« Menacés de dilution, de fragmentation ou de répression dans les pays où les gouvernements sont restés ou revenus dans les courants dominants du néolibéralisme et du ”consensus de Washington” ; guettés par l’instrumentalisation, la cooptation ou l’institutionnalisation dans ceux où les pouvoirs se sont attelés, peu ou prou, à récupérer en souveraineté et à redistribuer les dividendes des richesses exportées, les protestataires et leurs pressions émancipatrices offrent un visage pluriel » (Bernard Duterme) dans son éditorial.
L’auteur souligne aussi
« un air de famille commun aux
nouvelles équipes de gauche portées au pouvoir », « toutes vont signifier, d’une façon ou d’une autre,
un certain ”retour à l’État”, la promotion de nouvelles politiques sociales, un
mouvement volontariste de réappropriation des ressources naturelles et un
intérêt pour des formes d’intégration latino-américaine alternatives à celles
subordonnées aux États-Unis ».
Parallèlement des luttes se développent, portées par des organisations
indigènes, paysannes ou sans terre, etc, qui revendiquent, entre autres
« la reconnaissance culturelle, le
respect de l’environnement et la revalorisation de la
démocratie ». Ces deux axes entrent
plus ou moins en collision. D’autant, qu’au delà des « avancées » dans le
social, les droits des populations indigènes, les politiques redistributives ou
souverainistes « avec des intensités
elles aussi variables, clientélisme, corruption, insécurité, criminalité,
narcotrafic, évasion fiscale, inégalités, inflation… continuent à miner la
plupart des sociétés latino-américaines, sur fond de faiblesses des institutions
démocratiques et de consolidation de la structure primaire, extractive et
agroexportatrice, de l’économie. » (souligné par moi)
En première partie des
éclairages nationaux, Amérique du sud puis Mexique, Amérique centrale et
Caraïbes, quelques éléments souvent peu traités :
-
la Colombie dont l’approfondissement du modèle néolibéral et la priorité accordée aux dépenses militaires,
-
le Venezuela dont la place de l’économie rentière (pétrole) et la faible autonomie du « mouvement populaire »,
-
le Brésil dont les processus d’institutionnalisation, en particulier « le déclin du parti des travailleurs en tant qu’espace de formulation » d’un référent stratégique, la place des contestations, du Mouvement des Sans Terre (MST),
-
l’Équateur dont le modèle fortement redistributeur mais reposant « sur des formes conventionnelles d’exploitation des ressources naturelles », en opposition avec le « bien vivre »,
-
le Pérou et les mobilisations en défense des « ressources comme biens collectifs communs, fondamentaux à la survie des communautés », mais aussi le poursuite du développement suivant un « modèle extractiviste de reprimarisation de l’économie »,
-
la Bolivie, « La Bolivie est aujourd’hui politiquement plus égalitaire qu’auparavant et de puissants processus de ”citoyennisation” politique, symbolique et dans une moindre mesure économique, sont à l’œuvre », avec aussi les oppositions entre « desarrolista » (développementaliste) et « « vivir bien », sans oublier les faiblesses institutionnelles,
-
et aussi le Paraguay, l’Uruguay, le Chili,
-
le Mexique dont la mal-nommée guerre contre le narco-trafic « Loin d’engranger des victoires durables, l’action du gouvernement semble plutôt avoir aggravé la violence et la décomposition de la société ». Je suis étonné du non traitement des Maquiladoras et de l’immigration vers les États-Unis et de leurs conséquences pour l’économie et les populations,
-
Le Guatemala dont la criminalisation des luttes « plus sévère encore lorsque leurs protagonistes sont indigènes et que les intérêts du capital sont en jeu »,
-
El Salvador et les mobilisations « contre les méga-projets d’infrastructure »,
-
le Honduras et l’accaparement des terres par agro-industrie,
-
sans oublier le Nicaragua, le Costa Rica, Panama, Haiti et son système clientélisme, la République dominicaine,
-
Cuba et la « libéralisation économique ». Janette Habel souligne que les causes historiques et politiques de la situation actuelle sont omises, ou « Les responsabilités des dirigeants au pouvoir depuis un demi-siècle sont ignorées » et « Pourtant depuis cinquante ans, les Cubains n’ont jamais eu le pouvoir de contester les orientations prises au plan national ». L’auteure revient aussi sur l’accroissement des inégalités « raciales » et l’amélioration de la reconnaissance des « identités sexuelles ».
La seconde partie de l’ouvrage
est consacrée aux analyses transversales, en particulier l’impact des mouvements
indigènes, entre autres, sur le droit et les constitutions ou l’autonomie des
territoires ; les bilans possibles sur « une décennie de luttes et de
changements ». Deux citations sur ce
sujet « Dépossédées ou menacées
d’expropriation, craignant pour leurs terres, leur travail et leurs conditions
de vie, beaucoup de ces organisations ont trouvé une identification politique
dans leur dépossession (les sans-terre, les sans-travail, les sans-abri), dans
les conditions sociopolitiques sur lesquelles s’érigeait la dépossession (les
indigènes) ou la logique de vie communautaire menacée (les mouvements
d’habitants, les assemblées citoyennes) » et « Une
série de pratiques collectives liées à l’autogestion, à la satisfaction de
certaines nécessités sociales ou à des formes de gestion autonome des affaires
publiques a ainsi fait écho à l’une des propositions les plus connues des
autonomies territoriales indigènes ».
J’indique de profondes
divergences avec le dernier article de bilan, peu critique avec « la thèse de l’unité entre la bourgeoisie nationale
et le mouvement populaire ouvrier-paysan-étudiant » et ses conséquences dramatiques pour les mouvements
populaires ; ou les penchants essentialistes sur la place des femmes
« à la fois porteuses de la vie et
d’une perception du monde propre » ;
sans oublier la caractérisation comme « socialiste » des régimes dans le Sud-est
asiatique, le monde soviétique et euro-oriental ; ou les caractérisations sur le
bloc historique et le programme de développement au Brésil.
Malgré cela, nous sommes ici,
loin des réductions des apologistes néolibéraux du Brésil ou des « critiques »
du « populisme ». Les expériences en Amérique latine, leurs limites, la place de
l’auto-organisation (il est de ce point de vue regrettable que les expériences
d’autogestion n’aient pas été plus mises en avant), la place de la rente
extractive, celle des mobilisations « indien-ne-s » couplées à la sauvegarde de
l’environnement permettent de mieux percevoir les contradictions des politiques
des gouvernements, en particulier « progressistes ».
Alternatives sud : État
des résistances dans le Sud. Amérique latine
CETRI et Editions Syllepse
(www.syllepse.net), Louvain-La-neuve 2011, 240 pages, 13
euros
Didier
Epsztajn
Note de lecture publié sur le site "Entre les lignes, Entre les mots"
http://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2012/06/22/modeles-primaire-extractif-et-agro-exportateur-et-biens-naturels-communs/
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