètes à la logique capitaliste.
Richard Neuville
(Décembre 2014)
Article rédigé pour le site de l'association pour l'autogestion : http://www.autogestion.asso.fr/?p=4773
Notes :
- Andrés Ruggeri, « ¿Que son las empresas recuperadas? », Peña Lillo, Edeciones Continente, Abril de 2014. Une version en français publiée par les éditions Syllepse paraîtra en avril 2015.
- Voir le site de Red Gráfica Cooperativa : http://www.redgraficacoop.com.ar/?page_id=19
- Voir le site de Chilavert – section Educaciòn y Cultura : http://www.imprentachilavert.com.ar/
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