M. Colloghan

vendredi 22 octobre 2010

Débat autogestion : réponse à Thomas Coutrot

Suite à la parution de l'article de Thomas Coutrot "Repenser l'autogestion" dans Mediapart (voir lien ci-dessous), le collectif Lucien Collonges* a souhaité lui répondre.
http://www.mediapart.fr/club/blog/baptiste-bloch/090910/thomas-coutrot-repenser-lautogestion  

Nous partageons évidemment plusieurs des constats de Thomas Coutrot. En effet, il est parfaitement exact, pour reprendre ses propres termes, que "l'expérience montre que la récupération d'entreprises ne part pas d'un projet théorique, mais d'une obligation pratique". C'est une observation qui est dans le prolongement direct de toutes les expériences autogestionnaires du passé comme des pratiques autogestionnaires du présent, en Europe, en Amérique latino-indienne ou ailleurs dans le monde.
Cependant, quand Thomas manifeste son "scepticisme" sur le terme d'autogestion, l'argumentaire nous paraît discutable. D'ailleurs, devons-nous discuter d'un "terme" ou plus fondamentalement d'une stratégie, dite autogestionnaire, qui parte à la fois des besoins de répondre "en positif" aux licenciements, aux abandons, aux destructions d'entreprises et de collectifs et qui en même temps donne corps à l'aspiration à la démocratie, à la prise en main par les intéressé(e)s de leurs affaires ?
Il y a évidemment un risque d'enfermement du "collectif de travail fermé et focalisé sur sa propre subsistance", mais ce serait une attitude peu féconde que se se contenter de cette remarque au lieu de travailler politiquement et programmatiquement à partir du concret pour déclencher une dynamique de transformation à contenu autogestionnaire et progresser dans la voie d'un nouveau projet émancipateur.
La vision de l'autogestion que semble avoir Thomas ne nous semble pas du tout correspondre à la réalité du débat et des expériences autogestionnaires multiformes des années 60 et 70 qui ont nourri l'effervescence sociale et politique de cette période. Lip, conflit emblématique de ce moment, doit-il être seulement considéré au travers de la réappropriation de l'outil de travail alors qu'il a donné lieu à une remise en cause radicale des rapports sociaux dominants au sein du collectif de travail ? Et une telle vision réductrice correspond-elle, par exemple, à ce que nous voyons sous nos yeux en Amérique latino-indienne et dans les pratiques d'auto-organisation inspirées par le mouvement altermondialiste ?
A ces questionnements, nous répondons clairement : ni hier ni aujourd'hui, ni demain la problématique autogestionnaire - du moins celle que nous avons voulu illustrer dans notre livre - ne peut être réduite à la vision qu'en présente Thomas.
Si l'on examine de près les expériences autogestionnaires de la Révolution des Oeillets portugaise, de l'Unité populaire chilienne, et celle de l'expérience Solidarnosc polonaise de 1980/81, jamais l'autogestion n'y a revêtu ce caractère étriqué : l'imbrication sociale, politique, culturelle de l'entreprise à la vie du quartier ou de la commune, en passant par le mode de vie y était plus ou moins grande, mais toujours présente comme un fil rouge bien visible.
L'autogestion, telle qu'elle a été pratiquée et telle que nous l'avons toujours entendu n'a jamais été centrée sur le seul collectif de travail. Telle que nous la défendons, elle est à la fois projet de société et stratégie pour y parvenir. A Porto Alegre, par exemple, la participation autogestionnaire des citoyens-ennes, certes favorisée par le contexte politique, s'est centrée sur l'amélioration des conditions de vie, les infrastructures publiques et l'espace urbain. Si elle débute souvent dans son expression pratique sur le collectif de travail, c'est précisément parce qu'elle part d'une nécessité pratique, elle tend nécessairement dans nombre de circonstances à engendrer une dynamique sociale et politique (et aujourd'hui écologique) globale. C'est en tout cas le rôle des forces défendant un tel projet de poser les jalons de celle-ci. Nous renvoyons ici à ce qui aurait été possible au travers de deux exemples français assez récents pour être signifiants du possible et des nécessités: Lu et Lustucru.
Nous partageons totalement avec Thomas cet acquis altermondialiste qu'est la notion féconde de "bien commun" mais cette celle-ci n'épuise pas le sujet. Considérer ce qui relève du bien commun, dans l'acception la plus large est un enjeu majeur aujourd'hui, que nous devons évidemment relier à l'autogestion. Reste néanmoins la question : quelle est la démarche stratégique pour que la notion de bien commun devienne réalité, si ce n'est précisément la stratégie autogestionnaire ?
Thomas n'est pas le premier à ranger un peu vite au magasin des vieux accessoires l'autogestion alors même que, comme il le dit lui même, "la récupération des entreprises" intervient comme la volonté de gestion des "biens communs" et qu'elle surgit, aujourd'hui comme hier, dans les vides créés par le capitalisme.
L'autogestion n'est pas une vieille lune, mais une utopie concrète, à la fois le but et le chemin. Le débat continue !

Le 14 octobre 2010

* Coordinateur lu livre "Autogestion hier, aujourd'hui, demain" paru aux éditions Syllepse en mai 2010.

1 commentaire:

  1. bonjour Lucien Collonges !

    je souscris largement à ce que vous écrivez. Bien sûr la tradition autogestionnaire dépasse très largement le cadre de l'entreprise. Mais, comme l'indique le prédicat "gestion" (qui renvoie à la production), n'est-elle pas centrée sur l'acteur social "prolétariat", sur l'idée marxiste de la centralité des rapports de production dans l'organisation de la vie sociale et donc des stratégies de transformation sociale ? C'est cette centralité qui me semble devoir être rediscutée, y compris à la lumière des mouvements sociaux contemporains. Ainsi la révolution bolivienne s'est construite non pas autour des mineurs mais des luttes contre la privatisation de l'eau, bien commun, et pour la reconnaissance des peuples indigènes.

    c'est pourquoi le "prolétariat" doit selon moi céder la place à la "société civile démocratique" comme acteur de l'émancipation...

    Est-ce compatible avec une approche en termes d'autogestion ? Peut-être, mais au prix d'un tel toilettage, que je ne sais plus qui s'y reconnaîtrait.

    amicalement,

    Thomas

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