Abraham GUILLEN est revenu
en Espagne après un long exil qui a commencé en 1945, quand -ayant fui de
Carabanchel (prison construite par les prisonniers politiques après la guerre
civile espagnole entre 1940 et 1944 dans le quartier de Madrid du même nom.
C’était l'un des plus grands établissements pénitentiaires d’Europe jusqu'à sa
fermeture en 1998. NDT)., en une nuit de Saint- Sylvestre -, il a réussi à
passer clandestinement en France au travers d'un magasin qu'avait un ami à la
frontière. Considéré comme le grand théoricien de la guérilla urbaine en
Amérique Latine, GUILLEN est né en 1913 à Corcuera (Guadalajara): « Dans ma
formation libertaire je fus influencé, en premier lieu, par mon village. Où il
n'y a jamais eu de police, ni de Garde Civile, les terres (et beaucoup des
occupations du village) étaient communales... Encore aujourd'hui, les jeunes
font une caisse commune pour couvrir les frais des fêtes.....
Il a été gemmeur (ou
résinier, le gemmage est une opération qui consiste à blesser le pin pour en
récolter la gemme ou la résine. NDT) au village et étudiant à Madrid, après
avoir obtenu une bourse de la république ; rédacteur des revues « Juventud
Libre » (Jeunesse Libre) et « FIJL » (du nom de la Federación Ibérica
de Juventudes Libertarias, Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires),
commissaire politique de la 14e division et du 4° corps de l'armée, commandé
par Cipriano MERA (dirigeant du syndicat du bâtiment de la CNT à Madrid. Fin 1933, il
fonde avec DURRUTI le Comité Révolutionnaire de Saragosse et pour cette raison,
il est emprisonné. À l'été 1936, il y a 100 000 grévistes dans le bâtiment.
Début juillet, Cipriano MERA est emprisonné avec d'autres dirigeants du comité
de grève du bâtiment. La grève se poursuit jusqu'au soulèvement militaire du 18
juillet. Le 19, MERA, libéré, organise une colonne anarchiste qui reprend
Cuenca.
Plus tard, la colonne
devient la 14e division de l'Armée Populaire et elle intervient dans les
batailles de Madrid, de Guadalajara et de Teruel. NDT).
Directeur de la revue «
Nosotros » (Nous) à Valence, il a passé les trois jours fatidiques de la fin de
la guerre dans le port d'Alicante, auprès de beaucoup d'autres milliers qui
attendaient des bateaux qui ne sont jamais arrivés. Détenu, emprisonné,
condamné à mort, il a à son actif deux évasions : la première du camp de
travail d’Aranjuez, et finalement de la prison madrilène. Un groupe de gitanEs
libertaires l'a caché à Madrid jusqu'à ce qu'il puisse faire le voyage jusqu'à
la frontière.
Son périple d'exilé
commence en France, et continue en Argentine et en Uruguay, avec un séjour à
Cuba immédiatement après le triomphe de la révolution. Abraham GUILLEN est
diplômé en Sciences Économiques, professeur d’Économie Politique à Buenos
Aires, conseillé économique de l'Université du Travail en Uruguay, et expert
international de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) en économie
autogestionnaire et du développement coopératif au Pérou. Commentateur
d'économie et de politique internationale dans des journaux argentins, uruguayens
et péruviens, il est auteur d'environ quarante livres qui comprennent des
thèmes allant de la guerre d'Espagne, jusqu'à l'économie mondiale, l'économie
autogestionnaire et le pouvoir et l'implantation des multinationales.
- Ta première
expérience dans la guérilla en Amérique Latine se fait avec le groupe « Los Uturuncos
», en quoi a consisté ce mouvement ? (Les
« Uturuncos » étaient le premier mouvement de guérilla du XXe siècle en
Argentine, formé dans le but d'obtenir le retour de Juan DOMINGO PERON de l'exil
après avoir été renversé en 1955 par la « révolution libératrice ». NDT).
- « Les Uturuncos » ont
été la première guérilla urbaine et rurale (les deux combinées) fin 1959 et
début 1960. En unissant la campagne et la ville dans les groupes de guérilleros
« Uturuncos », mon point de vue stratégique, politique, économique et social,
était de donner à la guerre révolutionnaire, surtout, un caractère stratégique
opposé à la bataille ou au combat de ligne ; c'est à dire, qu'une guerre du
peuple en armes, s'il veut vaincre une grande armée répressive, doit être une
guerre en superficie, sur tout un territoire national, comme si elle était
faite à la manière d'une peau de léopard, en faisant circuler les guérilleros
dans tous ces interstices.
Comme les combattantEs «
Uturuncos » étaient (quasiment touTEs) péronistes, j'ai estimé que cela constituait
une limitation politique, puisque qu'une guerre révolutionnaire doit englober
tout un peuple et pas seulement un parti. Si la conception politique est
mauvaise ou étroite, bien que la tactique et la stratégie de guérilla soit la
plus brillante, la guerre révolutionnaire est perdue ou ne dépasse pas l'état primaire
de petits groupes d'action qui ne se convertissent pas en armée de libération,
en peuple en armes, unique moyen pour atteindre le triomphe.
En 1956, Abraham GUILLEN
publie « La Agonia
del Imperialismo », où est inséré dans le second tome un petit manuel de guerre
de guérillas à l'intérieur du chapitre « La lutte armée contre l'impérialisme
». Le manuel parvient à la guérilla cubaine et est incorporé à ses tactiques.
En 1965, l’œuvre de GUILLEN, « Teoria de la violencia » est publiée à Buenos
Aires, et la même année apparaît à Montevideo la première édition de son livre,
« Estrategia de la guerilla urbana » ; ce sont des oeuvres qui servent de base
stratégique pour les Tupamaros en Uruguay (mouvement nationaliste d’extrême
gauche, qui a prôné la guérilla urbaine dans les années 1960 et 1970 - NDT) et
pour la guérilla brésilienne de Marighella (ancien responsable communiste
brésilien, créateur de l’Armée de Libération Nationale en 1968 qui mène une
guérilla urbaine, abattu en 1969 par les forces de l’ordre – NDT), et Lamarca
(ancien militaire brésilien, dirige une guérilla à la fin des années 60 et au
début des années 70, abattu en 1971 – NDT) ainsi que pour la guerre urbaine qui
cette même année se déroule à Saint-Domingue (différentEs exiléEs dominicainEs
sont instruitEs directement par Abraham GUILLEN à Buenos Aires). (Suite à
l'invasion de la
République Dominicaine par les États Unis - NDT).
- As-tu connu
directement Raúl SENDIC, le fondateur du mouvement Tupamaro ?
- Avec SENDIC, nous nous
sommes vu peu de fois, puisqu'il se déplaçait toujours clandestinement. Mais il
y avait quatre commandants qui ont reçu une préparation sur la stratégie de la
guerre urbaine. Ceux-ci étaient les hommes d'action, alors que Raúl SENDIC
était plutôt un politique, ex-dirigeant du Parti Socialiste, très lié aux
ouvrierEs de la canne à sucre du département d'Artigas. Il l’était tellement
que la consigne de ces ouvrierEs de la canne à sucre était la suivante : « Pour
la terre et avec SENDIC ». Ce n'était pas un mouvement guérillero, mais
réformiste, puisqu'il demandait la réforme agraire dans les grandes propriétés
rurales des cultures de canne à sucre.
Jusqu'en 1965, le groupe
de SENDIC, très castriste, se limiter à effectuer des marches sur la route qui mène
à Montevideo en demandant des terres pour les ouvrierEs de la canne à sucre.
Comme Fidel CASTRO, « Che » GUEVARA et Régis DEBRAY, ne concevaient pas la
guerre révolutionnaire en dehors des montagnes, et que l'Uruguay n'en avait
pas, il n'y avait pas de possibilité de créer ainsi un mouvement guérillero,
selon la doctrine cubaine.
Justement en 1965, quand
j'ai publié « Stratégie de guérilla urbaine », les « Tupamaros » ont vu une lumière,
puisque je disais que les « forêts de ciment sont plus sûres que les forêts
d'arbres ». Et que les villes ont plus de ressources logistiques que la
campagne. Et comme notre civilisation est capitaliste et qu'elle concentre le
capital et les populations dans les villes à un rythme accéléré, dans des pays
comme l'Uruguay avec plus de 80 % de population urbaine, il était absurde
d'aller faire la guerre révolutionnaire à la campagne, où il y a plus de vaches
et de moutons que de population rurale. Par conséquent, les théories fidelistes
et maoïstes de la guerre révolutionnaire n'étaient pas appropriées pour des
pays industrialisés ou sous-développés avec plus de population urbaine que
rurale. Une grande ville (qui est quasiment comme une ville-nation avec
quelques millions d'habitantEs ou autour d'un million) se prête plus que la
forêt amazonienne à la guerre de guérillas. Ainsi cela fait beaucoup d'années
que les indiens/nes sont dans cette forêt, avec un terrain favorable qui les
protège des blancHEs, mais ainsi ils/elles ne font pas de politique, ils/elles
ne sont pas décisifs/sives comme les guerres urbaines dans les grandes
capitales ou les villes des pays du bassin amazonien. Ce n'est pas dans la
forêt amazonienne que quelques guérillas peuvent être décisives pour la
politique du Brésil, mais plutôt les guerres urbaines dans Sao Paulo, Rio de
Janeiro, Porto Alegre et El Salvador le sont bien plus encore, etc...
- Peux-tu nous faire un
bilan de la guérilla des Tupamaros ?
- Son expérience est
encore proche : je crois qu'elle a été très brillante tactiquement, pauvre stratégiquement
et faible politiquement, puisqu'ils/elles ont tenté de copier la révolution
cubaine.
Mon point de vue est que
deux guerres ne se font pas avec la même stratégie ni deux révolutions avec la même
politique. La révolution, il faut l'inventer et la réinventer, sans se limiter
à déloger du pouvoir une minorité dominante, pour établir une dictature de type
stalinienne. Si un peuple se voit contraint entre une dictature qui peut chuter
et une autre qui peut s'élever à sa place, il tombe ainsi dans l’indifférence politique,
puisque le peuple préfère le socialisme et la liberté et non la dictature des
bureaucraties ou des bourgeoisies. En ne découvrant pas les lois spécifiques de
la guerre révolutionnaire en Uruguay et en n’offrant pas un programme de
socialisme autogestionnaire, je crois que les « Tupamaros », pour être fidèles
au modèle castriste, ont été vaincuEs, en termes politiques. Je ne crois pas
que le marxisme-léninisme, de type castriste ou soviétique, entraîne les masses
jusqu'à une révolution de type cubaine, ni en Amérique Latine ni dans aucune
autre partie du monde.
J'ai été l'inspirateur
tactique et stratégique des « Tupamaros », mais mon origine libertaire me
séparait politiquement d'eux/elles, ferventEs castristes, bien que l'un d'entre
eux fut aussi libertaire. Ne partageant pas ma proposition de socialisme
autogestionnaire, appropriée pour un pays qui ne manque pas d'espace mais au
contraire qui manque de population, ils/elles se sont éloignéEs de moi et se
sont rapprochéEs de Fidel CASTRO. Ils/elles ont cru que j'étais un romantique
parce que n’étant pas un partisan du socialisme étatique, mais de la démocratie
directe, de la propriété sociale, du fédéralisme économique et administratif.
Leur castrisme et leur guévarisme ont conduit les « Tupamaros » à un dogmatisme
politique de type marxiste-léniniste, lequel leur a procuré une population
estudiantine, mais non une population adulte, urbaine et rurale, en quantité et
en qualité pour renverser le pays en sa faveur. Et si une guérilla, quelle
qu'elle soit et quel que soit le pays où elle agit, ne gagne pas la population
par ses actions, elle aura, dans le meilleur des cas, des victoires tactiques,
mais finalement une défaite stratégique et politique.
- Ton influence sur le
mouvement guérillero au Brésil semble aussi importante...
- Les exiléEs
brésiliens/nes qui sont arrivéEs en Uruguay, après le coup d'état contre le
président GOULART (progressiste, renversé en 1964 par un coup d’État militaire
appuyé par la CIA
– NDT), ses leaders principaux, tous quasiment me connaissaient. « La stratégie
de guérilla urbaine » - avant d'avoir été traduite dans d'autres langues - l'a
été en portugais, il est entré au Brésil sous forme ronéotypée ; il a conduit
au mouvement guérillero urbain, en lui offrant une doctrine stratégique ; il a
influencé dans le mouvement guérillero urbain le capitaine LAMARCA, MARIGHELLA
et le major PIRIZ. Avant que soit publié le « Mini manuel de guérilla urbaine »
de MARIGHELLA, avec une paire d'année d'anticipation, « La stratégie de la
guérilla urbaine » a été publiée à Montevideo.
Au Brésil, il y avait
toutes les conditions, avec beaucoup d'espaces ruraux et de grandes villes,
pour créer le plus vaste mouvement guérillero d'Amérique Latine. Mais
MARIGHELLA, qui était maoïste, ne voulait pas démentir Mao et Fidel sur le fait
que la guérilla dans la campagne est stratégique et celle des villes tactique,
c'est à dire, moins importante celle-ci que l'autre. LAMARCA, également maoïste
et fideliste, après avoir gagné beaucoup de combats à Sao Paulo, grâce à ses
audacieux coups de guérilla urbaine, peut-être pour suivre la doctrine maoïste
et fideliste de guérilla de montagne est allé avec toute son armée de
guérilleros (qui avait gagné dans les villes) combattre dans les sierras(zones
de montagne) situées dans le triangle Rio de Janeiro, Sao Paulo et Salvador, en
étant isolé des paysanNEs, cloué au terrain par des forces très supérieures,
avec des bombardements répétitifs de l'aviation, perdant ainsi, dans une guerre
inopportune de montagne, ce qu'il avait gagné pendant des mois de guérilla
urbaine insaisissable, devenant battable. En somme, pour avoir voulu sauver les
principes fidelistes et maoïstes (qui ne conviennent pas du tout pour le
Brésil), la guérilla urbaine a été mise en déroute, pas au milieu de la
mégalopole, mais après être partie à la campagne ; c'est comme si une baleine
essayait de faire sur terre ce qui serait plus facile en mer.
- Des différentes
formes de guérillas appliquées en Amérique Latine. Que penses-tu du « foquismo
»
? (Le « foquisme » est une théorie inspirée par « Che »
GUEVARA et développée par Régis DEBRAY. Dans « La guerre de guérilla » GUEVARA
affirme que la révolution cubaine a démontré « qu'il ne faut pas toujours
attendre que toutes les conditions soient présentes pour la révolution », et
préconise un petit foyer - foco - combattant itinérant qui initiera des actions
de guérilla qui pourraient propager la révolution assez vite, en s’appuyant sur
la paysannerie comme base sociale principale - NDT).
J'ai publié sur le «
foquisme » en 1969 à Montevideo, un livre intitulé : « Défi au Pentagone ». Il
y est question d'une oeuvre qui explique l’inconsistance des thèses de Régis
DEBRAY, exposées dans « Révolution dans la Révolution », livre «
foquiste », copié par DEBRAY suite à la dictée qui lui a été faite par Cuba,
puisqu'il était licencié en philosophie et en lettres, il ne sait rien de la
stratégie militaire.
La thèse la plus
secourable du « foquismo » cubain est que toutes les guerres révolutionnaires
doivent être faites depuis le terrain, depuis les montagnes. J'envisage -comme
je l'ai déjà dit- la ville populeuse comme étant plus appropriée à la guérilla
dans l'époque du capitalisme. J'indique que si au Moyen Âge, quand toute la
population était à la campagne, les guerres paysannes n'ont pas triomphé,
comment pourrait-on le faire maintenant en pleine civilisation urbaine ? J'éclaircis
que la révolution cubaine ne s'est pas déroulée exclusivement dans la Sierra Maestra,
mais qu'il y a eu plus de mortEs et plus de combats dans les villes que dans
celle-ci; que l’insurrection s'est propagée en superficie, le « second front de
l'Escambray » apparaissant ; que l'on a lutté dans tout Cuba ; et que cela a
fait que l'armée de BATISTA (Dictateur cubain chassé du pays en 1959 par la
révolution castriste - NDT), prise entre deux fronts, a dû se rendre, pas
seulement face à la
Sierra Maestra, mais par ce qu'elle était coupée de son
arrière-garde, dans les villes.
Une autre consigne
simpliste est celle comme quoi « le pouvoir vient du canon du fusil ». Si ceci
était vrai, les sous-officiers et les sergents feraient les « coups » d’État ;
mais ce sont les généraux et les colonels qui les font ; bien qu'ils ne soient
pas tous les jours avec les fusils et les soldats. Et il n'y a pas de vision du
stratégique sans fin politique. Les généraux pensent en politique et c'est pour
cela qu'ils font les « coups » d’État ; mais les sergents et les sous-officiers
ne pensent ni en généraux, ni en politique. Ainsi, ayant plus près d'eux les
soldats, les sous-officiers et les sergents, ils ne produisent quasiment jamais
un « coup » d’État et, quand ils le font, ils le perdent postérieurement par ce
qu'ils ne savent pas quoi faire avec le Pouvoir.
En revanche, les «
foquistes » petitEs bourgeoisEs, sans lien avec le travail d'usine ou des
champs, ont la pathologie du Pouvoir. Et quand ils/elles y parviennent, ils/elles
créent un parti monolithique excluant tout le peuple, en se constituant ainsi
eux/elles-mêmes en « nouvelle classe », plus difficile à déloger du pouvoir que
la bourgeoisie. Puisque la nouvelle classe se présente non comme classe, mais
comme l'incarnation du prolétariat par le moyen de l’État totalitaire et du
parti unique. Le « foquisme », petit bourgeois, séparé des travailleurs/euses
ou sans eux/elles dans les rangs de la guérilla, peut être un nouveau
stalinisme. Il sera nécessaire de méditer cette perspective sérieusement pour
éviter qu'une minorité domine les majorités au moyen du capitalisme d’État et
du parti monolithique. Pour cela il faut préparer les syndicats, les jeunes
révolutionnaires, dans un esprit autogestionnaire, avec une pleine maîtrise de
la stratégie, afin de couper l’accès au Pouvoir à des groupes « foquistes »,
totalitaires, inspirés par le modèle soviétique de socialisme bureaucratique.
- Tu as bien connu
Ernesto « Che » GUEVARA et tu as fréquenté directement Fidel CASTRO. Comment
évalues-tu l'expérience guévariste, triomphante dans la Sierra Maestra et
qui l'a mené à l'échec et à la mort en Bolivie ?
- El « Che » GUEVARA et
Fidel, ont été instruits par le colonel espagnol BAYO, qui durant la Guerre Civile
espagnole avait des connaissances tactiques de groupes guérilleros, opérants
dans l'arrière garde franquiste.
Quand le « Che » et Fidel
sont arrivés à Cuba dans le « Gramma » (nom du yacht à bord duquel les révolutionnaires
ont effectué le débarquement à Cuba. NDT) - après avoir été découvert au moment
de débarquer dans l'île en provenance du Mexique-, ils sont restés 7 hommes et
11 fusils ou vice-versa. Néanmoins, ils se sont rendus dans la Sierra Maestra. Et
comme le contexte politique était bon pour la guerre de guérillas, ces quelques
hommes et ces quelques fusils ont servi à foutre dehors BATISTA, qui administrait
Cuba comme son commerce privé.
Si Fidel avait dit au
début de la guerre de guérillas dans la Sierra Maestra
qu'il était marxiste-léniniste, au lieu de parler de liberté, de démocratie, de
lutte contre la corruption de BATISTA, il aurait été isolé et battu comme tant
d'autres guérilleros, sans programme politique partagé par la quasi-totalité
d'une nation.
Les choses sont ainsi,
Fidel a eu l'appui de la bourgeoisie, de la classe moyenne, des ouvrierEs et
des paysanNEs de Cuba et même la sympathie des États-Unis. De cette manière,
après être parvenu à la formation de bataillons avec ses guérillas, Fidel a
vaincu les brigades ou les divisions de BATISTA, démoralisées et prises au
piège dans les villes, les montagnes et les campagnes. Plus le programme politique
de libération est bon, plus il est facile de gagner une guerre contre
l'impérialisme du dehors ou contre le despotisme de l'intérieur. La majeure
partie des mouvements guérilleros d'Amérique Latine a été battu pour avoir
imité le Fidel marxiste-léniniste et non le Fidel guérillero qui avait comme
programme la démocratie et la lutte contre la dictature et la corruption.
J'ai connu le « Che »
GUEVARA en 1962, en pleine « crise des Caraïbes » (ou « crise des missiles » de
1962 opposant les États-Unis et l'Union Soviétique au sujet des missiles
nucléaires soviétiques pointés sur les USA depuis Cuba, crise qui a placé le
monde au bord de la guerre nucléaire, avant que l’URSS ne retire les missiles
NDT), durant une longue nuit passée à discuter tous les deux, en présence
d'Alicia EGUEREN, l'épouse du leader péroniste, exilé à Cuba, John WILLIAM
COOKE (péroniste de gauche connu – NDT). Les bateaux de guerre et les avions nord-américains
rôdaient le long des plages de Cuba.
« Che » GUEVARA attendait
le débarquement des divisions du pentagone parties des États-Unis et qui n'étaient
plus qu'à quatre ou cinq jours des eaux territoriales cubaines. Je lui ai dit
que cela était très improbable et pas nécessaire non plus, alors que le
débarquement des yankees était permanent : il datait de 1898 quand, nous les
espagnols, sommes partis de Cuba, et qu'ils se sont réservé la base navale stratégique
de Guatanamo. Le « Che », cependant, était convaincu que les Nord-Américains débarqueraient
à Cuba. Je lui ai dit qu'en ayant une supériorité stratégique absolue en avions
et bateaux de guerre, ils pouvaient isoler Cuba du reste du monde, en gagnant
ainsi la bataille stratégique, logistique, sans avoir à entrer dans la bataille
tactique, frontale du débarquement, mais le « Che » pensait que les yankees
débarqueraient dans l'île. Je lui ai dit qu’à moins qu'ils prennent Guantanamo,
les yankees resteraient tranquilles. Et comme les soviétiques se sont mis
d'accord avec les yankees, sans consulter les cubains, le retrait des
projectiles atomiques dans les bases cubaines des russes fut échangé contre un retrait
de missiles dans des bases yankees en Turquie.
J'ai éclairci le fait que
la gâchette atomique en Europe - dans l'OTAN- était détenue par les yankees et que,
à Cuba, elle était également aux mains des soviétiques. C'est pourquoi, à moins
que les cubains ne créent une situation irréversible à Guantanamo, les yankees
et les soviétiques se mettraient d'accord sans les cubains. En plus, dans une
guerre conventionnelle, les russes auraient perdu la partie dans les Caraïbes :
Ils allaient négocier avec les Nord-Américains.
Le « Che », énervé contre
les soviétiques, m'a dit qu'il était allé en URSS avec un autre cubain, dont je
ne me rappelle pas le nom, pour établir l'accord des bases des missiles
soviétiques à Cuba. Puisque les russes les avaient sollicités pour la défense
du monde socialiste.
J’y ai cru ainsi -m'a dit
le « Che » - mais après nous sommes restés surpris... Depuis ce moment, le «
Che » est devenu plus prochinois que soviétique ; il n'assistait pas aux
réceptions de l'ambassade de Russie à la Havane ; on le voyait plus que dans celles de
Chine et d'Albanie.
Finalement, les
soviétiques, en échange de crédits à Fidel CASTRO, virèrent le « Che » du
ministère de l'industrie, parce qu'il croyait plus en « l'homme socialiste
nouveau » qu'au stakhanovisme, politique productiviste des soviétiques.
Nous ne nous sommes jamais
bien entendus« Che » GUEVARA et moi. C'était un homme plutôt dogmatique. Je
l'ai dissuadé de faire des entreprises de guérillas de montagne avec peu
d'hommes (des groupes de 25 guérilleros), pour avoir compris que, dans le cas
des « Uturuncos » - un cas que j'avais expérimenté -, la contre guérilla
opérait avec des sections de plus de trente hommes dotées de quelques mortiers.
Ainsi le combat face à face avec une telle corrélation de forces était
défavorable pour la guérilla.
Mais le « Che » suivait le
règlement cubain comme un dogme. J'étais partisan de 4 ou 5 groupes de 25, vivants
séparés dans les forêts et les montagnes, mais combattant ensemble contre les
sections de plus de trente contre-révolutionnaires. Il y avait ainsi une
supériorité de nombre et de feu ; la victoire pour les guérilleros serait
assurée. Néanmoins, le « Che » est parti avec un petit groupe de combat dans
les montagnes de l'Est bolivien : il a eu des victoires tactiques initiales,
mais en perdant sa trop petite troupe à cause de l'usure due au rude milieu et
aux combats, et parce qu'il ne suppléait pas ses bases avec l'arrivée de
paysanNEs, n'ayant pas de population favorable, il a été vaincu comme je l’ai
dit sérieusement trois mois avant à l'ami du « Che », Ricardo ROJO.
Le « Che » GUEVARA, qui
avait d’excellentes aptitudes politico-militaires de commandant, s'est obstiné,
néanmoins, à mourir comme sergent à la tête d'un petit groupe guérillero dans
l'Est bolivien où convergent les frontières du Brésil, de l’Argentine, du
Paraguay avec la
Bolivie. Peut-être que le « Che » a élu cette zone
géostratégique parce qu'il pensait agir dans différents pays Sud-Américains à
la fois avec ses groupes de guérillas. Dans cette région, il y a plus d'espace
que de population, rendant ainsi très lente, dans le meilleur des cas, la
croissance militaire des groupes de guérilleros ; puisque les paysanNEs sont plutôt
indifférentEs à la guerre révolutionnaire.
Renvoyé du ministère de
l'industrie de Cuba par les soviétiques, qui faisaient pression économiquement pour
qu'il abandonnât son poste, « Che » GUEVARA, après avoir démissionné
secrètement, devait donner une explication politique sur cet événement ; mais
sa fidélité absolue pour Fidel l'a emmené, clandestinement, au Congo, où il a
combattu, et plus tard dans l'Est bolivien où il est mort. On dirait que le «
Che » cheminait en cherchant la mort pour ne pas avoir à expliquer pourquoi il
avait renoncé au Ministère de l'Industrie, portant ainsi atteinte à la figure
politique de Fidel CASTRO.
Le « Che » aurait été plus
utile en écrivant un livre sur le travail contre-révolutionnaire des
soviétiques à Cuba, qu'en allant mourir en Bolivie au-devant d'un petit groupe
guérilleros, mais sa mort l'a sublimé comme héros ; elle a laissé ainsi intacte
la figure politique de Fidel CASTRO qui, sans doute, l'a sacrifié politiquement
contre l'aide économique et militaire soviétique.
- Les mouvements
d'occupation de « grandes propriétés » au Pérou au début des années soixante, ont
constitué une des expériences révolutionnaires les plus réussies en terme de
mobilisation de la paysannerie. Quel a été ta relation avec le mouvement d'Hugo
BLANCO ? (Militant péruvien très connu,
trotskiste à l’époque, impliqué au début des années 60 dans les luttes
paysannes indiennes avec occupations de terres, « zone libérées » et
groupes armés d’auto-défense – NDT).
- L'opération des
guérillas de la vallée de la
Convención (Cuzco), stratégiquement, a été programmée à Buenos
Aires. J'ai servi de conseiller stratégique. Entre les trotskistes
péruviens/nes et argentinEs de la IVe
internationale – les partis POR – il existait une grande affinité politique. Je
n'ai jamais été trotskiste, mais j'ai été conseiller stratégique pour
programmer la rébellion paysanne au Pérou.
Mon point de vue était
qu'il y avait toutes les conditions politiques, économiques et sociales pour déchaîner
une rébellion paysanne avec le même style que celle de TUPAC AMARU (1780),
puisque le féodalisme péruvien réduisait à la condition de domestiques (serfs).
La Caja de Selva
peruana (un abord montagneux de l'Amazonie), est un terrain très favorable à la
guerre de guérillas. Là-bas, une paysannerie en armes, si elle est bien dirigée
politiquement et stratégiquement, peut mettre en déroute les plus puissantes
armées régulières ; mais en faisant une guerre mobile, sans être fixée à
l'espace, sans occuper de terres en un front fixe, en essayant de vaincre, en
premier, l'armée répressive, et après faire la réforme agraire.
Les dirigeantEs du POR ne
l'ont pas entendu ainsi, spécialement, l'inutile Nahuel MORENO (1924-1987, pseudonyme
de Hugo BRESSANO, un des principaux dirigeants du trotskisme Latino-américain –
NDT), un trotskiste de pacotille qui lisait et relisait, comme unique livre, «
Histoire de la
Révolution Russe », de TROTSKY. Et comme celui-ci disait
qu'il n'y a pas de révolution si « les pouvoirs parallèles » (Soviets) ne se
créent pas, Nahuel MORENO et les trotskistes péruvienNEs ont opté pour faire
une guérilla au service des paysanNEs et de la réforme agraire en commençant,
immédiatement, par occuper les grandes propriétés rurales et pour rester dans
celles-ci comme peuple armé. Mon point de vue, en franche dissidence avec
Nahuel MORENO et les gens d’Hugo BLANCO, est que l'occupation de terres
obligeait à rester cloué au terrain. De cette manière, les réussites tactiques
initiales allaient se convertir après en défaites stratégiques, face aux
troupes de répression, supérieures en nombre et en capacité de feu sur les guérilleros
de Hugo BLANCO.
Voulant appliquer les
expériences de la révolution russe de 1917 à la réalité péruvienne (dans des situations
spécifiques complètements différentes au niveau politique, économique, et
stratégique), les paysanNEs en rébellion de la vallée de la Convención ont été
battuEs. L'armée russe, par exemple, avait été battue sur le front allemand en
1917, à son retour des fronts, et en arrivant à Petrograd, elle s'est réunie avec
les ouvrierEs et les citadinEs formant les Soviets ; cette situation ne
convenait en aucune manière au Pérou qui avait une armée intacte.
- Pourrais-tu tracer le
panorama actuel de la guérilla latino-américaine ?
- Le fait d'avoir copié le
modèle cubain, spécialement au niveau politique et dans la tactique de
guérillas, sans explorer les spécificités de chaque pays latino-américain, a
conduit, dans beaucoup de mouvements guérilleros, à remplir les prisons et à
amonceler des cadavres. Je répète que la révolution, dans chaque pays, doit
être réinventée ; découvrir ses lois stratégiques spécifiques ; bien programmer
ses objectifs politiques ; combiner parfaitement son front uni de classes
opprimées contre les classes oppressives ; donner une unité de pensée et
d'action aux groupes politiques sans tolérer de sectarisme ; et, surtout, pour que
la guérilla conduise à la révolution, il ne suffit pas d'avoir un certain
nombre de fusils et quelques hommes et femmes, mais, plus que tout, il faut
profiter d'une occasion historique favorable à la révolution : une grande crise
économique, une guerre perdue, une perte de prestige totale du gouvernement et
des classes dominantes, une dictature détestée par tout le peuple, qui ne doit
pas être discutée, mais combattue et vaincue.
Prenant les désirs pour
des réalités, je crois qu'au Guatemala les guérilleros ont perdu parce qu'ils
se sont lancés dans l'attaque avec peu de plans révolutionnaires. Le moment de
la guérilla au Guatemala était plus appropriée à la chute de Jacobo ARBEZ
(1913-1971, colonel qui a été président du Guatemala de 1951 à 1954, renversé
alors par un coup d’État organisé par la
CIA et remplacé par une junte militaire - NDT), en 1954,
quand l'United Fruit, avec l'appui du Département d’État (ministère des
affaires étrangères US), a donné le pouvoir à Carlos CASTILLO ARMAS (chef de la
junte qui a renversé ARBEZ, il annulera la réforme agraire et se caractérisera
par son anticommunisme, il sera assassiné en 1957- NDT). Les guérilleros
avaient alors en leur faveur, la lutte pour la démocratie, la libération
nationale contre l'impérialisme et la lutte pour la légalité constitutionnelle,
ce que partageait la plus grande partie du peuple guatémaltèque.
La guérilla guatémaltèque,
après la révolution cubaine, avait moins de conditions de triomphe qu'en 1954 ;
mais quelques jeunes, croyant que ce qui s'était passé à Cuba se reproduirait
comme des champignons, se sont lancéEs dans la lutte armée. L'armée
guatémaltèque a exterminé, à ce qu’il semble, les militantEs de ces groupes
guérilleros, leurs sympathisantEs et touTEs celles et ceux qui avaient une
relation avec ceux et celles-ci. Ce genre de « ménage » - sans aucun respect
pour les droits humains - a donné le nom de « guatélamisation » qui plus tard,
dans des conditions similaires, s'est convertie en « argentinisation », «
uruguaisation », « bolivinisation », « brésilinisation », « chilinisation », «
colombianisation », « mexicanisation », etc...
En Colombie la guérilla
était déjà implantée avant la révolution cubaine. Le guérillerisme colombien a surgi
comme une explosion de protestation populaire en 1948 au moment de l'assassinat
politique du leader libéral GAITAN (1898-1948, homme politique colombien, très
populaire en son temps. Partisan de la mise en place de politiques sociales.
Son assassinat entraîne une guerre civile qui dure jusqu’au milieu des années
50 – NDT), qui a donné lieu à une guerre urbaine généralisée, plus connue sous
le nom de « bogotazo ». Comme conséquence de cet événement révolutionnaire,
beaucoup de révolutionnaires colombiens/nes ont pris le maquis, et donc un
abondant mouvement de guérilla a surgi ayant une certaine similitude avec la
guerre de guérilla du Yunnan en Chine, après la « longue marche » des IVe et
VIIIe armées communistes.
En Colombie, les guérillas
se sont tellement implantées qu'elles sont parvenues à libérer des zones de montagne
comme les républiques indépendantes de « Marquetalia », « El Pato » et
d'autres. Quand j'ai écrit « La stratégie de la guérilla urbaine », en 1965,
j'ai dit que ces républiques des guérillas ne pourraient pas être consolidées
comme des fronts fixes, puisque les divisions d'hélicoptères, qui sont « une
cavalerie de l'air », auraient raison d’elles. Par contre, dans le Yunnan
(Chine), les hélicoptères n'avaient pas été employés comme s'il avait été
question d'une infanterie de l'air. Et comme je l’avais pronostiqué, «
Marquetalia » et « El Pato » (ces zones libérées, tenues à partir de 1958 par
les communistes et leurs sympathisantEs paysanNEs ont été liquidées par l’armée
en 1964, donnant naissance aux FARC – NDT) ont cessé d'exister. La guerre de
guérilla devait être mobile, pas fixe, ai-je indiqué, et plus dans les villes
que dans les montagnes, puisque dans les mégalopoles, si elles ne sont pas hâtivement
libérées, on gagne cependant leur population et avec elle on combat dans
beaucoup de zones urbaines à la fois, les divisions d'hélicoptères et les
unités blindées ne peuvent pas être utilisées.
Cependant, la guérilla
colombienne a continué à être de préférence rurale, mais elle est déjà entrée
dans la phase urbaine, ou dans les deux en même temps : elle a différentes
armées de guérilleros, mais il lui manque un programme commun, elle ne s'est
pas libérée du dogmatisme marxiste-léniniste et, en conséquence, les
guérilleros ne savent pas planifier correctement leur programme national, leur
révolution spécifique, sans l'importer de Cuba ou d'autres pays.
Un autre mouvement
guérillero, qui a commis les mêmes erreurs stratégiques que le colombien, a été
la tentative insurrectionnelle du groupe armé dirigé par De La Puente Uzeda au
Pérou. Il a concentré ses guérilleros à Mesa Pelada, au lieu d'agir dans les
grands faubourgs de Lima ; il s'est fixé sur le terrain avec peu d'effectifs,
sans pouvoir résister ni à l'aviation ni à l'artillerie de l'armée ; ainsi,
sans mobilité, il a été massacré pour avoir voulu tenter, dans un certain sens,
l'expérience manquée des « républiques de guérillas » de Colombie. À Lima il y
a, approximativement, un million et demi de pauvres dans les quartiers
misérables (pueblos jovenes) mais les guérilleros de Lima allaient combattre
dans les montagnes et la forêt, sur un terrain qui leur était hostile, plus
méconnu que la « ceinture de misère de Lima » et moins sûre que cette dernière
logistiquement et politiquement. (Dans la province de Cuzco, en 1960, l'agitation populaire
a grandi, un groupes de travailleurs/ses agricoles aux ordres de Hugo Blanco a institué
une « république libre » dans la province de la Covención. En 1962
et 1963, dans cette province, le gouvernement a envoyé avec l'armée des
ingénieurs, des agronomes, a distribué des terres et a ouvert des routes. Le
nombre des fidèles d'Hugo BLANCO a diminué ; il a été arrêté en mai 1963. Vers
1963, un petit groupe, le MIR et son chef Luis DE LA PUENTE UZEDA a
éclipsé les autres guérillas et mis en place en 1965 trois groupes de
guérillas: dans le nord à Avabaca, au centre à Satijo, à l'est à Mesa Pelada.
Après quelques succès de
la guérilla, l’armée est intervenue et a liquidé en 2 mois les groupes de
guérilla– NDT).
- En ce qui concerne le
Nicaragua, où paraît s'être consolidé un front guérillero qui met en échec le dictateur
SOMOZA, quelles sorties voit-tu à court terme ? Quels sont les composants
idéologiques réels du Mouvement Sandiniste ?
- Le Front Sandiniste de
Libération Nationale (FSLN, du nom d’Augusto César SANDINO, qui a mené la résistance
contre l’occupation du Nicaragua par les États-Unis dans les années 30. Le FSLN
a renversé le dictateur Anastatio SOMOZA DEBAYLE en 1979, mettant fin à la
dynastie des SOMOZA, et a établi un gouvernement « socialiste » à sa place.
NDT) est une alliance à plusieurs facettes : 1) Le groupe GPN, guévariste,
partisan de la guerre prolongée. 2) Les « terceristas » (mélange de
chrétienNEs, libéraux et marxistes), 3) Le groupe prolétaire intégré, quasiment
dans sa totalité, par les militantEs du parti communiste. Ainsi donc, le FSLN
aurait une certaine inclinaison marxiste-léniniste, même si pendant la grève
générale contre le dictateur SOMOZA, commencée le 25 août 1978, sont
intervenuEs les commerçantEs et le industriels/les, ainsi que les ouvriers/ères
et les employéEs. Mais, en dehors du Venezuela, du Costa Rica et du Panama, les
pays latino-américains n'étaient pas décidés, spécialement le Honduras et le
Salvador, pays frontaliers avec le Nicaragua, à bloquer le régime de SOMOZA,
puisqu'ils n'étaient pas sûrs que le FSLN ne crée pas dans l'Isthme
centre-américain un nouveau Cuba, chose qui préoccupe, dans le même sens, les
États-Unis.
Depuis le jour du 9
septembre 1978, pratiquement, le peuple nicaraguayen est descendu dans la rue
pour chasser du pouvoir le tyran SOMOZA et sa famille qui a dominé le Nicaragua
contre la volonté de son peuple durant une quarantaine d'années. Après la prise
du parlement du Nicaragua par un groupe guérillero mandaté par le « commandant
CERO » (« Zéro »), également en septembre, SOMOZA a dû accepter les conditions
des guériller@s, mettant un avion à leur disposition pour les envoyer au
Panamá.
En déclenchant
l'insurrection générale contre SOMOZA, les insurgéEs prenant diverses villes,
comme Chinadenga, Esteli, Léon, Rivas et d'autres, sans avoir d’artillerie, de
blindés et d’aviation, restant sur des fronts fixe ou des barricades,
s’exposaient ainsi à être annihilées par l'armée somoziste, qui peut faire la guerre
en deux dimensions, terre et air ; les guériller@s pouvaient à peine en faire
une, sur terre, dans des villes difficiles à garder face à une armée organisée
avec plus de capacités de feu.
Il semble qu'il était
impossible pour le FSLN de se maintenir dans les quelques villes conquises, ou
mieux formulé, soulevées en masse avec leurs populations contre le dictateur
SOMOZA, puisque sans armes lourdes, il n'est pas possible de consolider un
front fixe. Comme les soulèvements se produisaient dans plusieurs villes, cela
a été un avantage pour les sandinistes, appelant l'armée répressive depuis
plusieurs points à la fois, mais pas suffisamment pour faire la guerre
révolutionnaire comme en peau de léopard.
À la frontière avec le
Costa Rica, zone extérieure favorable, les sandinistes ont tenté de créer une «
base frontalière », et une « zone libérée », mais si la garde nationale de
SOMOZA emploie toute sa force d'aviation, de blindés et d'artillerie ; si les
guérilleroAs n'ont pas, à leur tour, ces armes, une « base frontalière », une «
zone libérée », ne peuvent être consolidées, pour créer là un « gouvernement de
libération ».
Pour renverser le
dictateur SOMOZA, ou un quelconque dictateur, il ne faut pas combattre en front
fixe, en formations fermées et sur des barricades, sans donner de continuité à
la lutte de guérilla, et non pas dans une demie douzaine de villes comme au
Nicaragua, mais dans des dizaines de villages (en campagne) et dans toutes les
villes populaires du pays. Pour vaincre dans une guerre révolutionnaire, il ne faut
pas essayer d'entrer dans des batailles frontales, fixes et de longues durées,
mais dans des centaines de combats rapides, mobiles, pour disperser l'ennemi,
pour l'empêcher d'établir son ordre politique et sa répression. Il n'est pas
nécessaire de décider une guerre révolutionnaire par les armes mais par la
politique du peuple en armes, sans grandes batailles, gagnée par la
démoralisation et l'usure politique et militaire de l'ennemi.
Les sandinistes, dont le
plan politique international n'est pas clair pour les États-Unis, le Honduras
et le Salvador et pour d'autres pays sud-américains ont, dans ce sens, une
faille politique et diplomatique, qui peut se retourner contre SOMOZA, conduire
à une intervention pour l'expulser du Pouvoir, mais sans permettre qu'avancent
vers celui-ci les groupes marxistes-léninistes. Le phénomène de Cuba est
difficile à répéter en Amérique Latine. C'est pour cela que nous répétons que
toute révolution doit être inventée, afin qu'elle n'ait pas de restrictions
dans sa politique internationale et dans sa politique nationale, dans sa stratégie
et dans sa tactique. En somme, le plus important pour le triomphe des
révolutionnaires nicaraguayenNEs, c'est de faire leur révolution, comme
partout, avec une sémantique nouvelle, sans que l'ennemi intérieur et extérieur
ait des avantages politiques et militaires pour s'opposer à une idéologie connue,
contrecarrée, employée sous des dictatures bureaucratiques qui ont succédé à
des bourgeoisies ou à des aristocraties absolutistes.
- En changeant de
continent, quel est ton jugement sur la manière dont la R.A.F, en Allemagne, ou les
Brigades Rouges, en Italie, mettent en pratique la guérilla urbaine ?
- Les « Brigades Rouges »
ont démontré l’efficacité de la guerre urbaine pour créer des situations politiques,
mettant quasiment le pays au bord de l’effondrement politique. Ainsi, en
quelque sorte, le « compromis historique » des communistes et des
démocrates-chrétiens d’Italie a été secoué comme par un tremblement de terre
politique. Tactiquement, les « Brigades Rouges », avec l’emploi de peu d’hommes
et de femmes, ont créés des situations, sous forme de guérilla urbaine, que ne
pourraient pas créer les guérillas rurales. Cela démontre que la guérilla
urbaine ne cherche pas une grande bataille, ni des barricades ou à libérer une
ville comme les sandinistes contre SOMOZA, mais à produire une situation politique
délicate qui puisse liquider, par exemple, avec l’emploi de quelques
guérillero@s, le « compromis historique » démocrate-chrétien/communiste en
Italie.
Cependant, la stratégie du
désespoir n’est pas la meilleure pour faire triompher la guérilla urbaine,
comme cela s’est passé en Italie et en Allemagne, puisque la contre-offensive
du pouvoir peut employer quelques règles de jeu dans lesquelles ne sont pas
respectés les droits humains. Les choses sont ainsi, si les guérillas urbaines
allemandes et italiennes ne mobilisent pas la population à la base de leurs
actions, si ces minorités armées ne convainquent pas les masses populaires
désarmées, le triomphe de la révolution ne se produira pas ainsi. Il convient
alors de se demander, à quoi sert la dramatisation de la lutte ? À moins qu’il
ne soit question de déstabiliser un pays ou d’expulser du Pouvoir un parti pour
qu’un autre prenne sa place (mais sera-t-il meilleur ou pire ?), pousser la
violence à l’extrême ne se justifie pas, si on va à la chasse pour que d’autres
chassent.
Tant que les conditions
économiques, politiques, sociales, morales, ne sont pas mûres pour une révolution,
tout acte extrême peut accentuer encore plus la contre-révolution, apportant
une dictature de type nazi-fasciste ou, simplement, une situation de «
guatémalisation » d’un pays, où la terreur imposée par les actuels dictateurs
n’a rien à envier à HITLER, MUSSOLINI, et STALINE, quant à ignorer les droits
humains en fusillant à tort et à travers.
Je n’ai pas beaucoup
d’informations sur la guerre urbaine européenne, mais j’imagine qu’elle est
détachée des mouvements syndicaux ouvriers, aujourd’hui réformistes (socialistes
ou communistes), qui peuvent être mobilisés par ces gueriller@s, pour accéder à
un socialisme authentique. Lequel ? Comment ? Pour quand ? Avec quel programme
? C’est là que se trouve la faiblesse de la guérilla européenne. Quel est son message
? Comment résout-t-elle la crise de la société post-industrielle ? Si la
politique est mauvaise, la stratégie ne peut jamais être bonne ; elle est mise
en échec, non par lâcheté, mais par manque d’intelligence.
En résumé : pour pouvoir
assumer l’histoire dans un moment critique, un révolutionnaire doit connaître les
lois de la dialectique et de l’économie politique ; dominer la politique
scientifique ; unifier sa pensée et son action ; savoir attendre une occasion
historique, qui se présente toujours, pour transformer le monde et résoudre les
contradictions qui s’opposent à l’intérêt général ; ne s’interroger à chaque
moment que sur ce qui peut être résolu, sans être centriste ni opportuniste ;
ne détruire que ce qui peut être remplacé pour ne pas hâter ni retarder les
changements des structures socio-économiques, politiques, culturelles et
juridiques.
Par dessus tous les dogmes
et sectarismes, un révolutionnaire doit être fidèle à la vérité et à la liberté
; ne pas parler ni procéder en infaillible, mais accepter l’épreuve et
l’erreur, la pluralité des critères ; refuser le culte de la personnalité ; laisser
la société faire bien mieux, sans la tutelle de l’État. Et être toujours disposéE
à apprendre de l’erreur pour arriver à la vérité sans jamais oublier que l’on
voit seulement ce qui est su et que, par conséquent, on voit bien mieux le
futur, le présent et le passé quand ils sont connus. Le peuple voit peu parce
qu’il sait peu ; une révolution culturelle permanente est nécessaire pour que
le peuple, par le savoir, ait le pouvoir autonome d’être, et uniquement lui, le
sujet actif de l’histoire, surpassant ainsi les structures politiques de
domination par l’autogestion, sans bourgeoisie monopoliste ni bureaucraties
totalitaires.
ANTONIO ALBIÑANA
MERCEDES
ARANCIBIA
Cette
traduction a également été publiée par le Collectif Anarchiste de Traduction et
de Scannerisation (CATS) de Caen (et d’ailleurs). http://ablogm.com/cats/
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