M. Colloghan

samedi 13 août 2011

Le temps du monde fini - Interview de Geneviève Azam

Nous publions une interview de Geneviève Azam *, publiée dans Rouge et Vert n° 326 (journal des Alternatifs en date du 16 juin 2011) et une note de lecture de Bruno Della Sudda et Romain Testoris * à propos de son livre « LE TEMPS DU MONDE FINI – VERS L'APRES-CAPITALISME », (Editions « Les liens qui libèrent », 2010).

RV : QUEL LIEN ETABLIS-TU ENTRE LA MONDIALISATION CAPITALISTE ET CE QUE TU APPELLES « LE MONDE FINI » ?

GA : La mondialisation des échanges n’est pas un phénomène nouveau, des formes d’échange lointain existaient dans les sociétés antérieures au capitalisme. Mais dans le capitalisme, elle a pris une forme nouvelle : elle accompagne l’expansion du capital en assurant l'approvisionnement et le contrôle des matières premières ainsi que les débouchés pour la production. Ce mouvement d’expansion a été initié par la conquête du «Nouveau Monde» dès le XVIème siècle, il s’est accéléré au XIXème siècle avec l’impérialisme, et s’est poursuivi par la croyance en la possibilité d’une croissance infinie, d’une accumulation infinie, dans le cadre du marché global. On peut lire toutefois dans les analyses de Rosa Luxemburg, qui avait compris que l’impérialisme n’était pas une simple dégénérescence du capitalisme ou son stade suprême mais la forme prise par ce système, les limites de cette expansion.

Le temps du monde fini est une expression empruntée à Paul Valéry, qui écrivait en 1931 : «le temps du monde fini commence». Il signifiait que la Terre était entièrement connue et conquise, qu’il n’y avait pas de «nouveau monde» et qu’il était temps d’abandonner les rêves de conquête pour donner leur place à la justice et à la solidarité. Sa voix a été recouverte par les promesses de progrès, de développement et de croissance après 1945. Dans ce contexte, parler de limites à la croissance ou à l’expansion des forces productives était quasiment blasphématoire.

La crise actuelle débute dans les années 1970 : à la crise d’accumulation s’ajoute celle de l'essoufflement d’un processus de production-consommation caractéristique du capitalisme d’après-guerre. Des voix se sont élevées alors pour exprimer le refus du productivisme et l’épuisement des ressources non renouvelables. Mais le consensus productiviste les a étouffées. L’arrivée au pouvoir de coalitions néolibérales a accéléré le processus de la globalisation. Pour retrouver la croissance perdue (et les profits), le libre-échange et la concurrence généralisée ont été décrétés impératifs universels et les États sont devenus des auxiliaires du marché global. L’extension du capitalisme à l’échelle de la planète a accéléré considérablement l’extraction des ressources naturelles et les déséquilibres écologiques majeurs (climat, eau et biodiversité). Mais dans cette phase du capitalisme global, c’est l’ensemble des activités humaines, du monde des humains et de la vie, qui devient le support de la valorisation du capital. et de l’industrie financière À la fragilité et aux limites de la Terre s’ajoute la fragilité des sociétés, sapées dans leur fondement par la destruction des institutions qui leur donnaient corps.
 
RV : LA CATASTROPHE DE FUKUSHIMA N'EST-ELLE PAS A LA FOIS UN REVELATEUR ET UN ACCELERATEUR DE LA CRISE ECOLOGIQUE ?

GA : La catastrophe de Fukushima est le révélateur de la croyance en la maîtrise rationnelle du monde propre à la culture occidentale. Croyance fanatique qui a pu aller jusqu’à construire des centrales nucléaires sur des failles sismiques connues, dans un pays qui avait vécu l’expérience de la bombe atomique. Croyance en la toute puissance de la technique et oubli qu’avec l’énergie nucléaire, où que soient situées les centrales, nous enclenchons des processus que nous ne maîtrisons pas. Nous n’oublierons pas l’image des liquidateurs japonais chaussés de bottes en plastique et luttant contre le feu atomique avec des pelles et des seaux ! C’est un triste rappel à la mesure. Cette catastrophe est un accélérateur de la crise écologique car il n’y aura pas de retour à la «normale» dans une zone dont nous ne connaissons pas encore le périmètre. Elle sera aussi, espérons le, un accélérateur de l’impasse énergétique et du modèle économique et social sous-jacent.

RV : EN QUOI LA GRAVITE DE LA CRISE ECOLOGIQUE ET LE TEMPS DU MONDE FINI NOUS INVITENT-ILS A REVENIR A LA QUESTION DE LA NATURE ET A LA REPENSER PAR RAPPORT A LA TRADITION MARXISTE D'UNE NATURE SOUVENT SEPAREE DE LA SOCIETE ?

GA : Il est difficile de répondre à cette question brièvement. Tout d’abord le problème n’est pas celui de la séparation de la nature et de la société car cette séparation exprime simplement que les lois sociales, les institutions sont le fruit des choix humains, des rapports sociaux et non l’expression de lois naturelles. Mais cette séparation, dans la culture occidentale, est allée de pair avec l’idée que la domination, la maîtrise et la possession de la nature étaient les conditions de l’émancipation humaine et de la civilisation. Selon cette conception utilitariste, machinique et colonialiste, la nature est réduite à un objet passif, une res nullius, un stock de ressources à la disposition des humains. Marx n’a pas ignoré la part naturelle de la condition humaine, notamment quand il parle de la destruction par le capitalisme du travail comme interaction métabolique entre l’homme et la nature. Mais ce que retiendra la tradition marxiste, ce sont les lois scientifiques de l’histoire qui donnent au développement des forces productives un rôle émancipateur. Dans ce contexte, les limites imposées par la nature sont considérées comme des fantasmes réactionnaires ou des obstacles à franchir grâce à la science et la technique. Plus généralement, l’émancipation est comprise comme un arrachement aux conditions naturelles, à la nécessité. Plus largement les forces «progressistes» ont partagé ce déni de la part naturelle de la condition humaine. Ce que nous avons à retrouver c’est le lien fondamental des sociétés et des humains avec les écosystèmes dans lesquels il vivent.
 
RV : TU NOUS PROPOSES DE "RETROUVER LE COMMUN". POUR CELA, QUELLES SONT LES FORMES DE PROPRIETE QUE TU PRECONISES ET QUE PENSES-TU DE LA NOTION D'ALTERDEVELOPPEMENT, EN ALTERNATIVE A LA CROISSANCE CAPITALISTE ?

Le problème n’est pas la «croissance capitaliste», mais la croissance tout court. Cela ne signifie en rien qu’il faut arrêter de produire, cela signifie que les choix de production et de consommation sont des choix de société, des choix démocratiques, qui nécessitent une relocalisation des activités, une coopération entre les sociétés, l’acceptation des limites de la biosphère et de ses rythmes. Cela signifie aussi qu’il y a des modalités et exigences diverses en fonction des sociétés, des inégalités sociales qui ont atteint des sommets jamais égalés, une dette écologique immense accumulée par les pays industriels. L’alterdéveloppement (pour ne pas dire l’altercroissance) n’est-il pas encore un mot à particule comme développement durable, humain, soutenable et le cache-sexe d’un paradigme qui n’en finit pas ? Pourquoi ne pas lâcher prise (le développement est une invention occidentale), admettre l’échec et parler de bien vivre ?

Pour la propriété, qui est une question centrale, quand je parle de biens communs, c’est pour signifier que l’alternative à l’expropriation des biens communs n’est pas seulement la propriété publique-étatique ou la délégation de service public (puisque public et étatique sont généralement confondus même s’ils sont différents). Il existe des formes de propriété communautaire, des communautés d’usagers, qui se réapproprient les biens communs. C’est le cas pour l’eau, pour les semences, pour la terre, pour les forêts, mais aussi pour les biens communs de la connaissance et des biens communs sociaux, captés par les entreprises multinationales ou bradées par les États. Dans ces cas, la propriété ne signifie pas appropriation mais usage, entretien et restitution.

La référence à la communauté qu’induit la notion de communs pose problème, tant la culture occidentale a considéré les communautés comme des obstacles à la «modernisation», à la grande société comme disait Hayek. Les communautés subissent la même opprobre que celle subie par l’agriculture paysanne, par la gestion communale de l’eau par exemple. S’il est vrai que le communautarisme met en avant des communautés fusionnelles, sans conflit, autocentrées, de nouvelles communautés d’usagers existent bien, des communautés ancrées sur un territoire et ouvertes au monde, elles sont des sujets collectifs d’autogouvernement, de démocratie horizontale, qui lancent un défi à la marchandisation en se déclarant les usufruitiers de ressources non aliénables .
 
RV : EN QUOI LES RESISTANCES ACTUELLES LES PLUS SIGNIFICATIVES DESSINENT-ELLES UN AUTRE AVENIR POUR L'HUMANITE, ET QUE NOUS A DIT LE FSM DE DAKAR A CE SUJET ? LES FORUMS SOCIAUX A L'ECHELLE LOCALE COMME MONDIALE NE SONT-ILS PAS LES LIEUX IDEAUX POUR ECHANGER ET DEBATTRE DES QUESTIONS TRAITEES DANS TON LIVRE ?

GA : Le mouvement altermondialiste est une des réponses à la globalisation du capitalisme et à la globalité de sa crise actuelle. À ce titre le forum de Dakar a marqué une étape car au-delà de la crise du capitalisme, c’est la crise de civilisation occidentale qui a été mise en évidence. Ce forum a rendues visibles les résistances et les expériences, qui partout dans le monde, portent un changement de paradigme. Je pense en particulier aux luttes contre l’extraction des matières premières, contre les grands barrages, contre l’accaparement des terres : il ne s’agit pas dans ces cas seulement de la demande d’une justice redistributive mais de résistances à l’expansion capitaliste et de mise en œuvre de voies alternatives. Plus généralement, les forums sociaux locaux, articulés avec les forums globaux, montrent qu’il n’y a pas de séparation entre le local et le global, chaque lutte locale, expérience locale, exprime la globalité des questions soulevées et des enjeux.

Quant à mon livre, j’ai tenté en l’écrivant de restituer la force des mouvements et des résistances, souvent sous-estimés, et qui indiquent les voies à emprunter dès aujourd’hui. Les autres mondes que nous voulons ne sont pas des mondes abstraits pour les générations futures, ils sont déjà là et ne demandent qu’à être élargis pour prendre tout leur sens politique. Comme l’écrit Vandana Shiva, nous avons à résister à la monoculture de l’esprit qui, en oubliant la diversité, fait disparaître les alternatives et crée le syndrome du «manque d’alternative».

* Geneviève Azam est présidente du conseil scientifique d'ATTAC.

UNE PRECIEUSE CONTRIBUTION
AU PROJET ALTERNATIF *

Placé sous le signe d'une citation de Paul Valéry, "Le temps du monde fini commence", le livre de Geneviève Azam, nous conduit pendant deux cents pages dans le labyrinthe d'une réflexionapprofondie et inquiètemais passionnante sur notre époque.
Fini, notre temps l'est doublement ; du point de vue de la nature, qu'elle nomme la Terre, et du point de vue de la société.

C'est parce que l'humanité a refusé de le voir qu'elle inflige catastrophe sur catastrophe à la nature et que ses sociétés ont été ravagées au 20e siècle comme jamais auparavant (nazisme, goulag, Hiroshima...). Geneviève Azam parle "d'effondrement" pour ne pas reprendre à son compte quelques illusions telles que la disparition programmée du capitalisme (qui relève d'uneinterprétation mécanique de Marx), l'attente du grand soir (chère à une tradition d'extrême-gauche guettant la répétition de la Révolution russe d'octobre 1917) ou la fin de l'histoire (décrétée par l'historien américain Fukuyama après l'effondrement du « bloc soviétique » et l'existence d'un consensus mondial en faveur de la démocratie libérale). L'auteure parle « d'effondrement » pour une autre raison encore : il s'agit de se dissocier de la dialectique "d'un avenir meilleur enfanté dans le mal présent" qu'elle attribue de façon trop rapide au marxisme, mais aussi pour noter les logiques d'autres possibles.

L'imaginaire capitaliste est aujourd'hui épuisé, ainsi que l'imaginaire "progressiste" qui tentait d'inventer un autre futur en améliorant le modèle capitaliste.

Ce qui a joué contre l'acceptation lucide de la finitude du monde, nature et sociétés, c'est la marchandisation généralisée, le libre-échange porté à l'absolu par le néo-libéralisme, et du point de vue idéologique, le progrès technique considéré comme valeur morale. Geneviève Azam s'arrête sur la question de la nature et elle revient à la pensée très répandue à gauche, selon laquelle l'invocation de la nature dans le champ politique et social est synonyme de réaction et le signe d'une sous-estimation réactionnaire des rapports sociaux. L'imprégnation de cette pensée explique pour une large part, pour l'auteure, la fuite en avant de la gauche dans la foi dans le progrès technique, voire le scientisme et ce qu'on appelle le productivisme. Ce faisant, la nature n'est ni magnifiée ni fantasmée par Geneviève Azam, elle est remise à sa place et articulée à l'humanité ; et c'est ce qui permet d'envisager d'une manière différente l'émancipation humaine.

Au bout du compte, la finitude a été niée et le monde de la finitude réelle détruit. "... la vie s'objective sous forme matérielle et se trouve privée de sens et d'imaginaire, le symbole quitte la condition humaine... le vivant humain est réduit à une chose... La fabrication programmée se substitue au mystère de l'existence" (page 57) "La vie elle-même devient une fabrication, le vivant pouvant être déconstruit, reconstruit et amélioré à loisir" (page 59). Le commun est détruit et la politique en même temps, ce qui rend possibles les sociétés totalitaires. Le creusement des inégalités et la dégradation des écosystèmes vont d'un même pas.

C'est l'échec du capitalisme et plus largement des projets qui ont confondu autonomie et liberté avec domination de l'humanité sur la Terre et arrachement des humains à la Terre.

Un nouveau projet d'émancipation ne peut se contenter un autre régime de propriété et d'une autre répartition des richesses mais doit fonder d'autres normes (telles que laisser le pétrole dans le sol au lieu de prévoir son exploitation), retrouver le commun et avec lui la réappropriation du monde et la démocratie, le commun étant défini comme la dépendance des humains entre eux et vis-à-vis de la Terre. Les mouvements d'émancipation doivent entreprendre un changement d'imaginaire, l'émancipation devant alors se définir non seulement comme le conflit entre capital et travail mais aussi et de manière articulée et avec le souci de la Terre ; par exemple la réduction du temps de travail -dont la dimension écologique (1) n'a pas échappé à l'auteure- permet d'habiter le temps.

Pour étayer son propos, Geneviève Azam prend le parti de s'appuyer sur les expériences en cours en Amérique latino-indienne, et débattues dans le mouvement altermondialiste, qui illustrent sa problématique et jouent aujourd'hui à l'échelle mondiale un rôle important : ces expériences, davantage que tous les écrits et tous les discours, donnent à voir le contenu d'un projet de société alternatif au capitalisme (2).

Réintroduire consciemment la finitude, qui n'a jamais disparu mais a été et continue d'être niée, voilà le fil d'Ariane. "... la Terre a sa vie propre indépendante de vouloir ou du faire des humains... L'éthique et la politique ne concernent plus seulement les rapports entre humains "elles ont à inclure les rapports des humains à la Terre."

Voilà l'essentiel de ce livre qui manifeste avec force les exigences d'un projet quenous appelons rouge et vert. C'est pour tenter d'en approfondir certains aspects etpour contribuer à l'élaboration politique nécessaire, dans le droit fil de ces exigences, que nous avançons les remarques suivantes.

Ce que nous appelons « le vert » est bien documenté, et ne se confond jamais avec un paradigme écologique (3) et ses conséquences tout aussi réductrices et messianiques que l'étaient celles du paradigme rouge du vieux mouvement ouvrier d'hier. Par contre, ce que nous appelons « le rouge » souffre parfois de remarques trop rapides. C'est entendu : Marx et Engels ont sous-estimé la dépendance de l'économie vis-à-vis de la nature, et leur dialectique des forces productives et des rapports de production verse dans l'économisme en faisant silence sur une notion aujourd'hui cruciale, la transformation des forces productives en forces destructrices. Ils ont vu le capitalisme comme s'il n'avait pas d'extérieur : la question des limites ne pouvait donc être posée sérieusement ; les échanges entre capitalisme et nature ne sont pas oubliés mais vus seulement sous l'angle de l'entrée dans la machine à faire du profit.

Cette indifférence à l'extérieur n'invalide pas les analyses de l'intérieur du monde capitaliste. Et si l'on cite leur œuvre, on ne peut en citer seulement les manques et les illusions ; elle contient une richesse d'analyses dont la nécessaire synthèse rouge etverte a bien besoin aujourd'hui, non comme rappel de principes, mais, débarrassée de ses interprétations mécanistes, centralistes et fossilisées par le stalinisme et le « marxismed'Etat », comme incitation à penser nous-mêmes l'effondrement et son issue.

C'est ainsi que le monde d'où fuient le sens et le symbolique est analysé par Marx comme étant le monde du nihilisme capitaliste, "contradiction d'un non-sens absurde" qui consiste à ne plus produire en premier lieu pour la valeur d'usage ; que le consumérisme qui donne lieu aujourd'hui à tant de discours moralisateurs est replacé dans le schéma général de la recherche du profit et analysé comme une conséquence de la surproduction capitaliste, cette surproduction doit avoir pour pendant une sur-consommation, « la consommation pour la consommation doit faire face à la production pour la production ». Voilà de quoi dans les deux cas ne pas se tromper de cible.

Surtout, la véritable entrée dans la pensée de Marx ne peut plus être la "dialectique" des forces productives et des rapports de production, mais comme dans "Le capital", l'analyse de la marchandise et de la marchandisation comme raison d'être du capitalisme, de ses crises et de ses désastres. Nous y sommes en plein. Que l'on songe seulement aux salariés victimes de la marchandisation ultra-libérale qui retournent leur violence contre eux. (4)

Le point fort du livre est son propos même. Réintroduire la finitude dans un projet d'émancipation n'allait pas de soi.
D'une part parce que cette idée a souvent été instrumentalisée par l'extrême droite sur le thème de la terre et des morts, de "la terre qui ne ment pas" chère à Pétain. D'autre part parce que le "progressisme" a eu tendance à penser qu'au-delà d'un certain seuil de développement les difficultés tombent d'elles-mêmes. Plus tard, ce sera mieux, il faut seulement aller plus loin, plus haut, plus vite. Or c'est toujours dans un ici et maintenant que les catastrophes surviennent et cet ici et maintenant est fait de la nature et de la société. Geneviève Azam marque avec clarté qu'aux antipodes de tout "naturalisme social", il ne s'agit pas de considérer que la société est une organisation naturelle. Les inégalités, dit-elle, ne sont pas des lois naturelles. Pour employer un vocabulaire qui n'est pas le sien, ne pourrait-on dire que toute société a bien un support naturel et territorial, mais qu'elle a sa propre base historique et sociale. Et ce support pourrait bien se dégrader au point de réduire les sociétés à des phénomènes de survie (Tchernobyl). La finitude et les notions qui lui sont liées comme l'auto-limitation, la sobriété, semblent bien indispensables non seulement à la survie de la planète, c'est aujourd'hui d'une évidence dramatique, mais aussi, à condition d'être pris en compte dans une perspective autogestionnaire -à laquelle l'auteure faitune allusion (4), sans aller plus loin, ce qui est dommage-, à l'émancipation sociale. C'était moins évident, et c'est la cause que Geneviève Azam plaide et qu'elle gagne : son livre est une contribution précieuse aujourd'hui pour toutes celles et tous ceux qui sont attaché-e-s à l'élaboration d'un projet alternatif.

* Bruno Della Sudda et Romain Testoris
Militants Alternatifs dans les Alpes-Maritimes

Notes
1 - Revendication historique du mouvement ouvrier depuis la seconde partie du XIX° siècle, la « RTT » est rarement justifiée pour des raisons écologiques, alors qu'elle l'a été par des secteurs de la CFDT dans la décennie des années 1970 puis par les écologistes de gauche et la gauche alternative, et en particulier les Alternatifs. Sur cette dimension très importante de la RTT, on peut se reporter aux travaux de Jean-Marie Harribey.

2 - A noter que ces expériences ont été largement évoquées dans le cadre du FSM de Dakar (voir numéro spécial de Rouge et Vert consacré au bilan du FSM de Dakar)

3 - Vision selon laquelle l'essentiel de la compréhension du monde et de son histoire s'explique par l'écologie et l'essentiel des problèmes de la planète se résoudra par l'écologie.

4 - Partant des expériences alternatives de relocalisation de la production, mais aussi des reprises d'entreprises en faillite, d'occupations de friches et de terres, en réponse à la crise, Geneviève Azam signale que « l'autogestion retrouve un certain lustre ». Le retour de l'autogestion ne lui a donc pas échappé !

5 - Entraînée par sa lecture vigilante, mais peut-être réductrice de Marx, Geneviève Azam ne commet-elle pas une contre-sens à propos de la citation de Marx qu'elle fait page 179 ? : "Pour que la bourgeoisie devienne une puissance "insupportable", c'est-à-dire une puissance contre laquelle on fait une révolution, il est nécessaire qu'elle ait fait de l'humanité une masse totalement "privée de propriété" qui se trouve en même temps en contradiction avec un monde de richesse et culture existant réellement..." "L'idéologie allemande". Elle commente : "... ce texte traduit une manière de voir la propriété, en soi, comme un frein à l'émancipation. Il fait en effet de l'expropriation généralisée une condition de la révolution, car la propriété lie, attache, alors que la révolution doit arracher et faire table rase" (p 179). Or Marx ne fait que décrire l'expropriation des expropriateurs, et "nécessaire" signifie "historiquement nécessaire", au sens de condition historique, et non "moralement nécessaire", pour se débarrasser d'un lien. Un malentendu fréquent...

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