Intervention Congrès Marx International VI
Université Paris Ouest Nanterre - la Défense
Atelier 7 : Autogestion : expériences actuelles
Samedi 25 septembre 2010
Richard Neuville *
Venezuela : Dans quelle mesure, les travailleurs contribuent-ils à l‘approfondissement et à la radicalisation du processus révolutionnaire ?
Le pouvoir bolivarien a mis en place des mécanismes de démocratie active au service de la justice sociale, qui se sont traduits par une grande implication des classes populaires dans la gestion des programmes sociaux et au sein des conseils communaux. L’exercice d’un pouvoir populaire a permis l’émergence d’une culture politique et la politisation de vastes secteurs de la population.
Parallèlement, le gouvernement a mis en œuvre ou impulsé différentes formes de socialisation de la production (coopératives, entreprises de production sociale, nationalisations). Les travailleurs se sont-ils réellement approprié ces outils ? Exercent-ils vraiment un réel pouvoir de contrôle dans une perspective anticapitaliste et autogestionnaire ?
1. Essai de caractérisation du processus
1. Essai de caractérisation du processus
Depuis un peu plus d’une décennie, le processus bolivarien se caractérise par une rupture radicale avec le modèle dominant au Venezuela car il conteste l'hégémonie de l’Empire et le modèle néolibéral. L’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez Frías en février 1999 a incontestablement permis de changer la vie de millions de vénézuéliens. Les structures institutionnelles, économiques et sociales du pays ont été transformées, tout en inscrivant la participation active au cœur du processus. Le processus s’est indéniablement « radicalisé grâce à la mobilisation exemplaire du mouvement populaire », particulièrement au cours de la période 2003-2005 (Lander 2009).
La force de Chávez est d’avoir su créer à la fois un lien vertical avec le peuple et un lien horizontal en développant à la base des mécanismes de démocratie participative : mise en place des conseils locaux de planification publique (2002), des missions sociales (2003), coopératives (2004), développement endogène, conseils communaux (2006), etc. au service de la justice sociale (Neuville 2010).
Mais cette participation active et cette redistribution des subsides du pétrole s’est-elle réellement traduite par une nouvelle répartition des richesses et a-t-elle impulsé un développement équilibré et durable à l’échelle du pays ? Au-delà des réalisations concrètes bien réelles, il convient de se poser la question de la pérennité de l’action. L’apparition d’une nouvelle bourgeoisie (la boli-bourgeoisie), la corruption et la bureaucratie sont des facteurs susceptibles d’entraver le modèle de développement. La permanence d’un état rentier largement dépendant du pétrole qui redistribue les ressources sans créer les conditions d’un développement durable peut entraver la pérennité du processus (Sintomer 2009).
Le processus en cours est défini comme « une révolution sui generis » (Harnecker 2004), idéologiquement non défini. Il n’est pas dénué de profondes contradictions et le discours officiel sur le « socialisme du XXIe siècle » dessine un panorama plus que nuancé (Sintomer 2009 : 218). Selon E. Lander, il ne constitue pas une « doctrine stable ou un corpus de concepts » (2009). Et, Steve Ellner s’interroge même sur les objectifs de la révolution (2009).
Pour Hugo Chávez : "Il s'agit de commencer à ouvrir le chemin de la construction d'une société socialiste où le peuple et la grande majorité populaire sont les protagonistes, afin qu'ils soient la force et l'organisation de celle-ci, qu'ils indiquent la direction et définissent les objectifs" (Acosta 2007). Ce « concept » vague repose officiellement sur trois axes précis : l'accent mis sur la démocratie participative par rapport à la représentative, la priorité accordée à l'économie sociale et au développement endogène. Mais quelle réalité recouvre ces deux derniers ?
2. L’exercice d’un pouvoir populaire
La notion de souveraineté populaire - souvent énoncé par Hugo Chávez - et ses conséquences que sont la démocratie directe et le mandat impératif ont été des constantes dans la plupart des révolutions, de 1848 à la Commune de Paris de 1871, des conseils ouvriers de 1917 à l’autogestion pratiquée en Catalogne en 1936 ou plus récemment par l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca au Mexique.
Ces notions de pouvoir populaire et de double pouvoir suscitent des débats au sein de la gauche vénézuélienne. Les Conseils communaux constituent une première étape dans l’affirmation d’un pouvoir local, populaire et citoyen, qu’il convient sans doute d’approfondir pour parvenir à une véritable dualité du pouvoir. Ce sont des outils de pouvoir populaire qu’il faut renforcer. L’histoire du double pouvoir vénézuélien est inhérente à la nature de la relation instaurée entre Chávez et le peuple depuis 1992 et renforcée lors des étapes cruciales du processus.
Mais l’Etat bolivarien est loin d’être une unité homogène. Le rôle ambigu de certains secteurs de l’appareil d’Etat dans la promotion d’un double pouvoir rend ces menaces complexes et difficiles à cerner. Le développement endogène local et l’abandon d’une économie basée sur les matières premières sont donc essentiels.
Des conseillistes, comme Roland Denis, estiment que les organisations de base vénézuéliennes et, notamment les conseils communaux, doivent parvenir à l’autonomie « absolue » face à l’Etat et au parti. Le double pouvoir doit « se transformer en stratégie permanente en accord avec la nécessité d’organisation d’un pouvoir socialisé et non étatiste ». Il convient donc d’accélérer la démocratisation : « Dès maintenant, il est indispensable que des facteurs déterminants confortent la consolidation de l’autonomie politique des organisations et collectifs qui constituent aujourd’hui la base et l’âme du processus révolutionnaire » (Denis 2006 : 35).
Steve Ellner (2009) nuance en considérant qu’avant l’élection de Chávez en 1998, le Venezuela manquait de mouvements sociaux comme ceux qui ont permis les élections d’Evo Morales en Bolivie et de Rafael Correa en Equateur. Pendant plusieurs années, les associations de quartier et le mouvement coopératif étaient indépendants de l’Etat mais ne prospéraient pas ; ils ne jouaient pas un rôle fondamental dans l’amélioration des conditions de vie des vénézuéliens. En revanche, l’injection de sommes d’argent importantes dans les conseils communaux et les programmes sociaux ont permis de stimuler les secteurs marginaux et de leur donner les moyens de contrôler leurs vies.
3. Une socialisation croissante de la production
La participation populaire exemplaire dans la mise en œuvre et la gestion des missions sociales et des conseils communaux ne peut résoudre à elle-seule les difficultés structurelles en termes de développement économique : mise en œuvre d’une agriculture soutenable à travers l’exploitation des terres disponibles, modernisation de l’appareil productif du pétrole, diversification et reconversion de l’industrie, etc.
Pourtant, le pouvoir a tenté d’innover avec la Constitution de 1999 qui permet la mise en place de différents types d’instance de participation à la gestion, il a adopté différentes lois et plusieurs plans : loi sur les coopératives (2001), la mission « vuelvan caras »(2004), le Plan national Simon Bolivar (2007-2013), la loi sur le développement de l’économie populaire (2008), le Plan Guyana socialiste (2009-2019). L’objectif est de réduire la « subordination du travail au capital » qui « peut être supplanté par l’association des producteurs libres » (AIT et le travail coopératif, 1867).
La constitution adoptée en décembre prévoit des instances de cogestion et d'autogestion à travers la "participation des travailleurs à la gestion des entreprises publiques" et la "gestion d’entreprises sous forme coopérative et d’entreprises communautaires de service pour favoriser l’emploi" et "toute forme associative guidée par des valeurs de coopération mutuelle et de solidarité". (Art. 184) Mais à l’instar de ce qu’exprimait Henri Lefebvre (1966), les deux conceptions : cogestion et autogestion ne sont-elles pas contradictoires.
La loi sur les coopératives de 2001 a dans un premier temps des effets limités, mais à partir de 2004 et la mise en œuvre du « nouveau modèle de développement », ces structures connaissent un véritable essor. Le mode de développement est défini comme « endogène » (concept défini par Oswaldo Sunkel 1993) et il est axé prioritairement sur l’économie sociale, en tant qu’option stratégique.
En mars 2004, la mission Vuelvan Caras est lancée pour combattre la pauvreté et créer de l’emploi. Il s’agit de « changer le modèle économique, social, politique et culturel du pays, afin de mettre en place un Etat de justice et de droit soutenu par un développement socio-économique endogène » (Harnecker 2005). En septembre 2004, le gouvernement institutionnalise le programme Vuelvan Caras, promeut les Nude (Noyaux de développement endogène) et coordonne le travail des institutions de crédit. Les coopératives sont considérées comme une composante essentielle « d’un modèle économique orienté vers le bien-être collectif plutôt que vers l’accumulation du capital » (Harnecker 2005). Elles constituent une « première brèche dans le système » dans lequel « l’antagonisme entre le capital et le travail est supprimé » (Marx, Le Capital, livre 3). A la base, notamment à Caracas et dans l’Etat de Guyana, des conseils autogestionnaires voient le jour dans le but de créer des réseaux productifs autogérés et des réseaux de distribution pour s’émanciper des réseaux capitalistes.
De 2001 à fin 2008, le nombre de coopératives passent de 1045 à 264 000 coopératives enregistrées et légalisées par la superintendance SUNACOOP mais beaucoup périclitent rapidement ou ne fonctionneront jamais. Seulement 63 000 étaient actives fin 2008 qui regroupent deux millions d’associés , soit plus que l’Argentine, le Brésil et la Colombie réunis. (cf. annexe 1)
En janvier 2005, le gouvernement décide d’exproprier des industries en cessation de paiement. (En priorité, celles ayant des dettes envers l’Etat ou ayant été abandonnées par leurs propriétaires). Le MINEP est chargé d’appuyer les travailleurs dans la prise de contrôle d’entreprises menacées par la banqueroute. Si une installation industrielle non utilisée est considérée d’utilité publique, une procédure d’expropriation est engagée qui prévoit une négociation sur la compensation financière avec les propriétaires. En collaboration avec l’Union nationale des travailleurs (UNT) , une liste de 700 entreprises, fermées ou en banqueroute, est dressée. L’Etat devient propriétaire de l’entreprise et cède 49 % des parts à la coopérative créée par les travailleurs. Ces entreprises sont gérées par un conseil de direction composé de représentants élus par les travailleurs et de personnes désignées par le gouvernement, sous le concept de cogestion. Les entreprises INVEPAL (papier) et Inveval (valves pour l’industrie pétrolière) sont gérées sur ce principe mais la cogestion entre l’Etat et les coopératives des travailleurs ne se passe pas très bien. (Neuville 2006)
En décembre 2006, les entreprises de télécommunications (CANTV) et d’électricité (Electricidad de Caracas) ont été nationalisées sans contrôle réel des travailleurs. Ces entreprises restent fortement bureaucratisées et le service rendu aux usagers n’est pas toujours à la hauteur de ce que l’on pourrait attendre (Rodriguez 2010).
Le gouvernement impulse l’idée d’un contrôle des travailleurs sur la gestion des entreprises publiques et récupérées. Mais force est de constater l’absence d’un fort mouvement de récupération des entreprises par les travailleurs.
Le plan national Simon Bolivar (2007-2013), plan de desarollo economico y social de la Nacion, fixe les grands axes des politiques publiques et pose les bases d’un nouveau modèle productif (NMP). Au Venezuela s’expérimentent ainsi de nouvelles relations entre les principes coopératifs et l’économie publique. Ce programme de socialisation de l’économie, pour la création d’une « économie populaire », cible spécifiquement des territoires et des champs économiques stratégiques. L’objectif visé est de parvenir à une répartition équitable des trois tiers entre le secteur public, le secteur de l’économie sociale et le secteur privé. (cf. annexe 2)
En juin 2008, la loi pour le développement de l’économie populaire est adoptée. Elle permet la création de nouvelles organisations socio-productives avec l’idée de créer une association étroite entre le secteur des coopératives et les instances exécutives du « pouvoir populaire » (conseils communaux mettant en oeuvre la démocratie participative locale). Cette loi qualifie d’« organisations socio-productives » les entreprises de distribution sociale, les groupes d’échanges solidaires, les entreprises communales ou de propriété sociale directe, les groupes de troc communautaire, ainsi que les entreprises de production sociale (EPS) . (cf. annexe 3) Elles correspondent d’une certaine manière aux sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) en France.
Courant 2008, le gouvernement a également annoncé la nationalisation du secteur du ciment qui jusque-là appartenait à trois transnationales (Lafarge-France, Holcim-Suisse et Cemex-Mexique) et nationalise l’entreprise de sidérurgie SIDOR.
En 2009, suite à la pénurie alimentaire organisée par la bourgeoisie et les multinationales, diverses entreprises : sucreries, laiteries, rizières ou produisant du café et de la farine de maïs ont été transformées en entreprises socialistes (Lacteos Los Andes — que la transnationale céréalière Cargill) et deux chaînes de supermarchés ont été nationalisées sous « contrôle ouvrier ». Ces nationalisations dans ce secteur ont été justifiées par la nécessité d’améliorer l’approvisionnement alimentaire de la population. La Banque du Venezuela, une des principales banques privées appartenant à Santander, est également passée sous le contrôle de l’État. Suite à la crise énergétique début 2010, l’entreprise nationale CORPELEC a été placée sous contrôle ouvrier et l’ancienne direction, jugée bureaucratique, a été écartée.
Toutes les nationalisations, comme celles qui ont précédées (secteur de l’électricité, télécoms, champs pétroliers de l’Orénoque...), « ont fait l’objet d’une indemnisation généreuse des propriétaires privés : le Venezuela utilise une partie de la rente pétrolière pour reprendre le contrôle de certains secteurs stratégiques de l’économie ». Le recours à l’indemnisation est justifié par le souci d’éviter des condamnations pour non-respect des traités bilatéraux sur les investissements signés par le Venezuela et le droit international (Toussaint 2010).
Le 13 mai dernier, un décret a entériné le Plan Guyana socialiste 2009-2019 et fait passer toute l’industrie extractive et métallurgique sous l’appellation d’« autogestion sous contrôle ouvrier » : La Corporación venezolana de Guyana regroupe 15 entreprises employant 18 000 travailleurs et représente l’axe économique et social d’une région incluant cinq états et plus de la moitié du territoire vénézuélien. Les travailleurs ont élu des délégués pour organiser la production, la commercialisation, les conditions de travail et la protection de l’environnement. Toutes les directions des entreprises ont été révoquées. L’objectif est de ne pas se contenter d’exporter les matières premières et les produits semi-finis mais de développer l’industrie manufacturière. Il s’agit de faire émerger de nouvelles organisations socio-productives participatives.
En privilégiant l’économie sociale, le gouvernement vénézuélien a opté pour des formes associatives de propriété et de contrôle. Les coopératives constituent un élément du nouveau modèle économique mais leur poids. Elles ont le potentiel pour remplir une série d’objectifs de la révolution bolivarienne, entre autres ceux de la lutte contre le chômage, de la promotion d’un développement économique soutenable, de la concurrence avec les entreprises capitalistes classiques et du développement du projet socialiste mais leur poids restent très faible. Pour autant, le poids du secteur privé dans le PIB demeure très élevé et a même progressé entre 1998 et 2008 en passant de 64,7 % à 70,9 % (Toussaint 2009)
Pour Victor Alvarez, ancien ministre des Industries, l’économie du Venezuela, membre fondateur de l’Opep, est intrinsèquement liée à la « capture de la rente pétrolière par un nombre réduit de personnes ». Cette « économie de port » fondamentalement inégalitaire n’a pas permis un développement économique durable (agriculture, industrie manufacturière, recherche et développement…). Le plan national Simon Bolivar est conçu comme une alternative au capitalisme rentier (absence de redistribution du capital dans le secteur industriel, latifundismo dans le secteur agricole) en démocratisant l’accès à la création de richesses par la redistribution des excédents au sein de territoires caractérisés par des déficits sociaux importants.
La transformation de la structure économique étant improbable à court terme, les mouvements révolutionnaires vénézuéliens doivent opérer comme ils l’ont fait pendant des décennies en avançant stratégiquement et en consolidant graduellement les conseils communaux comme un double pouvoir viable, capable de lutter avec l’actuelle structure de l’Etat et la transformer radicalement. Progressivement, le pouvoir constitué doit transférer le pouvoir politique, social, économique et administratif au pouvoir communal pour aller vers l’Etat social et sortir des vieilles structures de l’Etat capitaliste bourgeois qui freinent les impulsions révolutionnaires (Ciccariello-Maher 2007).
4. L’influence relative du mouvement ouvrier dans l’approfondissement du processus
Le dynamisme et la forte participation observée au niveau des communautés dans la gestion des services ne sauraient masquer une autre réalité : un faible taux de travailleurs dans l’économie formelle (de l’ordre de 50 %), même si celui-ci a progressé de 8 % entre 2000 et 2007 avec le développement des coopératives qui concernerait 14 % de la population active en 2009, une division syndicale entre la CTV (liée à l’opposition et très affaiblie) et l’UNT (créée en 2003 et qui tarde à se doter de structures véritablement démocratiques), la faiblesse des courants révolutionnaires et autogestionnaires et l’absence d’un fort mouvement de récupération des entreprises (si on le compare à l’Argentine ou au Brésil). Compte tenu des modestes dimensions du parc industriel vénézuélien, les récupérations d’entreprises par les travailleurs ne dépassaient pas les 30 entreprises en 2006 (Lucena 2006) même si elles se sont poursuivies par la suite.
La mobilisation des travailleurs a surtout été très forte lors du putsch d’avril 2002 et les lock-out de décembre 2002 et d’avril 2003. Ceux-ci ont occupé leurs usines et leurs entreprises en refusant d’obéir aux consignes de la centrale syndicale, la CTV qui s’est totalement discréditée. La création de l’UNT a suscité un immense espoir dans la classe ouvrière mais elle reste divisée entre des courants acritiques et suivistes par rapport au bolivarisme et un courant classiste assez faible et qui demeure très traditionnel dans ses revendications, même s’il s’évertue à impulser une radicalisation du processus.
En 2005, au sein d’ALCASA (principale industrie d’aluminium du pays), les conseils d’usine ont constitué la première expérience de contrôle ouvrier au niveau de la grande industrie. Ils ont servi de référence pour rompre avec les hiérarchies oppressives entre gérants et ouvriers et ont permis de développer les échanges et la démocratie d’entreprise.
En 2008, les 15 000 ouvriers de SIDOR, qui à l’issue d’une lutte de quinze mois au cours de laquelle les tergiversations du pouvoir (autorités locales et ministre du travail) ont été très fortes, obtiennent satisfaction. Les ouvriers se battaient pour transformer 9 000 sous-contrats en contrats à durée indéterminée. Devant le refus patronal, l’entreprise sera finalement renationalisée en mai 2008.
Une première rencontre nationale pour débattre du mode de gestion socialiste, du contrôle ouvrier et de la participation des travailleurs s’est déroulée à Caracas 17 et 18 septembre dernier, en présence de 220 syndicalistes et travailleurs de différentes entreprises nationalisées, récupérées ou de caractère social dans lesquelles se développe un processus de contrôle ouvrier . Elle s’est conclue par une déclaration très critique vis-à-vis du gouvernement, notamment sur : le comportement bureaucratique des directions nommées par le gouvernement ; l’ingérence exercée dans l’organisation et le fonctionnement des Conseils de travailleurs ; la rétention d’informations en rapport avec la planification, l’administration, la production et la commercialisation des entreprises sous contrôle ouvrier. Les participants ont estimé indispensable la mise en place d’une instance nationale d’articulation et de socialisation des expériences de contrôle et de gestion ouvrière et l’élection démocratiques des directions d’entreprises par les travailleurs.
Ce constat démontre les atermoiements du pouvoir qui socialise la production au gré des événements et des mobilisations et le caractère bureaucratique du processus. En même temps, la classe ouvrière vénézuélienne ne se montre pas en mesure d’amplifier le processus de récupération des entreprises. L’adoption de mot ordre tel que la nationalisation sous contrôle ouvrier ne montre t-il pas toutes ses limites, même s’il peut être une étape transitoire vers la gestion ouvrière dans une perspective autogestionnaire.
5. Réflexions autour du débat : nationalisation sous contrôle ouvrier et autogestion
En 2009, les nationalisations ont relancé le débat sur le contrôle ouvrier par la mise en place de mécanismes de contrôle par les travailleurs des organes de gestion des entreprises nationalisées. Pour éviter la mauvaise gestion, les gaspillages, les détournements, la corruption, l’abus de biens sociaux, les travailleurs veulent notamment obtenir l’ouverture des livres de compte, la transparence sur la stratégie commerciale et industrielle des entreprises et la présentation régulière des bilans de gestion. Pour la gauche syndicale, il s’agit aussi « au travers du contrôle ouvrier d’augmenter la confiance en eux-mêmes et l’organisation des travailleurs afin qu’ils interviennent collectivement pour donner un contenu socialiste à la gestion et aux relations de travail dans les entreprises, qu’elles soient nationalisées ou encore aux mains du capital privé. Il faudrait poser également la question du secteur de la production pétrolière dont les travailleurs sont écartés. La bataille pour le contrôle ouvrier sur la gestion des entreprises est absolument fondamentale. Son issue est décisive pour l’approfondissement du processus en cours au Venezuela » (Toussaint 2009). Mais le contrôle ouvrier ne peut être qu’une revendication transitoire et non une finalité si on se situe dans une perspective autogestionnaire. Pourquoi ne pas revendiquer des Conseils de gestion ou des Conseils d’usine, plutôt que de se limiter au contrôle ? (Gurvitch 1966).
Si la nationalisation des entreprises récupérées sous contrôle ouvrier correspond plutôt à une conception d’un état dirigé par des travailleurs, elle peut s’entendre. Mais est-ce vraiment le cas au Venezuela ? Néanmoins, pour les marxistes, il n’est pas question de construire le socialisme avec les mains de la bourgeoisie, mais d’utiliser les situations qui se présentent dans le capitalisme d’Etat et faire avancer le mouvement révolutionnaire. Dans ces conditions, le contrôle ouvrier ne peut-être qu’une revendication et une phase transitoire.
« Dès lors qu’il prend un caractère de masse, le contrôle ouvrier sort très rapidement de ses limites et se transforme en une expression de la capacité des travailleurs à gérer leur propre vie professionnelle et sociale. Comme son nom l’indique, l’application du contrôle ouvrier ne se limite qu’à la surveillance et à la vérification de la marche d’une entreprise dont la direction effective reste entre les mains des capitalistes ou des représentants de l’État : l’autogestion et le contrôle ouvrier sont donc de nature fondamentalement différente ». Si le contrôle ouvrier ne peut être réalisé que par la lutte, il enclenche un processus dynamique. Le contrôle ouvrier « constitue pour les travailleurs un exercice de préparation, en quelque sorte, qui leur rend sensible la nécessité de passer à une phase supérieure de l’action, la gestion ouvrière. Le rôle des révolutionnaires consiste à placer toutes les luttes partielles pour le contrôle ouvrier dans la perspective de l’autogestion. L’autogestion représente le dépassement des perspectives réformistes sous quelque forme qu’elles se présentent ».
« Si le contrôle ouvrier est, par conséquent, une sorte de banc d’épreuve rendant perceptible la nécessité de l’autogestion, l’autogestion d’une usine ou d’un service isolé, ou même d’un ensemble s’élevant à plusieurs unités, est, en règle générale, une entreprise utopique en régime capitaliste. L’environnement hostile aura tôt fait d’en paralyser le fonctionnement en tarissant l’approvisionnement en matières premières et en sabotant la commercialisation et l’écoulement de la production » (TMRI 1972).
Bien évidemment, la réussite de l’autogestion réclame son extension à des branches entières de l’activité économique. En partant des revendications immédiates, la stratégie de l’autogestion pose de façon concrète le dépérissement et la destruction de l’appareil d’État bourgeois et le renversement de la bureaucratie. Car, elle « met en question l’Etat, en tant que puissante contraignante, érigée au dessus de la société entière ». Pour se généraliser, pour se changer « en système », l’autogestion ne peut éviter le heurt avec le « système étato-politique » (Lefebvre 1966).
Dans le contexte vénézuélien, l’élaboration de contre-plans ouvriers pour diversifier la production seraient sans doute souhaitables (comme ce qui semble s’amorcer avec le Plan Guyana socialiste).
Le pouvoir bolivarien, qui se revendique du socialisme, n’est pas totalement débarrassé de ses oripeaux bourgeois et il est traversé par de profondes contradictions. Il est incontestablement plus disposé à socialiser la production et les services que d’autres gouvernements de nature bourgeoise. Il existe de fait des conditions objectives plus favorables pour le contrôle populaire et ouvrier et pour parvenir à la gestion ouvrière mais le cas de SIDOR démontre que des résistances bureaucratiques et réformistes subsistent. Dans ces conditions, la faiblesse du mouvement ouvrier constitue probablement un sérieux handicap pour l’approfondissement et la radicalisation du processus dans une perspective autogestionnaire.
* Militant altermondialiste, membre du collectif Lucien Collonges qui a coordonné l’ouvrage « Autogestion hier, aujourd’hui, demain », Editions syllepse, 2010.
Bibliographie
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Annexe 1: Typologie des coopératives
44 % ont été créées spontanément (sans aides ou incitations financières du gouvernement)
34 % sont des banques communales (créées par les Conseils communaux et transférées aux Unités administratives en 2009 car il s’agit de gérer les fonds attribués par l’Etat)
14 % ont été promues par l’Etat (découlent d’incitations financières et contractuelles de l’Etat)
5 % sont liées à des entreprises en cogestion (processus public / privé avec responsabilité de gestion partielle)
1 % sont des caisses d’épargne (fonds des travailleurs d’entreprises publiques ou privées ou coopératives classiques de crédit)
1 % sont des classiques (affiliées à des regroupements ou des fédérations)
1 % sont des coopératives innovantes
Les coopérateurs travaillent principalement dans quatre secteurs : 31 % dans le commerce et l’hôtellerie, 29 % dans le transport, la logistique et les communications, 18 % dans l’agriculture et la pêche, et 8 % dans l’industrie manufacturière (source MINEP 2006).
Dans leur grande majorité, les coopératives sont des petites unités et une partie d’entre-elles va même péricliter rapidement. Il y a également des dérives de gestion et des entreprises capitalistes se constituent en coopératives. SUNACOOP, l’organisme chargé de superviser les coopératives, doit s’employer à assainir le secteur. Le développement magistral s’est accompagné d’une grande dépendance vis-à-vis des marchés de l’Etat et des communes. La cohabitation avec le mouvement coopératif traditionnel, plus autonome, ne s’avère pas très simple. Celui-ci peine à être reconnu comme un véritable acteur.
(Diagnóstico del sector de la économía social y solidaria en Venezuela, ACI Américas, Investigación del centro cooperativo sueco y cooperativa Gestión Participativa, 2009)
Annexe 2 : Les enjeux du Plan de développement économique et social de la nation (2007/2013)
a. Adopter de nouvelles conditions pour créer des coopératives
b. Construire un véritable mouvement coopératif et rompre avec l’archipel d’initiatives isolées,
c. Amplifier le processus de cogestion. Le Plan de développement économique et social de la nation (2007/2013) prévoyait notamment d’arriver à une répartition équitable des Trois tiers entre le secteur public, le secteur de l’économie sociale et le secteur privé.
d. Ancrer l’économie solidaire dans le secteur énergétique (Pétrole, gaz, électricité et charbon pour en finir avec les pratiques bureaucratiques et aliénantes et parvenir au « travail associé ».
e. Accentuer la formation sur les principes coopératifs et constituer un réseau de centres de formation.
f. Préciser dans une loi les concepts de travail associé, les relations avec l’Etat et la cogestion.
g. Impulser des politiques de conservation de l’environnement pour parvenir à un développement équilibré.
(Diagnóstico del sector de la economía social y solidaria en Venezuela, ACI Américas, Investigación del centro cooperativo sueco y cooperativa Gestión Participativa, 2009)
Annexe 3 : Les entreprises de production sociale
« L’originalité de ces entreprises, régies par le statut de société anonyme, réside dans la promotion de la participation des membres d’une communauté (espace territorial spécifique) au fonctionnement et au développement des structures. La détention du capital est assumée collectivement et égalitairement entre les entités associatives fondées sur les principes de la coopération et de la solidarité (fédérations de coopératives) et les organismes de gestion de fonds publics chargés de leur création (instituts autonomes d’impulsion de l’appareil productif). La propriété sur les moyens de production n’est ni strictement privée ni étatique, mais celle des communautés administrées par les conseils communaux. Les EPS sont présentes dans les différents secteurs de l’économie nationale : construction, transport de charge, transformation de matières premières, tourisme… Leur production est dite « sociale » et l’indicateur de leur productivité se base sur l’évaluation du bien-être accompli par unité produite. La distribution des bénéfices du travail collectif détermine la rémunération ; c’est le salaire social, évalué en fonction des nécessités locales et de l’apport productif de chacun des membres. Cette distribution se réalise de façon démocratique (assemblées) ; le directoire est composé paritairement des représentants des entités associatives et des entreprises publiques. L’objectif fondamental n’est pas la recherche du profit, mais celle de la création d’emplois et la satisfaction des nécessités des populations inscrites dans l’environnement de l’entreprise. Le partage de la responsabilité doit permettre l’interaction entre les différents acteurs du territoire et contribuer à la construction de son développement endogène (faire émerger d’autres EPS, par exemple) ».
(Extrait d’un article de Pierrick Lavergne, « Les nouveaux modèles d’économie sociale au Venezuela, (une réponse au capitalisme rentier ?) », Revue internationale de l’économie sociale (RECMA), 2009).
Annexe 4 : Les axes de la diversification de l’appareil productif
« - 1. Développement d’un pôle sidérurgique et métallurgique en appliquant une politique de substitution des importations (le Venezuela va produire les tubes dont il a besoin pour construire des oléoducs alors que jusqu’ici, ils étaient importés ; avec l’aide des Chinois, le Venezuela va produire du matériel ferroviaire et redévelopper son réseau) ;
- 2. Soutien à la production agricole locale pour se rapprocher autant que possible d’une situation de souveraineté alimentaire alors que près de 90 % des aliments consommés dans le pays sont importés (héritage des décennies d’utilisation des revenus pétroliers pour importer tout ce dont le Venezuela avait besoin) ;
- 3. Développement d’une industrie pétrochimique ;
- 4. Amélioration de la production et de la distribution électrique produite en très grande majorité à partir de l’énergie hydraulique (et heureusement pas à partir du pétrole). A ce niveau, contrairement aux intentions officielles, il faut éviter de se lancer dans la production d’électricité par des centrales nucléaires ;
- 5. Nationalisation de l’industrie du ciment afin de développer la politique de construction d’habitations.
En ce qui concerne la volonté de réduire la dépendance à l’égard du pétrole, le Venezuela cherche aussi à diminuer sa dépendance à l’égard des États-Unis, son principal acheteur d’hydrocarbures, en cherchant à renforcer les fournitures à la Chine (selon certaines sources gouvernementales, l’espoir est que la Chine achète autant que les États-Unis d’ici 2014, ce qui paraît très difficile à atteindre).
•Politique agraire : Une réforme agraire a été mise en place, les coopératives et les petites exploitations agricoles font l’objet de subventions importantes mais on part d’une situation très difficile. Le poids de l’agriculture dans le PIB est très faible et, mises à part des exceptions très importantes — comme par exemple les régions de grande culture maraîchère dans les Andes, le Venezuela est un de ces pays où la paysannerie est très fortement affaiblie en raison du modèle importateur appliqué depuis des décennies.
Comment reconstituer une paysannerie assurant la souveraineté alimentaire d’une population qui atteindra 30 millions dans les prochaines années ? Il faut reconnaître que le problème est très difficile à résoudre. Pour cela, il faut que l’État mette en œuvre une très large batterie de mesures de stimulations parmi lesquelles : une amélioration substantielle de la qualité des services publics en zones rurale de manière à réduire la pression en faveur de l’exode rural vers les villes ; l’apport d’une aide à différents niveaux à l’agriculture familiale et aux autres formes traditionnelles de production agricole sans exercer une pression exagérée en faveur des coopératives ; le développement d’un réseau public pour la commercialisation des produits des paysans en leur assurant une stabilité de débouché et des prix suffisamment élevés pour les stimuler et les mettre hors des griffes des réseaux privés qui imposent leur prix aux producteurs et s’assurent des marges de bénéfice beaucoup trop élevées ».
(Extrait de l’article d’Eric Toussaint « Changements en cours au Venezuela » in « La roue tourne au Venezuela, en Equateur et en Bolivie » paru dans Inprecor en septembre 2009)
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