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Commission internationale des Alternatifs
Le président vénézuélien Hugo Chávez, décédé le 5 mars, aura incontestablement
marqué l’histoire de son pays et de « l’Amérique indo-afro-latine ».
Elu en décembre 1998, à l’issue d’une longue et profonde crise politique du
régime de la « démocratie pétrolière » -qui avait éclatée lors du Caracazo
(émeutes populaires durement réprimées en 1989 : 3 000 morts)- il est
alors perçu comme l’homme providentiel, à défaut d’être le produit d’une
accumulation de forces des mouvements sociaux, comme ce fut le cas au Brésil,
en Bolivie ou en Uruguay.
Il nouera une relation particulière avec le peuple en
respectant ses engagements électoraux et en développant des programmes sociaux,
en rupture avec la politique de classe de ses prédécesseurs, qui excluait
socialement 80 % de la population. Confronté à un empire médiatique très
hostile (Cisneros), disposant de relais internationaux importants, il sera
l’objet de tentatives de déstabilisation permanentes. Au cours de toutes ces
années, la couverture médiatique en France se sera nourrie de nombreuses
approximations, interprétations et contre-vérités.
En avril 2002, après une dizaine de lock-out (dont le dernier dure
64 jours) pour bloquer l’économie nationale, il est victime d’un coup d’Etat
organisé par une partie de l’opposition et de l’oligarchie avec l’assentiment
des Etats-Unis d’Amérique et de certains pays européens (le gouvernement
espagnol d’Aznar s’empresse d’ailleurs de reconnaître le pouvoir putschiste),
il trouve son salut grâce à la mobilisation populaire. Dès lors, il accélère
les réformes sociales et crée les Misiones sociales, en s’appuyant sur
la participation populaire pour contourner la bureaucratie -héritée du régime
antérieur- et développer les programmes : agraire, d’alimentation,
d’éducation, d’économie solidaire, de logement, de santé, etc.
En août 2004, il se soumet à un référendum révocatoire -comme le
prévoit la nouvelle constitution adoptée en 1999- il est conforté dans son
action et il en sort largement vainqueur. Il est réélu en décembre 2006 avec 63
% des voix. Quelques mois plus tôt, il avait renforcé le pouvoir populaire avec
la création des conseils communaux, instances de décision inédites, et lancé un
programme de développement des coopératives.
En 2007, il fait inscrire la référence au socialisme dans la
Constitution et en réponse aux institutions internationales, il annonce la
création de la Banque du Sud. En décembre de la même année, il perd de justesse
le référendum sur la révision de la constitution bolivarienne. Certains
articles, dont la possibilité de se représenter à l’élection présidentielle, sont
néanmoins réintroduits et adoptés lors d’une nouvelle consultation en novembre
2008, ce qui entraîne une levée de boucliers de l’opposition et à l’étranger.
La même année, en mars, la création mal négociée du Parti socialiste unifié du
Venezuela (PSUV) provoque une rupture avec certains de ses partenaires et plusieurs
de ses soutiens historiques.
Alors que l’approfondissement du processus a été réel entre 2003
et 2007, celui-ci s’est ensuite enlisé -paradoxalement avec la référence au
socialisme du XXIe siècle, qui reste une notion non définie- dans les méandres
de la bureaucratie et de la corruption, caractérisées par la boli-bourgeoisie
(Bourgeoisie bolivarienne). Chávez parvient cependant à conserver un soutien
populaire important, mais les nouvelles nationalisations entreprises en 2009 ne
permettent pas de résoudre les difficultés structurelles et la cogestion et le
contrôle ouvrier se heurtent à des
intérêts antagonistes.
En octobre 2012, malade, il est réélu au premier tour à la tête de
l’Etat avec 55 % des Voix. Avec les élections régionales de décembre 2012, il
aura remporté 14 consultations sur 15 depuis 1998.
Au cours des 14 années de pouvoir, Hugo Chávez s’est affirmé comme
un grand réformateur, il n’a eu de cesse d’agir pour une plus grande justice
sociale dans son pays et pour l’accès aux droits essentiels pour l’ensemble de
la population vénézuélienne. S’inspirant de Simón Bolivar et en rupture avec la
doctrine Monroe, il a été un artisan de la construction de l’unité
latino-américaine au travers de la création de l’UNASUR (Union des Etats
Sud-Américains) et de la CELAC
(Communauté des Etats Latino-Américains et Caribéens). Avec l’ALBA (Alliance
Bolivarienne des peuples de notre Amérique), il a conduit le pays vers une plus
grande solidarité et un nouveau modèle de coopération entre les nations. Pour
autant, ces avancées ne doivent pas faire oublier que le Venezuela et les
autres pays du sous-continent, demeurent la « chasse gardée » des
intérêts états-uniens comme le Honduras (2009) et le Paraguay (2012) ont pu le
vérifier à leurs dépens ces dernières années.
Par ailleurs, l’engagement anti-impérialiste de Chávez et sa
politique extérieure multilatérale n’ont pas été exempts de dérapages verbaux controversés
et de soutiens inconditionnels à certains en faveur de dirigeants plus que
contestables et il a été, d’une manière générale, beaucoup moins inspiré dans ses soutiens dans
les autres régions du monde, comme le démontrent ses prises de position lors
des révolutions arabes.
S’appuyant sur d’immenses ressources pétrolières et défenseur de
l’extractivisme, il n’est pas parvenu à développer l’appareil productif malgré
des investissements importants (Plan Guyana) et le pays continue à importer une
grande partie de son alimentation. La réforme agraire qui a permis la création
de coopératives d’agriculteurs, l’interdiction des OGM, la mise en place de
banque de semences, l’interdiction de la pêche industrielle et du nucléaire, le
développement des médias communautaires face à un quasi-monopole privé de la
presse, la loi du travail d’avril 2012 qui attribue des droits importants aux
travailleurs, la mise en place d’instances de décision populaire et les
programmes sociaux resteront quelques-unes des mesures emblématiques, atténuant
les problèmes structurels d’un pays de la périphérie, qui malgré une baisse
significative de la pauvreté (de 49 % en 1998 à 26,4 % en 2010 – sources CEPAL),
une évolution positive du coefficient GINI de 0,46 à 0,39 (Sources PNUD) et du
PIB par habitant de 4 100 à 10 810 dollars reste d’une extrême inégalité
sociale.
Dans une démarche totalement empirique, le pouvoir bolivarien aura
innové dans bien des domaines et particulièrement dans l’expression d’un
pouvoir populaire, qui se traduira par l’émergence d’une réelle base sociale. Pour
les Alternatifs, l'existence et le développement de ce pouvoir populaire,
inséparables de l'autogestion, sont un élément décisif, malgré ses limites,
dans l'appréciation positive que nous faisons du bilan du « chavisme ».
Néanmoins et malgré la mise en place de formes inédites de
participation populaire, qui ont contribué à l’inclusion sociale et civique et
qui aurait pu atténuer son pouvoir personnel, il n’a pas su échapper à la
personnalisation, au-delà de celle inhérente au régime présidentiel. Il revient
à présent au peuple vénézuélien de poursuivre la lutte émancipatrice engagée,
pour consolider et renforcer les conquêtes démocratiques et sociales et
affronter l’oligarchie et « l’Empire » pour entreprendre les réformes
structurelles permettant de réduire la dépendance au pétrole dans une démarche
plus écologique.
Les Alternatifs saluent la mémoire de Chávez, dont le nom restera
associé au coup d’envoi du processus démocratique et des changements politiques
dans une grande partie de « l’Amérique indo-afro-latine ».
Commission internationale des Alternatifs
Le 10 mars 2013
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