M. Colloghan

samedi 3 mars 2012

Brésil : Occupation urbaine et coopérative solidaire « utopie et lutte »


Par Richard Neuville


A quelques centaines de mètres du Palais Piratini (siège du gouvernement de l’Etat du Rio Grande do Sul) et de l’Assemblée législative régionale et, non loin du centre historique, un immeuble imposant, situé sur une des avenues principales de Porto Alegre, attire l’attention. Sur la façade fraichement repeinte, les inscriptions « Assentamento urbano Utopia e luta » et « Coopsul » surplombant les fresques murales du rez-de-chaussée dissipent tout malentendu quant à l’interprétation, il s’agit bien d’un immeuble occupé et autogéré. Les nombreux va-et-vient attestent d’une activité bien perceptible du lieu.

Nous franchissons le pas de la porte pour en savoir plus sur le fonctionnement de ce lieu autogéré. Nous sommes accueillis par Paula qui s’affaire à la boulangerie et lui expliquons l’objet de notre visite. Quelques minutes plus tard, nous rencontrons Eduardo Solari, uruguayen et cheville-ouvrière du collectif. Il nous entraîne dans le local qui sert de salle de spectacle et de réunion pour les différentes assemblées et nous relate l’historique de l’occupation et le fonctionnement du lieu avant la visite.

Tout débute en 2005, à l’occasion du forum social mondial (FSM), quand plusieurs mouvements sociaux (dont NoVox) décident d’occuper l’immeuble désaffecté, il s’agit en fait d’une ancienne annexe d’hôpital. A la même période, en parallèle des occupations de terre, près de 300 logements seront successivement occupés dans tout le Brésil mais celui-ci est le seul à avoir pu se maintenir. Eduardo nous précise que la récupération s’est effectuée dans un contexte favorable et a bénéficié à l’époque de la bienveillance du ministre de la Ville et ancien gouverneur de l’Etat, Olivio Dutra. Pour Eduardo : « C’est une victoire qui représente un symbole d’autonomie et d’autodétermination populaire ».


Dans les années qui suivent, l’immeuble va être totalement rénové par des membres du collectif et des résidents du quartier. Sur sept étages, les grandes salles qui occupaient tout l’espace des différents niveaux sont aménagées en studios et salles d’activités. L’ascenseur est remis en service. Les cages d’escalier sont ornées de fresques. Au rez-de-chaussée, outre la boulangerie et l’accueil-vente, on trouve une bibliothèque, une salle informatique et la salle de spectacle. La terrasse sur le toit permet de produire diverses plantes médicinales. Tout récemment, en juin 2011, une serre a été installée et équipée d’un système hydroponique, qui permet d’assurer la production de salades, de légumes, de fruits, d’herbes et d’épices pour 150 familles du quartier et de l’immeuble. Il s’agit de la première expérience en terrasse urbaine à une telle échelle au Brésil. Aujourd’hui, plus d’une centaine de personnes occupe et loge en permanence dans l’immeuble.

Fresque intérieure

Le lieu est géré par une coopérative « mixte et solidaire », intitulée « Occupation urbaine Utopie et Lutte » (COOPSUL). Cette entité regroupe les résident-e-s de l’immeuble, des travailleur-se-s et des familles du quartier disposant de bas revenus. Elle ne vit pas recluse, elle est parfaitement intégrée dans le quartier et a développé un partenariat avec différentes structures associatives (Les Amis de la terre), universitaires (Université fédérale du Rio Grande do Sul), syndicales (Syndicat des métallurgistes) pour développer des activités.

Coopsul

Un projet global, intitulé « création d’alternatives et de gestion soutenable » a été initié par COOPSUL dans le but de réaliser des actions d’inclusion sociale en faveur des personnes à faibles revenus, dans un « souci de solidarité de classe » et par le moyen d’alternatives afin de générer des revenus et des possibilités d’emploi. Celui-ci est parrainé dans le cadre du programme Petrobras Développement et Citoyenneté. Il s’agit de proposer une alternative réelle permettant de garantir la dignité et les droits basiques des résident-e-s du quartier à travers différentes activités organisées dans les ateliers de production, tout en générant des ressources et en dispensant des cours de formation professionnelle :


Serre hydroponique
- le jardin hydroponique produit des légumes et des fruits biologiques. Cette innovation technologique permet d’accroître la production tout en échappant à l’agrobusiness et au système de distribution de plus en plus concentré ;

- la boulangerie produit les « pains de la liberté et de l’autogestion » de différentes variétés et saveurs, ainsi que des gâteaux et des tartres salées biologiques. Elle fonctionne en lien avec d’autres entreprises solidaires ;

- l’atelier textile dispose d’une ligne complète de machines permettant aux résidents du quartier de recevoir une formation en coupe, en couture et en finition, de modéliser des vêtements pour produire des sacs, des chemises, des bandanas ;

- la blanchisserie communautaire permet de limiter et de mutualiser l’utilisation de l’eau et des produits chimiques, de produire son propre savon liquide, de recycler et d’échanger des vêtements ;
Vente de gâteaux
- l’atelier sérigraphie développe ses propres marques et gravures et produit des affiches, des banderoles et des autocollants. Il est utilisé par différents groupes autonomes et il est devenu un espace de référence culturel et artistique.

Au cœur du projet figure également la formation citoyenne. Celle-ci porte notamment sur les bonnes pratiques en matière de santé, la sécurité et la prévention des travailleurs, la viabilité économique des produits développés, l’autonomie des travailleurs, la formation à l’entrepreneuriat et à l’économie solidaire mais également sur l’éducation environnementale, les pratiques de coopération et de solidarité, le développement de la participation citoyenne, le genre et l’égalité raciale, etc.

Le collectif propose une programmation et des ateliers artistiques. Il publie un journal « Utopia e luta » qui relate aussi bien les activités de COOPSUL que les luttes sociales locales ou les enjeux environnementaux, comme ceux du prochain sommet de Rio+20.

Au sein de cette occupation urbaine, les conditions existent donc pour produire sa propre nourriture, confectionner ses vêtements, se divertir, s’éduquer et retrouver sa dignité. Cette autosuffisance prévient l’exclusion économique et garantit le maintien des personnes en centre-ville.

Utopia e luta est également engagé dans les luttes sociales, environnementales et solidaires, il initie ou est partie prenante de nombreuses mobilisations aux niveaux local et national. Il développe des liens avec d’autres collectifs au Brésil et en Amérique latine et il est intéressé pour multiplier les échanges à travers le monde.

Manifestation du Forum social thématique

Pour Eduardo, cette occupation urbaine constitue à la fois « un rêve d’utopie et un mouvement de lutte, qui à partir de l’occupation, permettent de préserver la flamme de l’autogestion dans la durée pour les communautés impliquées dans ce projet ».

Richard Neuville

Pour en savoir plus
Les sites du collectif et de la coopérative (en portugais)

(Photos Richard Neuville sauf la dernière d’ Utopia e luta)
cet article a été rédigé pour sur le site de l'Association pour l'Autogestion le 1er mars 2012 :


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