M. Colloghan

lundi 16 décembre 2013

Adresse de Álvaro García Linera au 4e congrès du Parti de la la gauche européenne

L’Europe tel que nous la voyons, nous à partir de l’Amérique Latine, ne brille pas beaucoup. Cette Europe s’elle repliée sur elle-même, avec peu d’ambitions et surtout beaucoup d’appétits. Mais nous savons que cette Europe que nous voyons de loin est celle des gouvernants, de ceux qui n’écoutent pas les peuples mais servent les banquiers, appliquent une politique d’austérité, développent le grand marché transatlantique. (…)

Le capitalisme est hégémonique et depuis 20 ans. Nous voyons qu’il poursuit une accumulation de richesses qui s’est élargie à de nouveaux secteurs – le vivant, le savoir, le bien commun. Cette accumulation est une prédation, elle dépossède la société des richesses dont elle besoin. Avec la financiarisation, cette accumulation est devenue parasitaire car elle alimente la spéculation qui délaisse la production. De fait, le développement des forces productives est aussi une source de régression sociale et l’origine de la crise de notre écosystème.

Certes, nous faisons face à une planétarisation de la production de biens avec des composants ici, de la recherche par-ci, des pièces là-bas, un assemblage encore ailleurs. Cette planétarisation de la production et de la consommation se traduit aussi par un accroissement de la classe salariée dans la population mondiale. Mais en même temps, cette accumulation alimente aussi une crise du monde rural, de la population agricole ainsi que qu’une précarisation croissante des couches salariées.

Le capitalisme contemporain est despotique, il s’attaque non seulement aux institutions sociales que vous avez conquises en Europe; il subordonne aussi des régions entières, les peuples du sud et ce despotisme les oblige d’entrer de gré ou de force dans le grand bazar mondial, de brader leurs ressources naturelles et d’exploiter leur environnement.

Le capitalisme contemporain prolétarise des nations entières et il est en train de modifier le métabolisme de notre planète. Nous allons vers des conflits croissants sur l’accès aux ressources vitales; l’eau, les ressources énergétiques, la production alimentaire. Si c’est la logique de profit qui continue à prévaloir, alors nous allons au devant de tensions et de conflits énormes.

L’indignation à l’égard des injustices et l’analyse du monde tel qu’il va mal sont nécessaires mais ne suffiront pas. Si nous voulons trouver une issue, il nous faut développer des propositions. La gauche doit se réinventer et donner espoir aux opprimés et aux peuples. En m’appuyant sur notre expérience en Bolivie, je voudrais vous soumettre six propositions,

Premièrement, la gauche doit défendre le sens du bien commun, du vivre ensemble et ce qui rend nos société humaines. C’est une question de civilisation.

Deuxièmement, la gauche doit faire de la démocratie sa bannière. La démocratie est aujourd’hui mise à mal. La souveraineté des peuples est nié par les marchés financiers et les oligarchies au pouvoir. La démocratie, ce n’est pas seulement un ensemble institutionnel; c’est aussi une pratique. C’est l’administration de la société et de l’environnement par les citoyens. 

Dans les années 70, on disait “il faut faire entrer la démocratie dans l’entreprise”, c’est toujours aussi vrai. Mais aujourd’hui, il est évident qu’il faudra aussi faire entrer la démocratie dans les banques et le monde financier. Et il faudra le faire y compris dans la sphère politique elle-même puisque celle-ci a connu une fossilisation sous l’effet de la domination de la technocratie, des oligarchies financières.

Troisièmement, nous devons défendre un projet universaliste. Je pense ici à l’universalisme des droits sociaux, du droit à l’enseignement, à l’emploi décent, à la santé. Ces droits universels sont d’une grande actualité et nous aident à formuler des revendications concrètes. J’ai lu dans les journaux comment en Europe sont utilisés les ressources publiques pour sauver les ressources privées; c’est une aberration. C’est le monde qui fonctionne à l’envers !

Quatrièmement, nous devons revendiquer une nouvelle relation entre l’homme et la nature. Comme le dit Evo Morales, la planète peut fonctionner sans la présence humaine mais l’inverse n’est pas vrai. Or, c’est l’activité humaine qui est en train de détruire la planète, et cette activité est guidée par une logique aveugle d’accumulation et de profit. Nous devons promouvoir une nouvelle relation entre l’homme et la nature, non pas dans la perspective d’une économie verte et dont la nature écologique est hypocrite puisque les entreprises qui se donnent l’image d’être protectrices mais sont en même temps celles qui organisent ou bénéficient de la déforestation en Amazonie et ont conduisent à la transformation de la nature en marchandise.

Et dernièrement, nous devons défendre la politique comme moyen de changement social. Il nous faut assumer la nature héroïque de l’action politique contre le postmodernisme qui proclame la fin des grands récits et diffuse un relativisme pernicieux au sein des classes opprimées et subalternes. Changer les choses demande de l’effort, du courage, de l’obstination. Reconstruire l’espérance en suivant Gramsci est nécessaire si on veut que des dizaines des centaines de milliers de citoyens engagent du temps, de l’énergie dans l’action pour un autre monde.

Au nom d’Evo Morales, je salue votre congrès. Vous êtes rassemblés ici, les représentants de plus de 30 partis de gauche actifs en Europe. C’est un fait politique majeur pour nous ; un fait qu’il ne faut pas sous-estimer et vous devez à la fois continuer ce travail de synthèse et de mise en commun des idées et des expériences et ne pas vous détacher des luttes. La politique, c’est d’abord convaincre et cette conviction exige que nous luttons, luttons, luttons. Nous ne sommes pas seuls, nous avons besoin de vous nous avons besoin d’une Europe qui illumine le monde et le destin humain. 

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