Cet article a été publié dans le n° 336 de Rouge et Vert - 21/11/2011
Durant les années 2009- 2010, les conflits sociaux se sont multipliés sur un mode défensif (protection de l’emploi) sans que n’émerge jamais un projet alternatif de reprise d’entreprise en autogestion. Les salarié-es de Philips EGP à Dreux ont imposé l’espace d’une dizaine de jours un contrôle ouvrier sur l’entreprise qui a permis de relancer la fabrication des téléviseurs. Les Molex ont soulevé l’hypothèse d’une relance sous forme coopérative. Mais les positionnements de ces entreprises sur le marché n’ont pas permis qu’émergent des projets de reprise- alternatifs. Deux grandes luttes ouvrières auront dominé l’année 2011 : Fralib et SeaFrance. Dans chacune de celles-ci, la question de la reprise des entreprises par les salariées a été posée, différence essentielle par rapport aux années précédentes.
SeaFrance, compagnie opérant entre Calais et Douvres et filiale à 100% de la SNCF est menacée de liquidation. Suite à une année 2008 difficile, une nouvelle direction est nommée par la SNCF. Appliquant des méthodes de management "modernes", le remède s’avèrera pire que le mal et l’entreprise déposera le bilan en juin 2010. 725 postes, soit près de la moitié des effectifs, seront supprimés. Un plan de recapitalisation de l’entreprise sera retoqué par la Commission européenne et seule une vente de l’entreprise devient alors possible. DFDS, une compagnie danoise de ferry opérant déjà entre Douvres et Dunkerque se porte candidate. Il s’agit d’une entreprise lowcost opérant avec des officiers britanniques et des marins d’Europe de l’Est.
Le projet de reprise de DFDS prévoit la suppression de 420 postes sur les 876 sans aucun engagement de maintien des emplois restants, la reprise de trois des quatre navires pour la somme ridicule de 5 millions d’euros. Devant cette menace, la CFDT de SeaFrance, syndicat majoritaire, présente un projet de reprise en SCOP garantissant le maintien de la totalité des emplois existants.
Le 16 novembre, le Tribunal de commerce rejette les deux offres, celle de DFDS pour son insuffisance, celle de la CFDT pour manque de financement, et prononce la liquidation tout en prévoyant une continuité de l’exploitation jusqu’au 28 janvier. Elle invite les parties à représenter des offres. DFDS renonce définitivement. Seule l’offre de la SCOP reste en ligne. La chance commence à sourire aux salarié-es. 12 millions d’euros de financement sur 50 sont trouvés auprès de la région Nord Pas de Calais et de diverses collectivités locales. L’ancien président du Directoire de Brittany Ferries, Jean-Michel Giguet, « un homme parti de la base » comme le décrit un syndicaliste, valide le business plan de la CFDT et se déclare candidat à la direction de la SCOP. C’est le moment choisi par la direction de SeaFrance pour immobiliser les navires et interrompre l’activité de l’entreprise : coup de poignard dans le dos pour couler SeaFrance avant qu’elle ne soit reprise en SCOP. Pourtant, il suffirait que la SNCF apporte 10 millions d’euros, somme largement inférieure aux indemnités de licenciement qu’elle devra payer en cas de liquidation, pour que la SCOP puisse refinancer un des navires de la compagnie et obtenir ainsi 50 millions d’euros de liquidités. « Ils n’acceptent pas que des salariés puissent faire tourner une entreprise alors qu’eux-même n’ont pas été capables de le faire » nous explique un marin.
Fralib à Gemenos (13) est la dernière unité de fabrication de thés et d’infusions du groupe Unilever en France. Décidé à fermer cette usine pour relocaliser la production en Belgique et plus probablement en Pologne, le groupe Unilever présente le 28 septembre 2010 un plan ”social” visant à supprimer les 182 emplois. Ce premier plan social sera retoqué par le Tribunal d’instance le 4 février 2011. Le groupe reformule un nouveau plan qui sera, dans un premier temps, validé par le Tribunal le 21 juillet 2011.
Face à cette situation, les salarié-es décident l’occupation de l’usine. La Direction procédera alors à des retenues sur salaires, assignation de salarié-es au Tribunal sans parler d’intervention musclée avec vigiles dans l’enceinte de l’entreprise. Le 17 novembre, le Tribunal d’instance de Marseille invalidera en appel le deuxième plan social. Cependant, le groupe Unilever refuse la reprise de la production.
Les salarié-es de Fralib sont juridiquement en position de force. Ceux-ci pourraient se limiter à exiger la reprise de la production. Leur projet est plus ambitieux : ils constatent qu’Unilever n’a qu’un objectif en tête, se débarrasser de cette unité de production. « Cette direction, nous n’en voulons plus. Le divorce est entamé » nous indiquait une salariée. Ils exigent donc que cela se fasse à leurs conditions : qu’Unilever leur laisse la marque ”l’Eléphant” (vieille marque marseillaise qu’Unilever a racheté dans les années 1970), l’usine avec ses machines et un plan d’achats dégressif sur trois ans leur permettant de trouver de nouveaux débouchés. Echaudés par les reprises d’unités de production par des PME qui sont liquidées quelques années plus tard (les soupes Royco, Netcacao...), les travailleur-ses préconisent la reprise de l’entreprise sous forme autogérée tout en souhaitant développer un projet écologique : « Avec la reprise de l’Elephant, notre volonté est de réanimer une filière locale de produits naturels, autrefois si riche dans la région et notamment à Grasse », nous indiquait Gérard Cazorla, délégué CGT.
SeaFrance, Fralib : dans les deux cas, l’emploi est l’élément déclencheur du projet autogestionnaire. A SeaFrance, il s’impose comme unique solution pour maintenir les 880 emplois encore existants. A Fralib, il s’affiche comme une stratégie offensive visant à sortir par le haut d’une situation dans laquelle une multinationale veut se débarrasser de ses salarié-es. Dans les deux cas, les directions pratiquent le lock-out espérant ainsi casser toute perspective de reprise : le droit souverain du capital contre celui du travail.
En cette fin d’année 2011, émettons deux voeux pour ces luttes : que la SCOP SeaFrance puisse reprendre l’activité de l’entreprise, que les travailleur-ses de Fralib prennent le contrôle de leur outil de travail et relancent "L’Eléphant".
Benoît Borrits
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