M. Colloghan

dimanche 22 décembre 2013

Argentine, la population se soulève contre la « méga-usine » de Monsanto

Par Benjamin Sourice

manifestation à Cordoba, Argentine, septembre 2013
Manifestation à Cordoba, Argentine, septembre 2013

Monsanto annonçait en juin 2012 la construction en Argentine de sa plus grande fabrique de semences de maïs transgéniques (OGM) d'Amérique Latine. Le pays, déjà deuxième producteur mondial d'OGM, est en passe de devenir un exportateur de semences GM bon marché. Sur le terrain, le bras de fer entre les habitants et la firme devient des plus musclés.


L'endroit choisi pour ce projet de « méga-fabrique » se nomme Malvinas Argentinas dans la proche banlieue de Cordoba, une ville entourée de soja GM et dont les habitations sont régulièrement soumises à des fumigations intempestives. Face au mutisme des autorités qui cautionnent le projet, des associations de défense de l'environnement, des organisations sociales, et des habitants bloquent désormais l'accès au chantier depuis fin septembre 2013.

Rapidement après l'annonce du projet, l'Assemblée des Habitants de Malvinas en Lutte pour la Vie s'est constituée à l’initiative de mères de familles et de résidents fatigués de subir cette pollution quotidienne. Les habitants ont vainement réclamer des informations à la municipalité et au gouvernement provincial.

En novembre 2012, l'Assemblée a commencé à exiger que la population de Malvinas Argentinas puisse se prononcer par référendum. Le maire Daniel Arzani et le gouverneur José Manuel de la Sota ont à nouveau refusé l'initiative. Les habitants exigent également le respect de la Loi Générale de défense de l'environnement qui oblige la réalisation d'une étude d'impact environnemental, mais faute d'avoir été réclamée par les autorités, Monsanto s'est affranchie sans difficulté de cette contrainte.


Occupation et résistance

Le 19 septembre 2013 un festival populaire, un « Printemps sans Monsanto », se tenait sur le site marquant le lancement d'une opération de blocage qui dure depuis deux mois. Depuis, les entreprises de construction avaient retiré leurs machines et les ouvriers ne se rendaient plus sur le site. Mais face à la résistance qui s'installe, Monsanto cherche à intimider les leaders locaux et menace de traîner en justice les habitants participant à l'occupation.

Le 31 octobre dernier, Monsanto a accusé Sofia Gatica de l'organisation des Mères de Ituzaingo et Eduardo Quispe, de l'Assemblée de Malvinas Argentinas, de « porter atteinte à la sécurité publique » en raison du blocage, tout en dénonçant de supposés « actes de violence contre le personnel » du chantier. En 2012, Sofia Gatica recevait le prix Goldman Environmental Prize pour son combat des mères argentines contre les pollutions agrochimiques affectant la santé des enfants. Les avocats de Monsanto accusent ces militants d'occuper illégalement le terrain, ce qui, selon le code pénal argentin pourrait leur valoir des peines de prison allant jusqu'à trois ans et de lourdes amendes au civil pour préjudices économiques.



Dernier rebondissement marquant une détérioration du conflit, le 28 novembre au matin, un groupe d’environ 60 « gros bras » s’est présenté sur le site pour saccager le camp. Les militants ont dénoncé la participation du délégué d'un syndicat de la construction (UOCRA), des engins de chantier et des camions étant par ailleurs immobilisés sur le site depuis plusieurs jours après une première tentative de déloger les occupants. 



Un mouvement qui prend de l'ampleur

Deux enquêtes d'opinion révèlent que 63,2% des argentins sont contre l'installation de la multinationale dans la province et 66,8% soutiennent le mouvement de résistance des habitants. Trois universités nationales ont également dénoncé publiquement la légalité de l'installation de Monsanto. Les professeurs de droit de l'Université Catholique, celle de Rio Cuarto (UNRC) et celle de Cordoba ont soulignent le fait que la construction ait été autorisée sans la réalisation préalable d'une évaluation d'impact environnemental ni consultation publique, deux dispositions pourtant obligatoires. Elles ont également rappelé l'existence d'un « principe de précaution argentin », des mesures de protection devant être prises lorsqu'il y a des risques sur la santé publique et l'environnement. 

Depuis, la grogne s'étend dans la province voisine de San Luis et reçoit un soutien grandissant dans la capitale. « Monsanto promeut un modèle d'agriculture industrielle, elle fait déboiser des milliers d'hectares pour y semer ses cultures transgéniques de maïs et de soja pour en tirer des graines, elle y fait régulièrement pulvériser des produits hautement dangereux pour la santé durant le cycle de culture, sans le consentement de notre communauté », a dénoncé l'Association Paysans de la Vallée Conlara, réunissant les familles rurales voisines d'une autre usine de l'entreprise.



Pour les paysans argentins, « ce modèle n'a pas crée d'emplois, il ne produit pas d'aliment pour notre région et menace notre santé », ils dénonçent également les fumigations à proximité de leurs maisons, dont les effets terrifiants ont été démontrés par une enquête récente d'Associated Press. Au pays des soyeros tout puissant, tenant la presse et la politique, la population argentine a décidé d'affronter Monsanto sur le terrain, ils auront besoin de soutien !

Source : Dos meses de bloqueo, Dario Aranda, Pagina12, 23 novembre 2013.http://www.pagina12.com.ar/diario/sociedad/3-234192-2013-11-23.html



Manu Chao et Marie Monique ont apporté publiquement leur soutien à cette occupation fin novembre 2013
Manu Chao au campement de Malvinas, 29/11/2013
Manu Chao au campement de Malvinas, 29/11/2013


Marie Monique Robin, mi novembre 2013
 


16/11/2013

L'Argentine et Monsanto : amour, haine et gros sous


Difficile de parler de manière neutre de Monsanto, cette multinationale combien de fois montrée du doigt, accusée, vilipendée… Cette «  diabolisation » ne sort toutefois pas de quelques esprits échauffés, mais de faits bien réels. Marie-Monique Robin avait été précurseur avec son documentaire « Le monde selon Monsanto » ; aujourd’hui penchons-nous sur Monsanto en Argentine, à l’occasion d’un article édifiant publié par le Concord Monitor (et traduit en français par Novopress).
No a los OGM_Argentina.jpg


En substance, l’article détaille les innombrables problèmes de santé recensés dans deux provinces argentines, où sont utilisés les pesticides Monsanto sans contrôle aucun semble-t-il.

Que ce soit à Entre Rios ou au Chaco, les journalistes qui ont mené l’enquête ont interviewé et photographié des familles et des associations qui luttent inlassablement pour que soient reconnus les effets dramatiques des pesticides.

« Dans la province de Santa Fé, Coeur de l’industrie du soja, les taux de cancer sont 2 à 4 fois plus élevés que la moyenne nationale. Dans le Chaco, la province la plus pauvre du pays, les enfants ont 4 fois plus de risques de naître avec des troubles congénitaux dévastateurs ».
Monsanto a bien sûr nié les faits reprochés dans l’enquête.

Quoi qu’il en soit, on peut se demander comment il est possible de lutter contre Monsanto, dans un pays où les OGM sont autant répandus… et représentent surtout des ressources financières colossales ?

Monsanto et son image institutionnelle

Si l’on regarde le film institutionnel de Monsanto, on est frappé par la clarté du discours (la manipulation des cerveaux ?). Intitulée en espagnol « Monsanto Sustentable », la vidéo montre une mère nature généreuse (« home ») et verdoyante ; « on respire l’air, on sent la planète bouger avec nous »… Mais bien sûr, cette image presque édénique est troublée par quelques faits incontournables :
  • La population croissante et ses besoins alimentaires
  • Les pays « sous-développés » où la famine est encore un lieu commun.
Film-institutionnel-Monsanto.png
Alors bien sûr, il n’y a qu’une solution : Monsanto, qui avec ses innovations agricoles, permet de « protéger et préserver notre planète », tout en améliorant le quotidien de millions d’êtres humains. Une bien belle mission…

Monsanto en Argentine

La firme de Saint-Louis est installée depuis 1956 en Argentine ; elle avait alors une usine de plastique à Zarate, dans la province de Buenos Aires. Dans les décennies qui ont suivi, Monsanto s’est spécialisée dans la biochimie et a peu à peu développé des engrais et semences que les agriculteurs se sont arrachés.

Dans une infographie animée créée pour le marché argentin (Compromiso Monsanto Argentina), on retrouve la même mécanique démonstrative imparable.
+ d’humains > + de nourriture > nécessité d’une production plus optimale

Ce qui passe forcément par la « domestication et l’amélioration des espèces ». Au passage, Monsanto promet que grâce à ses innovations, on peut réduire l’utilisation des produits agrochimiques… un comble.
OMG_Argentina.jpg
Cette infographie donne d’ailleurs quelques données intéressantes sur la poussée phénoménale des OGM : en 1996, 1, 7 million d’hectares étaient plantés avec des OGM dans le monde ; en 2011, on estimait que les cultures d’OGM occupaient 160 millions d’hectares.

Là où Monsanto fait mouche, c’est bien sûr sur l’impact économique que peuvent avoir les OGM dans le pays : en 2010, les bénéfices économiques de l’agriculture en Argentine s’élèvent ainsi à  148 milliards de $, soit 56% des devises et 33 % du PIB.

Soja, maïs, coton, viandes, etc… le poids des matières premières agricoles est trop important dans la balance commerciale Argentine, pour que l’on renonce facilement à des produits chimiques qui permettent d’augmenter de manière considérable les rendements.

Impossible d’aller au choc frontal, quand des enjeux aussi colossaux sont dans la balance.

L’opposition à Monsanto en Argentine

C’est un petit détail, mais il vaut la peine d’être souligné. Sur toutes les vidéos YouTube de Monsanto (pour quelque pays que ce soit), les commentaires sont désactivés. Pas folle, la mouche… Mieux vaut éviter les agressions publiques marquées dans le marbre du Net.

De la même manière, la rubrique presse du site argentin de Monsanto ne relaie quasiment que des bonnes nouvelles, et jamais les procès et actions qui sont intentés contre ses activités. À une exception près : ce 6 novembre 2013, Monsanto a publié un communiqué de presse intitulé « No a la violencia », dans lequel elle condamne fermement l’irruption « sauvage » de quelques militants dans une salle de faculté, où des salariés donnaient une conférence sur ses activités. Il faut voir la vidéo pour comprendre l’aspect ridicule de la plainte…

Cette « manifestation » locale rappelle qu’en Argentine, ils sont nombreux les membres de la société civile qui cherchent à éveiller les consciences et susciter des débats de fond sur les OGM, les pesticides, etc.

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Sofia Gatica - Photo du site El cientifico Juan
Sofia Gatica est une des figures de ce mouvement. Touchée personnellement par un drame attribué au pesticide (la mort de son nouveau-né), elle s’est engagée inlassablement contre les pratiques d’épandage « sans foi ni loi » des produits agrotoxiques. Avec son collectif, les Mères d’Ituzaingo, elle est parvenue à obtenir un premier jugement historique en 2012 : un agriculteur et un pilote ont ainsi été reconnus coupables de « pollution environnementale frauduleuse ».

Distinguée par un prestigieux américain, le Goldman Prize, Sofia Gatica continue son combat contre les produits agrochimiques… et leurs producteurs multimilliardaires, dont Monsanto est l’exemple le plus significatif.

Après l’application de l’interdiction (depuis juillet 2013) de l’endosulfan, un pesticide dont les effets néfastes ont été reconnus au niveau mondial, les Mères d’Ituzaingo espèrent désormais pouvoir obtenir une interdiction des glysophates.

… Monsanto a aussi ses défenseurs : ne parlons pas des exploitants agricoles (à qui profite le « crime »…), mais plutôt des salariés. En novembre 2012, Monsanto a reçu le titre de la 3e entreprise où il fait « bon travailler » en Argentine. Plus étonnant encore, Monsanto arrive 6e en 2013 du classement des entreprises de rêve où les jeunes veulent travailler

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