M. Colloghan

dimanche 13 juin 2010

Enlazando Alternativas 4 : Sommet alternatif des peuples à Madrid

Patricia Cavallera et Richard Neuville
Article paru dans Rouge & vert


En parallèle du sommet officiel Union européenne (UE) - Amérique latine et les Caraïbes (ALC) qui a réuni une soixante de chefs d’Etat, un sommet alternatif des peuples s’est tenu à l’Université Complutense de Madrid du 14 au 18 mai derniers. Après Guadalajara (2004), Vienne (2006) et Lima (2008), il s’agissait de la quatrième édition organisée par le réseau bi-régional « Enlazando alternativas » (Nouons des alternatives). Compte tenu des enjeux et de l’intérêt politique à participer à ce genre d’initiative, une délégation des Alternatifs était présente dans la capitale de l’Etat espagnol. Ce contre-sommet a été un succès indéniable du point de vue quantitatif au niveau de la participation (plus de 2500 militant-e-s associatifs, altermondialistes, féministes, syndicalistes et politiques représentant près de 150 organisations des deux continents) et qualitatif au niveau des débats. Pour ce bilan, nous avons retenu quatre actes auxquels nous avons participé : la session du Tribunal permanent des peuples, le forum d’ateliers autogérés, la manifestation et l’Assemblée des mouvements sociaux.





Le Tribunal permanent des peuples (TPP) (14-15 mai)

Le TPP a été créé en 1979 en Italie après l’adoption de la Déclaration universelle des droits des peuples (Algérie, 4 juillet 1976) et fonctionne sur le modèle du Tribunal Russell. Il ne s’intéresse pas uniquement aux états mais également aux peuples. Depuis sa création, il s’est prononcé -entre autres- sur la Banque mondiale (Madrid, 1994), sur les risques environnementaux et industriels comme dans le cas de Bhopal (Inde), les entreprises transnationales (Warwick, 2000), Coca Cola en Colombie (2003) et les violations des droits humains en Colombie (2006).

Après Vienne (il y a 4 ans), le TPP a tenu une session à Madrid dans le cadre du sommet des peuples. Alors que la précédente édition avait été axée sur les conséquences de l’action des multinationales, cette fois-ci ont été ajoutés les institutions, les politiques et les acteurs de l’UE qui se rendent complices de l’accroissement du pouvoir et de l’impunité avec lesquelles opèrent les entreprises transnationales. De cette manière, il s’agissait d’engager le débat sur les multinationales qui violent les droits humains en termes de « crimes contre l’humanité ». Le TPP réunissait une douzaine de jurés des deux continents, dont Nora Cortiñas de Association des mères de la Place de Mai (Argentine), Blanca Chancoso, ex dirigeante de la CONAIE (Equateur), Judith Brown Chomsky (USA), Gustave Massiah du Centre de recherche et d’information pour le développement (France). Au cours de la session, vingt-six cas ont été présentés, chacun a fait l’objet d’une audition sous la forme de plusieurs témoignages de représentant-e-s des populations affectées par l’action des multinationales d’origine européenne. La plupart portaient sur la surexploitation des ressources naturelles, la destruction de l’environnement, l’invasion des territoires des populations autochtones et à la disparition de la petite paysannerie (OGM, Propriété de la biodiversité, interdiction de médicaments génériques), les conséquences sanitaires et les conditions de travail. Retenons notamment ceux de Aguas de Barcelona – Suez au Mexique, Banif – Santander – GDF Suez qui réalisent des barrages gigantesques avec des conséquences environnementales et des exclusions pour les populations indigènes brésiliennes et boliviennes, Gold Corp Inc. (appartenant notamment à des fonds de pension publics norvégien et suédois) qui exploite du minerai à ciel ouvert au Guatemala avec de graves conséquences sanitaires pour les populations, l’Union européenne et les groupes pharmaceutiques tels que Sanofi-Aventis qui engagent des procès pour obtenir l’interdiction de la commercialisation des médicaments génériques ou Repsol qui exploite des champs de pétrole en outrepassant ses droits avec des impacts importants pour l’environnement, la vie et la culture des indiens Mapuches en Argentine, etc.

Le TPP a rendu sa sentence le 17 mai. Dans un document de trente pages, il propose de dénoncer devant l’opinion mondiale l’attitude des multinationales, de l’UE, des institutions internationales et demande aux pays de l’ALC de garantir la souveraineté et la dignité des peuples ; il fait des recommandations aux mouvements sociaux et propose les mesures suivantes :
1. la protection effective des défenseurs des droits humains en respectant les résolutions de l’ONU et en rappelant les obligations des états et de l’UE ;
2. la suspension des projets envisagés sur les territoires indigènes qui n’ont pas reçu le consentement des populations ;
3. la suspension des processus de conclusion des traités commerciaux ou d’investissements en cours de négociation entre l’UE et les pays de l’ALC ;
4. la suspension des mégaprojets comme ceux : d’Endesa/ENEL en Patagonie chilienne, le barrage sur le rio Sogamoso en Colombie impulsé par Impregilo, l’exploitation des mines de charbon impulsée par Unión FENOSA/Gas natural au Guatemala, etc.
Le document est consultable en castillan avec le lien suivant :


Le forum des ateliers autogérés (15 - 16 mai)
Le forum proposait 85 ateliers, qu’il serait de nouveau fastidieux d’énumérer mais retenons pêle-mêle quelques problématiques abordées qui dépassaient largement le constat et s’efforçaient d’esquisser des alternatives : Quelle dépendance dans le cadre des relations libres commerciales entre l’UE et l’ALC ? Quelles sont les implications du traité de Lisbonne ? Quelles stratégies de gauche en AL ? Quelles alternatives au système financier (BCE // Banco del Sur) ? Quelles alternatives aux médias dominants ? Quelles alternatives économiques pour l’égalité de genre, la justice sociale et le développement soutenable ? Quel type de démocratie participative et de pouvoir populaire (des budgets participatifs aux conseils communaux) ? Quelle stratégie pour une souveraineté alimentaire ? Quelles résistances aux guerres de basse intensité et à la militarisation de l’AL ?, etc.
Les ateliers sur la situation au Honduras depuis le coup d’Etat de juin 2009 et les élections tronquées de novembre, la Colombie dans lequel intervenait la sénatrice Piedad Cordoba, inlassable médiatrice de la paix avec les FARC et l’ELN et la proposition du gouvernement équatorien présidé par Rafael Correa concernant le gel de l’exploitation du pétrole en zone amazonienne en échange de compensation financière des pays riches ont retenu toute notre attention.


La manifestation (16 mai)
Elle se déroulait en plein cœur du quartier madrilène financier et politique puisqu’elle empruntait la Calle de Alcalá entre la Plaza de Cibeles (tout près de Banque d’Espagne) et la Puerta del Sol. Le cortège très animé s’est ébranlé sur un parcours très court (800 mètres) et a réuni 12 000 à 15 000 personnes. Dans un contexte de crise profonde de l’Etat espagnol et suite aux décisions antisociales promulguées par le gouvernement de Zapatero, Il a reçu le renfort important de la CGT (syndicat anarcho-syndicaliste), qui représentait près de la moitié des effectifs et plus modestement de l’arrivée des marches contre l’Europe du capital Lisbonne-Madrid et contre le chômage de l’Etat espagnol. En dehors des délégations des mouvements sociaux impliqués directement dans le réseau bi-régional Enlazando Alternativas : La Via campesina, CADTM, France Amérique latine, ATTAC, Ecologistas en acción, Mouvement des sans-terres, Fédération Artisans du Monde, Les Amis de la terre, Solidaires, etc., on relevait un cortège important de la Gauche anticapitaliste (IA), renforcé par Olivier Besancenot et d’une trentaine de militant-e-s du NPA, suivi de celui de la Gauche unie (IU) où avait pris place les militant-e-s du Parti de gauche (PG), du Parti communiste portugais (PCP) et enfin le Parti communiste des peuples d’Espagne (PCPE) clôturait la marche avec un groupe conséquent.


L’Assemblée des mouvements sociaux (16 mai)
Comme lors des forums sociaux, cette assemblée s’est réunie à l’occasion du Sommet des peuples. Dans leur déclaration finale, les mouvements sociaux rappellent :
- leur recherche d’alternatives au modèle néolibéral et aux traités de libre échange et exprime leur capacité à construire un dialogue politique et social entre les peuples ;
- le contexte de crise économique et les plans d’ajustement pour défendre les intérêts du grand capital, comme en Grèce, en Espagne et au Portugal ;
- les évolutions en Amérique latine où des gouvernements progressistes ont été élus et sont plus sensibles aux exigences des mouvements sociaux ;
- le rejet du traité de Lisbonne qui renforce le modèle d’intégration antidémocratique et capitaliste, qui privatise les services publics et constitue une Europe forteresse.
Et déclinent en dix-huit points les axes de lutte comme par exemple : la poursuite du processus de Cochabamba sur la justice climatique ; la rupture des relations diplomatiques et financières avec le gouvernement hondurien ; la défense de la souveraineté alimentaire ; la défense de la démocratie participative, directe et plurielle et le rejet de la criminalisation sociale ; le rejet de la militarisation (construction de 7 bases US en Colombie) ; le rejet des politiques migratoires de l’UE ; le soutien des revendications des peuples originaires et la défense du Bien vivir ; et contre la violation des droits humains en Colombie, au Honduras, au Pérou, au Guatemala et au Mexique.
Déclaration consultable en castillan avec le lien suivant :


Le sommet des peuples de l’UE et l’ALC, préparé de longue date par les organisations espagnoles et françaises du réseau bi-régional a permis la réussite de cet événement. Il intervenait dans un contexte social paradoxal, avec d’un coté, une aggravation de la crise globale du capitalisme, dont l’Europe est le théâtre ces dernières semaines et où les résistances sociales sont faibles malgré les mobilisations en Grèce et, de l’autre, une contestation du modèle de domination néolibéral et une crise d’hégémonie de la bourgeoisie en Amérique latine. Alors que les mouvements sociaux européens ne parviennent pas à enrayer la logique néolibérale de l’UE, le changement de rapports de force en Amérique latine est surtout le produit de l’accumulation de forces sociales. Pour autant le continent de résistances anti-impérialistes que représente l’Amérique latine ne parvient pas à engager des ruptures anticapitalistes, la logique productiviste des projets d’intégration régionale s’avère plus prégnante que celle de l’ALBA (Alternative bolivarienne des peuples d’Amérique). Et, après une décennie de domination de la gauche, le retour des droites est plus qu’amorcé : victoire de la droite au Chili, coup d’Etat au Honduras, menace de putsch au Paraguay et invasion militaire à Haïti. Le pôle conservateur (Mexique, Colombie, Pérou et Panama) risque d’être renforcé en cas de victoire de la droite au brésil en novembre prochain. Dans ce contexte, L’UE et ses multinationales se lancent de nouveau à la reconquête de l’ALC. Lors du sommet officiel, l’UE a proposé aux pays de l’ALC plus de libre-échange, plus de dérégulation, plus de privatisations, plus de concurrence et la signature d’accord d’association bilatéraux avec les pays comme le Pérou et la Colombie et d’Amérique centrale (bloqué pour l’instant par le Nicaragua). C’était tout l’enjeu de ce sommet des peuples que de faire entendre une autre voix et de démontrer qu’un autre monde est possible.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire