La crise financière, amorcée en juillet 2007, a ébranlé le système capitaliste et ne cesse d'affecter les peuples à qui l'on demande de payer l'endettement qui en a résulté. En Grèce, au Portugal, à Chypre, dans l'Etat espagnol, en France, ... les peuples résistent mais les gouvernements de ces pays se plient au diktat de la troïka. En France, la socialisation des banques est proposée par de nombreuses organisations. Pour alimenter ce débat, nous publions cette contribution de Thierry Brugvin.
Contribution à l’atelier « « démocratiser l’argent », de
l’université d’été 2012 d’Attac
Résoudre le problème de la dette suppose non
seulement de réguler les marchés financiers, mais surtout d’amorcer une sortie
du capitalisme par la socialisation des banques. Dans la mesure ou dans un
système capitaliste, le pouvoir appartient principalement aux grandes
entreprises capitalistes, les transnationales, cela n’est pas cohérent. En
effet, l’objection de croissance socialiste, suppose une baisse du
productivisme et une redistribution des richesses, or ce sont des orientations
qui s’opposent aux intérêts des transnationales. C’est pourquoi, rester dans un
système capitaliste et décider politiquement et démocratiquement de s’engager
dans une à caractère sociale, ne tiendra
jamais bien longtemps, car les transnationales capitalistes, reprendront rapidement
le dessus dans une société capitaliste, même régulée par des socialistes ou des
écologistes.
La socialisation autogestionnaire débuterait par
celle des banques, puis celle des grandes entreprises, dont la gestion et les
décisions sont assurées par les représentants de l'Etat, les syndicats, les
usagers et les associations parties prenantes (régulation tripartite) encadrées
par la planification autogestionnaire locale, nationale et internationale
(fédéraliste).
La première des actions à entreprendre, pour dépasser
le capitalisme, consiste dans l’appropriation collective (la socialisation) des
moyens de production financier, industriel, agricole, etc. Mais ceci, dans une
socialisation autogestionnaire, afin de ne pas reproduire les dérives du
socialisme stalinien. Durant 30 ans, de 1950, à la fin des années 80, la
Yougoslavie a expérimenté à l’échelle nationale, avec un relatif succès, ce
dispositif autogestionnaire. Mais son interruption s’explique, notamment, par
le fait que la démocratie autogestionnaire se limitait au secteur productif et
ne concernait pas le plan politique. Quant à l’Espagne, la coopérative Mandragon est une fédération de
coopérative qui connaît une réussite spectaculaire, puisqu’elle figurait
parmi les 7 premières entreprises du pays en chiffre d’affaires en 2011. Elle existe depuis 1956, à Mondragon en Espagne.
En 2009, elle comptait plus de 85 000 membres.
La socialisation des grandes entreprises est un
élément commun au socialisme libertaire (ou mutuellisme de Proudhon), à l’écosocialisme
trotskyste et au communisme libertaire. Il ni y a d’ailleurs presque plus
aucune différence entre ces deux derniers systèmes économiques, en dehors de la
phase de transition révolutionnaire (concernant les méthodes d’organisation de
la lutte). Or, ils s’ingénient à se combattre encore actuellement. L’approche
écosocialiste autogestionnaire distributive (ou écosocialisme redistributif)
s’inscrit dans les grandes lignes du socialisme libertaire, en socialisation
l’ensemble des grandes entreprises et en transformant l’ensemble des
entreprises privées coopératives privées. En fonction des orientations plus ou
moins socialisantes, l’écosocialisme redistributif pourra éventuellement
étendre la socialisation aux petites entreprises, tel que le prône l’écosocialisme,
le collectivisme libertaire et le communisme libertaire et adopter d’autres
propositions de ces différents courants, telle que la question du salaire égal
ou différencié, mais limité.
Il existe 4 principales formes de
propriété des moyens de production dont deux formes de collectivisation (privée
et publique). Généralement, les
auteurs ne différencient pas précisément collectivisation et socialisation.
Selon Daniel Guérin en ce qui concerne la propriété, la différence entre le
communisme et la collectivisation, c’est que pour cette dernière
l’appropriation collective de la propriété ne concerne que les moyens de
production. Tandis que dans le communisme, l’appropriation peut s’étendre aux
biens individuels privés non productifs (maison, vêtements, véhicules…)[1].
Nous pouvons définir la collectivisation de la production, comme une
appropriation collective de la propriété des moyens de production.
La collectivisation peut-être publique (la propriété revient à l’Etat ou
à la fédération, dans le cadre de coopérative publique autogérée), ou être
privée, dans ce cas, la propriété revient aux travailleurs, comme dans une
coopérative privée. Si la propriété est une unité de production publique, mais
qu’elle n’est pas autogérée, dans ce cas il s’agit d’une nationalisation. Si la
propriété est publique et autogérée, dans ce cas il s’agit d’une socialisation.
Pour Proudhon, dans le
cadre du mutuellisme (le socialisme libertaire) il s'agit de créer une
société fondée sur un double système de collectivisation privée et publique.
C’est à dire une socialisation privée autogérée, grâce à des coopératives avec
une propriété privée des moyens de production d’un côté et de l’autre une
collectivisation publique autogérée (la socialisation des entreprises
publiques). Ce double secteur visant à responsabiliser les producteurs et
surtout à leur laisser la libre initiative en matière d'objectif de production.
Il existe 4 formes de
propriété des moyens de production:
- La propriété privée
individuelle (tel une entreprise avec un propriétaire ou un auto-entrepreneur),
qui est une propriété privée collective non autogérée (telles une SA ou une entreprise avec des
actionnaires)
- La propriété privée collective
autogérée, telles les coopératives privées, les associations, les banques
mutualistes privées, les mutuelles d’assurances. Il s’agit d’une
collectivisation privée.
- La propriété publique autogérée, telle
les coopératives publiques, appartenant à l’Etat ou à la fédération. Il s’agit
d’une socialisation, c'est-à-dire une collectivisation publique autogérée.
-
La
propriété publique centralisée (nationalisation, étatisation, telle une
entreprise publique), c'est-à-dire une collectivisation publique non autogérée.
Mais c’est
surtout le pouvoir de décision qui permet la démocratie, dans une entreprise
privée (capitaliste) la décision n’est pas partagée par tous, tandis que dans
une coopérative, la décision est collective (du moins pour les grandes lignes
durant les Assemblées générales).
De plus, seuls
les moyens de production collectivisés (coopératives privées et publiques)
disposent de la capacité de décision
totalement collective de l’organisation du travail de leur unité de production.
Cependant, seuls les coopératives privées disposent d’un pouvoir de décision
totalement collectif de l’organisation du travail en interne et de leur type et
volume, c'est-à-dire d’objectif de production.
Tandis que les unités de production publique du communisme libertaire ou
trotskyste ne disposent d’un pouvoir de décision partiel de la production. Car
dans ce système de gestion de l’économie les entreprises publiques et les
coopératives publiques, dépendent complètement de la planification publique en
matière d’objectif de production. Dans le système capitaliste, les salariés
sont soumis à cette même limite, parce que les propriétaires n’associent les salariés,
ni à la décision de l’organisation interne du travail, ni aux objectifs de
production de l’entreprise.
La différence
entre le système mutuelliste et le système communiste autogestionnaire
(libertaire ou trotskyste) est que dans ce dernier les travailleurs ne décident
des objectifs de production de leurs entreprises que dans le cadre du vote pour
le « mandat impératif » de production attribué à leurs délégués à la
planification. Le mandat de ces derniers consiste dans la détermination des objectifs
de production dans le cadre de la planification fédéraliste autogestionnaire,
dans le cadre de la fédération territoriale des travailleurs. Dans le
mutuellisme ou l’écosocialisme redistributif, les travailleurs disposent du
même pouvoir, mais en plus ils peuvent exercer leur pouvoir de décision sur les
objectifs de production, au sein même de leur coopérative. En effet, celle-ci
dispose d’un marge d’autonomie en terme d’objectif de production, car une par
de la régulation des objectifs de production est laissée au marché. Mais à ce
stade se pose la question de la légitimité démocratique des décideurs
économiques.
La légitimité démocratique économique peut associer
la légitimité du nombre et de l’adaptation. Concernant la légitimité démocratique de la décision,
exercé par les travailleurs, sur le plan de la décision des objectifs de
production il y a d’un côté la légitimité fondée sur le plus grand nombre et
dans ce cas ce sont les fédérations économiques de travailleurs, ou plus encore
les fédérations communales ou politiques qui disposent de la plus grande
légitimité numérique ou quantitative. Mais de l’autre il y a la légitimité
fondée sur la démocratie économique, fondée sur la capacité de réponse, la
capacité d’adaptation aux besoins de la base par la base. C’est une des forces
du marché dans le système capitaliste, ou dans les systèmes précapitalistes
dans lequel le marché est souvent celui du village. Il y a donc un conflit de
légitimité entre la légitimité de la démocratie économique par le bas, contre la
légitimité de la démocratie économique par le plus grand nombre, ou par la
démocratie élective (par le haut).
Mais le problème, le plus grave, consiste dans le fait qu’ils ne
parviendront pas -comme dans le cadre de la planification centralisée stalinienne-
à s’adapter aux besoins des populations et des coopératives, car la seule
planification fédéraliste de la production est total et rien n’est laissée à la
démocratie économique par le bas exercé par le marché. Ceci est un point
d’achoppement fondamental entre les doctrines capitaliste, mutuelliste, d’un
côté et les doctrines communistes libertaire, trotskyste et stalinienne.
L’écosocialisme distributif, tente de sortir de cette opposition en associant
une planification participative et une régulation par le marché, dans le cadre
d’un système de production fondée sur des coopératives privées et publiques
(collectivisation autogestionnaires privées et publiques).
Cependant, on assiste à un conflit de légitimité démocratique entre le
communisme libertaire ou trotskyste et le mutuellisme de Proudhon.
«L'économie participaliste» (ou parecon) est un exemple de planification démocratique de
l’économie. Elle a été conçue
par Michael Albert et s’oppose « au marché capitaliste et à la
planification bureaucratique », c’est pourquoi elle accorde sa confiance à
« l'auto-organisation des travailleurs et l'anti-autoritarisme ».
Dans le modèle de planification participative d'Albert, «les travailleurs et
les consommateurs déterminent en commun la production, en évaluant de façon
approfondie toutes les conséquences. Les instances d'assistance décisionnelle
annoncent ensuite les indices des prix pour tous les produits, les facteurs de
production, dont la main d'œuvre et le capital fixe»[2].
L’intérêt du modèle d’Albert réside dans lune prise en compte précise de la
complexité des processus de décisions.
Au niveau local, dans le cadre de l’écosocialisme distributif, les usagers des mutuelles,
des banques et des différentes entreprises ne participent à la gestion des
objectifs de production et de l’organisation du travail au niveau local, celui
des unités de production.
Au niveau global, l’écosocialisme redistributif s’appuierait sur le modèle d’Albert dans le cadre d’une
planification mixte avec le marché. La planification serait donc participative,
autogestionnaire et tripartite, ce serait une planification fédéraliste
autogestionnaire. C'est-à-dire qu’en plus de la fédération des usagers et de la
fédération économique des travailleurs, elle prendrait en compte en même temps,
les représentants de la fédération politique territoriale (communale nationale,
internationale), dans les prises de décisions de planification des objectifs de
production. Malgré ces limites, les délégués de la fédération politiques
restent encore les plus légitimes représentants de l’intérêt général,
lorsqu’ils sont élus par l’ensemble de la population.
Dans les mutuelles, l’idéal
autogestionnaire pour perdurer doit laisser le pouvoir de décision en priorité
aux travailleurs.
Les mutuelles d’assurances
et les mutuelles bancaires, tel le Crédit Mutuel, le Crédit Agricole, la Banque
Populaire ont conservé les statuts juridiques démocratiques permettant une
autogestion démocratique, car chaque sociétaire dispose du droit de vote.
Cependant, après plus d’un siècle de fonctionnement, ces mutuelles bancaires
ont oublié l’esprit révolutionnaire du coopérativisme de leur début qui visait
à parvenir à la liberté et l’égalité, grâce à la démocratie interne. Il y a
probablement plusieurs raisons à cela. D’une part l’environnement capitaliste,
exerce une pression sur les membres de ces mutuelles qui tend à leur faire
oublier cet idéal originel. Mais à l’inverse,
certaines coopératives tel, la fédération de coopérative Mondragon (56
ans en 2012), sont anciennes et conservent en large partie cet idéal.
Cela s’explique sans doute
aussi par le fait que à l’inverse des coopératives dans lesquelles les
sociétaires sont tous travailleurs, dans les mutuelles il y a d’un côté des
usagers et de l’autres des travailleurs. Même si tous sont sociétaires, les
usagers, sont moins concernés directement par la vie de la mutuelle, puisqu’ils
n’y travaillent pas au quotidien. Ainsi, soient ils ne viennent plus voter aux
assemblées générales, soit ils votent sans vraiment prêter attention aux enjeux
économiques et démocratiques de leurs votes. Or, leur nombre est généralement
plus important que celui des travailleurs, dans les mutuelles bancaires ou
d’assurance en particulier. De plus ils disposent du droit de vote dominant,
puisqu’ils sont plus nombreux. C’est pourquoi, il est relativement facile aux
travailleurs-cadres qui souhaitent accroître leur pouvoir sur les travailleurs
subalternes, de s’appuyer sur le vote des usagers peut informer, donc
facilement manipulable. Ainsi, les travailleurs-dirigeants peuvent ainsi par
exemple, s’octroyer des salaires de plus en plus conséquents, accroître les règlements limitant le pouvoir
des travailleurs-subalternes et même finalement celui des usagers qui ne
viennent peut à peu même plus voter, aux assemblées générales.
Cela signifie donc que dans
les mutuelles, pour rester fidèle à l’idéal autogestionnaire, les nombres de
voix des sociétaires-travailleurs doit être supérieur au nombre des
sociétaires-usagers pour, afin que les premiers conservent leur capacité d’autonomie
sur leur propre travail. En effet, l’idéal du socialisme autogestionnaire vise
à atteindre l’égalité et la liberté entre citoyens d’un territoire géographie
donné, grâce à la démocratie économique permise par le droit de décision des
producteurs sur les moyens de production.
Conclusion
Résoudre le problème de la
dette est capital, sinon le gouvernement mondial des banques privées et du FMI
deviendra aussi puissant sur les gouvernements du Nord. Qu’il l’est depuis des
années sur la majorité des pays
d’Afrique. Solutionner le problème de la suppose bien sur une meilleur
régulation du capitalisme financier, mais ne sera véritablement réglée, à long
terme, que si les citoyens parviennent à imposer un changement de système
économique. C'est-à-dire passer du capitalisme à l’écosocialisme
(autogestionnaire) distributif. Afin de pouvoir socialiser, non seulement la
dette mais les banques et finalement de parvenir à un système de
collectivisation autogestionnaire privée et publique de l’ensemble de l’économie
capitaliste.
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